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Declaration sur les expériences de géoingénierie marine

Vendredi 25 octobre 2024, par Yveline Nicolas

Adéquations est signataire de ce plaidoyer à l’initiative de Hands Off Mother Earth Alliance, coalition diversifiée de peuples autochtones, organisations de droits humains, pour la justice climatique, associations féministes. Ces organisations refusent les fausses solutions climat comme la géoingénierie et se battent pour de vraies solutions. Une Conférence de presse à la COP16 Biodiversité a rappelé ces enjeux.



 Information suite à la COP16

Hands Off Mother Earth se réjouit que la COP16 ait adopté une décision réaffirmant l’approche de précaution au sujet la géo-ingénierie et le moratoire international de fait demandé en 2010 sur la géo-ingénierie, notamment la fertilisation des océans.

- Texte officiel de la décision (draft en anglais)
- Communiqué de presse de Hands Off Mother Earth

 Declaration sur les expériences de géoingénierie marine

Nous, la société civile, les Peuples Autochtones et les organisations communautaires du monde entier, sommes profondément préoccupés par la prolifération des expériences de géo-ingénierie marine, en plein air et sous l’eau, qui sont planifiées ou déjà en cours et qui, pour beaucoup d’entre elles, vendent des compensations carbone au mépris des accords internationaux.

De plus en plus, nos océans sont menacés non seulement par les effets de la surexploitation et de la crise climatique, mais aussi par ces tentatives trompeuses de manipuler les systèmes terrestres dans le but de contrer certains des symptômes du changement climatique. L’immensité des océans, leur vulnérabilité et leur nature relativement intacte sont encore mal comprises, et pourtant ils garantissent la vie sur terre et sont notre meilleur allié dans la lutte contre le changement climatique. Les manipuler de la sorte présente des incertitudes et des risques incalculables, d’autant plus que les effets de la géo- ingénierie marine sur les océans sont imprévisibles.

Les tentatives théoriques et expérimentales de géo-ingénierie de l’environnement marin prévoient actuellement l’augmentation de la réflectivité des nuages marins ou de la surface des océans ; l’élimination du dioxyde de carbone marin, en déversant des minéraux ou de la biomasse dans l’océan pour augmenter l’absorption du carbone, en faisant passer des courants électriques dans l’eau de mer ou en pompant de l’eau plus froide depuis les profondeurs de l’océan vers la surface ; ainsi que des mesures visant à arrêter la fonte de la glace en répandant à sa surface des microbilles ou de l’eau salée.

Aucune de ces technologies ne s’attaque aux causes profondes du changement climatique. Au contraire, le recours à d’hypothétiques palliatifs technologiques retarde les actions vitales de réduction des gaz à effet de serre. Aucune d’entre elles n’a été en mesure de démontrer qu’elle pouvait séquestrer efficacement le carbone ou le stocker de manière permanente, tandis que les efforts visant à refroidir le climat en augmentant la réflectivité sont intrinsèquement imprévisibles et risquent de déstabiliser encore davantage un système climatique déjà perturbé. Il est très probable que la géo-ingénierie marine modifie la chimie des océans ainsi que les concentrations en nutriments et par conséquent l’abondance des espèces, altérant ainsi les équilibres délicats des interactions entre les espèces [1,2].

Nous rejoignons les parties à la Convention de Londres et au Protocole de Londres (LC/LP) qui, l’année dernière, ont déclaré à propos de quatre catégories clés de géo-ingénierie marine « qu’il existe une incertitude considérable quant à leurs effets sur l’environnement marin, la santé humaine et les autres utilisations de l’océan », et ont exprimé leur inquiétude quant à « de possibles effets délétères étendus, durables ou graves ».

Malgré le moratoire de facto sur la géo-ingénierie dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB), en place depuis 2010, et le processus actuel qui pourrait soumettre plusieurs catégories supplémentaires de géo-ingénierie marine à un contrôle réglementaire strict dans le cadre de la Convention de Londres et du Protocole de Londres (qui interdisent déjà les activités commerciales de fertilisation des océans [3]), des expériences en plein air dans toutes ces catégories ont récemment été menées ou sont actuellement en cours, et de nombreuses nouvelles expériences sont proposées.

Bien que les techniques varient considérablement, elles ont en commun le fait que pour commencer à influencer le climat mondial, il faudrait intervenir à des échelles considérables, dans des écosystèmes océaniques extrêmement complexes et fragiles. L’augmentation de l’alcalinité des océans, la remontée artificielle des eaux et la fertilisation des océans en fer nécessiteraient, en théorie, la manipulation d’environ 10 % de la surface des océans pour avoir un impact significatif sur le climat [4]. Cependant, même les échelles définies pour effectuer les « tests » peuvent être immenses. Par exemple, un essai d’éclaircissement des nuages marins, désormais ajourné, propose une expérience sur une zone de 10 000 km2 dans le nord-est du Pacifique [5], tandis qu’un projet de méga-ferme d’algues flottantes se développera de manière modulaire jusqu’à atteindre 94 000 km2 dans le sud de l’Atlantique, soit une superficie plus grande que celle du Portugal [6]. Il faut ensuite tenir compte de l’ampleur des infrastructures et des transports associés. Dans le cas de l’augmentation de l’alcalinité des océans, une augmentation massive de l’exploitation minière - avec tous les impacts environnementaux et carbone associés - serait nécessaire étant donné qu’il faut, théoriquement, environ 2 tonnes de roches pour absorber 1 tonne de carbone [7].

Ce que beaucoup de ces projets ont également en commun, c’est le rôle moteur que jouent les marchés du carbone : des start-ups mènent des expériences en plein air en vendant ou en pré-vendant des promesses de crédits carbone sans aucune preuve fiable que ces projets « fonctionneront », et malgré le fait que l’intérêt commercial est un facteur important qui les met en porte-à-faux avec la réglementation existante et émergente. Toute défaillance ou dysfonctionnement à l’avenir entraînerait une augmentation nette des émissions. Ces entreprises opèrent également avec peu de transparence en ce qui concerne le suivi des effets escomptés ou des conséquences néfastes. Les négociations menées dans le cadre de l’article 6 de l’Accord de Paris risquent de légitimer et consolider ces techniques hautement spéculatives et risquées.

La géo-ingénierie marine comporte en outre de nouveaux risques pour les moyens de subsistance des Peuples Autochtones, des communautés traditionnelles et des pêcheurs qui dépendent des écosystèmes marins et côtiers. Le rapport du Conseil des droits humains sur la question a constaté que les technologies de modification du climat, y compris certaines techniques de géo-ingénierie marine, « pourraient gravement entraver la réalisation des droits humains de millions, voire de milliards de personnes » et que « le déploiement potentiel [des technologies de géo-ingénierie] aurait un impact massif et disproportionné sur les Peuples Autochtones, dont les terres et territoires traditionnels sont particulièrement exposés et risquent de faire l’objet d’utilisations expérimentales »[8]

La géo-ingénierie dans nos océans est une distraction dangereuse qui détourne notre attention des vraies solutions à la crise climatique et donne à l’industrie des combustibles fossiles une échappatoire potentielle tout en mettant nos océans et nos communautés côtières en grave danger

Nous appelons donc les gouvernements à :

- Empêcher les expériences de géo-ingénierie marine en plein air ;
- Protéger les océans, les écosystèmes marins et les communautés et Peuples Autochtones qui en dépendent, notamment en faisant respecter le principe de précaution, le droit au consentement libre, informé et préalable, ainsi que les droits d’accès à l’information, de participation du public à la prise de décision et d’accès à la justice ;
- Maintenir, appliquer et renforcer le moratoire de facto de la Convention sur la diversité biologique relatif à toutes les formes de géo-ingénierie, en place depuis 2010 ;
- Soutenir l’élaboration, dans le cadre de la convention de Londres et du protocole de Londres, de contrôles réglementaires de précaution rigoureux concernant l’augmentation de l’alcalinité des océans, la culture de biomasse pour l’élimination du carbone, l’éclaircissement des nuages marins et l’amélioration de l’albédo de surface au moyen de particules réfléchissantes et/ou d’autres matériaux, et qui soient au moins aussi stricts que ceux déjà en place pour la fertilisation des océans ;
- Donner d’urgence la priorité à de vraies solutions à la crise climatique en éliminant progressivement et équitablement les combustibles fossiles et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’en soutenant les nombreuses alternatives décentralisées, diversifiées et facilement disponibles pour des modes de production et de consommation socialement et écologiquement durables, y compris la mise en place d’un financement climatique par les pays riches selon leurs parts équitables/ actions participatives.

Notes
- [1] Russell LM, Rasch PJ, Mace GM, Jackson RB, Shepherd J, Liss P, Leinen M, Schimel D, Vaughan NE, Janetos AC, Boyd PW, Norby RJ, Caldeira K, Merikanto J, Artaxo P, Melillo J, Morgan MG. Ecosystem impacts of geoengineering : a review for developing a science plan. Ambio. Juin 2012 ; 41(4):350-69. doi : 10.1007/s13280- 012- 0258-5. Epub 2012 Mar 20. PMID : 22430307 ; PMCID : PMC3393062.
- [2] https://www.oneearth.org/marine-geoengineering-a-dangerous-distraction-from-real-climate-action/
- [3] Les résolutions LC-LP.1(2008) et LC-LP.2(2010) définissent le cadre dans lequel (i) les activités de fertilisation des océans autres que la « recherche scientifique légitime » ne sont pas autorisées et (ii) les opérations commerciales ou autres déploiements à grande échelle sont exclus de la définition de la «  recherche scientifique légitime ».
- [4] Examen de haut niveau d’un large éventail de techniques de géo-ingénierie marine proposées (en anglais)
- [5] https://map.geoengineeringmonitor.org/srm/marine-cloud-brightening-project-(mcbp)
- [6] https://map.geoengineeringmonitor.org/other/seafields-solutions-ltd-giga-farm-in-the-south-atlantic- gyre
- [7] https://www.geoengineeringmonitor.org/2021/04/enhanced-weathering-factsheet/
- [8] A/HRC/54/47 Rapport du comité consultatif du Conseil des droits humains sur l’impact des nouvelles technologies destinées à la protection du climat sur la réalisation des droits humains, septembre 2023

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