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Vendredi 8 décembre 2023

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Le déchet - l’oeuvre

Texte de Odile B. Desoria, 1992

Vendredi 22 mai 2009


LE DECHET - L’OEUVRE

Odile B. Desoria
Psychanalyste
1992

Qui peut le dire ?

Que nous sommes nés entre le cri et le déchet.

Qui peut oser soutenir et le cri et le déchet ?

Sinon l’oeuvre.

En effet, l’oeuvre accomplit le travail de la transmutation du métal vil en or pur, du détritus en innovation, du déchet enfoui au plus profond de nous mêmes, -larmes, rancoeurs, haines ou nostalgies insupportables -, en trait peint avec force, forme sculptée d’un désir épuré.

Le déchet avec le cri est la seule chose qui témoigne que nous ayons un intérieur.

Inspiration ou souffle dans le cri, sécrétion dans l’excrément, expulsion du déchet : le sujet voit le jour dans cet acte en deux temps.

L’artiste, le créateur aussi. Il voit, inspire, hume l’oeuvre possible et rentre en lui même pour façonner, travailler la matière jusqu’à son rejet hors de lui comme oeuvre, livrée à tous, offerte, exposée.

L’artiste rappelle à chacun les deux formes de l’existence en tenant d’une seule main par son oeuvre, la tension présente entre ces deux points. Tout sujet humain, né du cri-désir qui l’a conçu, retourne par la mort au terreau qui le fait déchet.

L’artiste créateur s’efface comme déchet derrière son oeuvre qu’il abandonne comme cri.

Celui qui ne crée pas prend le risque d’oublier qu’il est né du déchet. Le risque c’est de se croire, pur cri, pur de tout déchet, sans l’odeur fétide de ses ressentiments anciens et donc, sans l’obligation de transformer ce déchet en valeur.

Si l’Homme ne sait que faire de ses déchets c’est qu’il se croit pur et ne veut pas voir "ça" en lui même. La conséquence en est qu’il oublie alors, logiquement, qu’il a un intérieur, une âme sensible, un coeur qui souffre. En se fermant ainsi à sa propre vie excrémentielle, à la partie déchet de lui même, l’Homme annule sa propre vie intérieure. Il se fait rebut lui même, enveloppe vide : il consomme à l’infini, avale objets, idées et connaissances aveuglément et dévore jusqu’à son proche qu’il manipule et domine.

L’artiste, le créateur a un devoir social : rappeler par son acte, que le déchet est la seule chose qui témoigne que nous ayons un intérieur, d’où jaillit le cri.

Le déchet à la surface de la terre, par ses accumulations, son traitement, son envahissement témoigne de l’âme du monde.

Faire oeuvre de déchets équivaut donc à ranimer sous la cendre des détritus, l’étincelle du désir et du cri. L’objet produit à partir de l’inutilisable que d’autres ont laissé tomber, est la grande oeuvre de l’alchimiste moderne qui redonne ainsi sens et beauté à la pourriture des civilisations maudites d’aujourd’hui qui ont oublié leur intérieur.

Ainsi l’oeuvre, inspirée du déchet, est oeuvre d’humanité. Le fou, l’exclu, l’handicapé, le rejeté, rebuts des groupes, de la société, sont donc au coeur même, au centre de cette entreprise.

Le déchet-d’oeuvre et l’oeuvre du déchet les justifient d’exister à la périphérie des civilisations. S’ils en sont le déchet, ils en sont l’âme.

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