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Atelier Genre et justice climatique du 22 mai 2024 : compte-renduMardi 25 juin 2024, par Adéquations et WIDE Autriche en coopération avec le réseau européen WIDE+ , avec le soutien du programme "Féministes pour des Alternatives sur le Climat et l’Environnement" (FACE) ont organisé un atelier le 22 mai 2024 à Paris. L’événement a rassemblé une cinquantaine de représentant-es de différentes ONG (féministes, de solidarité internationale, environnementales) et institutions. Les participant-es ont discuté des défis d’une transition juste et réellement soutenable, d’un point de vue féministe. |
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Pourquoi la lutte contre le dérèglement climatique doit-elle s’attaquer à l’extractivisme et prendre en compte les questions de genre ?
La transition vers les énergies renouvelables dans le Nord conduit-elle à la destruction des moyens de subsistance des populations des Suds ?
Comment inclure les questions de genre de manière intersectionnelle dans les politiques climatiques ?
Comment les organisations environnementales peuvent-elles intégrer en interne les questions d’égalité femmes-hommes ?
Ces questions cruciales ont été discutées lors d’un atelier sur "le genre et la justice climatique", qui s’est tenu le 22 mai 2024 à Paris à la Cité Audacieuse , organisé par Adéquations en coopération avec WIDE Autriche et le réseau européen WIDE+ , avec le soutien du programme "Féministes pour des Alternatives sur le Climat et l’Environnement" (FACE).
L’événement a rassemblé une cinquantaine de représentant-es de différentes ONG (féministes, de solidarité internationale, environnementales) et institutions. Les participant-es ont discuté des défis d’une transition juste et réellement soutenable, d’un point de vue féministe. L’atelier était animé par Bénédicte Fiquet et Sarah Mantah (Association Adéquations).
Il a été introduit par les organisatrices Yveline Nicolas, Adéquations et Claudia Thallmayer, WIDE Autriche, qui ont souligné :
La nécessité de débattre de la justice sociale et de genre en lien avec les changements climatiques,
La nécessité d’inclure l’égalité des sexes et les questions intersectionnelles dans les politiques climatiques,
Le dilemme d’une transition énergétique qui tend à organiser la décarbonisation dans le Nord tout en conduisant à de nouvelles formes d’exploitation néocoloniale dans des pays des Suds,
L’importance de construire un plaidoyer commun sur ces enjeux.
Emma Rainey (WIDE+) a présenté le projet COPGendered à partir de documents d’information récemment publiés par WIDE+ sur le genre et la justice climatique.
Cette publication comporte une introduction générale, expliquant le rôle des femmes en tant qu’actrices dans le contexte du changement climatique, des fiches sur le genre et l’énergie, la justice climatique et les LGBTIQ, les migrations forcées induites par le climat, ainsi que sur l’extractivisme, et sur genre et mobilité (transport). Elle est conçue comme une ressource pour l’éducation des adultes, mais aussi à des fins de plaidoyer en faveur d’une transition intégrant la justice de genre. (Fiches éducatives du programme COPGendered)
La notion de "justice climatique" implique de prendre en compte les effets sociaux des dommages environnementaux causés par le réchauffement climatique. Il est bien connu que les effets des changements climatiques sont plus graves pour les pays en développement et les personnes marginalisées dans l’ensemble du monde, alors qu’elles ont le moins contribué historiquement au réchauffement de la planète, celui-ci étant dû avant tout aux émissions de gaz à effet de serre induites à partir de l’époque industrielle en Occident. En particulier, les femmes et les jeunes filles font face au lourd fardeau de la détérioration des conditions de vie, en termes d’augmentation des travaux de subsistance et de soins non rémunérés, notamment dans les zones rurales où elles dépendent de l’agriculture à petite échelle, de l’élevage ou du travail dans le secteur informel. Elles disposent de moins de ressources pour s’adapter et sont aussi moins mobiles quand elles sont contraintes de quitter leur lieu de vie et de migrer à la recherche de nouveaux moyens de subsistance.
Patricia Muñoz Cabrera (WIDE+) a fait une évaluation critique des politiques de transition écologiques de l’Union européenne (UE), également appelées “Green Deal” (Pacte vert). Ce paquet politique comprend des cadres juridiques et des instruments financiers, parmi lesquels la "Critical Raw Materials Act" (sur l’approvisionnement en matières premières) ou le "Global Gateway" (sur l’investissement). Elle a montré que les engagements de l’UE en matière de réduction des émissions de CO2 contribuent aux conflits sociaux, à l’augmentation de l’extractivisme, aux violations des droits humains, aux dommages environnementaux, et qu’ils accentueront encore la perte des moyens de subsistance, la perte de biodiversité et les injustices sociales et de genre sur le terrain.
L’extraction de combustibles fossiles et d’autres industries extractives contribue au changement climatique. Les sites des industries extractives sont souvent situés dans des environnements écologiquement fragiles, ce qui aggrave les effets négatifs du changement climatique en cours - par exemple, l’extraction de lithium dans les hautes terres andines du Chili ou l’exploitation de mines d’or au Soudan.
Les cadres juridiques, tels que la Convention 169 de l’OIT sur les peuples autochtones, peuvent jouer un rôle crucial pour arrêter des projets nuisibles. Patricia Muñoz Cabrera a souligné "comment les communautés autochtones du Chili - dont certaines sont dirigées par des femmes - et les organisations de femmes ont organisé la résistance et remporté certaines batailles". Pour elle, “une transition verte qui se fait au détriment des droits fondamentaux des femmes autochtones ou de toute autre population marginalisée au Sud n’est ni durable ni juste. De même, une transition énergétique qui marchandise la nature pour assurer la croissance macroéconomique exacerbera l’impact du changement climatique, avec des conséquences irréversibles sur nos écosystèmes fragiles".
Elena Georgiadi (GenderCC/LIFE) a souligné : "Une transition énergétique féministe plaide pour une élimination progressive des combustibles fossiles, tout en s’attaquant aux structures de pouvoir racistes, néocoloniales et sexistes ; elle encourage la participation active des groupes marginalisés dans les discussions sur l’énergie et remet en question le modèle de croissance de nos économies. La transition juste n’est "juste" que si elle s’aligne sur le féminisme intersectionnel”.
La violence sexiste est omniprésente dans les territoires où opèrent les industries extractives. Le Soudan est ainsi un des principaux producteurs d’or, celui-ci étant notamment utilisé dans l’industrie électrique et électronique. L’exploitation informelle de l’or au Soudan exacerbe la dégradation des terres, déjà affectées par le dérèglement climatique. Les femmes bénéficient le moins de la production de l’or, tout en devant faire face à la diminution de leurs moyens de subsistance basés sur l’agriculture ou l’élevage.
"Les femmes travaillent généralement en bas de la chaîne d’approvisionnement et sont impliquées dans des tâches telles que la réutilisation des résidus de terre laissés par les hommes pour extraire l’or, à l’aide de mercure", a expliqué Sara Mohamed, experte environnementale du Soudan (WIDE Autriche). "Ces femmes qui travaillent de manière informelle au bas de l’échelle craignent de perdre leur emploi si elles parlent de leurs difficultés”. Le commerce de l’or alimente également la guerre civile au Soudan, un conflit aux effets dévastateurs sur la sécurité humaine, avec 6,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays et deux millions d’autres exilées, après un an de guerre.
La présentation de ces cas concrets a clairement démontré les interconnexions internationales et intersectionnelles de la justice climatique.
Yveline Nicolas (Adéquations), a souligné la nécessité d’une cohérence entre les politiques de coopération, “l’action extérieure féministe” et les politiques européennes dites de "transition énergétique et écologique" ou "d’agriculture et d’alimentation durables" : "La conséquence logique des analyses et des dénonciations par les organisations de la société civile du boom minier et de l’extractivisme vert doit être un changement radical des modèles de production et de consommation dans les pays riches." Annonçant qu’Adéquations souhaite approfondir la question des liens entre "féminismes et décroissance", elle a appelé les organisations intéressées à participer à ce travail. Elle a également souligné que la notion de justice climatique permet des actions concrètes, comme récemment la condamnation de la Suisse pour inaction climatique grâce aux "Aînées pour le climat" à la Cour européenne des droits de l’Homme, pointant à la fois les enjeux de santé environnementale et genre et de solidarité avec les générations futures.
Plusieurs initiatives, campagnes et rapports ont ensuite été présentés pour illustrer la valeur ajoutée du croisement des questions de genre et de climat et pour souligner la nécessité d’un soutien et d’une diffusion accrus.
Le programme "Féministes pour des Alternatives climat environnement" (FACE) a été présenté par Aurélie Cerisot (CCFD-Terre Solidaire). FACE est un partenariat entre des organisations de la société civile en France et en Afrique : CCFD-Terre Solidaire, Adéquations, ACORD Rwanda, ACORD Burundi, l’alliance écoféministe panafricaine WoMin et le mouvement de l’Assemblée des femmes rurales. Il est financé par le Fonds français de soutien aux organisations féministes (FSOF) de l’Agence française du développement et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. "Les projets soutenus associent les questions de genre et de climat, par exemple : soutien aux initiatives des femmes en situation de handicap face au changement climatique au Burundi ; dialogue entre agriculteurs-trices et chercheur-ses sur les semences locales en Côte d’Ivoire ; fonds de défense juridique des terres des femmes en Afrique du Sud". (Rubrique sur le programme FACE)
Selon Oumou Koulibaly (WoMin African Alliance), "la justice climatique implique que le Nord prenne ses responsabilités, en se retirant complètement des émissions de gaz à effet de serre, non seulement au Nord, mais ailleurs, notamment en Afrique. Cela signifie qu’il faut mettre fin aux grands barrages, aux monocultures, aux nouvelles explorations et exploitations pétrolières et gazières, aux marchés du carbone !” Elle a présenté l’initiative des Écoles écoféministes : "Des mobilisations locales où, pendant cinq jours, des femmes apprennent les unes des autres, discutent de la justice climatique, du capitalisme et de ses corollaires : patriarcat, impérialisme, colonisation, extractivisme, à l’origine de la crise écologique."
Intervention complète
Salma Lamqaddam (ActionAid France) a présenté la campagne visant à restreindre l’industrie de la “fast Fashion” (“mode jetable”). "C’est l’une des industries les plus polluantes au monde. Elle est responsable d’environ 10% des émissions mondiales, consomme 93 milliards de mètres cubes d’eau par an, et les colorants utilisés polluent les rivières et les sols, affectant les écosystèmes locaux et la santé des populations environnantes, dont beaucoup sont des filles et des femmes". La fast fashion repose sur un modèle économique qui exploite massivement les travailleuses de pays en développement. "Les travailleuses subissent une double oppression : à l’exploitation de la classe ouvrière s’ajoute une violence sexiste massive dans les usines où les hommes sont aux commandes et les femmes subordonnées”.
ActionAid promeut un projet de loi visant à réduire l’impact environnemental des marques de fast fashion, avec un seuil maximum de production par jour, des sanctions pour les multinationales qui ne respectent pas ces quotas, et l’adoption d’un étiquetage environnemental sur les produits. ActionAid plaide pour que la fast fashion soit examinée à l’aune de son impact dramatique sur la planète, les communautés locales et les travailleuses. (Coalition Stop Fast Fashion)
La question du commerce, de la consommation et du besoin de régulation ont conduit à l’importance de s’adresser à tous les acteurs, y compris les pouvoirs publics, les syndicats et les entreprises. Aminata Niakaté, co-rapporteuse du rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur "Les inégalités femmes-hommes, la crise climatique et la transition écologique" , a formulé un certain nombre de recommandations.
Selon le rapport, "il est nécessaire d’améliorer la connaissance et la recherche sur les impacts différenciés du changement climatique, en systématisant la collecte de données sexuées dans l’évaluation des effets de la dégradation de l’environnement et des catastrophes naturelles et technologiques. Cela facilitera la construction de politiques publiques intégrant le genre et le climat, par exemple l’étude d’impact préliminaire des projets et propositions de loi relatifs à la transition écologique. Engageons tous les acteurs et actrices, y compris les entreprises, dans la mixité des métiers verts et verdissants et la promotion des femmes aux postes à responsabilité dans ces métiers !” (Détails des recommandations du CESE)
Antoine Gatet (France Nature Environnement, la fédération nationale des associations de protection de l’environnement) , co-rapporteur du rapport du CESE, a affirmé qu’"une transformation environnementale n’est pas possible dans une société inégalitaire et peut même renforcer les inégalités si elle n’est pas pensée avec les lunettes du genre". Constatant que les questions d’égalité entre les femmes et les hommes ne sont devenues une préoccupation des associations environnementales qu’assez récemment, il a détaillé l’approche transversale de l’intégration du genre lancée par FNE : "Tous les aspects de l’organisation sont concernés : le fonctionnement interne, avec une charte des comportements qui engagent les bénévoles et les salariés par exemple, mais aussi la communication externe mais aussi la communication externe (adoption de la charte du Haut Conseil à l’égalité pour une communication sans stéréotypes de sexe) , et le plaidoyer - ce qui est plus complexe. Suite à un diagnostic interne, un plan d’action genre est en cours d’élaboration".
De nombreuses questions et contributions ont été reçues du public, notamment :
Il faut continuer à identifier les initiatives qui associent genre, féminisme et climat et à faire connaître les outils pédagogiques disponibles , comme le jeu de cartes “Planète genre” , l’exposition "Transition écologique : enjeux et bénéfices de l’égalité femmes-hommes” , les productions éducatives du programme COPGendered de Wide+ , etc. Il en va de même concernant les méthodologies, telles la recherche-action participative féministe (comme celle menée par Quartiers du Monde ).
Il est important de générer des données sur les enjeux "genre et climat", y compris dans une perspective intersectionnelle, qui reste insuffisamment documentée, et de fournir des exemples concrets de pratiques pour convaincre les parties-prenantes, en particulier les décideurs politiques. Des études de cas peuvent être utilisées à la place des données statistiques, lorsqu’il s’agit d’informations personnelles sensibles comme l’identité de genre ou l’orientation sexuelle des personnes.
L’objectif de justice ou de transition écologique ne doit pas conduire à renforcer les responsabilités qui incombent aux femmes, comme le travail de soins, ou à générer de nouvelles inégalités (sécurité dans les transports publics, sobriété énergétique et éclairage public nocturne, etc.).
Des liens peuvent être établis entre les stéréotypes, le sexisme et la surconsommation ; l’information des consommateurs-trices doit être développée dans cette optique, non seulement en termes de santé, mais aussi en ce qui concerne la rémunération au juste prix des producteurs et productrices (par exemple pour les fruits).
Les croisements entre genre et climat doivent être approfondis également en termes de santé (impacts différenciés du changement climatique sur les femmes et des hommes).
L’intersection entre genre, climat et transition écologique oblige à aborder la question globale du modèle capitaliste et néolibéral, des accords de libre-échange inégaux, de la dette (financière et écologique) et des modèles de production/consommation, afin de ne pas déplacer le problème : extractivisme vert, envoi des déchets et des vêtements vers le Sud, entraînant la destruction des écosystèmes, dont dépendent en particulier les femmes paysannes et autochtones.
Quelques progrès ont été réalisés en ce qui concerne le devoir de vigilance des entreprises , mais l’expérience montre que des normes contraignantes sont nécessaires pour une véritable responsabilisation, car les normes volontaires sont insuffisantes ou conduisent au “green-washing” (écoblanchiment), comme au “gender-washing”.
© Adéquations et WIDE Austria
Evénement cofinancé par la Commission Européenne.
Clause de non-responsabilité : Les points de vue et opinions exprimés n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne ou de l’EACEA. Ni l’Union européenne ni l’autorité chargée de l’octroi des subventions ne peuvent en être tenues responsables.
Féministes pour des Alternatives Climat Environnement
Projet "Gender and climate justice : Knowledge for Empowerment ; "Briefing Papers Gender and Climate Justice", télécharger (en anglais, 30 p.) ; Transnational Training Report Gender and Climate Justice, janvier 2024 (Report on the first “Capacity Building” within the Erasmus+ project “Gender and Climate Justice : Knowledge for Empowerment”. Télécharger (en anglais, pdf 42 p.) ;
Réseau Women in Developement Europe (WIDE+)
WIDE Autriche
GenderCC – Women for Climate Justice et LIFE
Rubrique documentaire d’Adéquations : genre et transition écologique ; COP climat, justice climatique et genre ; Dossier Genre, santé et crise écologique, croiser les approches, avril 2024 ; Exposition "Transition écologique : enjeux et atouts de l’égalité femmes-hommes"