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La notion « d’économie verte », présentation et enjeux

Dimanche 4 mars 2012, par Yveline Nicolas


L’Organisation des Nations unies (Onu) a organisé une nouvelle conférence mondiale sur le développement durable à Rio, au Brésil, du 20 au 22 juin 2012. Le document de déclaration finale le intitulé Le futur que nous voulons, a été adopté le 19 juin, avant l’arrivée des chefs d’Etat et de gouvernement.

Vingt ans après la conférence internationale sur l’environnement et le développement en 1992 à Rio, ou « sommet de la Terre », la conférence dite « Rio+20 » aura-t-elle suscité une nouvelle dynamique pour réorienter un modèle de développement qui a manifestement échoué à « intégrer de façon équilibrée le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement » (selon la définition donnée du développement durable dans la résolution des Nations unies en vue de Rio+20) ?

Rio+20 s’est tenu tient dans un contexte plutôt inquiétant : augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et des épisodes climatiques extrêmes, érosion accélérée de la biodiversité – les espèces vivantes disparaissent au rythme de 1 % par an du fait des activités humaines –, désertification, acidification des océans se répercutant sur la formation de plancton et sur toute la chaîne alimentaire… Tandis que les négociations climatiques s’enlisent, le système économique et financier mondialisé est en crise, menant certains pays à la quasi-faillite. La pauvreté et les inégalités augmentent. Ainsi, les richesses mondiales sont concentrées dans les mains d’une petite minorité, alors qu’un milliard de personnes souffrent de la faim et que 2,5 milliards vivent sous le seuil de pauvreté.

La conférence a traité de deux enjeux principaux : « une économie verte dans le contexte de l’éradication de la pauvreté » ; « une structure institutionnelle qui favorise le développement durable ». Les deux thèmes sont intrinsèquement liés : pour réorienter l’économie en faveur d’un développement écologique, il faut une « gouvernance » efficace pour mettre en cohérence des politiques au niveau global, régulation de la finance, etc.

Comment définir l’économie verte ?

Un groupe d’experts sur « Commerce, économie verte et développement durable » indiquait lors d’une réunion de préparation de Rio+20 : « Le défi d’une économie verte est d’améliorer le niveau de vie dans les pays en développement sans augmenter leur empreinte écologique et en même temps ne pas réduire le niveau de vie dans les pays développés tout en réduisant leur empreinte. »

Comment parvenir à un tel objectif ? C’est l’objet de nombreux débats et controverses. Comment définir un bon « niveau de vie » ou ce que sont « les besoins essentiels », si on se réfère à la définition du développement durable, inscrite dès 1987 dans le rapport Notre avenir à tous : « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

Le programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) définit l’économie verte comme « une économie qui engendre une amélioration du bien-être humain et de la justice sociale, tout en réduisant sensiblement les risques environnementaux et les pénuries écologiques  » [1]. Constatant que la plupart des décideurs politiques sont peu sensibles aux problèmes écologiques, le PNUE mise sur des arguments économiques pour les convaincre de sauver l’environnement. D’après ses modélisations, l’économie verte pourrait créer des revenus et des emplois tout en diminuant les émissions de CO2 et la pollution, en améliorant le rendement des ressources et en préservant la biodiversité. Le coût d’un scénario économique « vert » mondial est estimé entre 1000 et 2 590 milliards de dollars par an, ce qui équivaut à moins d’un dixième du total de l’investissement mondial annuel. Le PNUE préconise d’affecter 2 % du PIB mondial (soit 1 300 milliards de dollars par an), entre 2010 et 2050, à la réorientation de dix secteurs clés : l’agriculture, les énergies renouvelables et la construction de bâtiments verts, la pêche (avec une baisse de la capacité des flottes mondiales), la foresterie, les activités industrielles, le tourisme vert, les transports non motorisés et les carburants propres, les déchets et le recyclage, l’eau et l’assainissement. Une telle réorientation entraînerait la création, d’ici à 2050, d’en moyenne 20 % d’emplois de plus que par le modèle économique actuel.

Mais les réunions préparatoires à la conférence Rio+20 ont peiné à dessiner un projet économique « vert » qui puisse faire consensus entre pays en développement, pays émergents et pays développés, et entre acteurs de la « société civile ». Certains pays craignent que la mise en place de nouvelles normes et conditionnalités environnementales n’entrave leur développement. De leur côté, beaucoup d’organisations de la société civile estiment que la notion d’économie verte est une façade pour sauver le système économique capitaliste dominant qu’elles contestent. L’économie verte pousse à tout quantifier, à affecter une valeur économique aux « biens communs mondiaux », aux écosystèmes, aux océans, à l’eau, au climat, mais aussi à la santé, à la culture… C’est de cette logique que procède déjà la création des « marchés du carbone ». Progressivement, l’ensemble du vivant se privatise et entre dans le secteur marchand et concurrentiel, avec le risque que toutes les ressources soient prises dans le tourbillon de la spéculation financière, comme c’est déjà le cas pour les biens alimentaires et les terres agricoles.

Quelle gouvernance du développement durable ?

C’est pourquoi la seconde question à l’ordre du jour de Rio+20, celle de la « gouvernance » du développement durable, est elle aussi essentielle. Pourquoi l’Agenda 21 de Rio (programme pour le 21e siècle adopté à la conférence de 1992), puis les engagements – très modestes – du sommet mondial de Johannesburg sur le développement durable en 2002 n’ont-ils pas été mis en œuvre ? En l’absence de « gouvernement mondial », comment assurer l’intérêt général de la planète ? Quels mécanismes institutionnels permettraient de passer enfin à une phase opérationnelle de la transition vers le développement durable ? La France pousse par exemple à la création d’une véritable agence mondiale de l’environnement disposant de moyens et de coordination. Mais, pour rééquilibrer les pouvoirs, il faudrait aussi une convention internationale sur la responsabilité des entreprises.

Car la transition vers une « économie verte » nécessite, aux dires mêmes des Nations unies, que les Etats et les ensembles sous-régionaux, comme l’Union européenne, reprennent en main la régulation de l’économie : mise en place de cadres réglementaires forts, priorité aux investissements publics tournés vers la conversion écologique, notamment dans les dix domaines définis plus haut, limitation des dépenses ayant un impact négatif sur l’environnement (ce qui suppose de cesser de subventionner des secteurs polluants), fiscalité réformée pour inciter les changements des modes de production et de consommation, formation, éducation…

Or cette réflexion qu’il est urgent de mener reste un point aveugle des discussions en cours, d’autant que ces dernières tendent à partir du postulat que tous les acteurs (Etats, industries, banques et milieux d’affaires, « société civile », citoyens…) ont un accès égal au pouvoir et poursuivent un but identique : l’intérêt général et la prospérité de tous. Ainsi, faute d’une analyse réaliste des rapports de force et des conflits d’intérêts (entre secteur privé et sphères politiques par exemple), l’impact de la sphère financière et bancaire, l’influence et le puissant lobbying des grands secteurs industriels, le manque d’indépendance de l’expertise scientifique et des choix technologiques sont éludés… [2]

Mobilisations des acteurs de la société civile

Le renforcement de la concertation avec la société civile (ou « acteurs non étatiques » selon la terminologie de l’Union européenne) constituait aussi un des enjeux forts de la conférence Rio+20. Dans la définition onusienne, les « groupes majeurs de la société civile » sont constitués par les ONG, les syndicats, les entreprises, les collectivités locales, les communautés scientifiques, les groupes représentant les femmes, les jeunes, les paysans et les peuples autochtones. Ces secteurs sociaux sont représentés officiellement auprès des Nations unies et disposent d’espaces pour exprimer leurs positions et formuler des amendements aux textes en préparation. Près de 500 propositions ont été envoyées par des organisations de la société civile et sont consultables sur le site web de l’ONU de préparation de Rio + 20, témoignant d’une forte mobilisation…

Parallèlement, des mouvements sociaux, ONG, syndicats… se sont organisés de façon plus informelle, au sein du Sommet des Peuples qui se tient du 15 au 23 juin en marge de la conférence officielle. Préparé lors du forum social spécial Rio+20 qui s’est tenu à Porto Alegre (Brésil) fin janvier, ce « sommet des Peuples pour la justice sociale et écologique » exprime une critique radicale du système économique capitaliste et de l’économie verte. Pour ces mouvements, l’économie verte, telle qu’elle se dessine dans les rapports publiés par le PNUE [3] ou l’OCDE [4] (Organisation de coopération et de développement économique, dont sont membres une une trentaine de pays riches) et dans le document préparatoire à Rio + 20 constitue une « tentative d’appropriation, de manipulation technologique à grande échelle et de financiarisation des "services écosystémiques" produits par la nature, devenue entreprise productive ». En France cette mobilisation est relayée par ATTAC, qui s’adresse notamment aux 50 associations et syndicats membres du Collectif Urgence Climatique Justice Sociale. Au niveau international, le récent mouvement des Indignés est également présent dans cette contestation de l’économie verte. Le Forum alternatif mondial de l’eau, du 14 au 17 mars à Marseille, venant en contrepoint du Forum Mondial de l’Eau, événement institutionnel, aborde un enjeu central des mobilisations citoyennes : la préservation des ressources et leur gestion démocratique. Consulter notre dossier sur la mobilisation des acteurs de la société civile

Les associations de femmes et féministes sont très actives dans la préparation de Rio+20. Le principe n° 20 de l’Agenda 21 de Rio affirme que l’égalité femmes-hommes et la participation des femmes est un aspect essentiel du développement durable. Dès 1992, les mouvements pour les droits des femmes avaient élaboré un « Agenda 21 des femmes pour une planète en paix et en bonne santé ». Ces organisations attirent l’attention sur des thèmes dont il reste difficile de débattre au niveau international et officiel : les droits humains, l’économie sociale et solidaire, l’économie informelle, la santé environnementale, le refus de l’accaparement des terres, des OGM, du nucléaire, des nanotechnologies, de la « chimie verte »… Voir notre Dossier sur Femmes, genre, développement durable et Rio + 20 ; la Position du groupe international des femmes sur l’économie verte ; la Position du Groupe français Genre et développement soutenable

De l’économie à la nature et de la nature à l’économie ?

Ce nouveau mot d’ordre officiel de « l’économie verte » est donc à prendre avec des pincettes… D’une part, ce qu’on appelle le « verdissement » des objets de consommation, des investissements, de l’agriculture, etc. – c’est-à-dire le fait d’intégrer des aspects environnementaux – peut rapidement dériver vers un simple greenwashing, ou « écoblanchiment »… D’autre part, il s’agit toujours de se centrer sur la sphère économique et technologique, dont la prédominance et la confusion persistante avec la « croissance » – elle aussi relookée en « croissance verte » – causent tant d’inégalités et de conflits depuis une quarantaine d’années.

Que va-t-il rester du concept de développement « soutenable », c’est-à-dire « supportable par la biosphère et les équilibres sociaux » ? (La traduction en français de sustainable development par « durable » est à l’origine de beaucoup d’ambiguïtés.)

A la fin des années 60, une prise de conscience s’est faite face aux désastres causés à la nature après trente ans de développement reposant sur le « progrès » et la croissance économique. Les Nations unies ont initié un cycle de conférences internationales, avec la conférence de Stockholm, sur l’environnement humain, en 1972. Puis a suivi en 1992 la conférence de Rio, sur l’environnement et le développement, qui a popularisé l’objectif du développement soutenable et l’Agenda 21. Dix ans après, le sommet mondial sur le Développement durable, à Johannesburg en 2002, entérinait cette notion.

La mise en avant de l’économie, même verte, ne conduira-t-elle pas à nous ramener, en 2012, à cette primauté de l’économie sur la nature et sur les droits humains ?

Les discussions conflictuelles qui se sont instaurées entre pays riches, pays pauvres, pays émergents – dont le Brésil, qui accueille la conférence internationale – et la contestation par les mouvements sociaux et citoyens n’ont pas conduit à infléchir le projet de déclaration politique. Le document officiel qui va servir de feuille de route pour les négociations post Rio+20 n’invite donc pas à l’optimisme, de même que le peu d’intérêt porté à cette conférence par les décideurs politiques et les médias.

Yveline Nicolas
Coordinatrice de l’association Adéquations.
ynicolas adequations.org
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