Accueil > Nos projets & actions en cours > Démocratie & veilles citoyennes > Archives > La démocratie à l’épreuve du lobbying (...) > Intervention de Yiorgos Vassalos (ALTER-EU) |
Cycle de séminaire "La démocratie à l’épreuve du lobbying ?" Intervention de Yiorgos Vassalos (ALTER-EU)Séminaire du 19 janvier 2011 "Lobbying, conflits d’intérêt, expertise : quels pouvoirs, quels contre-pouvoirs ?" Jeudi 20 janvier 2011 Enjeux du lobbying, des conflits d’intérêts et des comités/groupes d’expert au niveau des institutions européennes : propositions et campagne de la coalition citoyenne ALTER-EU |
50% de l’ensemble de la législation adoptée au niveau national et 80% de la législation économique ont pour point de départ Bruxelles. Actuellement, des institutions européennes comme la Commission et le Conseil augmentent radicalement leurs pouvoirs au détriment des parlements nationaux, tout en conservant des liens très étroits avec une miniscule minorité, celle des dirigeants de sociétés multinationales.
Depuis 2005, ALTER-EU – une platforme des 160 ONG, syndicats et académiques – œuvre pour éclairer mais aussi limiter ces liens trop intimes. Son travail principal se divise en trois campagnes :
C’était la campagne principale dans les cinq premières années d’ALTER-EU. L’objectif est un registre obligatoire pour tous les lobbyistes avec information crédible sur leurs dépenses. Depuis 2008, un registre volontaire existe, qui couvre à l’heure actuelle 40% des lobbyistes basés à Bruxelles. En juin, un registre commun du Parlement et de la Commission sera lancé. Un des effets principaux attendus est une augmentation significative de la couverture des lobbyistes (à peu près 80% en ce qui concerne les agences de conseil en lobbying).
Deux problèmes majeurs justifient cependant de continuer la campagne pour un registre obligatoire :
1) Tous les lobbyistes qui ont absolument besoin de rester dans l’ombre le feront,
2) seulement un système obligatoire aura un mandat clair pour imposer des sanctions aux lobbyistes qui aujourd’hui déclarent des budgets peu crédibles. Notre objectif est un registre obligatoire avant la fin du mandat du Parlement et de la Commission en 2014.
Cette campagne s’est intensifiée au cours de l’année précédente en se concentrant sur les six anciens Commissaires qui ont obtenu des emplois dans de grandes multinationales, juste après la fin de leur mandat. La campagne d’ALTER-EU a beaucoup contribué à la pression publique qui a notamment abouti à la démission de l’ancien Commissaire Mc Creevy de la banque NBNK. On attend toujours une réponse sur le cas de Monsieur Verheugen ainsi que sur notre demande de révision des autres cas.
Après la publication du projet d’un nouveau Code de Conduite pour les Commissaires, le Parlement et les citoyens doivent continuer à maintenir la pression pour obtenir :
1) une période des trois ans de mise à l’écart et d’interdiction générale du lobbying pour tous les ex Commissaires,
2) une définition claire des conflits d’intérêt.
Les groupes d ‘experts sont formés par la Commission pour apporter les premières contributions en amont du processus législatif. Plus de cent d’entre eux sont dominés par des multinationales ; ce qui résulte souvent dans des politiques déséquilibrées en faveur de l’industrie.
ALTER-EU a commencé à travailler sur ce sujet en 2008. En 2009, nous avons réussi à obtenir la transparence sur la composition de la plupart des groupes d’experts, avec la mise en place d’un registre. Notre demande principale est l’interdiction de la domination de tous les groupes d’experts par des intérêts économiques. Le médiateur européen enquête sur la question suite à une plainte que nous avons déposée. Nous travaillons également plus spécifiquement sur les groupes d’experts financiers. Notre demande à court terme est que la Commission mette fin au mandat des quelques 200 lobbyistes financiers qui la conseillent en tant qu’experts indépendants. Nous essayons de convaincre le Parlement d’ouvrir un processus politique sur la question des groupes d’experts.
La marche vers la fédéralisation fiscale et budgétaire laisse la démocratie hors champ : des pouvoirs disproportionnés sont donnés aux institutions non élues et aux liens scandaleusement étroits avec les multinationales, comme c’est le cas pour la Commission européenne, alors que le contrôle des parlements sur l’économie diminue.
Les mouvements citoyens et sociaux doivent inclure la demande pour une vraie démocratie participative et le rejet de la soi-disant démocratie de la domination des lobbyistes dans leur agenda.
Enjeux du lobbying, des conflits d’intérêts et des comités d’expert au niveau des institutions européennes, les propositions et la campagne de la coalition citoyenne ALTER-EU
Intervention de Yiorgos Vassalos (ALTER-EU) dans le séminaire du réseau ETAL – Paris 19 janvier 2011
Depuis la création de l’Union Européenne, Bruxelles est devenu un des centres de décisions les plus importants dans le monde. Les institutions basées surtout à Bruxelles (le Conseil, la Commission et le Parlement) légifèrent pour 500 millions d’Européens dans 27 pays différents. Ils produisent plus de textes législatifs par an que la plupart des parlements nationaux. On estime que 50% de toute la législation qui est adoptée au niveau national, et 80% de la législation économique, ont leurs origines à Bruxelles.
À l’heure où nous parlons, ce pouvoir est en train de se renforcer radicalement. Selon le nouveau ‘semestre européen’ de la nouvelle gouvernance économique, les programmes économiques de tous les gouvernements devront être adoptés à Bruxelles avant d’être soumis pour discussion aux parlements nationaux. La modification du Pacte de Stabilité dans un sens plus rigide, et la nouvelle surveillance macro-économique vont être finalisées dans les mois qui viennent. Le résultat sera que les états qui ne suivent pas les recommandations du Conseil et de la Commission européenne et qui ne remplissent pas leurs critères arbitraires seront très probablement sanctionnés avec des amendes. Cette structure de gouvernance économique est un vieux rêve des organisations comme la Table Ronde des Industriels et BusinessEurope.
En l’absence d’une ‘opinion publique européenne’, et loin de toute opinion publique nationale, la législation européenne est formée sous l’influence de plus de 20.000 lobbyistes qui en fait remplacent l’opinion publique, jouant en quelque sorte le rôle du démos européen. 70% des ces lobbyistes représentent les intérêts des grosses entreprises. Dans le cadre de la nouvelle gouvernance économique, ce sont eux qui auront le plus de possibilités d’influencer la politique économique de chaque état-membre, jusque dans le détail des budgets.
ALTER-EU est une plateforme de 160 organisations : des groupes environnementaux, des consommateurs et d’autres ONG ainsi que des syndicats et des universitaires issus de divers pays d’Europe. Cette plate-forme est animée par un groupe de pilotage de huit organisations. Sa campagne principale, au cours des cinq premières années de son existence (depuis 2005) a été de demander la création d’un registre obligatoire des lobbyistes où ceux-ci soient obligés de déclarer leurs dépenses, leurs budgets et leurs clients.
Avec notre campagne, nous avons réussi à convaincre le Parlement Européen que l’enregistrement des lobbyistes devait être obligatoire, mais pas la Commission. Alors, en 2008 la Commission a lancé un registre facultatif qui aujourd’hui recense 40% des organisations lobbyistes basées à Bruxelles (selon nos estimations). Le Parlement et la Commission sont en ce moment dans un processus de fusion de leurs registres respectifs. Le lancement du registre commun est attendu pour mois de juin. Actuellement, le Parlement publie une liste avec les lobbyistes qui ont un badge pour entrer dans ses lieux. Parce que les lobbyistes ont absolument besoin d’un badge pour le Parlement Européen, on s’attend à ce que dans le registre commun la couverture augmente. Aujourd’hui il y a 112 agences de conseil en lobbying qui sont dans le registre de la Commission (40%). Il y en a encore 104 dans la liste du Parlement qui ne sont pas a celui de la Commission, et 72 qui ne sont nulle part. Dans le nouveau registre la participation doublera. Ca sera un progrès, mais pas suffisant, car cela veut dire que ceux qui ont absolument besoin de rester dans l’ombre le feront – comme probablement ces 72 agences qui ne sont nulle part actuellement - en trouvant d’autres moyens d’accès au Parlement (badges provisoires etc.).
De plus, et c’est le plus important, la qualité des informations financières déclarées par les lobbyistes dans le registre restera aussi limitée qu’actuellement. Ce n’est pas seulement qu’elles ne sont pas crédibles, c’est qu’on est à la limite de la désinformation : BP, par exemple, déclare aux États-Unis des budgets de lobbying 17 fois plus importants qu’en Europe, Shell cinq fois plus et Siemens six fois plus. Ou encore, toutes les grosses banques françaises déclarent le même budget que les Amis de la Terre etc. On pense alors qu’un contrôle proactif de la part de la Commission est nécessaire pour la crédibilité des dépenses présentés de même que des contrôles deux fois par an. Ceux qui déforment la réalité doivent être sanctionnés avec l’exclusion du registre et la privation du badge. Il est nécessaire en plus de spécifier les sources de financements des ONG afin de pouvoir dévoiler les ‘groupes paravents’.
Nous ne sommes pas très satisfaits du résultat de notre campagne jusque-là. Nous avons clairement gagné le débat dans les médias (après avoir travaillé dur pour l’y introduire). Dans les débats publics sur la question du registre, les arguments des associations de lobbyistes sont de plus en plus futiles. Les institutions européennes pourtant ne réagissent pas. Le compromis qui a été trouvé par la Commission et le Parlement exclut la possibilité de passer à un registre obligatoire avant 2012 quand il y aura la prochaine évaluation. Il faut maintenir la pression pour que le mouvement s’accélère... La Commission essaye de "refiler" la responsabilité de la réforme au prochain collège. Cela serait inacceptable.
Pour nous, cette attitude peu productive s’inscrit malheureusement dans un contexte plus général où les institutions s’éloignent des intérêts de la grande majorité des citoyens et se rapprochent davantage des grands intérêts économiques, comme quand par exemple :
ils font payer aux salariés, retraités etc. les abus des banques,
ils limitent la démocratie avec le ‘semestre européen’ et la nouvelle gouvernance économique,
ils résistent à l’amélioration de la transparence du lobbying.
On attend au moins du Parlement Européen qu’il bouge pour un registre obligatoire et démontre qu’il veut empêcher la perte de tout contrôle citoyen.
2010 a été une année marquante en ce qui concerne les conflits d’intérêts. Six des treize commissaires qui n’ont pas continué de la Commission Barroso I à la Commission Barroso II sont passés au secteur privé à des postes susceptibles d’inclure des activités de lobbying. Quelques exemples :
Benita Ferrero-Waldner, ex-Commissaire aux affaires extérieures, travaille pour cinq nouveaux employeurs, parmi lesquels Munich réassurance. Munich Re est un de promoteurs les plus importants du projet Desertec - qui consiste (dans son volet principal) à ramener de l’énergie solaire de Sahara en Europe – et son assureur potentiel. En tant que responsable des relations de l’UE avec les pays nord-africains, Mme Ferrero avait donné un appui politique précieux au projet en 2009. Selon des documents obtenus de la Commission, elle avait déjà commencé à négocier avec Munich Re alors qu’elle était encore Commissaire.
Meglena Kuneva, ex-Commissaire pour la protection des consommateurs. Pendant son mandat, des études ont été faites - sous sa responsabilité politique - sur les frais bancaires et les informations données au consommateur avant la signature d’un contrat de prêt. Ces études ont servi de base (entre autres) pour la politique de la Commission en la matière. Mme Kuneva travaille aujourd’hui pour BNP Paribas.
Charlie McCreevy, ex-Commissaire pour le marché intérieur, est passé à Ryan air et à une nouvelle banque nommée NBNK basée à Londres. Son travail à la banque a été particulièrement scandaleux parce qu’il s’agissait de profiter directement des règles qu’il a mis en place en tant que Commissaire sur la vente obligatoire de portions entières des banques quand elles reçoivent des aides d’état. NBNK vise à devenir un nouvel acteur important en rachetant ces actifs, notamment de AIB et Lloyds qui ont reçu de telles aides. McCreevy portait tellement peu d’attention aux questions d’éthique qu’il est devenu le premier Commissaire de l’histoire qui n’a pas eu son travail post-Commission autorisé par la Commission. On reviendra sur ce point. McCreevy a démissionné du conseil des administrateurs de la banque mais il a apparemment gardé ses actions. Son autre travail à Ryan Air s’est vu donner un feu vert, alors que dans son contrat avec cette société il est clair qu’il participera à son lobbying et que dans ce cadre l’entreprise attend de lui qu’il rencontre des fonctionnaires de la Commission. À ce sujet, il faut noter que pendant qu’il était Commissaire McCreevy avait la possibilité de poursuivre Ryan Air devant la Cour de Justice Européenne pour aide d’Etat illégale, mais il ne l’a pas fait.
Gunter Verheugen, ex-Commissaire aux Entreprises et à l’Industrie. Il a maintenant cinq postes de travail différents : la Royal Bank of Scotland, l’agence de lobbying internationale Fleishman-Hillard, la Fédération des Banques Coopératives Allemandes (BVR), l’Union des Chambres et Bourses de Commerce Turques. Un porte-parole de RBS a dit dans la presse que les ‘contacts nationaux et internationaux sont précieux’ pour la banque : les raisons pour lesquelles il a été embauché par RBS sont donc claires. Fleishman-Hillard ne font, eux, que du lobbying. Pourtant tout ça n’était pas assez pour M. Verheugen : il a aussi ouvert sa propre agence de conseil en lobbying avec son ex-chef de cabinet à la Commission Petra Erler, une agence nommée European Experience Company. Avec cette nouvelle société, il vend ouvertement un bien qu’il a acquis grâce à son passage à la Commission : son carnet d’adresses au sein de cette dernière. Verheugen n’a pas informé la Commission de cette activité comme la réglementation l’y obligeait. Cela a été dévoilé par la presse en août 2010. Depuis on attend que la Commission prenne une décision quant à savoir si il y a là un conflit d’intérêt ou pas. Cela fait donc quatre mois maintenant.
Les règles qu’on a cité sur la vie professionnelle des ex-Commissaires ont été introduites dans le Code de conduite des Commissaires en 2004 en réponse au comportement du Commissaire de l’industrie Martin Bangemann : en 1999, il a démissionné en plein mandat pour rejoindre Téléfonica. Depuis 2004, les règles obligent donc les commissaires à informer l‘institution sur leurs activités professionnelles dans l’année suivent leur sortie.
Il faut ajouter ici que depuis 1967, suite à une résolution du Conseil, il est prévu que les ex-Commissaires reçoivent pendant trois ans des allocations de réinsertion au travail à hauteur de la moitié de leur salaire de Commissaire. Selon les porte parole de la Commission cette mesure est censée les rendre moins sensibles à l’appât du profit et protéger ainsi l’indépendance de la Commission vis à vis de ses ex-membres devenus des relais d’accès privilégiés. Dans la même logique, ALTER-EU demande donc une période de notification obligatoire de trois ans pour que le contrôle de la Commission corresponde à la période pendant laquelle les anciens commissaires conservent le droit de bénéficier de leurs indemnités
ALTER-EU a organisé des pétitions en ligne que plus de 50 000 citoyens ont signées. Le Parlement a aussi tenté de faire pression sur la Commission sur cette question en menaçant de ne pas donner son feu vert à une grande partie des indemnités des ex-Commissaires. Pendant la paralysie qui a dominé pendant un certain temps les négociations à propos de la totalité du budget de l’UE, puis le compromis rapide qui a été trouvé, le sujet des indemnités des commissaires a perdu en importance. Ainsi la Commission n’a pas tenu sa promesse d’adopter un nouveau Code de Conduite avant la fin 2010. Vendredi dernier, une "fuite" concernant un document en préparation a permis de savoir que la Commission n’avait communiqué sur ces sujets qu’avec le Président du Parlement.
Malgré la pression publique le projet de révision de la Commission tel que décrit dans ce document manque d’ambition : la période de notification n’est prolongée que de 6 mois (de 12 mois à 18). Coté positif, pour la première fois l’interdiction faite aux ex-commissaires de faire du lobbying auprès de leurs ex-collègues est explicite. Mais malheureusement elle est limitée au champ de leur ancien portefeuille comme commissaires. Cette limitation ignore la réalité du travail au sein de l’exécutif européen : Les décisions de la Commission sont prises de manière collégiale. Nous demandons une interdiction générale du lobbying pour les ex-commissaires.
Une autre grande omission du nouveau code de conduite - mais aussi de l’ensemble de la construction de la Commission Européenne - est qu’il n’y pas de définition des conflits d’intérêt. Jusqu’à aujourd’hui, la Commission nous a montré qu’elle ne voit de conflits d’intérêt que s’il y a une forte pression publique. Le Parlement Européen doit se reprendre et refuser d’accepter cette réforme si limitée. Et la Commission doit absolument dire à Verheugen qu’il doit fermer son agence de lobbying. Si elle laisse un de ses ex membres vendre aussi ouvertement l’accès à ses structures, alors elle donne le message qu’il n’y aucun limite.
Les phénomènes de pantouflage ne se limitent pas aux Commissaires. Il y a un problème avec les hauts fonctionnaires aussi. On pousse la Commission à renforcer les règles du personnel là-dessus.
La troisième campagne importante d’ALTER-EU est celle pour limiter les phénomènes d’accès privilégiés des multinationales dans la préparation des lois européennes. Pour cela nous demandons aux institutions de l’UE d’appliquer l’article 9 du Traité de l’UE qui parle du « principe de l’égalité de ses citoyens, qui bénéficient d’une égale attention de ses institutions ». Pourquoi disons-nous que cet article n’est pas appliqué aujourd’hui ?
Parce que dans les groupes qui ont la charge de proposer les premières idées pour de nouvelles propositions législatives, les grandes entreprises sont de loin le groupe le plus représenté. Il n’y a aucune comparaison possible entre le nombre de membres des groupes d’experts qui représentent les intérêts des entreprises multinationales et le nombre des gens qui représentent des syndicats, des associations citoyennes, des petites entreprises ou des universitaires indépendants se réclamant de l’intérêt général.
On compte plus de 100 groupes d’experts dominés par les grandes entreprises alors que ceux qui sont dominés par exemple par les syndicats se comptent sur les doigts d’une seule main.
Vous avez peut-être remarqué quand on parlait des nouveaux boulots des ex-Commissaires qu’un grand nombre d’entre eux ont intégré le secteur financier. Ce secteur domine aussi dans les groupes d’experts qui aident la Commission à légiférer en matière financière. Il y a en a environ huit formés par des représentants des ministères nationaux, trois seulement avec des consommateurs, des syndicats et des universitaires et encore dix presque exclusivement composés de représentants des banques, des assurances, des fonds spéculatifs etc. Environ 250 lobbyistes financiers conseillent environ150 hauts fonctionnaires. Le plus grand scandale est qu’environ 200 des 250 lobbyistes mobilisés sur ce sujet sont censés être présents à titre personnel et non professionnel ; ils signent une déclaration sur l’’honneur affirmant qu’ils agissent au nom de l’intérêt public, et cela suffit...
Avec de tels conseillers, on ne doit pas s’étonner que la réforme du système financier soit aujourd’hui aussi anémique. Avec la nouvelle régulation sur les hedge funds on a réduit la capacité de certains Etats comme la France de les contrôler. On a diminué la capacité d’intervention contre les hedge funds spéculatifs au niveau national sans l’augmenter au niveau européen. Le lobby des hedge funds ne pouvait pas cacher sa joie quand l’accord a été conclu et le gouvernement français a dû reculer. Les lobbyistes des produits dérivés ont dû ressentir la même joie quand les propositions de la Commission pour leur régulation ont été publiées en septembre 2010. Les grandes paroles de Sarkozy, de Merkel et de Barnier sur l’interdiction des plus dévastateurs parmi ces produits sont restées des paroles en l’air. La nouvelle structure proposée est de nouveau basée sur une logique d’autorégulation avec des chambres de compensations privées (qui appartiennent aux mêmes acteurs du marché). Un pays n’aura plus le droit d’interdire des produits nocifs au niveau national. Cela pourra seulement se passer au niveau européen et pour cela il faudra l’accord des 27 régulateurs nationaux, ce qui est très difficile comme vous l’imaginez.
Un des plus importants acteurs sur ce dossier est l’Association Internationale des Swaps et Derivatives (ISDA). Le groupe d’experts qui a conseillé la Commission sur le dossier a été formé exclusivement à partir de membres de l’ISDA. Cela comprend de grandes banques européennes respectables comme BNP et Deutsche Bank qui participent aussi à l’organisation du monopole mondiale des produits dérivés à New York et pèsent lourdement dans les procédures décisionnelles à Bruxelles et à Francfort. Maintenant, ils vont s’attaquer au Parlement qui discutera les propositions de la Commission.
Plus généralement maintenant, la question dramatique qui se pose dans la crise actuelle de la dette (qui est à la base une dette privée, une dette des banques qui a été transmis aux Etats) est : qui va payer ? Sur cette question, les lobbyistes financiers vont continuer à pousser pour que cela soit nous tous, donc que nous réduisions notre qualité de vie pendant qu’eux continuent de faire des profits et ce malgré leur responsabilité dans la crise, leurs fautes graves et l’échec de leur modèle, que les politiques ont suivi aveuglément jusqu’à aujourd’hui. Certaines institutions financières vont peut-être faire faillite, mais leur objectif est que ceux qui resteront continuent à faire du profit et que nous, nous continuions à payer et à régresser vers plus d’injustice, moins d’égalité.
En-dehors du secteur financier, les groupes d’experts dominés par les multinationales sont aussi concentrés dans les Directions Générales pour l’Agriculture et les Entreprises. Cette dernière est une DG qui peut intervenir beaucoup dans les politiques pour l’environnent et les consommateurs.
Après trois ans de campagne d’ALTER-EU sur la question, la Commission a publié vers la fin de 2010 des nouvelles règles sur la composition des groupes d’experts. Malheureusement ces règles n’introduisent pas des critères concrets d’équilibre. La Commission a beaucoup amélioré la transparence des ces groupes en 2009 en publiant les noms des participants (qui ont été largement tenus secrets jusque là) mais maintenant, avec les nouvelles règles, elle essaye plutôt de se barricader contre une obligation de rendre publics leurs documents aussi. Le Médiateur Européen mène actuellement une enquête sur la composition des groupes d’experts après une plainte déposé par ALTER-EU. Certains parlementaires vont tenter d’ouvrir un débat au Parlement sur ce sujet cette année. On espère vraiment pouvoir commencer une procédure politique sur la question.
Sur les groupes d’experts financiers, nous sommes en correspondance avec M. Barnier et nous essayons de le faire bouger. C’est important que la pression publique monte pour faire virer ces 190 lobbyistes qui prétendent jouer les experts indépendants.
Je voudrais clôturer cet exposé peu réconfortant en disant qu’à l’heure actuelle l’Europe semble - après beaucoup d’hésitations – avoir décidé de s’orienter vers un fédéralisme fiscal et budgétaire, ce qui veut dire une fédéralisation politique aussi, mais la démocratie a été laissée en-dehors de cette construction : l’UE donne des pouvoirs très importants à des institutions non élues, et qui entretiennent des liens scandaleusement étroits avec les multinationales ; c’est le cas de la Commission Européenne. On sacrifie ainsi la démocratie et la cohésion sociale à l’efficacité économique (supposée). Cette fédéralisation porte le signe de l’austérité à long terme et porte en elle, telle qu’elle est actuellement structurée, une promesse de régression sociale pour la majorité des citoyens européens. La Commission acquiert des pouvoirs très étendus notamment sur la gestion économique alors qu’elle reste structurellement biaisée en faveur des grands intérêts industriels et financiers. Les pouvoir des parlements nationaux diminuent.
Les mouvements citoyens et sociaux doivent inclure dans leur programme la demande d’une vraie démocratie participative, et le rejet de la pseudo démocratie dominée par les lobbyistes. Il faut dénoncer clairement la dépendance des institutions politiques vis à vis des lobbyistes. Il faut aussi clairement rejeter l’excuse la plus souvent entendue à Bruxelles, que ce sont les institutions qui prennent finalement les décisions et pas les lobbyistes. Savoir qui exactement prend les décisions est important mais pas essentiel : ce qui importe avant tout est de savoir dans quel cadre conceptuel se prennent les décisions et quels sont les intérêts qui y prédominent. L’époque ou l’intérêt des marchés était considéré comme synonyme de l’intérêt général doit finir, car ce n’est rien moins que l’avenir de la démocratie qui est en jeu ici. La "révolution silencieuse" annoncé par Barroso doit apparaître au grand jour pour ce qu’elle est, une prise de pouvoir des technocrates et des lobbyistes aux dépends de la représentation démocratique.