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Interview de Laurence Rameau, ancienne directrice de crèche

Mercredi 5 janvier 2011


Laurence Rameau est ancienne directrice de crèche, actuellement formatrice et consultante sur l’accueil des jeunes enfants, directrice de la rédaction du Journal des professionnels de la petite enfance.

Laurence Rameau est l’auteure en 2000 d’un mémoire de DSTS (Diplôme Supérieur en Travail Social) « Hommes, petite enfance, mode d’Emploi » et en 2009 de « Le lendemain des crèches » aux éditions Eres, dont un chapitre reprend les conclusions du mémoire.

Interview réalisée le 3 janvier 2011


En 2000 vous avez consacré votre Mémoire de DSTS (Diplôme Supérieur en Travail Social) aux professionnels hommes de la petite enfance. Quelle était votre motivation ?

Ma première motivation était d’œuvrer pour davantage d’égalité entre les hommes et les femmes. Si on ne propose qu’un entourage féminin aux enfants dans leur prime enfance, ce sera difficile de faire bouger les lignes. Introduire des hommes dans les milieux de la petite enfance permet d’offrir une image autre. A partir des années 1980, on a vu de plus en plus de pères dans les crèches sans qu’il y ait pour autant davantage de mixité parmi les professionnels. C’est d’autant plus regrettable qu’on doit aussi déplorer une montée en puissance des familles monoparentales, assumées à 90 % par les mères. De plus en plus d’enfants manquent donc de représentations masculines. La présence d’hommes parmi les professionnels de la petite enfance permettrait en partie de compenser ce phénomène.

Par ailleurs, l’égalité professionnelle ne se construira pas seulement en favorisant l’accès des femmes aux professions dites masculines. L’inverse est tout autant nécessaire.


Certains des professionnel-les de la petite enfance – hommes ou femmes - qu’Adéquations a côtoyés à l’occasion de ses formations, légitiment la présence des hommes dans le monde de la petite enfance par des arguments somme toute très stéréotypés. Les hommes permettraient par exemple d’établir davantage d’autorité. Peut-on dire dans un telle perspective que ça fait bouger les lignes ?

J’ai pu constater lors des entretiens pour mon mémoire, que l’image que se font les auxiliaires de puériculture et les puériculteurs de la personne qui s’occupe du tout petit, reste une représentation maternelle. Le monde de la petite enfance reste très connoté comme étant le prolongement de la grossesse, du maternage… On continue d’ailleurs de parler « d’assistants maternels » ou « d’école maternelle ». Cette image est tout autant véhiculée par les femmes que par les hommes. Ces derniers par exemple affirmaient « Je suis en capacité de faire aussi bien qu’une mère » et non « aussi bien qu’une femme ». Invités à décrire avec plus de précision leur rôle auprès des plus petits, ils citaient le jeu, l’autorité, le fait de faire entrer les enfants en société. Certaines directrices de crèche pouvaient leur reprocher de ne pas s’investir suffisamment dans le soin aux enfants, de négliger les changes. Dans les discours apparaissent donc des clivages très traditionnels. Alors certes, il ne suffit pas d’introduire des hommes dans la petite enfance pour que les choses changent en profondeur, mais il faut néanmoins continuer à les y inviter pour faire évoluer les choses.


Quels types de changements apporte à l’heure actuelle la présence d’un homme dans ces équipes traditionnellement féminines ?

Il faut savoir que 60 % des professionnel-les de crèche sont sans formation et que sur les 40 % de diplômé-es, les EJE (Educateurs de jeunes enfants) occupent majoritairement les postes de direction. Autrement dit, l’immense majorité des personnes qui ont les bébés dans les bras ne sont pas des spécialistes de la petite enfance, car la formation des auxiliaires consiste à étudier en 10 mois, les soins de l’enfant de 0 à 18 ans. Comment se débrouillent les professionnelles ? A partir de l’éducation qu’elles ont elles-mêmes reçue et l’héritage qui est transmis de femmes en femmes de manière tout à fait intuitive. Les choses fonctionnent sur la base d’une sorte de culture commune implicite très peu parlée. Pourquoi par exemple fait-on passer tel bébé du biberon à la cuillère ? Ce n’est pas une question qui sera partagée par l’équipe. C’est la réfèrente de l’enfant qui règle l’affaire avec la mère comme si c’était une évidence. Finalement on tourne en boucle entre femmes. Or les hommes qui entrent dans ces équipes ne partagent pas cette culture implicite, c’est d’ailleurs ce qui peut leur rendre les choses un peu difficiles. Leur seule présence oblige donc leurs collègues à parler de leur pratique, à expliciter telle ou telle décision. Faire entrer un homme, c’est faire entrer l’autre, et en ce sens, c’est très formateur pour une équipe.

Par ailleurs un professionnel homme peut aider à tisser des liens avec les pères et les soutenir dans leur parentalité. Ne serait-ce qu’en commençant par partager avec eux des centres d’intérêts qui ne sont pas nécessairement liés aux enfants. Ce n’est pas toujours facile pour les pères de se sentir à l’aise dans ces lieux hyperféminisés, d’autant qu’on a observé que les professionnelles s’adressaient à eux moins directement qu’aux mères. Une présence masculine au sein de l’équipe peut donc rééquilibrer les choses.


Qu’est-ce qui selon vous permettrait de faire prendre un virage plus radical ?

Il devient urgent que les professionnel-les de la petite enfance passent du soin à l’éducatif. Non seulement le versant éducatif permettrait d’attirer davantage d’hommes – ils sont, nous le constatons, déjà plus nombreux comme éducateurs ou animateurs que comme puériculteurs ou auxiliaire de puériculture – mais une formation des professionnels allant dans le sens du développement de l’enfant et de ses apprentissages permettrait aussi de rénover les pratiques en profondeur. Aujourd’hui, dans les structures d’accueil, on ne sait pas assez valoriser ce que font les enfants. Globalement, on fait à leur place ou on les laisse jouer en roue libre, alors qu’il est essentiel de leur signifier que ce qu’ils font est intéressant. Quand les enfants jouent à des jeux d’imitation, ils produisent du social, mais l’immense majorité des professionnel-les ne savent pas soutenir ce type d’activité qui sont pourtant essentielles au développement de l’enfant. Prenons un exemple qui nous ramène à l’éducation non sexiste. Nombreux sont les petits garçons de deux ans qui dans le cadre des jeux d’imitation jouent avec des poupées, les langent, leur donnent à manger etc. A cet âge, il n’existe pas encore de barrière entre les sexes. En crèche, on les laisse faire certes, mais c’est en mettant des mots sur ce type d’activité, en leur signifiant que ce qu’ils font est intéressant que les choses évolueront vraiment.

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