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Dossier spécial Territoires "Lobbying, conflits d’intérêt, corruption"

Mercredi 8 décembre 2010

La revue Territoires, mensuel de la démocratie locale, publié par l’ADELS, a fait un dossier spécial "Lobbying, conflits d’intérêts, corruption : La France sous influences", paru en décembre 2010. Ci-dessous le sommaire et un article du dossier, dans lequel ont écrit ou sont cités des membres du réseau ETAL.



Dossier de Territoires n° 513, décembre 2010

- Se procurer la revue avec le dossier complet (Décembre 2010 • n° 513 • ISSN : 0 223 - 5951 • 51e année • 7,50 €)
Tel. 01 43 55 40 05 - Fax 01 55 28 30 21
territoires adels.org
blog revue Territoires

 Sommaire du dossier

Lobbying, conflits d’intérêts, corruption : La France sous influences

- Entretien avec Roger Lenglet, philosophe et journaliste d’investigation : « Les Français pensent toujours que la corruption n’existe que dans les pays pauvres… », p. 23 à 27
- Interview d’Eva Joly, présidente (Europe écologie – Les Verts) de la commission développement du Parlement européen, p.26 : « La corruption mine la confiance, ciment de la démocratie »
- De l’Europe au local : encadrer le lobbying, Yveline Nicolas, coordinatrice d’Adéquations, membre du réseau Étal, p. 28 et 29
- Des réseaux citoyens bataillent contre les lobbys, Blanche Caussanel
- Conflits d’intérêts : pour une surveillance citoyenne, Séverine Tessier, porte-parole d’Anticor, p. 34 et 35
- Une charte anti-corruption, éthique et à l’étroit, Sterenn Duigou, p. 36 et 37

 Un article du dossier : Des réseaux citoyens bataillent contre les lobbys

Les réseaux citoyens ne se limitent pas à la dénonciation des lobbys industriels, mais construisent des actions concrètes pour une contre-expertise possible, notamment en protégeant les « lanceurs d’alerte ». Des OGM au récent et dramatique Médiator, les champs de bataille sont immenses.

Qu’y a t il de commun entre la nourriture que nous mangeons, l’eau que nous buvons, l’électricité que nous consommons et les médicaments qui nous soignent ? Les marchés de ces produits de consommation courante, qui génèrent des profits immenses, sont accaparés par quelques grandes firmes multinationales. Leur but premier : conserver leurs leaderships et les bénéfices afférents. Les exigences éthiques, autrement dit, l’exercice de leurs activités sous l’angle du développement durable, sont reléguées au rang de contingences, gérées par les communicants. Pour y parvenir, les multinationales qui tiennent les marchés de l’eau, de l’électricité, de l’agroalimentaire ou des produits pharmaceutiques se sont organisées en groupes de pression visant à maintenir leur mainmise dans ces domaines et leur maîtrise des conditions des marchés. Cette liste n’est pas exhaustive.

Les secteurs de l’armement, de la pétrochimie, de l’automobile, du tabac, pour ne citer que les principaux, sont aussi régis par l’influence de groupes de pression oeuvrant souvent dans les coulisses de la démocratie. Si les intérêts qu’ils défendent se jouent sur la scène mondiale, leur emprise s’exerce au niveau local, dans le quotidien de chacun. Et entraîne des répercussions sur le prix, la qualité et la diversité de ce que nous ingérons, également sur la rémunération des producteurs et donc l’organisation des filières. Plus alarmantes encore sont les conséquences néfastes sur notre santé et notre environnement, les deux étant souvent liées. Pour alerter l’opinion publique et faire face à ces dérives, des réseaux de veille citoyenne se sont mis en place. Sur quels leviers peuvent-ils agir pour tenter d’infléchir le monde façonné par ces géants ? De quels outils disposent- ils pour faire obstacle, réclamer de la transparence et remettre l’intérêt général au coeur des pratiques industrielles et commerciales ?

Une lutte inégale

Disposer d’une information pluraliste et indépendante pour se forger une opinion est à la base de ce que tout citoyen est en droit d’attendre d’une démocratie qui fonctionne. Or, la fabrication de l’information a du mal à résister aux forces mises en oeuvre par les grands groupes pour imposer leurs marchandises. Leurs productions occupent presque tout le marché.

La communication qu’ils orchestrent a un poids considérable sur l’information que nous recevons. Les prescripteurs eux-mêmes sont sous influence : les médias indépendants se font rares, les journalistes d’investigation aussi… C’est grâce au travail acharné de militants que se construit, dans des domaines sensibles, une expertise citoyenne dégagée de la logique de profit liant les entreprises. Hélas, la plupart des actions de ces « citoyens éclairants », mis à part les plus spectaculaires, restent dans l’ombre. La contre-expertise progresse très lentement. Parfois, c’est à la « faveur » de scandales et de drames que la donne est modifiée. Dans le secteur de la santé, les affaires du distilbène, du sang contaminé, de la vache folle, de l’amiante ont provoqué des électrochocs dans l’opinion publique, entraînant des prises de conscience et des mesures drastiques. Mais c’est une veille sans relâche qu’il faut organiser pour éviter que d’autres scandales ne se produisent. Le tout dernier scandale sanitaire concerne le Mediator, des laboratoires Servier, médicament pour diabétiques en surpoids utilisé aussi comme coupe-faim. Un an après son interdiction, en novembre 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire (Afssaps) le met en cause dans le décès d’au moins cinq cents personnes dans les dernières décennies ! Elle recommande aux personnes ayant utilisé ce médicament de consulter un médecin. C’est aussi la position qui est prise par le ministère de la Santé. Mediator 150 mg. Combien de morts ?, témoignait la pneumologue Irène Frachon, du CHU de Brest, dans un livre paru en juin dernier (editions-dialogues.fr). Après la plainte déposée par Servier, le tribunal de grande instance de Brest a condamné l’éditeur à retirer le soustitre pour cause de « préjudice ». Pourtant, dès novembre 2009, l’étude de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) révélait les risques élevés de cardiopathies vasculaires liés à la prise du Mediator. Interrogé par Le Figaro, le Professeur Lucien Abenhaim, expert en pharmaco-épidémiologie, admet « qu’il aurait fallu des études dès la première alerte ». Sur l’évaluation des médicaments en France et les possibles conflits d’intérêts concernant des études menées par des scientifiques, financées par les industriels, l’expert apporte son éclairage : « Il est… naïf de croire que l’indépendance des études dépend uniquement de leur financement ou du caractère public ou privé des auteurs. Et il n’est pas choquant, au contraire, que le producteur du risque éventuel finance son évaluation. Mais les règles doivent être transparentes, avec des contre-expertises et des processus de validation externe. C’est ainsi que sont évaluées toutes les technologies, car les pouvoirs publics n’ont ni les moyens ni la compétence pour réaliser des études d’évaluation de grande envergure. Le rôle des agences sanitaires est d’exiger des études de suivi comme elles demandent des études d’autorisation et d’y appliquer les mêmes exigences de contrôle. » [1] Cette exigence de transparence est louable, encore faudrait-il que les membres de ces agences de contrôle soient totalement irréprochables. Encore très récemment, l’appartenance de la présidente du conseil d’administration de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA, qui rend ses expertises auprès de la commission européenne en matière d’OGM) à un lobby industriel, a été dénoncée par le député européen (EE) José Bové. Depuis le traitement de la grippe A l’hiver dernier, l’OMS est mise en cause et a dû se défendre d’avoir été influencée par des fabricants de vaccins pour déclarer l’état de pandémie. Désormais, elle promet de surveiller de près les relations entre certains de ses experts et les sociétés pharmaceutiques, pour éviter que des rémunérations ne mettent certains dans des positions où l’objectivité ne serait pas de mise. Ce qui équivaut clairement à une forme d’aveu.

Lanceurs d’alertes

La Fondation Sciences citoyennes, association créée en 2002, « a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de réappropriation citoyenne et démocratique de la science, afin de la mettre au service du bien commun. » Elle structure ses activités autour de trois grands axes de travail, à savoir la création d’un « tiers secteur scientifique » réunissant « forces associatives, consuméristes, syndicales et citoyennes », « la stimulation de la liberté d’expression et du débat dans le monde scientifique » et, enfin, « la promotion de l’élaboration démocratique des choix scientifiques et techniques. » Ce vaste programme se décline en des actions concrètes, comme le combat qui est mené pour encourager, soutenir et encadrer le travail des « lanceurs d’alerte scientifique », définis par l’association en ces termes : « Simple citoyen ou scientifique travaillant dans le domaine public ou privé, le lanceur d’alerte se trouve, à un moment donné, confronté à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’Homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics. Malheureusement, le temps que le risque soit publiquement reconnu et s’il est effectivement pris en compte, il est souvent trop tard. Les conséquences pour le lanceur d’alerte, qui agit à titre individuel parce qu’il n’existe pas à l’heure actuelle en France de dispositif de traitement des alertes, peuvent être graves : du licenciement jusqu’à la "mise au placard", il se retrouve directement exposé aux représailles dans un système hiérarchique qui ne le soutient pas car souvent subordonné à des intérêts financiers ou politiques. » Aujourd’hui, plusieurs personnalités du monde scientifique dont le travail est menacé, sont soutenues par l’association : Christian Velot, pour son expertise sur les OGM, Pierre Meneton, pour avoir dénoncé l’excès de sel dans l’alimentation, Véronique Lapides, présidente d’une association ayant réclamé la dépollution d’un ancien site industriel Kodak à Vincennes en lien avec des cas de cancers d’enfants, Gilles-Éric Séralini, pour son travail de contre-expertise sur les OGM… Un projet de loi a été élaboré par l’association, avec l’aide de juristes, visant à protéger les lanceurs d’alerte. « Il s’agit de définir un cadre de protection du lanceur d’alerte environnementale et sanitaire, à travers une législation réformant le droit du travail, d’une part, et le droit d’expression, d’autre part, et lui conférant le même statut que le salarié protégé. Les lanceurs d’alerte doivent avoir la possibilité de porter sur la place publique les hypothèses de danger pour l’Homme ou son environnement, sans être subordonnés aux clauses de secret industriel ou devoir de réserve et sans craindre d’éventuelles représailles. » [2] Ce travail autour des lanceurs l’alerte a permis à l’association de recruter de nouveaux adhérents. « Aujourd’hui, nous avons besoin de fournir des outils à nos adhérents » explique Glen Millot, salarié de l’association. « Nous avons monté un premier cycle de formation, en partenariat avec la région Île-de-France, sur l’expertise et les conflits d’intérêts. » Au printemps 2010, neuf sessions de formation se sont tenues autour des problématiques au coeur des préoccupations de Sciences citoyennes : environnement, alimentation et santé, recherche participative, technosciences, lanceurs d’alerte, solidarité et échanges Nord- Sud, lobbying, expertise et conflits d’intérêt. Au-delà de la culture de base donnée aux adhérents, cette « formation initiale du bénévole » se donne pour objectif « la constitution de groupes locaux, capables de façon autonome de développer localement leurs activités. » La force du réseau, les moyens humains et financiers dont ils disposent pour l’animer sont un élément-clé pour favoriser l’émergence des contre-expertises. À ce jour, Sciences citoyennes compte cinq salariés et environ cinq cents adhérents, chercheurs ou étudiants pour la plupart d’entre eux.

Les élus vont devoir choisir

Or, les campagnes menées par les lobbys pour faire progresser leurs idées dans l’opinion publique ou auprès des décideurs sont sans commune mesure avec ces moyens. Des exemples sont donnés par le réseau associatif Inf’OGM : « En mars 2000, les industriels des "sciences de la vie" décident de financer à hauteur de 52 millions de dollars une campagne de manipulation de l’opinion. À titre de comparaison, en 2009, le budget annuel d’Inf’OGM s’élève à 230 000 euros, et celui d’une campagne de Greenpeace sur les OGM pendant un an à 515 000 euros... » [3] Pour sa part, le réseau a organisé en 2009 le premier colloque national sur les veilles citoyennes d’information, à l’Assemblée nationale. Une quinzaine de réseaux étaient présents. Associatifs, fonctionnant avec très peu de salariés permanents et peu de moyens financiers, créés pour la plupart dans la dernière décennie, leurs objectifs étaient doubles : « faire entendre les critiques de la société civile sur la façon dont sont décidés les grands choix technologiques actuels », et « tracer des premières pistes pour construire une mutualisation de ces différentes veilles ». La sensibilisation des élus est un point sur lequel les associations de veille citoyenne doivent progresser en parallèle, afin de donner du poids à leurs expertises et faire avancer la législation. Présent à ce colloque, le réseau Semences paysannes, qui s’est constitué à partir de 2002 en réaction aux dérives de l’industrie semencière, est passé d’environ cent cinquante agriculteurs « isolés  » à plusieurs milliers aujourd’hui, qui travaillent sans intrant, proches de l’agriculture biologique. Guy Kastler, membre actif de Semences paysannes, rappelle que « l’interprofession semencière est organisée comme les autres filières agricoles, elle regroupe les entreprises de sélection et de commercialisation de semences, mais il n’y a pas de place pour les paysans, qui sont uniquement représentés par la FNSEA ! » C’est donc grâce au réseau que la conservation d’un patrimoine menacé d’extinction peut se faire, par la transmission des savoirfaire paysans, la conservation et la gestion dynamique d’espèces que l’Inra n’est plus en mesure de conserver. Le travail se porte aussi au niveau législatif, sur l’interprétation des textes, « qui permettent aux paysans d’échanger, de sélectionner, de multiplier, de conserver les semences paysannes sous certaines conditions ». Guy Kastler rappelle enfin que « dans le monde, la majorité des agriculteurs n’achètent pas leurs semences ; interdire la sélection paysanne est une absurdité ». Évidemment, le lobbying de Monsanto et des grands semenciers n’est pas de cet avis… Semences paysannes est aussi en contact avec des élus « résistants », qui distribuent ou utilisent des sachets de semences non-officielles, en marge de la législation, et s’appuie sur les jardiniers amateurs dont la participation n’est pas négligeable.

Des collectivités locales apportent aussi des financements locaux. Les liens avec l’Inra sont maintenus, avec la mise en place d’un programme de recherche portant sur la sélection participative et la gestion dynamique. Une journée parlementaire doit se tenir début décembre, en partenariat avec l’association Agir pour l’environnement.

Les projets de tous ces réseaux citoyens convergent. Le plus souvent associatifs, ils doivent auto-organiser leurs forces vives, se former, essaimer leurs idées face à des géants parfois agressifs. Le soutien de l’opinion publique, mal informée ou recevant ces sujets comme trop techniques ou réservés à une élite, est difficile à obtenir. Quant à celui des élus, le chemin est encore long. Même quand les textes semblent du côté des citoyens : la Commission de Bruxelles se retrouve ainsi actuellement face à une pétition anti-OGM signée par plus d’un million de personnes au niveau européen, l’invitant à faire une proposition législative en ce sens. Donnera-telle suite à la démarche ? Quand à la justice française, à travers le tribunal correctionnel de Marmande qui s’est prononcé dans l’affaire du fauchage d’une parcelle de maïs OGM en Lot-et- Garonne en 2006, elle a condamné le député européen José Bové et trois autres faucheurs à cent vingt joursamende de cinquante euros. Quelques mois après les faits, en 2008, la France imposait un moratoire sur la culture de maïs OGM en plein champ. Faut-il que des militants aient à ce point le sens du sacrifice pour éviter à la société de faire des choix anti-démocratiques et destructeurs ?

Blanche Caussanel

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