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Pour des politiques étrangères féministes transformatricesMardi 21 octobre 2025 Lors d’une journée féministe le 21 octobre 2025 à Paris à l’occasion de la 4e Conférence ministérielle des diplomaties féministes accueillie par la France, des organisations de la société civile du monde entier ont publié cet appel en faveur de politiques étrangères féministes transformatrices. |
Appel de la société civile en faveur de politiques étrangères féministes transformatrices
Déclaration à l’occasion de la Conférence sur la politique étrangère féministe – Paris, octobre 2025
Nous, organisations de la société civile mondiale, mouvements féministes et défenseur·es des droits humains signataires, adressons à la Conférence sur la politique étrangère féministe un message unifié. Nous adressons nos remerciements au gouvernement français pour l’organisation de ce rassemblement important. Nous saluons également les efforts pionniers des décideur·es politiques qui ont élargi notre compréhension collective des politiques étrangères féministes pour les rendre intersectionnelles, décoloniales et centrées sur la justice systémique. Leur leadership constitue le socle de l’avenir. Nous invitons tous les États engagés en faveur de l’égalité de genre à adopter cette vision holistique.
Le fossé entre les ambitions et les promesses des politiques étrangères féministes et leur mise en œuvre actuelle demeure important. Pour combler ce fossé, il faut un engagement politique soutenu et audacieux, un alignement stratégique et des ressources appropriées. Pour qu’une telle politique réalise son potentiel transformateur, elle doit dépasser les gestes symboliques et contribuer réellement à la refonte des normes et des pratiques. Elle doit être une véritable transformation de la manière dont les États exercent le pouvoir. Elle doit s’ancrer dans les piliers essentiels que sont l’agenda Femmes, Paix et Sécurité (FPS) et les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR), et aller au-delà, afin de s’attaquer aux causes profondes et interdépendantes des inégalités. Il ne peut y avoir de véritable politiques étrangères féministes sans autonomie corporelle, et pas d’autonomie corporelle sans justice climatique, justice économique, justice sociale, justice pour les personnes handicapées, éducation et absence de violence pour toutes les femmes, filles et adolescentes, dans toute leur diversité, ainsi que pour les personnes LGBTQIA+. Pour passer des discours à la réalité, nous exigeons une action urgente dans les domaines suivants :
Les principes féministes sont une base universelle et indivisible pour l’élaboration des politiques. Ils ne doivent pas être appliqués de manière sélective ni considérés comme facultatifs. Pour rester crédibles et efficaces, les politiques étrangères féministes doivent dépasser les engagements superficiels et contribuer de manière substantielle à la transformation des systèmes mondiaux et des structures de pouvoir, en s’engageant véritablement en faveur de l’égalité des genres et des droits fondamentaux des femmes.
Nous appelons à la mise en place de politiques étrangères féministes fondées sur les droits humains, l’antiracisme et l’intersectionnalité. Elles doivent explicitement viser à démanteler les systèmes imbriqués du patriarcat, du colonialisme, du capitalisme, du validisme, du classisme et du racisme qui perpétuent les inégalités mondiales.
Nous dénonçons l’hypocrisie des doubles standards. Les États ne peuvent prétendre défendre le féminisme à l’international tout en adoptant des politiques frontalières racistes et violentes, en promouvant des modèles économiques extractivistes ou en réduisant les dépenses sociales, y compris en démantelant les services publics dans leur propre pays. Une politique étrangère féministe ne peut condamner les violations des droits humains dans un pays tout en armant ou en soutenant les responsables de ces violations dans un autre.
Nous exigeons un changement de l’ordre économique mondial. Les femmes et les filles contribuent à hauteur d’au moins 10,8 trillions de dollars par an à l’économie mondiale par leur travail domestique et de soins non rémunéré (Oxfam, 2020). Une véritable politique étrangère féministe doit défendre la justice de la dette, les réparations climatiques et la décolonisation de l’aide et du commerce. Elle doit promouvoir une économie mondiale du soin et des politiques fiscales au service des communautés, non des entreprises.
Nous appelons à renverser les approches militarisées de la diplomatie, de la sécurité et de la paix, à réduire l’influence de l’industrie de l’armement et à investir plutôt dans des approches non violentes, démilitarisées et fondées sur les droits humains, qui favorisent un dialogue créatif et inclusif centré sur les voix des femmes, des jeunes et des communautés marginalisées.
Une politique étrangère féministe doit s’engager en faveur de l’autonomie corporelle dans le cadre de politique extérieure. Elle doit réaffirmer ses engagements existants, tels que la CEDAW et l’Agenda Femmes paix et sécurité, ratifier les protocoles en suspens, lever ses réserves et pleinement transposer ses obligations au niveau national.
Les déclarations diplomatiques sont vides sans engagements budgétaires. Nous appelons les gouvernements à assurer une cohérence totale entre leurs ambitions féministes et leurs décisions financières. Défendre des politiques étrangères féministes tout en réduisant l’aide publique au développement ou les financements aux organisations de base est une contradiction profonde.
Nous demandons un changement radical dans l’allocation des ressources. Malgré leur impact reconnu, les organisations de défense des droits des femmes ne reçoivent qu’une infime part de l’aide internationale. En 2020-2021, seulement 4 % de l’aide bilatérale totale destinée à l’égalité de genre comme objectif principal est allée directement à ces organisations (OCDE, 2023). Cela doit changer. Il ne s’agit pas seulement d’un écart, mais d’une menace existentielle. Une récente enquête menée par ONU Femmes a révélé les conséquences désastreuses de cette situation, montrant que près de la moitié des organisations de femmes œuvrant dans des contextes humanitaires et de crise pourraient être contraintes de fermer leurs portes dans les six mois à venir en raison de coupes budgétaires, abandonnant ainsi les communautés qui dépendent d’elles. (ONU Femmes, 2025)
Nous demandons un financement direct, flexible et durable pour les mouvements féministes de base et les organisations de défense des droits des femmes. Ce sont les actrices du changement les plus efficaces. Il est essentiel de garantir des financements pluriannuels, essentiels et flexibles ; supprimer les contraintes réglementaires qui excluent les groupes locaux ; financer la justice linguistique et l’accessibilité. Il est temps de démanteler les barrières bureaucratiques qui empêchent les ressources de leur parvenir. Plus de 99 % de l’aide au développement et des subventions accordées par les fondations en faveur de l’égalité de genre ne parviennent toujours pas directement aux organisations féministes et de défense des droits des femmes qui œuvrent sur le terrain (AWID, 2021). Des pratiques exemplaires existent et doivent être étendues : des mécanismes comme le Global Fund for Women, Mama Cash, We are Purposeful, Black Feminist Fund et Leading from the South Initiative prouvent qu’il est non seulement possible, mais aussi plus efficace, de fournir un financement direct basé sur la confiance.
Nous appelons à investir dans la justice économique féministe et la transition climatique. Actuellement, les financements climatiques ne sont pas accessibles aux organisations féministes et de défense des droits des femmes. Nous demandons que les critères nécessaires à la transformation des inégalités de genre soient intégrés au Fonds vert pour le climat, au Fonds d’adaptation et au Fonds pour les pertes et dommages, avec la participation de la société civile dans les décisions. Nous exigeons un accès direct à des solutions climatiques justes en matière de genre, à des actions climatiques menées par des femmes et des communautés, au soutien aux petites agricultrices qui sont en première ligne face au changement climatique, et à des programmmes visant à réduire et redistribuer le travail de soins non rémunéré, comme par exemple les centres de soins (manzanas del cuidado) à Bogota, en Colombie.
Les progrès en matière d’égalité de genre ne sont pas linéaires ; ils sont remis en cause. Les mouvements organisés contre les droits et l’égalité des genres constituent une menace directe pour la démocratie, les droits humains, l’État de droit et la paix. Une politique étrangère féministe qui ne se prépare pas à affronter ces résistances est vouée à l’échec.
Nous appelons les gouvernements à reconnaître, anticiper et lutter activement contre le recul des droits et de la démocratie. Ce n’est pas une menace hypothétique : les attaques contre les femmes et les filles, ainsi que contre les défenseur·ses des droits humains LGBTQIA+, sont systématiques et en hausse à l’échelle mondiale (Front Line Defenders, 2023). Reculer face à la résistance ne fait qu’encourager les forces régressives. La diplomatie féministe doit être courageuse, et non prudente.
Nous exigeons une stratégie solide pour protéger et soutenir les militantes féministes et LGBTQIA+, les femmes et les filles, les défenseur·se·s des droits humains, les leaders, porte parole et leurs organisations. Cela inclut la réaffirmation publique de leur travail légitime, la mise en place de mécanismes d’aide d’urgence, le financement de leurs organisations ainsi qu’une pression diplomatique sur les États qui répriment la société civile et mettent en danger les défenseur·se·s des droits humains.
Nous insistons pour que les politiques féministes ne soient pas édulcorées sous la pression politique. Les engagements fondamentaux en faveur de l’autonomie corporelle, des droits sexuels et reproductifs et des droits des personnes LGBTQIA+ ne sont pas négociables. Les avancées normatives doivent être protégées et renforcées dans les espaces multilatéraux clés, qu’il s’agisse des Nations Unies (tels que la CSW, la CPD ou la WHA) des forums régionaux ou des contextes nationaux. Nous encourageons le recours aux groupes existants, tels que le groupe FFP+, le LGBTI Cor Group, etc., afin de défendre de manière plus proactive et visible de l’égalité de genre et des droits humains, et appelons à étendre cette voix collective à d’autres espaces, tels que le G20, la COP, le WSS, entre autres.
Les promesses ne sont pas synonymes de progrès. Pour que les politiques étrangères féministes ne restent pas une simple performance, nous devons mettre en place des cadres solides en matière de responsabilité qui reflètent la diversité des personnes concernées par la politique étrangère et placent leurs voix au centre.
Nous exhortons les gouvernements à aller au-delà des discours en établissant des objectifs concrets, assortis d’échéances précises et des indicateurs désagrégés pour suivre la mise en œuvre de leurs engagements en matière de politiques étrangères féministes. Ces indicateurs doivent permettre d’évaluer non seulement l’aide publique au développement, mais aussi les impacts sur le commerce, la défense, la diplomatie et les politiques migratoires.
Nous exigeons des mécanismes de suivi et d’évaluation transparents et féministes. Cela nécessite une participation réelle, continue et suffisamment financée de la société civile, comme des conseils indépendants de politique étrangère féministe (avec une représentation majoritaire de féministes issues de la majorité mondiale, y compris des femmes handicapées, des groupes LGBTQIA+, des jeunes et des leaders autochtones) afin de co-concevoir, suivre et évaluer publiquement les politiques étrangères féministes.
Nous appelons à la poursuite des conférences sur la politique étrangère féministe, organisées chaque année dans un pays hôte différent, en tant qu’espaces de discussion essentiels. Les mouvements féministes et la société civile devraient être des partenaires clés dans la conception conjointe de ces espaces et processus dès le premier jour.
La Conférence de Paris 2025 est un moment de vérité. Nous pouvons nous contenter d’une version dépolitisée et instrumentalisée des politiques étrangères féministes, ou saisir cette opportunité pour faire avancer une véritable transformation.
Nous, sociétés civiles féministes, sommes les architectes et les gardiennes de cette vision. Nous ne sommes pas de simples parties prenantes à consulter : nous sommes le moteur du changement. Nous sommes prêtes à collaborer avec toutes celles et ceux qui souhaitent réellement démanteler les systèmes d’oppression et construire un monde fondé sur la paix féministe, la justice et l’égalité.
Nous appelons les États membres à nous rejoindre avec courage, cohérence et conviction. Le moment d’agir est MAINTENANT.
En ligne en différentes langues et accès à la liste des signataires : https://www.feministdiplomacylab.org/news/a-civil-society-call-for-transformative-feminist-foreign-policies