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Déclaration de la société civile sur les mesures compensatoires et les crédits en faveur de la biodiversité

Mercredi 30 octobre 2024

Plusieurs centaines d’organisations de la société civile et des milieux de la recherche dans le monde alertent sur le danger des mesures compensatoires et les crédits en faveur de la biodiversité, qui font partie des discussions de la COP16.


Nous, soussignés, exprimons nos vives inquiétudes concernant les systèmes de mesures compensatoires et de crédits en faveur de la biodiversité, ainsi que les systèmes d’échange connexes. Les marchés de la biodiversité sont calqués sur les marchés du carbone, qui présentent de graves lacunes. En outre, ces systèmes présentent des problèmes et des dangers insurmontables :

Une mauvaise réponse à une mauvaise question

- La justification qui est avancée pour justifier les mesures compensatoires et les crédits en faveur de la biodiversité est qu’il existerait un fossé énorme entre les fonds qui sont nécessaires et les fonds disponibles pour la protection de la biodiversité. Les crédits et compensations en faveur de la biodiversité s’appuient sur un modèle « forteresse » de la conservation, considéré du haut vers le bas, qui est extrêmement inefficace et coûteux et qui a souvent donné lieu à des violations des droits humains. Ce modèle n’est pas la bonne solution pour lutter contre la perte de biodiversité.
- Au lieu de cela, d’autres formes éprouvées de protection de la biodiversité, telles que la désignation légale des territoires des peuples autochtones et des réglementations environnementales appliquées strictement devraient être mises en œuvre.
- Il existe un déficit dans la prévention et la réglementation des activités destructrices de biodiversité, estimé à 7 000 milliards de dollars annuels en 2023. La réforme et la réorientation des subventions nuisibles, estimées à 1 700 milliards de dollars en 2022 et l’octroi d’un financement public sous forme de subventions sont de bien meilleurs moyens de combler le déficit de financement, évitant ainsi le recours à des systèmes de financement risqués.1
- Tout comme la compensation des émissions-carbone freine les ambitions climatiques, la compensation de la biodiversité ne fera que retarder l’adoption de mesures urgentes pour combattre les causes profondes de la perte de biodiversité.

Compensation et écoblanchiment

- Les engagements cumulés en matière de réduction des émissions de carbone d’origine terrestre, avant la mise en œuvre des nouveaux crédits de biodiversité d’origine terrestre qui sont en train d’être développés, s’élèvent d’ores et déjà à 1200 millions d’hectares dans le monde, soit presque autant que l’ensemble des terres agricoles disponibles.2 Il n’existe plus assez de terres pour compenser les émissions de carbone ou la perte de biodiversité sans déplacer des populations et compromettre les systèmes alimentaires.
- Sur la base de la longue expérience dans les crédits carbone, les affirmations selon lesquelles les crédits de biodiversité sont des « contributions supplémentaires » à la protection de la biodiversité et ne seraient pas utilisés en fin de compte à des fins de compensation sont soit naïves, soit mensongères.3 Si des crédits de biodiversité sont achetés sans intention de les utiliser à des fins de compensation, ils sont très probablement achetés à des fins de spéculation et d’écoblanchiment.

Échec en matière d’équité et de droits

- Les marchés internationaux de la biodiversité pourraient permettre aux élites, en particulier dans le Nord, de continuer à détruire les écosystèmes, tout en achetant des crédits compensatoires abondants et bon marché dans le Sud.
- La compensation de la biodiversité peut créer des conflits vis-à-vis des droits fonciers et l’utilisation des terres, des pêcheries et des forêts, entrant en concurrence avec l’agroécologie et l’agriculture des petits paysans, et compromettre la souveraineté alimentaire. Elle entraînera probablement des accaparements de terres, déplacements de communautés, et une augmentation des inégalités foncières4 et des violations des droits humains comme c’est déjà le cas pour la compensation carbone.5
- Les peuples autochtones, les communautés locales, les paysans et autres petits producteurs d’alimentation, les femmes et les jeunes, qui sont les gardiens de la majeure partie de la biodiversité de la planète, ne reçoivent généralement qu’une fraction des recettes des projets de compensation menés sur leurs terres, alors que les promoteurs de projets et les intermédiaires financiers empochent la plus grande part. Il est en outre peu probable que les ressources générées par l’offre et la demande du marché soient accessibles de façon équitables aux communautés.

Perpétuer les échecs du marché

- La marchandisation de la nature par l’évaluation monétaire des fonctions des écosystèmes et la création de marchés de la biodiversité s’oppose fondamentalement aux cosmogonies et aux visions de l’environnement de nombreux peuples autochtones et autres communautés, qui considèrent la nature comme notre mère, et non comme une marchandise6.
- Les mesures compensatoires et les crédits de biodiversité permettent aux marchés privés de fixer les prix et les priorités des actions en faveur de la biodiversité, réduisant ainsi le rôle des gouvernements dans la protection de la biodiversité en tant que bien public. La protection de la biodiversité basée sur les marchés, motivée principalement par des considérations financières et de la spéculation à court terme, ne peut pas s’aligner avec les connaissances scientifiques sur les besoins de priorisation des espèces et des écosystèmes7.
- Les mécanismes de compensation reposent typiquement sur la création d’un scénario futur évaluant ce qui se serait passé si le projet n’avait pas été compensé. Or de tels scénarios de référence se sont avérés extrêmement faciles à manipuler, donnant lieu à des crédits erronés et sans vidés de leur valeur.
- Il est difficile de prouver « l’additionnalité » d’un projet, car il est impossible de démontrer que les résultats de la conservation n’auraient pas eu lieu dans un autre cas de figure. Atteindre la « permanence », c’est-à-dire démontrer que les changements positifs perdureront dans le temps, est intrinsèquement impossible. Les « fuites », c’est-à-dire les cas où les effets négatifs sur la biodiversité ne font que se déplacer ailleurs, constituent un risque tangible.
- Les problèmes liés à l’additionnalité, à la permanence, aux fuites et à la manipulation de la base de référence seront beaucoup plus graves et difficiles à résoudre sur les marchés de la biodiversité que sur les marchés du carbone, où ces problèmes sont déjà légion.

Méthodes de mesure insuffisantes

- La recherche d’une unité commune à des fins de comptabilisation de la biodiversité impliquerait une simplification excessive du fonctionnement des écosystèmes et des valeurs qui les régissent. Il n’est pas possible de simplifier des millions d’espèces et leur réseau complexe d’interdépendances en les réduisant à quelques actifs négociables8.
- Les propositions visant à mesurer les gains de biodiversité reposent sur des méthodologies médiocres, dont beaucoup permettent de sélectionner des indicateurs, en ignorant des attributs importants et uniques des écosystèmes.
- Les différentes manières de vivre de, dans, avec et comme la nature illustrent les défis que représentent la prise en compte des diverses valeurs des peuples, qui ne sont ni comparables ni interchangeables9.

Recettes incertaines

- Les « investissements » réalisés sur les marchés de la biodiversité seront instables et changeants, ce qui entraînera des fluctuations imprévisibles des revenus pour les bénéficiaires et des incitations économiques inconstantes pour la conservation10.
- Aucune grande entreprise n’a confirmé son intérêt pour l’achat de crédits de biodiversité. En outre, elles se retirent des marchés du carbone après la révélation récente de leurs défauts inhérents. Il y a tout lieu de penser que le marché de la biodiversité suivra la même voie. Mauvaise gouvernance et conflits d’intérêts
- Il n’existe pas de réglementation efficace fondée sur les droits de l’Homme et le droit de l’environnement. Les mécanismes de compensation et de crédits biodiversité qui entraînent des violations des droits de l’homme ou qui ne respectent pas les normes environnementales minimales sont rarement sanctionnés.
- L’implication centrale d’organisations telles que Verra est très problématique. Elles ont été responsables de l’émission de centaines de millions de crédits carbone fictifs et n’ont pas été en mesure d’empêcher les violations des droits humains dans les projets qui ont été audités conformément à leurs normes11 .
- L’expérience des marchés du carbone nous a montré qu’il existe un conflit d’intérêts lorsque c’est la même organisation qui bénéficie financièrement de l’émission de crédits tout en supervisant le processus de normalisation et de validation et vérification par une tierce partie.

Les crédits biodiversité et les mécanismes de compensation sont une fausse solution à un faux problème - il y a d’autres approches bien plus efficaces pour augmenter les financements pour la biodiversité, sans avoir recours à ces mécanismes risqués. La compensation de la biodiversité, comme la compensation du carbone, permet aux pays riches, aux entreprises, aux institutions financières et à d’autres acteurs de tirer profit de la crise de biodiversité qu’ils ont créée et de maintenir le statu quo, en évitant de prendre des décisions politiquement difficiles pour réglementer les activités destructrices au niveau national, tout en créant une nouvelle classe d’actifs pour leurs secteurs financiers.

Nous appelons les gouvernements, les organismes multilatéraux, les organisations de protection de la nature et les autres acteurs à mettre un terme à la promotion, au développement et à l’utilisation des mécanismes de compensation et de crédits biodiversité. Au lieu de cela, nous leur demandons de donner la priorité aux changements transformationnels en s’attaquant aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, notamment en promouvant une réglementation plus stricte des activités nuisibles réalisées par les entreprises ; en reconnaissant, respectant, protégeant et promouvant les droits fonciers des peuples autochtones, des communautés locales, des petits producteurs alimentaires et des femmes ; en stoppant les flux financiers et investissements nuisibles à la biodiversité et aux peuples ; en supprimant les subventions gouvernementales nuisibles ; en modifiant les modes de production et de consommation, en particulier ceux des pays riches ; en soutenant une juste transition, y compris la ransformation des systèmes alimentaires vers l’agroécologie ; en veillant à ce que les fonds soient versés directement et équitablement aux peuples autochtones, aux communautés locales, aux petits producteurs alimentaires, aux femmes et aux jeunes pour des approches communautaires ; en recherchant des moyens de conservation efficaces et équitables et en prenant des mesures immédiates pour réduire progressivement l’approvisionnement et l’utilisation des combustibles fossiles.

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