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Interview de Romain Sabathier

Mardi 23 août 2016

Romain Sabathier est secrétaire général du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’exprime ici sur le pourquoi du peu d’hommes impliqués en France dans le féminisme et sur les raisons de son engagement pour l’égalité femmes-hommes.


Pourquoi y a-t-il en France si peu d’hommes (et notamment des jeunes) dans les formations, les commissions, les conférences-débats portant sur l’égalité, les droits des femmes, le féminisme, etc. ?

D’après mes observations, rarement dans des cercles traitant de l’égalité femmes-hommes la part des hommes dépasse les 10 à 15%. Je ne saurais en revanche pas dire si cette sous-représentation est renforcée concernant les jeunes hommes, ou si de manière plus générale les jeunes – femmes comme hommes – sont sous-représentés dans les cercles féministes.

Le faible nombre d’hommes mobilisés dans le mouvement féministe au sens large tient à plusieurs raisons je crois.

- Manque de connaissances et de conscience : Le combat contre les inégalités sociales mobilise au-delà des personnes les plus précarisées, y compris des personnes qui pécuniairement et à court terme n’y auraient pas forcément un intérêt propre. Pourquoi ? parce que ces inégalités sociales ne sont aujourd’hui plus considérées comme « naturelles », comme immuables, mais largement perçues comme injustes et intolérables, et comme un état de fait que l’on peut bousculer et sur lequel on peut agir. Avant d’en arriver à cette prise de conscience et volonté collectives, il en aura fallu des diffusions d’études et d’idées, des mobilisations ouvrières, des alliances et des batailles politiques.

Pour accélérer ce passage de la perception d’un combat catégoriel (« une question de bonnes femmes »), accessoire, à celle d’un combat d’intérêt général, central, il me semble utile d’examiner comment la bascule a pu se faire sur le terrain des inégalités sociales. Il faut garder toutefois à l’esprit une difficulté singulière concernant les inégalités femmes-hommes, c’est que ce sont des inégalités qui imprègnent jusqu’à l’intime du foyer et de la sexualité, ce qui favorise leur naturalisation et freine la mobilisation des dominées.

- Peur de jouer contre son camp : tant que l’on considère que ces inégalités sexuées sont davantage naturelles qu’injustes, tant que l’on ne perçoit pas l’intérêt général à vivre dans une société d’égalité indifférente aux différences (chacun serait qui il veut être, indifféremment de son sexe, son origine ethnique, sociale, son handicap…), tant que l’on ne mesure pas les assignations que le système patriarcal fait aussi peser sur les hommes, on reproduit confortablement les mêmes schémas et on traîne les pieds à renoncer à tous les avantages que nous procure le fait d’être, dans ce système, un dominant.

- Manque de figures d’hommes féministes auxquels s’identifier : nous pourrions mieux faire savoir que Condorcet ou Victor Hugo furent d’actifs féministes par exemple. La campagne He for She lancée par l’ONU et lors de laquelle des hommes du milieu du spectacle, de la culture ou de la télévision se sont engagés (Matt Damon, Alex Lutz et Bruno Sanches, Jean-Baptiste Maunier…) contribue à aider les hommes à pouvoir se projeter dans ce mouvement pour l’égalité.


L’égalité est-elle une activité professionnelle, un domaine d’engagement, d’expertise qui n’intéresse pas les hommes ?
Comment intéresser les hommes à l’égalité femmes-hommes, au féminisme ?

L’éducation à l’égalité – notamment via l’implication des jeunes eux-mêmes dans la construction de visuels, de vidéos, de pièces de théâtre, etc. -, la mise en avant de figures identificatoires, tous les exercices d’inversion des rôles fonctionnent très bien également.


Pourquoi, en tant qu’homme, vous intéressez-vous à la question de l’égalité, du féminisme ?

Parce que j’ai rencontré Danielle Bousquet ! C’est presque ça. C’est d’être recruté auprès d’elle qui m’a permis d’engranger des connaissances et de prendre conscience des inégalités femmes-hommes qui font système. Puis, avec cette nouvelle grille d’analyse, j’ai relu mon histoire personnelle avec de nouvelles lunettes : l’histoire de ma grand mère paternelle, l’histoire de mes parents, l’histoire de ma fratrie, mon histoire à moi. C’est cette articulation entre conscience et expérience qui conduit je pense à ce que la petite histoire rencontre la grande histoire de toutes celles et ceux qui se mettent en mouvement pour faire progresser l’égalité et la liberté.


Est-ce que vos fonctions vous ont amené à réfléchir, à élucider des choses concernant vos propres rapports avec la « masculinité » ?

Comme je le disais plus haut, une des principales difficultés de ce combat politique est qu’il touche à l’intime, qu’il traverse les sphères publiques et privées, qu’il publicise le privé. Or la pudeur est de bon ton, quand le dévoilement peut être vulgaire. Mais je crois utile et politique de témoigner pour que d’autres hommes puissent se reconnaître et à leur tour s’engager.

Bien-sûr que mon engagement féministe me fait réfléchir et impacte mon comportement ! j’ai l’habitude de dire que je suis féministe pour me muscler l’esprit ! Le féminisme m’a notamment ouvert les yeux sur :

- Le fait que quand j’habitais chez mes parents, il était fréquent qu’après le repas j’aille m’installer dans le canapé pour lire le journal pendant que ma sœur aînée débarrassait ou faisait la vaisselle ;
- Le fait qu’au sein de ma colocation, je n’ai quasiment jamais nettoyé les toilettes ;
- Le fait qu’au restaurant, y compris à l’Assemblée nationale lorsque j’ai eu à dîner avec Danielle Bousquet alors députée, quasi systématiquement il m’était proposé de goûter le vin ;
- Le fait, à l’Assemblée nationale toujours, que mes collègues femmes étaient régulièrement prises pour « des secrétaires » ;
- Le fait que, si je ne suis pas vigilant, je peux vite monopoliser la parole (j’ai dû faire de vrais efforts pour me forcer à ne pas parler de manière disproportionnée dans des assemblées souvent constituées à 90% de femmes, mais je crois y arriver de plus en plus. C’est possible messieurs !) ;
- Le fait qu’il soit plusieurs fois arrivé dans une réunion avec un directeur de cabinet de ministre (on ne compte encore que 20% de femmes à la tête des cabinets ministériels), que le directeur passe l’essentiel de la réunion à parler en me fixant alors même que ma présidente, ancienne députée et vice-présidente de l’Assemblée nationale, est là ! (dans ce cas, l’observation des dorures au plafond ou de la couleur de la moquette est fortement recommandée pour que son interlocuteur change lui aussi de regard).

Concernant plus particulièrement ma fonction de secrétaire général du HCE, ma conscience du genre en tant que système hiérarchisant le masculin au détriment du féminin et socialisant différemment les filles et les garçons, m’a souvent amené à réfléchir sur ma manière de diriger et d’animer l’équipe du secrétariat général (rapports verticaux versus rapports plus horizontaux ; prise en compte de l’articulation des temps de vie ; mise en confiance et encouragements de mes collègues femmes…), sur la valeur différente qui pouvait être donnée à la parole d’un homme par rapport à celle d’une femme, ou encore sur le trop plein d’humilité et de don de soi des membres femmes du HCE par rapport à leurs homologues masculins.

J’ai découvert au HCE une facette de ma masculinité que je n’avais pas analysée avant : mon impatience ! Les études de genre ont montré en matière d’éducation différenciée des filles et des garçons, que ces derniers sont généralement habitués à ce que leurs désirs soient plus souvent et plus rapidement satisfaits que ceux des filles. Cette impatience a du bon quand elle nous pousse à faire preuve d’un grand volontarisme et à mettre constamment des coups d’accélérateur. Mais cette impatience est à double tranchant quand elle peut user son équipe mise sous tension en continu. Le féminisme me conduit donc à prendre davantage en compte ces « biais de genre »pour prêter une attention plus forte aux autres.


Avez vous connu des « privilèges » liés à la socialisation masculine ? Ou des « inconvénients » ?

J’ai répondu plus avant à la question relative aux « privilèges ». Le mot « privilège » me semble particulièrement adéquat, car pourquoi du simple fait d’être né de sexe masculin aurions-nous de quelconques avantages ?

Qui dit système de normes de genre, dit également sanctions à celles et ceux qui seraient tentés de ne pas se soumettre aux normes de masculinité quand on est un homme, de féminité quand on est une femme, ou à la norme hétérosexuelle.

Dans le Gers d’où je suis originaire, en plein cœur du sud-ouest, le rugby est le sport du pays, le creuset de la virilité et de la socialisation masculine. Cela n’était pas à mon goût, et il m’a donc été désagréable de « devoir » jouer au rugby – ou plutôt jouer au rugbyman – pendant deux saisons.

Toujours en rapport avec le corps, ma plongée en féminisme m’a fait prendre conscience a posteriori de cette gêne que je ressentais enfant et adolescent dans ma façon de marcher ou dans mes postures. Je me souviens de cette pression qui n’avait pas besoin de visage pour que je marche comme un garçon, « un vrai », ou pour que je rectifie certaines de mes postures corporelles.

Ensuite, quand j’ai desserré cet étau et que j’ai davantage poursuivi mes désirs, j’ai par exemple plus naturellement croisé les jambes quand j’étais assis. Cela a pu me valoir des regards clairement réprobateurs, dans le métro par exemple. Un homme - « un vrai » - ça écarte les jambes et ça s’impose !

Enfin, j’ai à plusieurs reprises connu des insultes homophobes, dans l’espace public notamment. Les violences machistes sont l’assurance vie du patriarcat…


Quand on parle du genre, de l’égalité femmes-hommes, on parle beaucoup et surtout des femmes ; ne faudrait-il pas développer un regard, une analyse, sur le « masculin » ?

Pour faire bouger les choses, il me semble en effet nécessaire de porter une analyse sur le « masculin » et de se poser la question des conditions permettant dans telle ou telle problématique (égalité professionnelle, lutte contre les violences, parité…) d’activer la solidarité d’hommes et le changement de leurs comportements. Cette analyse doit être sans complaisance et assumer la domination masculine qui existe aujourd’hui. C’est je crois une des conditions d’un réel changement chez les femmes comme chez les hommes.

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