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Articles et points de vue sur genre et développement

Allier l’approche technico-économique et l’approche de genre : l’expérience d’AVSF au Togo

Aliti Adom, Katia Roesch, Myriam Mackiewicz-Hounge, Agriculteurs et Vétérinaires sans Frontières

Jeudi 21 janvier 2016


Des formations techniques ont permis aux éleveuses de porc d’augmenter les rendements et de calculer les coûts. En même temps, l’accompagnement en genre leur a apporté une autonomie dans leur activité.

Dans la région de la Kara, seconde région la plus pauvre du Togo, l’économie est essentiellement axée sur le secteur agricole, au sein duquel le petit élevage occupe une place importante. Parmi la population en situation de pauvreté, les femmes rurales sont les plus marginalisées. Par ailleurs, sur le plan socio-culturel, elles n’ont pas le droit à la parole et méconnaissent leurs droits économiques et sociaux. De plus, les femmes n’ont généralement pas accès aux moyens de production tels que le foncier et le crédit. Enfin, bien que représentant une force productive importante, elles sont minoritaires dans les groupements agricoles.

Au sein de la filière porcine en milieu kabye, les femmes sont cantonnées aux tâches primaires et ne profitent pas des revenus issus de l’élevage. L’élevage des cochons est généralement pratiqué par les femmes, dans des conditions souvent précaires. Cependant, alors que ce sont elles qui gèrent les premières étapes (alimentation et soins aux animaux, nettoyage des porcheries), leurs maris contrôlent la commercialisation et les revenus correspondants, n’en restituant qu’une faible partie à leurs épouses. Par ailleurs, les métiers générant une grande partie de la valeur ajoutée, tel que celui de charcutier, sont traditionnellement interdits aux femmes. Ces dernières sont donc contraintes de vendre leurs animaux vivants aux bouchers locaux, avec un faible pouvoir de négociation.

C’est dans ce contexte que Agronomes & Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) a proposé un projet afin de renforcer le rôle des femmes dans la filière porcine, en partenariat avec l’Institut de Conseil et d’Assistance Technique du Togo (ICAT [1]).

Des formations techniques, dispensées par ICAT, ont permis à une centaine d’éleveuses de porcs d’améliorer leurs techniques d’élevage en matière d’alimentation, de soins et de gestion de la reproduction. Cette amélioration, couplée au suivi zootechnique et sanitaire, a permis une réduction du taux de mortalité [2] et un triplement de l’effectif des porcs élevés par les 92 femmes bénéficiaires, qui est passé de 300 à 1 100 en deux ans. Les revenus des femmes se trouvent ainsi améliorés grâce l’augmentation du poids des porcs et celle du nombre de porcs vendus par éleveuse. Suite aux formations en gestion, les éleveuses arrivent maintenant à évaluer les dépenses faites (alimentation, soins, entretien des porcheries…) et à élaborer leur compte d’exploitation. Elles ont ainsi une idée du coût de revient (même approximatif) de chaque animal et arrivent à fixer un prix de vente leur permettant de dégager un bénéfice.

Cependant, cette amélioration de la situation économique des femmes n’aurait pu pleinement se réaliser sans la mise en oeuvre d’activités de formation et de plaidoyer sur le genre. En effet, ces actions ont été nécessaires pour induire les changements sociaux et culturels qui facilitent le développement de l’activité économique. À travers des sessions de formation destinées aux techniciens du projet, aux femmes éleveuses de porcs et à leurs maris, les participant-es ont tout d’abord été amené-es à prendre conscience des inégalités hommes-femmes. Ces inégalités, telles que le non-accès au foncier, le poids des tâches domestiques dans l’emploi du temps quotidien, constituent pour les femmes de véritables freins au développement d’activités économiques pérennes. En outre, les formations ont permis d’accompagner les hommes et femmes dans la résolution des conflits liés à ces inégalités. Enfin, elles étaient suivies de séances de restitution afin de diffuser plus amplement les apprentissages et de développer cette prise de conscience dans les villages et au sein des autorités traditionnelles.

Ces formations ont permis d’amener progressivement et collectivement le thème du droit des femmes dans les activités économiques, et plus particulièrement leur rôle dans la filière porcine.

L’alliance de l’approche technico-économique et de l’approche genre a donc permis aux femmes paysannes non seulement d’acquérir des compétences techniques et de générer des revenus additionnels, mais également d’acquérir une autonomie financière par rapport à leurs maris en s’appropriant la commercialisation des porcs, leur permettant ainsi d’accéder et de gérer elles-mêmes les revenus issus de leur activité d’élevage et en ayant un meilleur accès aux facteurs de production, tels que la terre.

Les actions genre doivent accompagner l’activité principale des bénéficiaires pour être plus efficaces [3]. Par ailleurs, l’implication des conjoints dans la formation genre induit un changement bénéfique pour le statut de la femme, son activité économique et, in fine, le bien-être du ménage.

L’approche genre utilisée a été progressive et a cherché des « alliés » auprès des hommes et des autorités : il s’agissait d’éviter que l’augmentation des revenus des femmes génère l’effet contre-productif d’un désengagement financier des conjoints, qui ne prendraient plus en charge les dépenses de la famille. Ainsi, les autorités traditionnelles ont été impliquées dans la démarche, leur engagement étant un gage de durabilité des changements sociaux. De plus, l’approche a été résolument mixte, en sensibilisant les hommes conjoints des éleveuses, aux inégalités hommes-femmes et en les associant à la recherche de solutions. Cette approche a permis d’identifier les discriminations dont souffrent les femmes et de susciter des changements sociaux, au sein de la famille et de la communauté.

Finalement, la reconnaissance du rôle économique fondamental joué par les femmes, ainsi que leur droit à occuper des places dans une filière – celle de la valorisation de la viande porcine, jusqu’à présent apanage des hommes – à dégager et à bénéficier de la valeur ajoutée à travers le métier de charcutière, est une avancée majeure et représente également un défi pour les femmes. Les acteurs et actrices du projet doivent maintenant oeuvrer pour pérenniser ce changement.

Notes

[1Institution publique de conseil agricole.

[2Qui est passée de 16 % à 10 % à la fin du projet.

[3Constat réalisé par les évaluatrices du programme FSP, Gerda Heyde et Evelyne Sissinto – Note d’évaluation du projet de renforcement de la place des femmes dans la filière porcine – mai 2013.

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