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Résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France

Mardi 6 décembre 2011

Suite au Rapport parlementaire d’avril 2011, une proposition de Résolution sur l’abolition de la prostitution été présentée par les député-es Danielle Bousquet, Guy Goeffroy, Jean-Marc Ayrault, Christian Jacob François Sauvadet, Yves Cochet, Marie-George Buffet, Martine Billard et Marie-Jo Zimmermann.
Elle a été votée le 6 décembre 2011.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La mission d’information de la commission des lois sur la prostitution en France, qui a rendu son rapport public le 13 avril dernier, a dressé, avec plus de 200 personnes entendues, sept ministres sollicités et six déplacements effectués, un bilan aussi complet et objectif que possible de la prostitution en France. Si elle a préconisé le vote d’une résolution parlementaire, c’est avec un triple objectif : rendre publiques certaines réalités qui posent question dans une démocratie comme la nôtre, battre en brèches les idées reçues qui laissent accroire que, sous prétexte que la prostitution serait « le plus vieux métier du monde », elle est une fatalité, enfin, réaffirmer la détermination de la France à lutter contre la prostitution et à garantir les droits des personnes prostituées.

Certains faits doivent être portés à la connaissance de nos concitoyens afin qu’ils prennent conscience de la réalité de la prostitution. Tel est le premier objectif de cette résolution.

Tout d’abord, le nombre de personnes prostituées en France serait d’environ 20 000 selon le ministère de l’Intérieur. Pour ce qui est des personnes qui se prostituent dans la rue, environ 85 % sont des femmes. Les clients quant à eux sont en quasi-totalité des hommes. Ceci démontre la réalité sexuée de la prostitution.

En deuxième lieu, il faut insister sur le renversement historique qui s’est produit en l’espace de vingt ans. Alors que seulement 20 % des femmes se prostituant dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution.

Enfin, toutes les études s’accordent sur le fait que les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent une atteinte souvent dramatique à leur intégrité physique et psychique. Des enquêtes menées aux États-Unis, au Canada et en Allemagne montrent que dans ces trois pays, plus de 50 % des personnes prostituées interrogées ont été violées, souvent plus de cinq fois au cours de leur activité. Elles auraient entre 60 et 120 fois plus de chances de mourir assassinées. En France, des faits divers dramatiques soulignent régulièrement le danger qui pèse sur elles.

Telle est la réalité de la prostitution aujourd’hui en France. Comment ne pas voir que ces constats heurtent frontalement nos principes les plus fondamentaux : la non-patrimonialité et l’intégrité du corps humain ainsi que l’égalité entre les sexes et la lutte contre les violences de genre ?

Tout en approuvant les grandes lignes de ce constat, certains hésitent pourtant sur la conduite à tenir. En effet, il est si communément admis que la prostitution est « le plus vieux métier du monde », qu’elle est considérée comme inhérente à toute vie sociale. Beaucoup estiment également que la prostitution fait diminuer le nombre de viols et qu’elle répond à la misère affective et sexuelle de certains hommes. La prostitution aurait donc une utilité sociale qui rendrait vaine, voire dangereuse, toute tentative visant à la faire régresser. Au surplus, ne dit-on pas que certaines personnes prostituées ont choisi et aiment leur « métier » ?

Ces idées reçues forment ce que la mission d’information a appelé le « mythe » de la prostitution. Sans que l’on puisse déterminer d’où elles viennent et sur quels fondements empiriques elles reposent, elles invitent à considérer la prostitution comme une donnée qu’il faudrait réguler. Pourtant, là encore, les faits sont têtus. Ils infirment, les unes après les autres, toutes ces « évidences ». Les rendre publics est la deuxième ambition de la résolution.

La prostitution ne fait pas baisser le nombre de viols, au contraire. En Suède, la pénalisation des clients, en 1999, n’a pas provoqué une augmentation du taux de viol. Au Nevada, les comtés qui ont légalisé la prostitution connaissent un taux de viol de deux à cinq fois supérieur aux autres. Il n’est donc pas nécessaire d’offrir les prostituées en pâture aux violeurs pour éviter qu’ils ne s’en prennent aux jeunes femmes.

Les clients ne sont pas des hommes qui vivent dans la misère affective et sexuelle. Plus des deux tiers vivent ou ont vécu en couple et plus de 50 % sont pères de famille. Ils sont donc parfaitement en mesure d’accéder à une sexualité non marchande. Il ne faut pas confondre les personnes prostituées avec des assistantes sociales : aider quelqu’un qui se trouve dans l’isolement ou dans le dénuement n’est pas la même chose que d’avoir une relation sexuelle avec cette personne ! « S’il y a des assistantes sociales, ce n’est pas pour rien. Notre corps était engagé, on ne se contentait pas d’écouter », témoigne une ancienne personne prostituée.

Enfin, la prostitution n’est jamais exercée de gaîté de cœur. Elle fait le plus souvent suite à un évènement traumatique (rejet lié à l’orientation sexuelle, précarité économique particulièrement forte…) quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe. Si une infime partie des personnes prostituées revendiquent leur libre arbitre, cela ne doit pas conduire à fermer les yeux sur toutes les autres. À n’en pas douter, le vécu de la prostitution est moins la mise en œuvre militante du principe philosophique de libre disposition de son corps que la réalité beaucoup plus crue de la location de ses organes sexuels par contrainte ou par nécessité.

À la lumière de ces réalités, rien ne fait obstacle à l’objectif d’une société libérée de cette violence que constitue la prostitution. Telle est d’ailleurs l’ambition de la France depuis la fin de la seconde guerre mondiale et sa ratification, en 1960, de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Les principes de l’abolitionnisme, qu’elle a alors officiellement adoptés, doivent être proclamés haut et fort à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe. Tel est le troisième objectif de la résolution.

La position abolitionniste de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles d’inciter à la prostitution disparaissent. Dès lors, il ne saurait être question de reconnaître la prostitution comme un travail et de lui appliquer les règles relatives au droit du travail. Ceux qui comparent la prostitution à d’autres activités, comme celle de masseur, oublient que les clients des centres de massage ne choisissent pas leur masseur en fonction de son sexe et de son apparence physique, que les masseurs ne subissent pas régulièrement des agressions physiques ou sexuelles et que leur métier ne les expose pas à des séquelles psychologiques profondes et durables. Qui accepterait de travailler dans de telles conditions ?

En conséquence de ce refus initial, la France doit tout mettre en œuvre pour proposer des alternatives crédibles à la prostitution afin de rétablir la liberté de choix des personnes prostituées qui souhaitent cesser cette activité. Des politiques publiques ambitieuses et coordonnées doivent être mises en place à cet effet. Dans tous les cas et quelle que soit la situation administrative des personnes prostituées, leurs droits fondamentaux doivent être garantis, ainsi que le prévoient les conventions internationales auxquelles la France est partie. Au premier rang de ces droits figure celui de pouvoir porter plainte et d’accéder à la justice.

En parallèle, un effort sans précédent doit être consacré à l’information, à la prévention et à l’éducation. Ce travail doit permettre d’exposer largement ce qu’est la réalité de la prostitution et de la mettre en regard avec les grands principes républicains précédemment évoqués. C’est uniquement grâce à ce patient travail que les représentations pourront évoluer.

Enfin, la loi doit clairement marquer la responsabilité de chacun dans la perpétuation du système prostitutionnel. Elle le fait d’ores et déjà pour ce qui est des auteurs de traite des êtres humains et de proxénétisme. Elle doit également responsabiliser les clients en leur indiquant clairement qu’eux aussi ont une part de responsabilité. Sans client, il n’y aurait pas de prostitution. L’expérience suédoise montre qu’une action de sensibilisation et de responsabilisation des clients est susceptible de faire diminuer la prostitution et la traite des êtres humains. Ce n’est pas un hasard si les Suédois et leurs femmes et hommes politiques sont aujourd’hui fiers de leur démarche.

À l’heure où les Islandais et les Norvégiens viennent d’adopter une législation similaire à celle de la Suède, où les Irlandais y réfléchissent, où une nouvelle loi est en préparation tant en Suède qu’aux Pays-Bas, la voix de la France est peu audible sur la scène européenne. Elle y est pourtant très attendue. Toutes les personnalités étrangères ou travaillant dans les institutions communautaires rencontrées par la mission d’information ont souhaité que la France prenne une position claire en matière de prostitution et de traite des êtres humains. C’est ce qu’il vous est aujourd’hui proposé, par la présente résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu l’article 3 du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » ;

Vu la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949, qui énonce que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine » ;

Vu la Convention internationale visant à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies (CEDAW) dont l’article 5 prévoit que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes » ;

Vu le protocole de Palerme ou protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signé le 15 novembre 2000 et la Convention de Varsovie ou Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, qui forment les deux instruments internationaux de référence dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains ;

Vu la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, qui dote les États membres d’un cadre commun pour lutter contre la traite et qui prévoit, dans son article 3 que « les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains » ;

Vu l’article 16 du code civil, qui énonce que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci » ;

Vu l’article 16-5 du code civil qui prévoit que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » ;

Vu le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes 2011/2013, qui considère la prostitution comme une forme de violence envers les femmes ;

Considérant que la non patrimonialité du corps humain est l’un des principes cardinaux de notre droit et qu’il fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré, en tant que tel, comme une source de profit ;

Considérant que les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent le plus souvent la prostitution portent une atteinte particulièrement grave à l’intégrité du corps des personnes prostituées ;

Considérant que la prostitution est exercée essentiellement par des femmes et que les clients sont en quasi-totalité des hommes, contrevenant ainsi au principe d’égalité entre les sexes ;

1 – Réaffirme la position abolitionniste de la France, dont l’objectif est, à terme, une société sans prostitution ;

2 – Proclame que la notion de besoins sexuels irrépressibles renvoie à une conception archaïque de la sexualité qui ne saurait légitimer la prostitution, pas plus qu’elle ne justifie le viol ;

3 – Estime que, compte tenu de la contrainte qui est le plus souvent à l’origine de l’entrée dans la prostitution, de la violence inhérente à cette activité et des dommages physiques et psychologiques qui en résultent, la prostitution ne saurait en aucun cas être assimilée à une activité professionnelle ;

4 – Juge primordial que les politiques publiques offrent des alternatives crédibles à la prostitution et garantissent les droits fondamentaux des personnes prostituées ;

5 – Souhaite que la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme constitue une véritable priorité, les personnes prostituées étant dans leur grande majorité victimes d’exploitation sexuelle ;

6 – Estime que la prostitution ne pourra régresser que grâce à un changement progressif des mentalités et un patient travail de prévention, d’éducation et de responsabilisation des clients et de la société toute entière.

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