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Un « non-papier » pour un accord climat « non-juste » et « non-efficace »

Mardi 20 octobre 2015

Le "Women Climate Constituency" qui regroupe les associations et réseaux de femmes et féministes agrées pour participer aux négociations climatiques réagit de façon critique au texte (le "non paper") qui sert de base aux négociations à Bonn dans la semaine du 19 octobre 2015. Adéquations participe à ces travaux dans le cadre du groupe français Genre et justice climatique.


Un « non-papier » pour un accord climat « non-juste » et « non-efficace »

Réaction à la proposition d’accord des co-présidents de l’ADP – 16-10-2015

Le 5 Octobre 2015, les co-présidents du processus ADP ("plate-forme de Durban pour une action renforcée") [1] ont publié un nouveau document intitulé « non-papier » comportant un projet d’Accord de Paris et un projet de Décision de la COP, en préparation de la COP 21 de décembre 2015.

La Women & Gender Constituency, ou Groupe Femmes et Genre - l’un des neuf groupes officiels de la société civile accrédités auprès de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) - représentant des organisations féministes, des réseaux de défense des droits des femmes, et des milliers de personnes, tient à exprimer sa profonde inquiétude et son insatisfaction concernant ce « non-papier » censé constituer une nouvelle base de négociations sur l’accord climat.

Ayant suivi les négociations de très près, nous pouvons affirmer que ce document ne reflète pas les discussions d’une manière équilibrée. Il est flagrant que beaucoup de questions cruciales exprimées par les Parties dans le processus ADP ont été laissées de côté. Ceci décrédibilise fortement les promesses des co-présidents d’assurer un processus conduit par les Parties, et menace la volonté collective de s’engager activement en faveur d’un accord ambitieux et équitable. Le Groupe Femmes et Genre souligne plusieurs points clés qui doivent être réintégrées dans l’accord cette semaine a Bonn.

1. Suppression de l’égalité des sexes et des droits humains dans le projet d’accord

Depuis la première session de l’ADP, et tout au long de cette année, les Parties ont lancé des appels pressants pour que les droits humains et l’égalité des sexes deviennent des principes directeurs pour toutes les actions du nouvel accord. En particulier, lors de la dernière session en août, alors que les coprésidents avaient placé ces points dans « la partie 3 » du document de négociations, les Etats Parties ont clairement indiqué qu’ils voulaient que ces points soient réintégrés au cœur de l’accord. Plusieurs Parties ont soulevé ce point lors les discussions sur le préambule et sur la section C « Objectif Général ». Plus de 40 Parties ont exprimé leur soutien pour que les droits humains et l’égalité des sexes soient expressément mentionnés dans l’accord de Paris. Plus précisément sur le genre, trois groupes de Parties (AILAC, Groupe de l’intégrité environnementale et le Groupe africain) aux côtés de 12 pays ont levé leurs drapeaux pour faire comprendre aux co-facilitateurs que l’égalité des sexes doit être intégrée dans la partie contraignante de l’accord de Paris et pas seulement dans le préambule ou dans une décision COP. Il est également important de noter qu’aucune Partie n’a exprimé d’objection à cette demande.

Le Groupe Femmes et Genre, et beaucoup de ses alliés, sont donc préoccupés et surpris de voir que ces questions ont été complètement laissées de côté par les co-présidents dans leur « non-papier ». La référence à l’égalité des sexes, qui avait été intégrée comme référence dans toutes les sections du nouvel accord de Paris, notamment dans les sections « technologie » et « finance », n’est plus présente que dans la section « adaptation ». Ceci ne reflète ni la volonté des parties, ni les progrès / mandats actuels qui existent déjà sur ces questions dans le cadre de la CCNUCC.

2. Le « non-papier » ne traite pas des vraies causes de la crise climatique

Nous regrettons que la seule mention sur les combustibles fossiles qui était contenue dans les documents de négociation précédents ait disparu dans la version mise à jour par les co-présidents. Il s’agit là d’un oubli frappant, si l’on considère que 80% des émissions de GES sont causées par l’utilisation de combustibles fossiles et que les subventions publiques à ce secteur s’élèvent à 700 milliards de dollars – infiniment plus que les promesses à long terme des pays développés pour les financements climat -100 milliards de dollars par an d’ici 2020. Cet oubli flagrant met le voile sur l’une des causes systémiques de la crise climatique.

En outre, l’aspect contraignant des engagements d’atténuation est absent de ce texte, qui favorise au contraire des promesses volontaires et des objectifs trop flexibles. Les engagements pris par les Parties dans le cadre de leurs contributions nationales (INDC) actuelles sont très loin d’assurer les réductions d’émissions nécessaires pour prévenir une augmentation des températures inférieure à 2°C. Le texte de Genève contenait une option établissant un budget carbone, à répartir entre les pays en fonction de leurs « responsabilités historiques, leur empreinte écologique, leurs capacités et leur état de développement ». Mais cela aussi a été omis dans le « non-papier » actuel.

La section « atténuation » ne remet pas du tout en question les causes structurelles du réchauffement climatique. Pourtant les changements structurels de nos modes de vie, la transformation des modes de consommation et de production actuels et la préservation des écosystèmes doivent être au cœur des solutions à la crise climatique. Au lieu de cela, la section atténuation du texte actuel contient de fausses solutions, notamment la possibilité d’opter pour un objectif à long terme d’émissions « net zéro » qui promeut des mécanismes de compensation telles que des plantations forestières pour le stockage de carbone au détriment des droits des populations locales et des communautés autochtones et leurs moyens de subsistance.

3. Le texte ne traduit pas le principe des responsabilités communes mais différenciées

Le principe des responsabilités communes mais différenciées des pays (CBDR) est l’un des principes fondamentaux de la Convention climat. Le mandat de l’ADP est "d’élaborer un protocole, un nouvel instrument juridique ou une solution concertée ayant force juridique en vertu de la Convention applicable à toutes les parties". D’après ce mandat, l’accord de Paris devrait donc respecter pleinement tous les principes de la Convention. Pourtant, le langage proposé dans ce nouveau texte dilue clairement le principe fondamental de CBDR, permettant aux pays développés de se dégager de leurs responsabilités d’apporter aux pays en développement les moyens d’atténuer et de s’adapter au changement climatique, et de prendre la tête de la lutte contre la crise climatique en adoptant des réductions ambitieuses de leurs émissions.

Le principe de CBDR est un pilier essentiel du multilatéralisme, encadrant la nature des responsabilités des pays développés et en développement dans la poursuite d’un développement durable. Il souligne l’universalité de l’accord de Paris ainsi que la nécessité, pour des raisons de principes mais également pratiques, de différencier les responsabilités entre les pays historiquement émetteurs et les « nouveaux ». L’universalité de l’accord de Paris doit garantir que tous les Etats - riches et pauvres - s’engagent à prendre des mesures concrètes pour atteindre l’objectif ultime de la Convention. Le principe de CBDR garantit que la répartition des responsabilités soit juste et équitable, basée sur les différents degrés de responsabilité historique, les capacités nationales, les ressources, les niveaux de développement et l’influence réelle. Tenant compte de ces différences , les pays développés ont une responsabilité beaucoup plus grande de fournir des moyens opérationnels de mise en œuvre, que ce soit pour les ressources financières, la technologie ou le renforcement des capacités. Le principe des responsabilités communes mais différenciées n’est donc pas une excuse pour l’inaction de la part des pays en développement ; il contextualise simplement leurs responsabilités.

Attaché à ce principe, le Groupe Femmes et Genre demande que les pays développés fournissent les moyens de mise en œuvre nécessaires aux pays en développement pour atteindre leur objectif d’atténuation et de réduction des émissions. Or, le nouveau texte des co-présidents écarte la responsabilité juridique des pays développés et ne mentionne pas une seule fois le principe de CBDR en ce qui concerne les mesures d’atténuation. En outre, la seule mention de l’appui aux pays en développement dans leur transition vers une économie peu émissive est placée à l’article 3 (12) qui dispose simplement : « Les pays en développement sont éligibles à des aides dans la mise en œuvre du présent article », sans aborder la question de qui apportera ces aides ni préciser aucune responsabilité ou obligation liées à cette disposition.

4. Pas assez d’attention pour une adaptation fondée sur les droits humains

Pour être pertinentes, les mesures d’adaptation doivent tenir compte des différences entre les peuples par le biais d’une approche fondée sur les droits humains, en particulier en termes de risque différentiel, capacité d’adaptation, d’exposition et de vulnérabilité. Cela inclut l’adoption d’une approche de genre, et nous déplorons l’affaiblissement sémantique du nouveau texte proposé, qui ne fait plus que « reconnaître » cette composante cruciale de l’adaptation, au lieu d’exiger des mesures d’adaptation qui soient « à l’initiative des pays, sexo-spécifiques, participatives et totalement transparentes, attentives aux populations et écosystèmes vulnérables, fondées sur la science et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones, et favorisant l’engagement des autorités régionales et locales et d’autres parties prenantes ».

5. Déséquilibre des points de vues sur des questions clés

La proposition actuelle est clairement déséquilibrée en faveur des points de vue et perspectives des pays développés, y compris la question cruciale des pertes et dommages. Les pertes irréversibles et les dommages causés par le changement climatique dépassent les questions d’adaptation et représentent déjà une réalité pour de nombreux pays. Le dérèglement climatique provoque des déplacements forcés de populations, des pertes de terres et d’intégrité territoriale, et aboutissent à des violations des droits économiques et sociaux. Cette question est depuis longtemps une priorité des pays en développement, en particulier des Etats insulaires et des pays les moins avancés. Aussi, face à des engagements nationaux (INDCs) très insuffisants, qui se mesurent en gigatonnes d’émissions non réduites, la question des pertes et dommages est encore plus urgente. Pourtant elle n’est actuellement reflétée que dans un seul paragraphe. Le Groupe Femmes et genre réitère la nécessité de faire des pertes et dommages une section autonome du texte de l’accord, qui doit être séparée et distincte de la section adaptation, et demande des dispositions spéciales pour mettre en œuvre des actions urgentes afin de venir en aide aux personnes les plus touchées et les plus vulnérables, qui sont déjà confrontées à des menaces existentielles et des violations de leurs droits humains en raison du changement climatique.

6. Les financements climat doivent être nouveaux et additionnels

Les financements climatiques ont été conçus pour aider les pays en développement à faire face aux impacts du changement climatique et à réduire leurs émissions de GES. Or le nouveau texte ne contient aucune mention du fait que les financements climat doivent être nouveaux et additionnels aux engagements préexistants, notamment ceux de l’APD-Aide Publique au Développement, ni qu’ils doivent être distribués d’une manière sensible au genre (comme le suggéraient plusieurs options du texte de Genève).

Les pays développés se sont engagés à verser 100 milliards de $ par an aux pays en développement d’ici à 2020. Pourtant, le projet de texte ne contient aucun élément permettant de clarifier ni de garantir un calendrier d’augmentation des niveaux actuels de décaissements pour atteindre le montant total promis. Il ne contient aucune référence à des mécanismes réguliers de révision ou de réévaluation des engagements,, afin d’augmenter significativement les financements au-delà de 2020, alors que les besoins des pays en développement sont évaluées à beaucoup plus que 100 milliards par an.

Au lieu de clarifier le rôle clé des finances publiques comme noyau dur des promesses de financement climat existantes, le nouveau projet de texte met en avant les contributions financières privées, considérées comme faisant partie du financement climat, en mentionnant « l’opportunité d’une grande variété de sources de financement, publiques et privées, bilatérales et multilatérales, incluant des sources alternatives, notant la nécessité d’une diversité des instruments financiers pour s’adapter a l’évolution des circonstances économiques des bénéficiaires ». Nous savons pertinemment que les financements privés servent fondamentalement les objectifs des entreprises privées - dont certaines, les « plus grands émettrices de carbone », sont collectivement responsables des pires contributions à la crise climatique. Leur objectif véritable n’est pas de venir en aide aux communautés affectées par le changement climatique. De plus, la question des sources de financement innovantes, comme une taxe carbone appliquée aux entreprises polluantes, n’est pas développée dans le texte. Le nouveau projet de texte ouvre également la voie a des financements climat sous forme de mécanismes créateurs de dette, ce qui alourdirait encore le fardeau des pays en développement, aux économies déjà très endettés.

7. Les technologies climat doivent être sures, appropriées et saines sur le plan écologique, économique et social

Le « non-papier » proposé actuellement par les co-présidents fait silence sur plusieurs points critiques qui avaient été soulevés dans les discussions de Genève. Pour le Groupe Femmes et Genre, ceci inclut notamment un mandat de l’accord sur la qualité des technologies qui seront mises en œuvre pour faire progresser la lutte contre le changement climatique. Ce mandat appelait à « l’utilisation de technologies d’adaptation et d’atténuation sûres, appropriées et saines sur le plan écologique, économique et social ». Nous demandons que ces propositions sémantiques adoptées dans le texte de Genève soient réintégrées dans la nouvelle proposition d’accord. Il en va de même pour les éléments sémantiques faisant référence aux technologiques différenciées selon le sexe et aux technologies traditionnelles déjà utilisées par les communautés locales, notamment les femmes.

Nous regrettons également l’absence de termes en faveur d’une évaluation des technologies appropriées, comme cela avait été proposé à Genève : « l’évaluation des technologies garantissant la participation de la société civile, incluant une perspective de genre, et intégrant une évaluation multilatérale, indépendante et participative des technologies sur leurs impacts sociaux, économiques et environnementaux. »

Le Groupe Femmes et Genre a suivi activement le processus ADP et nous avons entendu un certain nombre de pays – pour la plupart des pays en développement - soutenir les points soulevés ici.

Nous avons entendu des pays qui refusent de renoncer à notre civilisation alors qu’elle est confrontée à l’un des plus grands défis de son existence. Nous avons entendu des pays qui demandent à ceux qui ont créé les dommages de les réparer. Nous avons entendu des pays qui mettent en valeur les droits humains et l’égalité des sexes, et qui se battent pour que ces droits soient au cœur de toutes les actions climatiques à venir.

Quand le processus ADP entend-il tenir compte de ces avis ?

Women and Gender Consistuency - Le Groupe Femmes et Genre

Notes

[1Le Groupe de travail sur la Plateforme de Durban pour une action renforcée (Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action) a été établi par la COP 17 à Durban avec pour objectif de conclure l’élaboration du prochain régime climatique faisant suite au Protocole de Kyoto. Ce nouvel accord climatique sous forme d’un « protocole, un instrument juridique ou un résultat ayant force de loi » doit désormais fixer des objectifs à l’ensemble des pays. Il doit être conclut en 2015 pour entrer en vigueur en 2020 : c’est l’objet des négociations actuelles en vue de la COP 21 à Paris en décembre

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