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Articles et points de vue sur genre et développement

Genre et mixité dans les pratiques organisationnelles des organisations de base

Marie-Dominique de Suremain, Enda Europe & Pauline Ndiaye, responsable genre d’Enda Pronat, Sénégal

Jeudi 21 janvier 2016


L’approche de genre ne doit pas être confondue avec la mixité dans les organisations, dont l’intérêt et l’impact dépendent des situations. L’organisation collective des femmes est pour elles une façon de se faire mieux entendre.

On différencie communément les projets « femmes et développement » et les projets « genre et développement », avec l’idée que, en se centrant exclusivement sur les femmes, les premiers refléteraient une vision partielle des relations de genre (ou les ignoreraient), ce qui serait « insuffisant » pour supprimer les inégalités. Les seconds en revanche corrigeraient cette vision « partiale » de la réalité en impliquant les hommes dans les formations ou le plaidoyer.

Plus que l’analyse des inégalités entre les femmes et les hommes, certains acteurs ne regardent que l’implication ou non d’hommes dans les projets, ce qui peut prêter à confusion. Des organisations de base ou institutions comprennent ainsi parfois l’approche « genre et développement » comme le fait de prioriser les organisations mixtes, comme si le financement des activités des femmes ou le soutien aux organisations de femmes était devenu obsolète. Une observation des pratiques organisationnelles permet d’apporter de nouveaux éclairages, à partir des enjeux de professionnalisation des femmes dans les filières agroalimentaires [1].

Trois idées forces ont été dégagées :
- On ne peut répondre à la question qu’en faisant l’historique des organisations féminines ou mixtes et en menant une analyse de contexte.
- Cet historique fait apparaître des évolutions tant vers la mixité que vers la non-mixité, selon les stratégies d’acteurs et contextes.
- Il y a des avantages et des inconvénients (en terme de progrès vers plus d’égalité femmeshommes) tant dans la mixité que dans la non-mixité.

Historiquement, la constitution d’organisations féminines découle du cloisonnement des activités et espaces dévolus traditionnellement aux femmes ou aux hommes notamment en contexte rural. Les groupements villageois se forment le plus souvent par classes d’âge ou catégories de sexe. Les femmes se regroupent pour développer des activités de solidarité, répondant à des « intérêts pratiques de genre » qui ne remettent pas en cause la division* du travail et du pouvoir entre femmes et hommes. Les projets de développement se greffent ainsi sur une fonction sociale existante, en s’appuyant sur le rôle* familial productif ou reproductif traditionnel des femmes. Ainsi les femmes paysannes accompagnées par Enda Pronat ont-elles été initialement sensibilisées aux dangers des pesticides dans le cadre de programmes de santé, suite à des intoxications d’enfants et de cultivatrices-teurs dans la culture du coton et dans leurs activités domestiques. Elles sont devenues les pionnières de « l’agriculture saine et durable » à partir de leur vécu d’agricultrices mères de famille. Puis elles se sont engagées dans les premières expérimentations d’alternatives aux pesticides pour se réintégrer à la culture du coton qu’elles avaient dû abandonner. Les expérimentations en agro-écologie étant ouvertes à tous, et leurs époux étant les principaux producteurs, les hommes ont suivi le mouvement. Avec la croissance des unions de villages, fédérations régionales puis nationales, une nouvelle division a pu être observée : les femmes sont majoritaires à la base des fédérations paysannes d’agriculture « saine et durable », mais elles sont restées minoritaires au sommet. Les chefs de famille ont été élus à la direction des organisations quand celles-ci se sont formalisées. Les femmes membres de ces fédérations de producteurs ont continué à faire fonctionner des groupes féminins (tontines, groupements de santé, d’éducation, d’entraides diverses), sans que ces groupes aient de poids dans les fédérations mixtes. Avec le temps, des projets spécifiques destinés aux femmes ont permis de renforcer leur formation, poursuivre leur alphabétisation, les promouvoir pour accéder à davantage de postes de responsabilité dans les organisations mixtes, obtenir l’octroi de terres (collectivement ou individuellement), ou se faire élire dans les conseils ruraux. Ces avancées sont le résultat de projets spécifiques « femmes », destinés aux femmes. Chaque étape a son rôle : impliquer les femmes, en raison de leur rôle social, même sans le remettre directement en cause, a permis de rendre plus visibles leurs apports et d’avancer vers l’étape des « intérêts stratégiques de genre » et de l’« empowerment ».

C’est à travers leurs organisations et non individuellement que les femmes acquièrent une reconnaissance de leur famille et de la société. Autant que le fait de gagner de l’argent, l’appartenance à un groupe leur donne une légitimité, une autonomie vis-à-vis des maris et des structures de décisions dominées par les hommes. Demander des terres au conseil rural, justifier des déplacements, est plus facile quand les femmes le font au nom d’une organisation. Les femmes discutent plus librement entre elles, elles se transmettent des savoirs, prennent la parole, se forment au niveau personnel et professionnel. Les organisations de femmes ne sont pas cependant exemptes de tensions dues à l’interaction entre les inégalités de genre et d’éducation, d’âge, d’ethnie, de position sociale. Les femmes sont parfois regroupées d’office pour accéder à des ressources. Il y a des dirigeantes opportunistes qui captent des financements et gèrent leur organisation de façon clientéliste. Les femmes sont soumises collectivement aux limitations structurelles telles que l’accès à la propriété, au crédit, aux postes de responsabilité, aux manques d’infrastructures et de services de base.

Dans l’introduction de la mixité dans leurs organisations, ou la participation à des organisations mixtes, les femmes voient un progrès pour rompre le fort cloisonnement entre le monde des femmes et celui des hommes, comme l’a été l’introduction de la mixité à l’école. Certaines organisations féminines sont sollicitées par des hommes qui veulent y prendre des postes de responsabilité [2]. D’autres sont devenues « mixtes par nécessité », car les femmes n’étaient pas formées pour assumer certaines tâches. Elles recrutent donc des hommes sur des emplois d’opérateurs de machines, manutentionnaires, distributeurs, gérants. Par souci « d’efficacité » et de rentabilité économique, notamment quand les projets doivent obtenir des résultats économiques rapides, elles privilégient l’acceptation des inégalités existantes, plutôt qu’une longue et difficile remise en cause des métiers « féminins  » et « masculins ». D’autres s’affirment « mixtes par stratégie », incluant en leur sein des hommes alliés, à qui elles confient un rôle de porte-parole et défense des intérêts de leur organisation. Une unité de transformation, créée par de jeunes couples, a discuté en son sein de la promotion des femmes à des emplois techniques (meunière) et un engagement des pères dans l’éducation des enfants. Le projet est donc « mixte par décision », voire par plaisir et construit de nouvelles alternatives de vie.

Et aujourd’hui, les hommes des fédérations paysannes bio du Sénégal reconnaissent que les femmes doivent avoir une plus grande part dans l’organisation et qu’elles apportent une contribution essentielle.

Notes

[1Cet article s’est nourri des expériences des auteures : enquêtes de terrain au Sénégal, jeux de rôles et débats lors d’ateliers et colloques (Ouagadougou et Toulouse le Mirail en 2012).
Voir les détails des enquêtes : >>>>.

[2Les plus opportunistes peuvent en profiter pour vider les caisses… Des sketches dans plusieurs pays, réalisés par des hommes (dirigeants d’organisations ou professionnels du développement), ont représenté ces situations.

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