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Dossier "Pour un monde durable", magazine Biocontact novembre 2010

Les guerres et la mondialisation contre le développement durable

Un article de Claude-Marie VADROT

Mardi 2 novembre 2010

L’environnement et la géopolitique sont intimement liés : les conflits ont des conséquences sur le milieu et les ressources naturelles et, inversement, de nombreux conflits naissent directement ou indirectement d’une lutte pour contrôler les ressources naturelles. En acceptant une mondialisation géopolitique, notamment de notre nourriture, nous pesons aussi sur notre environnement.


Les naturalistes, les agences de Nations unies et l’Union internationale pour la conservation de la nature déplorent depuis des années la disparition progressive des gorilles de montagne à la frontière du Rwanda et de la République démocratique du Congo, l’ancien Zaïre. Et aussi des zèbres, des okapis, des éléphants ou des rhinocéros. Mais les efforts des spécialistes seront vains tant que la région sera dévastée par des bandes armées, des actions de guérilla et l’installation d’immenses camps de réfugiés, notamment au cœur du parc national de Virunga.

Il ne sert à rien, rigoureusement à rien, d’essayer de « protéger » quelques derniers grands singes d’Afrique, environ 700 actuellement, tant que la paix ne sera pas revenue dans cette région, dévastée depuis le milieu des années 90. Dévastations qui réduisent l’espace vital et l’alimentation des animaux sauvages.

Même remarque pour les singes bonobos qui servent à approvisionner en viande de brousse les groupes qui se combattent. Des luttes qui n’ont plus grand chose à voir avec la politique ou l’idéologie, mais qui sont entretenues par les sociétés, souvent occidentales, qui utilisent les « rebelles » pour ouvrir des mines sauvages de façon, par exemple, à exploiter le coltan qui entre dans le processus de fabrication des téléphones portables et des ordinateurs. Des minerais dont l’origine est ensuite « blanchie » par le passage dans des pays tiers (Russie, Ukraine, Bélarus, etc.) avant de revenir en Europe.

Depuis une quinzaine d’années, environ 200 gardes du parc national de Virunga ont été tués par des bandes armées, des braconniers ou des unités de l’armée congolaise. Ce qui signifie clairement que seuls un règlement international des conflits, un effort géopolitique pour que le pouvoir du président congolais dépasse enfin des faubourgs de la capitale Kinshasa, pourront permettre, dans l’est du Congo et le reste du pays, un début de protection d’une nature qui pourrait être (et qui fut…) une ressource précieuse pour le pays. Seule une nouvelle approche géopolitique de l’état de la région pourrait déboucher sur la fin de l’exploitation sauvage de tout le pays par de grandes sociétés occidentales entretenant des milices régionales ou locales protégeant « leurs » mines.

Ce qui s’est déroulé pendant plusieurs années en Sierra Leone et au Libéria avec le commerce illégal des pierres précieuses (les tristement célèbres « diamants de sang ») montre que la destruction des ressources naturelles est toujours la conséquence directe d’une exploitation liée aux conflits entretenus par les pays occidentaux qui laissent vendre des armes à ces pays et aux bandes rebelles.

 Somalie polluée et dévastée

Si les côtes de la Somalie sont dévastées par la pollution provoquée par le déversement de milliers de containers de déchets toxiques, y compris radioactifs, c’est parce que ce pays qui n’a plus réellement de gouvernement depuis le début des années 90 n’a pas les moyens de s’y opposer, divisé qu’il est entre des bandes rivales qui, en plus, détruisent le milieu naturel. Une situation géopolitique de crise qui arrange à la fois les pays du Nord et de nombreux pays africains.

Les pays riches laissent se développer ce trafic des déchets toxiques qui permet à des sociétés spécialisées de réaliser de somptueux bénéfices puisque le coût du traitement industriel sans risque de ces déchets est dix fois supérieur en moyenne au prix du déversement illégal en mer après transport depuis l’Europe ou les Etats-Unis. Les bateaux de guerre occidentaux qui cherchent à intercepter les « pirates » somaliens n’interviennent jamais contre les porte-containers qui viennent jeter les produits à la mer. Et il faut donc s’interroger sur les raisons qui poussent des Somaliens à se livrer à cette piraterie : les eaux côtières du pays étant de plus en plus polluées, le poisson de plus en plus rare parce qu’éprouvant de plus en plus de difficulté à se reproduire, ces anciens pêcheurs ont été contraints de se « reconvertir » pour permettre aux villages côtiers de survivre.

Une analyse géopolitique lucide de cette situation et des mesures de maintien de l’ordre permettraient de mettre fin à une situation entretenue par les armes et les véhicules livrés par des sociétés occidentales. L’Occident contribue à détruire la Somalie comme les colons espagnols puis anglais ont détruit les cultures et les ressources des peuples des Amériques avant de les exterminer.

 Gaza écologiquement sinistrée

La situation écologiquement désastreuse des territoires occupés et de Gaza, là où toutes les pollutions de l’eau, de la nature, du paysage et des eaux s’accumulent est certes liée à l’antagonisme politique entre les Palestiniens et les Israéliens. Mais la volonté de l’Etat d’Israël, depuis sa création en 1948, de contrôler l’accès à l’eau reste la source essentielle du conflit puisque même les accords d’Oslo – non appliqués, d’ailleurs – avait laissé pour « plus tard » la question du partage de l’eau. Résultats du conflit : plus de nature à Gaza, bien peu en Cisjordanie, notamment à cause du mur qui interdit la circulation de ce qui reste de faune, ordures jamais ramassées qui brûlent en permanence, pollution de l’air et un approvisionnement en eau aléatoire. Tandis que le Jourdain et le lac de Tibériade, trop sollicités par les Israéliens, sont transformés en cloaques pollués, avec de moins en moins d’eau disponible pour la Syrie, la Jordanie et évidemment les Palestiniens.

Qu’il s’agisse du Congo ou de la Birmanie sous le joug d’une dictature implacable depuis des années, le laxisme des pays riches, renforcé de leurs intérêts économiques et financiers, les incite à fermer les yeux sur les conditions dans lesquelles sont exploités puis exportés les bois précieux avec lesquels sont fabriqués nos meubles. Au Sud-Liban comme dans le nord d’Israël, les traces – bombes, mines ou incendies –, du dernier conflit marquent le paysage et le travail des agriculteurs. Tout comme les mines antipersonnel condamnent toujours à la friche des milliers de kilomètres carrés des terres agricoles de la Bosnie, du Cambodge, du Laos ou de certaines parties de l’Indonésie. Il faudrait encore, pour être exhaustif sur les conséquences des (géo)politiques qui marquent la nature et l’environnement, évoquer l’Irak et l’Afghanistan, ravagés par les guerres et les destructions, ou bien l’exploitation des îles indonésiennes pour planter n’importe où des palmiers à huile qui entrent dans les produits de nos consommations alimentaires quotidiennes.

 La mondialisation des fruits et légumes

Dans cet autre domaine, la géopolitique de la mondialisation pèse de plus en plus sur le climat en raison de l’augmentation du dégagement des gaz à effet de serre liés à la commercialisation à travers le monde des fruits et légumes. Parce qu’ils viennent de plus en plus loin pour profiter des bas coûts de la main-d’œuvre du Sud, parce qu’ils sont de plus en plus proposés hors saison. Cette géopolitique du commerce de l’alimentation entraîne en France l’importation de 80 000 tonnes de fraises produites en hiver dans la région de Huerta en Andalousie. Région de plus en plus polluée par les produits agricoles souvent dangereux pour une main-d’œuvre saisonnière étrangère exploitée et pour ceux qui consomment ces « fraises » dures et sans goût. S’il n’y avait que les fraises, y compris celles qui prennent l’avion pour venir des Etats-Unis, cela ne constituerait qu’un scandale isolé…

Mais la France, pour ne parler que d’elle, a-t-elle besoin de contribuer au gaspillage de l’énergie en important chaque année deux millions de tonnes de légumes, de l’agneau de Nouvelle-Zélande, 75 000 tonnes de concombres hors saison, des tomates cerises du Sénégal ou du Kenya, 5 000 tonnes de grenouilles vivantes ou congelées qui arrivent par avion de pays trop lointains ? Sans oublier les 20 millions de roses d’Afrique ou d’Amérique latine qui arrivent chaque jour à Rotterdam. Avec 13 000 tonnes d’escargots de Turquie ou d’Indonésie ou 60 000 tonnes de « haricots verts fins » vendus hors saison. Malheureusement parce qu’il existe une « demande », imposée par un marketing et une communication auxquels trop de Français – pour ne parler que d’eux – tendent à succomber.

La géopolitique de la bouffe pèse aussi sur notre environnement quand des porcs sont élevés en Irlande, découpés en Allemagne et mis sous plastique en France puis vendus avec l’appellation rassurante, légale mais trompeuse « élaborés en France ». Sans compter les cochons élevés « hors-sol » en Bretagne avant de devenir, par la vertu d’un dernier voyage qui les « naturalise », jambon de Bayonne, saucisson de Lyon ou pâté d’Auvergne…

 Airbus : le délire écologique

Dans le délire de la division internationale du travail, des calculs politiques et de la recherche de profits, il faudrait enfin citer les voyages absurdes des pièces des Airbus qui sont usinés dans six pays européens différents avant d’être assemblés en France. Dans ce délire de la transhumance gaspilleuse d’énergie, il faut aussi signaler que plus de la moitié des voitures Renault, Citroën ou Peugeot est produite au loin avant de revenir en France en camions pour y être vendue. Les conflits mais aussi la guerre commerciale et internationale imposée par la géopolitique de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) nous éloignent chaque année davantage du développement durable, donc d’un monde supportable et respectant la biodiversité et ses utilités. Les effets du changement climatique, les migrations forcées qu’il entraîne ne pourront qu’aggraver les conflits, les délocalisations et l’éclatement de la production agricole si la prochaine conférence de Cancun ne prend pas des décisions courageuses. Mais, là encore, on est dans la géopolitique conduite par les pays industrialisés au mépris de ce qui est durable.


Claude-Marie VADROT.
Journaliste à Politis et à Mediapart. Grand reporter, il a couvert la fin de l’Union soviétique à partir de 1985 et tous les conflits armés depuis le milieu des années 70. Il est en outre spécialiste des questions de protection de la nature et de l’environnement qu’il enseigne au département de Géographie de l’université de Paris 8-Vincennes, à Saint-Denis. Il a couvert toutes les conférences internationales consacrées à l’environnement et au climat depuis 1972. Auteur de nombreux ouvrages sur l’Union soviétique, la Russie et l’environnement. Il a effectué en septembre 2010 son sixième reportage à Tchernobyl. Collaborateur de Polka Magazine.
Contact : Claude-Marie vadrot, Politis, 2, impasse Delaunnay, 75011 Paris. claude-marie.vadrot wanadoo.fr
Ressources :
www.horreurecologique.blogspot.com
www.politis.fr (blog des rédacteurs)
www.mediapart.fr


Ouvrages de l’auteur
- Des fraises en hiver et autres besoins inutiles de notre alimentation, éd. Delachaux et Niestlé.
- L’Horreur écologique, éd. Delachaux et Niestlé.
- Espèces en danger ! Enquête sur la biodiversité française, éd. Les Carnets de l’Info.
- Inéluctable, roman sur un accident nucléaire en France, éd. Sang de la Terre.
- La France au jardin (histoire et retour des potagers), éd. Delachaux et Niestlé.
- Guerres et environnement, éd. Delachaux et Niestlé.
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