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Grenelle, l’histoire d’un échec, par Stephen Kerckhove

Vendredi 14 janvier 2011

Ce point de vue est extrait du livre de Stephen Kerckhove, "Grenelle de l’environnement, l’histoire d’un échec", publié aux Editions Yves Michel, novembre 2010. Extrait mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions Yves Michel.
Stephen Kerckhove est délégué général d’Agir pour l’Environnement.


Le grand marchandage !

Accepter de négocier sur tous les sujets écologiques, de la biodiversité au climat en passant par les déchets, la gouvernance, la fiscalité écologique, les transports, la publicité, la téléphonie mobile, les nanotechnologies, les pesticides... revenait à prendre le risque de perdre sur certains dossiers capitaux afin de gagner sur d’autres et ainsi participer et aboutir à un grand marchandage. Or, la défense de l’environnement doit être une défense systémique, dialectique où chaque recul thématique revient à affaisser tout l’édifice. Dans les faits, le processus Grenelle se devait d’aller du global au particulier, passant d’une négociation globale à des lois particulières afin d’affiner les premiers échanges. Dans la réalité, le détail fut relégué à celles et ceux qui avaient pour mission de réduire à néant les « avancées » du Grenelle.

Mais, il y a pire. En optant pour le gigantisme, les acteurs du Grenelle ont gagné en généralités ce qu’ils ont perdu en précision. Or, le diable se cache toujours dans le détail. L’incapacité qu’ont eue les associations à définir une ligne de négociation en-deçà de laquelle il fallait se retirer est la conséquence directe de ce gigantisme. Lorsque tous les sujets sont sur la table des négociations, personne n’est en mesure de définir à quel moment la partie est perdue, laissant supposer que le fait de négocier est en soi une victoire...

Les reculs constatés ça et là sont donc le résultat d’un processus qui s’est déroulé sur plusieurs années et par étapes. À la très grande différence de la stratégie adoptée par le chef de l’État en matière d’insécurité (qui opte pour un discours simpliste suivi d’une loi lisible), la question de l’environnement a, a contrario, été l’objet d’un travail touffu et dilatoire. Les acteurs du Grenelle se sont épuisés dans des comités de suivi, comités opérationnels, groupes techniques... censés affiner la négociation initiale. Last but not least... la stratégie nationale du développement durable et le comité de suivi Grenelle ont donné naissance au CNDDGE... alias le « Comité national du développement durable et du Grenelle Environnement » composé de représentants des cinq anciens collèges (associatifs, syndicats, patronat, État et élus). Quarante membres triés sur le volet y siègent depuis le 21 mai 2010.

En réalité, ce travail technique a permis deux choses : affaiblir le « consensus » initial à l’abri des caméras et gagner du temps. Cette temporisation fut sans aucun doute un élément déterminant expliquant pour partie l’échec du Grenelle. Mois après mois, les groupes de pression ont fourbi leurs armes afin de faire échec aux modestes avancées, fruit d’un compromis obtenu aux forceps. Chaque coup de rabot n’a pas modifié en profondeur la physionomie globale des accords de Grenelle. Mais à force de raboter, les acteurs du Grenelle ont fini par se retrouver avec un bien modeste accord, très en retrait des engagements initiaux. Face à l’urgence écologique, l’État français a délibérément opté pour un train de sénateur durant lequel chaque étape était l’occasion de réduire insidieusement l’ambition initiale. À l’urgence des débuts (obligeant les acteurs du Grenelle à agir dans une précipitation peu professionnelle), a fait place un certain attentisme particulièrement suspect. Il aura ainsi fallu attendre deux ans et demi avant que le « consensus » issu du Grenelle fasse l’objet d’une traduction législative effective.

Compromis... sion !

Chaque renoncement, généralement justifié au nom d’arguties techniques, fut opéré en catimini, sans concertation, bien à l’abri d’une quelconque médiatisation. En termes stratégiques, les reculs ne furent jamais lus ou perçus, par les parties prenantes, comme un renoncement global à l’esprit du Grenelle... Habilement, les premiers coups de canif dans les accords de Grenelle ne furent pas suffisamment emblématiques pour soulever une contestation conduisant les acteurs associatifs à claquer la porte. Les associations présentes ont toujours considéré qu’un accord partiel était toujours préférable à un mauvais accord ou pas d’accord du tout. Or, de recul en recul, nous sommes passés d’un compromis entre acteurs aux intérêts profondément divergents, à une compromission qui ne dit plus son nom. Pire, en acceptant les premiers reculs sans rompre les négociations, les associations présentes ont implicitement accepté de se solidariser à un processus qui se délitait à vue d’oeil. De mal en pis, elles ont ainsi été obligées de justifier une présence dans les enceintes d’un Grenelle de moins en moins légitime.

Parce que les acteurs associatifs ne maîtrisaient que très imparfaitement le calendrier et le processus lui-même, ils se sont faits, consciemment ou inconsciemment, instrumentaliser, se laissant guider par un pouvoir qui savait exactement jusqu’où il ne pouvait pas aller. À titre d’exemple, les associations semblent avoir découvert la date du Grenelle le 10 octobre 2007, soit 14 jours avant le début de cette grande négociation ! Délais trop court pour organiser une mobilisation citoyenne d’ampleur aux portes du ministère de l’Écologie... In fine, seule la majorité présidentielle au pouvoir a eu la capacité d’assurer la continuité entre le Grenelle de l’environnement débattu par les acteurs de la société civile et les lois Grenelle adoptées par les parlementaires. Le passage de témoin fut particulièrement laborieux et l’objet de nombreuses équivoques.

Le chaînon manquant

Pour entrer de plain-pied dans une négociation conflictuelle qui peut réclamer un investissement particulièrement lourd pour des militants très souvent bénévoles, il est nécessaire de comprendre le cadre institutionnel dans lequel s’inscrit la démarche « Grenelle ». Un exemple parmi tant d’autres permet d’illustrer cette précaution : durant toute la négociation, le ministre de l’Écologie a joué les « Monsieur Bonsoffices », Maître des cérémonies, entretenant l’illusion qu’un acteur majeur de la vie politique française, président d’un parti politique, pouvait, le temps d’un Grenelle, être tout à la fois animateur d’une négociation et médiateur impartial. Or, lorsqu’une association accepte de participer à une négociation, le jeu d’acteurs mérite une attention particulière. Le rôle de médiateur est un statut à part entière. Il doit faire preuve de doigté, en écoutant les parties-prenantes, en se faisant respecter sans humilier, en proposant des synthèses équilibrées transcendant les intérêts particuliers ou collectifs. Croire qu’un responsable politique serait par nature au-dessus des enjeux, sans arrière-pensées, mu par le simple intérêt général, hermétique à toutes pressions d’ordre économique... est une idée qui ne peut que déboucher sur des vraies désillusions et faux-semblants.

En dehors de l’équivoque qui entoure le statut du médiateur-acteur qui incomba à Jean-Louis Borloo, il existe également un questionnement sur la légitimité et la crédibilité du ministre qui anima, durant trois longues années, le Grenelle de l’environnement. En effet, le ministère de l’Écologie a connu, en 2007, un jeu de chaises musicales qui n’a pu que nuire au bon déroulement du processus Grenelle. Alain Juppé a annoncé, le 18 mai 2007, qu’un Grenelle de l’environnement se tiendrait au cours de l’année. Un mois jour pour jour après cette annonce, l’ancien premier Ministre devenait également ancien ministre de l’Écologie... démissionné brutalement après son échec à la députation. Succédant à Alain Juppé, Jean-Louis Borloo n’a jamais considéré sa nomination à la tête du ministère de l’Écologie comme une promotion. Au contraire, au soir du premier tour des élections législatives, Jean- Louis Borloo, alors ministre de l’Économie et des Finances, soutenait explicitement le principe d’une TVA sociale. Faisant suite à cette sortie tonitruante qui valut à l’UMP de perdre environ 80 sièges de parlementaires, Jean-Louis Borloo commençait à faire ses cartons du grand ministère de l’Économie et des Finances qu’il avait acquis de haute lutte pour rejoindre benoîtement le ministère de l’Écologie.

Cette série de limogeages eut un effet direct sur le format du Grenelle. Alain Juppé disposait d’une autorité incontestable en tant qu’ancien premier Ministre, capable de tenir tête aux grands corps d’État, de bousculer les conservatismes ambiants et d’imposer une certaine continuité entre les débats, relevés de décisions et mise en oeuvre des décisions. D’autant que, techniquement aussi bien que politiquement, Juppé avait fondé son retour sur la scène politique nationale sur la question environnementale, apparaissant à l’époque comme l’un de ceux qui maîtrisent le mieux les dossiers écologiques. Jean-Louis Borloo est, quant à lui, peu au fait des controverses environnementales. Nommé le 19 juin 2007, le nouveau ministre de l’Écologie a dû se former, comprendre les enjeux, maîtriser les rouages institutionnels et les acteurs en présence et ce en moins de trois mois. Malgré des vacances qu’on imagine studieuses, le processus « Grenelle » s’est ouvert sous les auspices d’un ministre affaibli, vivant sa nouvelle nomination comme une punition, obligé de s’appuyer techniquement sur une secrétaire d’État, dont les jours étaient comptés au secrétariat d’État à l’Écologie, trop compétente au goût de certains et aux yeux de son ministre de tutelle. Pire, le ministre de l’Écologie n’a jamais caché sa prétention à devenir un jour premier Ministre, ou à défaut, revenir à la tête du ministère de l’Économie, en quittant précipitamment son poste à l’Écologie. Ces sauts de puce d’un ministère à l’autre autorisent à émettre de sérieux doutes sur l’intérêt réel de ce ministre pour un processus qu’il n’a pas porté sur les fonds baptismaux.

Par ailleurs, les associations, prises de vitesse par un outil « Grenelle » qui a acquis sa propre énergie cinétique, n’ont jamais pu prévenir les risques d’instrumentalisation et expliquer publiquement que les engagements du Grenelle ne pouvaient être lus et perçus comme la position des ONG mais comme le fruit d’un compromis. Cette position médiane ne pouvait, par définition, être qu’en retrait des orientations initialement défendues par les associations. Dans les faits, le compromis du Grenelle n’a jamais été gravé dans le marbre mais a servi de base à une discussion à partir de laquelle les élus de la majorité ont imprimé leur marque idéologique. Ces élus qui ont la légitimité élective sont, pour leur immense majorité, totalement réfractaires aux controverses écologiques. D’où ce besoin de faire appel aux acteurs de la société civile pour enrichir une démocratie imparfaite. Mais comme pour nombre d’autres sujets, le chef de l’État a opté, avec le Grenelle, pour une ouverture cosmétique vis-à-vis de laquelle les acteurs de la société civile n’étaient que des faire-valoir subalternes. Avant, pendant et après le Grenelle, les décisions continuent à être adoptées au sommet de l’État et sans concertation. Le vernis vert ou le semblant de concertation n’y ont rien changé.

Le choc des légitimités

Le hiatus existant entre les différents niveaux de légitimité est né de cette situation toute grenellienne où les acteurs qui parlent ne sont pas ceux qui décident. Avant même de débuter, le Grenelle de l’environnement était un processus aliénant au sens où chaque acteur avait un rôle limité dans le temps, obligé de participer à une course de relais, solidarisant son destin à celui qui a la lourde tâche de passer la ligne d’arrivée. Seul l’arbitre (le ministre) et les derniers coureurs (les parlementaires) eurent, durant le processus Grenelle, une vision d’ensemble, ou en tout cas l’immense pouvoir de décider en dernier ressort. Dans ce grand bal des illusions, les associations ont eu pour mission de créer un intérêt, faisant office de produit d’appel.

Bien entendu, jamais le ministre de l’Écologie n’a osé affirmer devant les négociateurs qu’ils ne participaient qu’à un théâtre d’ombres. Or, il allait de soi que députés et sénateurs n’accepteraient jamais que leur parlement se réduise à une simple chambre d’enregistrement. De là est né un immense malentendu. Le choc des légitimités, associatives d’un côté, électives de l’autre, a conduit les ONG à se leurrer quant à leur poids véritable. À l’heure du vote des deux lois Grenelle, seuls les parlementaires ont eu voix au chapitre. Frustrés de ne pas avoir été sollicités à hauteur de leur légitimité élective, les parlementaires ont fait payer au prix fort l’humiliation initiale qui les a conduits à être écartés de débats engageant notre société pour plusieurs décennies.

Mais en dehors des buts poursuivis nécessairement divergents selon les acteurs présents, le Grenelle est avant toute chose une négociation multi-acteurs, une mise en scène où les conflits larvés sont mis en lumière. De la confrontation des points de vue était censé naître un consensus social sur les questions écologiques.

Dans ce cadre, le Grenelle de l’environnement n’est rien d’autre qu’un débat public de grande ampleur, surmédiatisé, aux enjeux décuplés. Or, la France goûte peu ces débats publics, enquêtes d’utilité publique, commissions de concertation, conférences de citoyens ou de consensus. Et pour cause : à chaque fois que les citoyens ou les acteurs de la société civile sont appelés à émettre un avis, ils réduisent, par effet de vases communicants, la légitimité des élus qui s’estiment seuls autorisés à adopter les lois et faire de la politique. Pire, à l’expérience, les décisions prises dans ces enceintes mettent généralement en porte-à-faux ces élus, peu habitués à écouter cette cohorte de non-professionnels de la politique que par politesse ils continuent à nommer « citoyens ». Alors que tout un chacun peut constater l’immaturité de notre démocratie, le débat public est généralement vécu comme un moyen d’entériner à rebours une décision déjà prise. Les acteurs du Grenelle se sont ainsi lourdement trompés en croyant pouvoir imposer ce que les parlementaires n’ont jamais accepté à l’Assemblée ni au Sénat.

Si les problèmes environnementaux perdurent, c’est que les parlementaires n’ont jamais jugé bon d’y remédier. Trop sensibles aux arguments des lobbies, les parlementaires n’ont pas été convaincus par le processus « Grenelle » et ont donc attendu patiemment que le vent tourne. Ils auront attendu trois longues années avant de tenir leur revanche. Faute de mobilisation citoyenne et de campagnes d’éducation populaire, le Grenelle de l’environnement fut, pour les ONG, une négociation au sommet sans base mobilisée. Cette attitude quelque peu angélique s’est payée comptant à l’heure des débats parlementaires.

Un problème de forme…

Après plusieurs semaines de grève générale, un pays totalement bloqué, une crise sociale historique tant par son intensité que par sa créativité, syndicats et organisations patronales se retrouvèrent, trois jours durant, autour d’une table de négociation afin d’entériner les « accords de Grenelle ». Le 27 mai... 1968, sous l’égide de Georges Pompidou, eut lieu une longue négociation aboutissant aux accords de Grenelle qui firent date et marquèrent l’histoire sociale de la France.

Toute similitude avec une situation ayant déjà existé ne serait que purement fortuite... Hormis le terme « Grenelle » qui résonne tel un acouphène aux oreilles de celles et ceux qui n’ont plus tout à fait vingt ans, le Grenelle de l’environnement n’est qu’une mauvaise copie d’une histoire originale. Nicolas Sarkozy avait juré, durant la campagne présidentielle de « liquider Mai 68 ». En appelant à l’organisation d’un Grenelle de l’environnement, il ne fera pas autre chose, et ce, de façon insidieuse. « Grenelle » est désormais associé au Grenelle de l’environnement et non plus à ce temps fort de la contestation sociale. Collatéralement, il a laissé croire aux acteurs du Grenelle de l’environnement qu’il suffisait de s’inscrire dans la longue tradition française de contestation sociale pour obtenir gain de cause. Et ce, sans organiser la mobilisation préalable à la négociation.

Avec le secret espoir que l’expertise associative serait enfin reconnue et permettrait de faire bouger les lignes, les représentants de la société civile sont venus au Grenelle armés de leur seule bonne foi. Or, avec le Grenelle de l’environnement, les associations ont été contraintes d’agir et négocier sans mobilisation préalable. Malgré la mobilisation de la Fondation Nicolas Hulot durant la campagne présidentielle, le rapport de force est resté inchangé. Car le pacte écologique signé par la quasi-totalité des candidats le 31 janvier 2007 au Musée des Arts premiers à Paris, en laissant croire que les engagements de campagne étaient sensiblement la même chose que les décisions à venir, a diffusé une maladie très répandue depuis, celle de l’angélisme associatif.

Sans recul ni préparation et dans une improvisation totale, les associations n’ont pas su gérer ce temps fort. Les associations ont finalement couru après l’événement sans avoir réussi ni à anticiper ni à parer les coups. Et pour cause : l’idée « originale » d’un Grenelle avait été proposée par Denis Baupin dans une tribune publiée par Libération le 22 février... 1999. Mais à la grande différence du Grenelle de l’environnement, Denis Baupin, alors responsable d’Agir pour l’Environnement, avait réclamé l’organisation d’un « Grenelle de la chasse » volontairement limité à un thème unique afin de trouver des solutions précises acceptées par les parties-prenantes. Le Grenelle de l’environnement, par son format, a obligé les ONG à intégrer un processus dont le gigantisme les a dépassées.

Or, à ce processus gigantesque aurait dû répondre une mobilisation citoyenne d’ampleur et inscrite dans la durée. La crainte d’échouer dans ce travail de mobilisation a amené les associations à se concentrer sur un travail d’expertise d’une rare richesse qu’il faut porter au crédit des ONG. Expertise crédible et complète mais orpheline d’une mobilisation sociale ! Les représentants associatifs sont venus au Grenelle persuadés d’avoir raison. Or, les acteurs associatifs avaient trois fois tort d’avoir raison : on a souvent tort d’avoir raison trop tôt ; on a souvent tort par la manière d’avoir raison et enfin on a souvent tort d’avoir raison tout seul. C’est pourtant ce qui est arrivé durant ce Grenelle. Faute de troupes mobilisées, les acteurs associatifs ont dû batailler seuls ou presque. Dans cette configuration, il n’est pas illogique que l’épuisement, le sentiment du travail inachevé, le syndrome de Stockholm où l’otage associatif finit par pactiser avec ses ravisseurs gouvernementaux ou encore un lent mais efficace travail d’ingestion-digestion... finissent par emporter les dernières résistances.

« Vu à la télé »...

De plus, en créant une « saine » émulation entre ONG, opposant les uns aux autres, l’intérieur à l’extérieur, le gouvernement a pu tirer les ficelles d’une négociation à venir. À l’intérieur, le bloc « associatif » n’est jamais arrivé uni à la table des négociations puisque l’État avait, dès le début « choisi » les acteurs avec lesquels il souhaitait négocier. Sans préjuger ni de la perspicacité, ni de la ténacité des acteurs associatifs, il va de soi que l’État ne doit pas s’immiscer dans le choix des représentants des ONG. En faisant des pieds et des mains pour « être sur la photo », les responsables associatifs ont pris le risque d’affaiblir le mouvement qu’ils représentaient, en optant pour des enfantillages stériles et des querelles de cours d’école.

Au sein du collège ONG, trois sous-groupes se sont progressivement dégagés, augmentant encore les chances de l’État d’introduire des pieux faisant éclater l’unité affichée. « L’Alliance pour la planète » d’un côté, a réuni à ses débuts les principales associations médiatiques de Greenpeace à WWF, en passant par les Amis de la Terre, Agir pour l’Environnement, le Réseau Action Climat, Résistance à l’Agression Publicitaire, le MDRGF... Une Alliance au sens large qui s’est progressivement lézardée, sous l’effet conjugué d’une certaine impréparation stratégique alliée à une absence réelle et persistante de règles de fonctionnement. Sous une pression que l’État s’est délecté d’accroître progressivement, les associations ont quitté le navire, faute de trouver des compromis qui auraient nécessité un temps d’échanges et une confiance qui n’étaient pas au rendez-vous. L’Alliance, rassemblement ponctuel, a connu son véritable baptême du feu durant la campagne présidentielle en notant les candidats en fonction de leur programme écologique. Faisant suite à cette première initiative couronnée d’un succès médiatique, l’Alliance pour la planète a décidé de participer activement à la préparation du Grenelle de l’environnement en organisant notamment les « 5 minutes pour la planète » durant lesquels des millions de citoyens furent appelés à éteindre leur éclairage. Le fait que Nicolas Sarkozy ait décidé de participer à ces 5 minutes en éteignant le Palais de l’Élysée démontre par l’absurde que les associations n’ont pas su définir une cible politique sur laquelle faire pression. Le chef de l’État, en participant à l’action initiée par les ONG a inversé les rôles ou à tout le moins s’est affranchi de son rôle de décideur pour endosser l’habit de simple acteur, au même titre que les associations. Si le jeu d’acteurs fut dès le départ biaisé, c’est notamment parce que les associations n’ont pas défini de lignes de négociations précises, ni de cibles politiques à présurer. L’Alliance, structure nouvelle et fragile, n’a pas résisté aux tensions et secousses qui n’ont pas manqué d’apparaître durant la négociation. Entre une structure toute nouvelle qui a besoin de temps pour assurer un échange entre les associations membres et un État qui organise une urgence malsaine, il n’y avait pas de place pour une Alliance naissante qui a fini par imploser sous le poids de conflits larvés et sentiments d’impuissance.

Au sein du second bloc se sont retrouvées les associations fédérées au sein de France Nature Environnement, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, la Ligue ROC, auxquelles s’est jointe la Fondation Nicolas Hulot. Jusqu’au départ de cette Fondation du Grenelle de l’environnement, le 29 mars 2010, ce groupe est apparu relativement homogène même si la participation de ces associations s’est réalisée au détriment d’une certaine radicalité et sur une base empreinte d’un pragmatisme peu compatible avec l’histoire du monde associatif. Certains dirigeants de France Nature Environnement aspirent à transformer cette fédération en une sorte de « CFDT de l’environnement », acteur incontournable de toute négociation environnementale. Dans les faits, cette fédération a considéré que sa participation au Grenelle de l’environnement était en quelque sorte une fin en soi et non le début de la négociation. Peu habituée aux flashs des caméras, la fédération France Nature Environnement a mal vécu la supériorité médiatique des ONG internationales qu’elle a toujours considérées comme peu représentatives des acteurs locaux de la protection de l’environnement.

Un troisième microgroupe fut constitué par une seule micro-association « Écologie Sans Frontière » composée de poignées de militants, imposée par l’État et ce aux dépens d’associations beaucoup plus représentatives.

Finalement, le premier groupe issu de « l’Alliance pour la planète » peut être considéré comme professionnel, médiatique mais peu ancré dans les territoires. Le second groupe, au contraire, représente 3000 associations locales, gagnant en représentativité ce qu’il perd en visibilité. Le troisième microgroupe a les défauts des deux premiers, ni représentatif, ni médiatique... mais est présent pour s’assurer que les associations poursuivront leur travail d’accompagnement institutionnel ! Le seul fait d’armes d’Écologie sans Frontière est de se prévaloir de la paternité du concept même de Grenelle de l’environnement... Comme évoqué plus haut, il n’en est rien puisque les demandes de Grenelle étaient déjà à l’ordre du jour en 1999. Mais les recherches en paternité sont toujours malaisées et hasardeuses...

En dehors du jeu d’acteurs, il est à noter que la mobilisation citoyenne a calqué son rythme sur celui du monde politico-médiatique, connaissant ainsi un pic de mobilisation avant et pendant le Grenelle mais n’a pas ou peu connu de suite après le grand raout élyséen. Les multiples temps forts, du contre-Grenelle organisé par les tenants de la décroissance le 2 mai 2007 à Lyon, en passant par les alter-Grenelle initiés par les altermondialistes d’Attac et des Amis de la Terre ou encore la mobilisation d’Agir pour l’Environnement ou du Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures durant le Grenelle aux portes du ministère de l’Écologie... n’ont pas permis de créer un véritable rapport de force social. Seule la manifestation du Réseau Sortir du Nucléaire a rassemblé un bon millier de personnes, le 27 octobre 2007... soit 48 heures après le Grenelle ! Ce retard à l’allumage s’explique par le fait que le ministre de l’Écologie s’est bien gardé d’annoncer la date du Grenelle trop tôt et ce afin d’éviter toute contestation massive aux portes du ministère, boulevard Saint Germain.

L’absence d’information sur le format, sur le lieu et sur les dates retenues aurait d’ailleurs dû éveiller les soupçons et l’inquiétude des associations. Qui maîtrise l’information détient le pouvoir. Or, en l’absence de données permettant d’organiser la mobilisation citoyenne, les ONG se trouvèrent fort dépourvues lorsque le Grenelle fut venu... Une dizaine d’associations ont néanmoins organisé un rassemblement à l’ouverture des débats parlementaires entourant l’adoption de la loi Grenelle 2, le 5 mai 2010, entretenant ainsi la flamme de la contestation (1).

Durant tout le processus Grenelle, la mobilisation est restée confinée aux militants chevronnés mais n’a pas touché les sympathisants et encore moins le grand public. Et c’est de cela dont il s’agit : tant que les questions écologistes demeureront réservées aux cénacles des ultra-militants, il est à craindre que l’État ne se sentira pas soumis à une pression pourtant nécessaire et continuera donc d’agir à sa guise. A fortiori, lorsqu’un processus se prolonge sur deux, trois voire cinq ans... laissant ainsi bien seuls les négociateurs qui se prennent la tête dans des tête-à-tête stériles et abscons au fin fond d’un sous-sol de ministère ou du parlement. Combien de réunions improductives n’ont eu pour vocation que d’user les négociateurs associatifs et tester leur résistance ? Assurément trop ! À tel point que les négociateurs associatifs de 2007 ne sont plus ceux de 2010, créant, une fois encore, une discontinuité préjudiciable en terme de représentativité.

Sans gommer au nom d’un centrisme de circonstance les antagonismes parfois profonds entre ONG, il y a lieu de s’interroger sur la guerre de tranchées opposant le « in » et le « off », les inclus aux exclus du Grenelle qui, par instants, fait perdre aux protagonistes toute mesure et sens des réalités.

Mais si les exclus auraient dû, dès le début, tenter de mieux s’intégrer au processus Grenelle afin de peser efficacement de l’intérieur, il est également vrai que les inclus auraient dû réfléchir à leur sortie dès lors qu’il s’est avéré inutile de rester sans servir de caution à un pouvoir éco-prédateur. Le mouvement de va-etvient a fonctionné à l’envers, pour le plus grand bonheur des lobbies en présence. Ne pas entrer quand il le fallait, ne pas sortir lorsque c’était nécessaire !

Mais il est également vrai que la faiblesse numérique du monde écologique ne peut, d’un claquement de doigts, se muer en mouvement de masse. Les ONG françaises de protection de l’environnement sont connues pour leur relative faiblesse numérique. Et la différence est très significative si l’on compare les troupes que les syndicats peuvent mobiliser à l’occasion de tel ou tel conflit social. L’explication est finalement assez simple. Les ONG de protection de l’environnement défendent des acteurs absents ou des concepts abstraits, tels les générations futures ou la biodiversité, le principe de précaution ou les victimes potentielles du dérèglement climatique. Or, personne ne se vit en tant que victime potentielle. L’abnégation n’étant pas la chose la mieux partagée en ce bas monde, les associations de protection sont donc régulièrement confrontées à un problème d’effectifs militants. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elles optent donc pour des actions spectaculaires qui ont le mérite de faire vivre médiatiquement une alternative. Au risque d’alimenter en la mimant la société du spectacle.

À l’heure du bilan politique du Grenelle de l’environnement, force est de constater que ce type de mobilisation est nécessaire mais pas suffisant. Il y a lieu de réfléchir à des campagnes associant et sensibilisant le plus grand nombre, non sur le registre culpabilisateur mais en faisant oeuvre de pédagogie. Travail difficile que les associations auraient tort de ne pas inscrire à leur agenda, au risque de végéter en se complaisant dans une sorte d’autosatisfaction qui serait incompréhensible après le double échec du sommet de Copenhague sur le climat et du Grenelle de l’environnement.

(1) Agir pour l’Environnement – Réseau Action Climat France – Réseau Sortir du Nucléaire – Les Amis de la Terre – MDRGF – Résistance à l’Agression Publicitaire – CNIID – Association pour un Contrat Mondial de l’Eau – ACIPA –PRIARTéM – Union nationale de l’Apiculture Française – Fédération nationale de l’Agriculture Biologique – Fédération nationale des Associations d’Usagers des Transports

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