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Point de vue de Sylvie Ayral

Lundi 12 septembre 2016

Sylvie Ayral est professeure agrégée et docteure en Sciences de l’éducation, auteure de « La Fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège », qui reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire. Elle résume ici deux axes de sa recherche : la manière dont l’institution scolaire conforte les comportements transgressifs, voire violents de certains garçons et le peu d’attention accordée à la souffrance des garçons « doux ».


L’appareil punitif scolaire consacre les garçons dans une identité masculine stéréotypée

80%, soit la grande majorité des élèves punis au collège, sont des garçons. Cela devrait interroger l’institution. Un garçon de 4ème régulièrement sanctionné m’expliquait qu’il vivait le fait d’être puni ou renvoyé comme quelque chose d’excitant, quelque chose qui lui procurait de l’adrénaline. Au collège la transgression n’est que très rarement la marque d’une désocialisation. Au contraire. Elle relève bien davantage d’une pratique d’intégration, d’une hypersocialisation au sein du groupe de pairs. Cela vaut particulièrement pour ceux qui ne possèdent pas la culture nécessaire à la réussite scolaire. Ils se construisent volontiers dans l’opposition aux valeurs scolaires et trouvent des bénéfices secondaires à être sanctionnés : l’admiration, le respect par les autres, la réputation d’être un dur, le renforcement de leur sentiment de virilité... L’appareil punitif scolaire possède donc un effet pervers : il consacre les garçons dans une identité masculine stéréotypée et encourage finalement ce qu’il est censé corriger.

Les filles quant à elles offrent moins d’opportunités d’être sanctionnées, et quand elles le sont c’est sur la base d’autres motifs : sur leur tenue vestimentaire – qui va de la longueur de la jupe au port du voile ou encore sur l’usage du téléphone portable... La dissymétrie est donc massive, qu’elle soit en terme de fréquence des sanctions ou de nature des transgressions.

Non seulement, ce sont les garçons transgresseurs, indisciplinés et violents qui monopolisent l’espace, l’attention et l’énergie des adultes mais le stigmate retombe sur tous les élèves de sexe masculin. Ainsi, dans une logique qui se veut préventive mais qui finit surtout par être « auto-réalisatrice », les élèves les plus fréquemment sanctionnés sont généralement les garçons de 6ème. Quant à la majorité silencieuse et invisible, celle des garçons qui ne sont jamais ou très peu punis, on n’en parle que rarement.

Plusieurs études ont pourtant montré qu’être un garçon suppose un risque accru d’être agresseur mais aussi d’être victime. Des lieux comme les toilettes, les vestiaires, les douches sont propices à la violence de domination et à l’humiliation sexuelle. Et les injures sexistes, celles à caractère homophobe ou qui consistent à se moquer de la taille du sexe de l’autre et à l’humilier dans sa virilité sont monnaie courante. Il existe une réelle souffrance chez les garçons doux sommés de donner la preuve de leur virilité, de leur hétérosexualité. Certains décrochent, mais en silence, ce qui ne gêne personne...

On constate plutôt une grande tolérance concernant la violence des garçons. Elle serait inhérente à la nature masculine, voire souhaitable. N’est-elle pas largement mise en spectacle dans les sports comme le rugby ou la boxe ? Il arrive même que des parents soient alertés par l’équipe éducative dès l’école maternelle parce que leur fils pleure facilement ou a du mal à se défendre et qu’on les engage à l’inscrire au judo ou au karaté pour y remédier... Les conduites violentes chez les filles, en revanche, sont repérées beaucoup plus rapidement et volontiers pathologisées et sur-traitées par l’institution. Il en va de la violence comme de la sexualité ou même du langage. Les mots grossiers sont mieux acceptés dans la bouche d’un garçon que d’une fille.

Alors qu’il y a urgence à former le corps enseignant à ces enjeux, le décalage entre le discours institutionnel d’égalité femmes-hommes et la réalité de terrain reste colossal. Dans les faits, les formations pédagogiques sur la thématique sont réduites à une peau de chagrin et touchent très peu de personnes. A titre d’exemple, cette année, le plan académique de formation du rectorat dans lequel j’exerce ne prévoyait que deux journées consacrées à l’égalité filles-garçons. La première concernait 19 personnes et la seconde dix. Sur l’ensemble de l’Académie !

Par ailleurs, on ne peut restreindre la lutte,comme on le fait depuis plus de trente ans, à « hisser » les filles vers des domaines masculins considérés comme supérieurs. Pourtant, dès que l’on propose de repenser l’éducation des garçons, c’est la panique absolue. L’angoisse de la dévirilisation ! Il faut un immense courage politique pour s’attaquer à la « fabrique des garçons »…

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