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Le rapport Brundtland, 20 ans plus tardArticle de Harvey Mead, président de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) 2008 Cet article figure dans la réédition de "Notre avenir à tous", par les Editions Lambda, en 2005. |
La relecture de ce rapport près de vingt ans après son dépôt à l’Assemblée générale des Nations unies en 1987 est frappante à plus d’un égard. D’une part,on ne peut éviter le sentiment d’urgence qui animait les commissaires, et la permanence de ce sentiment, mais dans un contexte encore plus préoccupant. D’autre part, on constate, comme lors de la première lecture, la lucidité des commissaires dans leur analyse des enjeux et dans leurs recommandations sur les approches à préconiser pour y faire face. Finalement, alors que la conjugaison des événements du 9 septembre 2001 et de la « destruction » de La Nouvelle Orléans en 2005 souligne les deux faces de la sécurité, on est frappé de voir les commissaires insister avec prescience sur le fait que « la crise de l’environnement constitue un danger pour la sécurité d’un Etat – et même pour sa survie – peut-être plus menaçant que ne le serait un voisin mal disposé et bien armé ou une alliance inamicale » (pp. 8-9 de l’édition actuelle).
Notre avenir à tous est toujours d’une brûlante actualité, et après vingt ans, il faut l’avouer, la lecture en est plutôt douloureuse. Il est clair que les nations, que les populations de la planète n’ont pas réussi à relever les défis identifiés par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Un regard sur les orientations politiques esquissées, en fonction de la situation actuelle,ne peut que suggérer à de nombreux intervenants que la situation est pire qu’il y a vingt ans : la population a continué à exploser, bien qu’à un rythme ralenti, et le Sommet de Johannesburg en 2002 portait toujours sur la pauvreté ; l’insécurité alimentaire persiste pour quelque deux milliards de personnes et la production alimentaire par personne atteignait son sommet dans le monde alors que le rapport était en rédaction ; la disparition des espèces et la perte des ressources génétiques - « des ressources pour le développement » - constituent toujours des défis de plus en plus grands ; une stratégie pour le développement énergétique était et reste cruciale, mais nous ne l’avons pas plus entre les mains aujourd’hui que nous ne l’avions il y a vingt ans ; la production industrielle réussit peut-être à « produire plus avec moins » mais, en quantités absolues, les pressions sur les ressources sont sans égales dans l’histoire alors que des pays comme la Chine et l’Inde commencent à prendre leur place dans l’économie mondiale.
La Commission ne manquait pas de perspicacité en ce qui a trait aux établissements humains, mais l’exode rural est maintenant planétaire et la gestion des agglomérations urbaines comporte des défis énormes. Plusieurs problèmes globaux, dont l’état des océans et les ressources qu’ils recèlent, ainsi que les changements climatiques, émergent avec plus d’acuité qu’il y a vingt ans.
Après avoir adopté Notre avenir à tous comme outil de travail fondamental lors de sa publication, je me suis retrouvé quelques années plus tard au poste de sous-ministre adjoint au Développement durable et à la Conservation du ministère de l’Environnement du Gouvernement du Québec. Je travaillais au sein d’une équipe de bons gestionnaires expérimentés, chacun avec sa surcharge habituelle de travail et aucun ou presque n’ayant une expertise particulière dans le domaine du développement durable. Lorsque nous avons finalement commencé à examiner le document, le premier commentaire a été que Mme Brundtland était une marxiste. Un autre collègue a jugé bon de faire circuler une « réfutation » du Rapport de la Commission par un économiste qui insistait pour dire que tout allait bien.
L’incident est révélateur des énormes défis politiques dont les commissaires ne parlaient pas ouvertement, mais qu’il faut surmonter si les nations de la planète veulent affronter avec succès les problèmes contemporains de l’humaniteé que la Commission mondiale sur l’environnement et l’environnement a cernés avec tant de profondeur : l’un de ces défis était l’acceptation du rapport lui-même. Les réponses officielles n’ont pas tardé, cependant, et étaient encourageantes : la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, dont la planification a commencé dès le dépôt du rapport, s’est tenue à Rio en 1992, vingt ans après Stockholm ; elle représentait un effort immense de concertation à l’échelle mondiale. Les dirigeants des pays ont adopté une Convention cadre sur les changements climatiques, une Convention sur la biodiversité et une Déclaration sur les principes de gestion des forêts. Deux ans plus tard, en 1994, une nouvelle Convention contre la désertification était adoptée.
D’autres rencontres internationales dans la foulée du rapport ont porté, au Caire en 1994, sur les défis démographiques, éléments centraux de Notre avenir à tous et à Copenhague en 2000, sur les enjeux associés au développement social. Le Sommet mondial sur le développement durable tenu à Johannesburg en 2002 est même revenu sur le message clé de la Commission Brundtland, que mon collègue jugeait « marxiste », prenant l’engagement de réduire de moitié pour 2015 la pauvreté et les conditions de sous-développement prévalant dans trop de pays. En dépit des engagements de Rio, on constatait à chaque étape, et on le constate toujours et à répétition, que les bilans ne correspondent ni aux efforts ni aux attentes.
En 1999, Maurice Strong, le membre canadien de la Commission,principal organisateur de la conférence de Stockholm en 1972 et de celle de Rio en 1992, et toujours président de la Commission sur le développement durable créé à Rio pour assurer un certain suivi des travaux à l’échelle internationale, publiait son autobiographie. Son constat sur les résultats obtenus après des décennies de travail donne à réfléchir : son premier chapitre, un rapport aux « actionnaires » de la planète en date du 1erjanvier 2031, décrit une situation catastrophique qui pourrait être la nôtre « à moins que nous ne soyons très, très sages ou très, très chanceux ». Reprenant la vision de la Commission qui intégrait les composantes sociales, économiques et environnementales inéluctablement associées à tout développement, il dresse un portrait d’un monde où l’ensemble des problèmes de gestion et de gouvernance des sociétés ne correspond à aucun scenario unifié, mais plutôt à un désordre résultant de l’ampleur des défis non relevés associés à la pauvreté, aux pressions sur les ressources, à la perturbation des systèmes physico-chimiques et climatiques planétaires, aux échecs des societés à établir des conditions de vie nécessaires pour ce qu’on appelle un développement durable.
La relecture de Notre avenir à tous dix-huit ans après sa publication confirme la profondeur de l’analyse de la Commission et de la justesse des recommandations qu’elle faisait dans la décennie 1980. Sa compréhension du rôle de la pauvreté dans les efforts de gouvernance et de développement se confirme quotidiennement par le fait qu’elle perdure si visiblement. Les commissaires n’avaient sûrement pas d’illusions sur l’ampleur des défis qu’ils identifiaient. En plus de la section portant sur les orientations politiques prioritaires, d’autres sections portaient sur la coopération internationale et la réforme institutionnelle, le tout se terminant par un « appel à l’action ». En 2005, au moment où cette nouvelle édition était en préparation, un long et difficile effort visant justement une réforme en profondeur des Nations unies elles-mêmes a abouti à un échec cuisant, de l’avis de l’ensemble des commentateurs. Alors que la conférence des Nations unies réunissait le plus grand rassemblement de dirigeants d’Etats jamais convoqués, les divergences entre les quelque 180 pays représentés ont démontré une fois encore l’énorme défi que constituait le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement présidée par Gro Harlem Brundtland.
Comme l’ont démontré les commissaires par leur grande expérience et leur profonde compréhension des défis d’un développement durable, la sécurité de la planète est toujours à risque, presque sûrement plus aujourd’hui qu’à leur époque. Non seulement les enjeux sur le plan du développement ne semblent-ils pas devoir être pris globalement en main pour bientôt, mais encore les outils institutionnels nécessaires pour le faire ne sont pas eux non plus au rendez-vous, et l’appel de Maurice Strong nous interpelle avec force. En dépit de tout cela, la lecture de Notre avenir à tous, qui rend manifestes le courage et la justesse de vision de ses auteurs, tout comme le démontrent par la suite les engagements permanents de plusieurs d’entre eux, nous encourage à poursuivre. Ce rapport continue toujours de nous tracer la voie.
Harvey Mead, président de l’Union Québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), septembre 2005
Site de l’Union québécoise pour la conservation de la nature