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Séminaire du 13 mai 2014 : "Connaître les acteurs mis en cause par les alertes : leurs stratégies et leurs méthodes"

Lundi 19 mai 2014

La troisième journée du cycle de séminaires "Lancement d’alertes, enseignements et perspectives" organisé par la revue "Les Périphériques vous parlent" et Adéquations, a eu lieu le 13 mai 2014 au Palais du Luxembourg.


Ce séminaire était animé par Roger Lenglet, Philosophe et journaliste d’investigation en santé publique et corruption et Yveline Nicolas, Association Adéquations, avec l’intervention de François Veillerette, Président fondateur du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) de 1998 à 2010, association devenue Générations Futures, dont il est l’actuel porte-parole.

Programme

- Ouverture : Synthèse des deux rencontres précédentes et présentation de la journée par Les périphériques vous parlent et Adéquations
- Les acteurs mis en cause par l’alerte. Les groupes industriels et financiers, leurs coalitions et leurs structures de lobbying ; les professionnels de la gestion de crise ; les fausses ONG ; les institutions, les experts en conflit d’intérêt (exemples : les nanotechnologies, les pesticides, les médicaments…)
- L’adversité des lobbies industriels dans le dossier des pesticides : analyse et témoignage.
- Les méthodes et les stratégies de « gestion de crise » des lobbies : l’organisation du déni, l’instrumentalisation de l’expertise ; la gestion juridique et judiciaire (procès baillons, harcèlement juridique…) ; les menaces ; les techniques pour instrumentaliser les lanceurs d’alerte et les soumettre ; l’utilisation des médias (techniques de décrédibilisation) ; la manipulation des associations…
- Conclusion de la journée et présentation du prochain séminaire.

Intervention de François Veillerette
L’adversité des lobbies industriels dans le dossier des pesticides : analyse et témoignage

Les stratégies de camouflage et de communication adoptées par les lobbies des pesticides en France visent d’abord à semer la confusion en adoptant des acronymes qui font illusion. Par exemple, le lobby actuel, installé à Boulogne-Billancourt et regroupant les industriels des pesticides s’intitule l’Union des industries pour la protection des plantes (UIPP).

Il faut remonter aux années 70 pour voir se développer le lobby des pesticides sous l’impulsion d’un grand lobbyiste de l’amiante, Marcel Valtat (fondateur d’un cabinet de conseil aux entreprises, Communications Economiques et Sociales). Il répand alors l’idée de « l’utilisation contrôlée » des pesticides, induisant l’idée de « risque acceptable », qui dédouane les industries chimiques de leurs responsabilités concernant les risques liés à l’épandage en faisant porter la responsabilité des accidents sur les utilisateurs qui n’auront pas respecté le protocole d’utilisation du produit. C’est là un premier acte notoire de désinformation et un déni de la dangerosité des produits utilisés dans le cadre de l’agriculture intensive.

Le déni d’impact sur l’environnement et la population s’est prolongé dans les années 90, notamment en créant la notion d’agriculture raisonnée, amplement soutenue par l’Etat. Aujourd’hui, l’UIPP regroupe 92% des producteurs de pesticides en France, ayant des liens avec des responsables de la FNSEA, principal syndicat agricole.

Les méthodes des lobbies des pesticides sont récurrentes : demande systématique d’homologation de leurs produits faisant croire à leur innocuité, sous-estimation des risques, demandes de dérogations par rapport aux restrictions d’usage à l’échelle européenne et nationale, maintien du faible niveau d’exigence des autorités, remise en cause des interdictions en demandant des évaluations socio-économiques pour mesurer les effets d’interdictions éventuelles sur la santé économique des productions affectées par ces interdictions…

Intervention de Roger Lenglet

Roger Lenglet s’appuie sur l’exemple des nanotechnologies pour étudier les acteurs mis en cause par l’alerte, les groupes industriels et financiers, leurs coalitions et leurs structures de lobbying, les professionnels de la gestion de crise, les institutions, les experts en conflit d’intérêt…

Tout d’abord, il faut distinguer les nanoparticules, lesquelles sont produites intentionnellement, des particules ultra fines (PUF) qui sont non intentionnelles, telles que les fumées industrielles et les pollutions automobiles (diesel), les éruptions volcaniques ou les feux de forêt. Par ailleurs, les nanoparticules sont généralement conçues pour être insolubles (plus résistantes) et sont spécifiées sur le plan électronique, ce qui accroît leur réactivité et leur toxicité.

Ces points sont capitaux dans la mesure où les promoteurs des nanotechnologies arguent que les nanoparticules ont toujours existé et que l’humanité en « respire » depuis la nuit des temps. Les industriels prétendent aussi que les nanos ne seraient pas des substances chimiques, pour justifier le fait qu’ils n’appliquent pas la loi prévoyant de tester la toxicité des substances chimiques avant de les mettre sur le marché.

L’opacité la plus complète est maintenue sur les produits contenant des nanos : absence de traçabilité et d’étiquetage, diffusion dans tous les secteurs industriels et dans la plupart de nos produits quotidiens…

Le rêve d’Eric Drexler, le promoteur prométhéen des nanos dans les années 1980 avec son ouvrage Engins de création, s’est transformé en un cauchemar inextricable d’utilisations pléthoriques de nanos dans les produits les plus divers, utilisations le plus souvent dangereuses et inutiles.

Cet engouement continue d’être impulsé dans tous les pays avec des aides d’Etat dispendieuses au développement des nanos et au profit des investisseurs. De plus, des scientifiques de renom se comportent comme des leaders d’opinion pour rassurer le public, en oubliant de signaler leurs conflits d’intérêt. Tout comme de très nombreux experts rémunérés par les producteurs de nanos.

Enfin, l’état des connaissances sur la toxicité des nanos, déjà bien mieux documenté que ne le reconnaissent les industriels et les pouvoirs publics, devrait imposer l’interdiction de certaines catégories de nanos et un moratoire d’urgence pour celles qu’il faut encore tester, conformément à la réglementation REACH. Mais la difficulté est accrue par le fait que les toxicologues travaillent en majorité au sein des laboratoires des entreprises concernées et que les toxicologues indépendants des investisseurs ne sont plus qu’une poignée en France.

- Complément : interview de Roger Lenglet sur les nanos, nouveau scandale sanitaire

Divers points abordés durant les débats

- Le dossier des pesticides et celui des nanos sont instructifs non seulement pour faire ressortir les méthodes des lobbies industriels mais aussi pour analyser leur « novlangue » et la guerre des mots qu’ils mènent pour dissimuler les risques. On y retrouve, par exemple, l’inflation des notions brouillant les pistes tout en prétendant gagner en précision (« risques potentiels », « utilisation contrôlée »…) et le choix de termes positifs pour remplacer les mots chargés de connotations négatives : « produits phytosanitaires » à la place de « pesticides », « santé des plantes » plutôt que « traitement », etc.

- De même, le problème posé par les toxiques est souvent retourné pour être présenté comme une solution : par exemple, la capacité redoutable des nanos à passer la barrière hémato-encéphalique protégeant le cerveau et à détruire les neurones devient une « formidable propriété des nanos pour mettre au point des médicaments qui franchiront la barrière du cerveau pour guérir les maladies d’Alzheimer et de Parkinson »…

- La chaîne des acteurs et des méthodes :
è les industries (susceptibles de développer du harcèlement judiciaire, des « poursuites-baillons » ou de négocier / d’acheter des plaignants)
- les banques et la finance associée (car les produits concernés sont souvent très spéculatifs)
- les agences de lobbying (« conseils », « relations publiques »…) organisant des campagnes de communication grand public, la publication de recherches, la parution de best sellers (montrant que les nanos sont une mutation formidable, nous conduisant à l’immortalité, aux prothèses toujours plus « intelligentes », au « transhumanisme », etc.)
- les leaders d’opinion fabriquant du consensus (journalistes, scientifiques réputés, dont le parcours est intéressant à étudier sur la durée pour déceler leurs liens avec les industries)
- les agences de sécurité sanitaire, institutions, autorités publiques, qui devraient avoir un rôle de veille, de prévention, de contrôle
- les experts en conflits d’intérêt (parfois placés comme tels dans la mesure où il n’existe plus de recherche indépendante ni d’emplois publics dans la toxicologie, instrumentalisés)
- les chercheurs pris dans la recherche de financements et la course aux brevets
- les « fausses » associations et blogs créés par les industries (pesticides par exemple)
- les pouvoirs publics pris dans des objectifs contradictoires, laissant décider les « experts », organisant des pseudo débats, commissions d’enquêtes, chartes…

- Un dossier à suivre de près : la possible réouverture des mines et des « terrils » dans le cadre de l’extraction de terres rares, bien qu’ils constituent une importante source de pollution.

- En réponse à une question du public, Yveline Nicolas, d’Adéquations rappelle que les registres des « représentants d’intérêt » mis en place à l’Assemblée nationale et au Sénat sont disponibles en ligne, et que le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur les lobbies a présenté un rapport d’évaluation en 2013 et a édicté une nouvelle réglementation pour encourager les acteurs à s’inscrire sur le registre.
Pour Adéquations et d’autres acteurs citoyens, cette question du registre ne représente pas un outil efficace pour réguler la prise de décision démocratique, dans la mesure où ces dernières années le développement des conflits d’intérêts et du processus d’intégration entre les décideurs politiques et les milieux d’affaires, notamment au niveau de l’exécutif, ont atteint de telles proportions que le problème se situe plutôt à ce niveau.

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