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« Urgence RDC » contre les violences sexuelles dans la région du Kivu

Pourquoi ce silence ?

Mardi 13 janvier 2009

Tous les jours quarante femmes sont victimes de viol à l’Est de la République Démocratique du Congo. Les victimes ont de cinq mois à quatre-vingts ans et le viol n’est qu’un degré sur une échelle de violence qui atteint des sommets monstrueux. Les enquêtes et les rapports officiels se succèdent, les barbaries aussi. La région, précisons-le, est riche en minerais, dont le précieux coltan, convoité par les armées et milices qui terrorisent la population et la lancent sur les routes - pour avoir le champ libre ? En France, un collectif d’ONG féministes se crée pour exiger la fin des violences contre les femmes et de l’impunité des agresseurs de tous bords.


Le 13 janvier 2009, plusieurs associations féministes et de défense des droits humains organisent à Paris une réunion de travail pour « créer un collectif sur la République démocratique du Congo (RDC) afin de dénoncer et d’agir contre les violences sexuelles faites aux femmes et filles ». La situation n’est pas nouvelle dans cette région qui connaît une série de conflits armés depuis plusieurs années, essentiellement localisés dans les provinces du Kivu, à l’est et au nord du pays. Mais depuis la reprise violente, en août 2008, des combats entre l’armée régulière congolaise et les rebelles de l’ex-général tutsi Laurent Nkunda, le recours des combattants à la violence sexuelle s’est exacerbé.

 « Tragédie oubliée »

La région est redevenue une zone dangereuse pour tous ses habitants. Sans avoir où se réfugier, 250 000 personnes sont jetées sur les routes. « Plusieurs mois après la conclusion d’un accord de paix visant à mettre un terme au conflit dans la province du Nord Kivu, des civils continuent d’être tués, violés, enlevés ou torturés par des groupes armés et des soldats des forces gouvernementales », selon un Document publié par Amnesty International le 29 septembre 2008, République démocratique du Congo. Nord-Kivu. Une guerre sans fin pour les femmes et les enfants. Très documenté, il comporte de nombreux témoignages de victimes et une série de recommandations.

Rama Yade, la Secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des droits de l’Homme en France, est rentrée secouée par son voyage en RDC en juin 2008 : « J’étais dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, dans
l’est de la République démocratique du Congo, et ce que j’ai vu là-bas (...), je ne l’ai jamais vu ailleurs. Je suis réellement revenue de l’enfer ! C’est une tragédie oubliée ». (Le Parisien, 19 novembre 2008)

 A qui profite le crime ?

Située au cœur de l’Afrique des Grands lacs, la RDC est l’un des plus grands et plus riches pays du continent africain. « La région du Kivu est très riche en bois et en minerais stratégiques, tels que les diamants, l’or, le cuivre, mais surtout le coltan, indispensable dans la fabrication des téléphones portables et MP3 », explique, dans le document « Urgence Femmes en RDC » publié en novembre 2008, Mathilde Chiquita Ohin, Déléguée Afrique, chargée de la Solidarité Internationale à Ni putes ni soumises et mobilisée depuis longtemps sur cette question. « Chaque groupe armé, en contrôlant soit directement les mines, soit les points de passage douaniers, jouit de ce commerce juteux. Ceci va sans compter certains pays voisins qui veulent aussi leur part du gâteau. De plus, le commerce lié à ces ressources fait partie du circuit économique international et rapporte aussi des bénéfices à des entreprises et gouvernements étrangers » .

 Féminicide

Dans ce contexte, les violences sexuelles ont elle aussi augmenté de façon dramatique (de même que le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les combats). Alors qu’en 2002, Human Rights Watch titrait « Guerre dans la guerre » (The war within the war), dans son Document déjà cité Amnesty parle de « l’horreur persistante du viol et d’autres formes de violence sexuelle », l’ONG Care Austria de « Fémicide par le viol » (Rape Femicide). (http://www.hrw.org/legacy/reports/2002/drc/). Le conseiller d’Oxfam dans le domaine de la protection à Goma, Martin Hartberg, déclare : « C’est sans doute l’un des endroits du monde où il est le plus dangereux d’être une femme ».

En juillet 2007, Yakin Ertürk, rapporteuse spéciale du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies chargée de la question de la violence à l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences, a pu prendre la mesure de la situation. Elle a effectué dans la région une mission qui portait « principalement sur la violence sexuelle, qui est courante et commise par les groupes armés non-étatiques, par les forces armées de la RDC, par la police nationale congolaise et également par les civils ». A l’issue de sa mission, elle a dénoncé, lors d’une conférence à Kinshasa, les atrocités sexuelles en RDC comme la « pire crise » qu’elle n’ait jamais connue : « La situation alarmante dans la province du Sud-Kivu qui nécessite une action immédiate (…). Depuis dix ans, des femmes, des enfants, des jeunes filles et même des grands-mères de 80 ans sont systématiquement soumises à des viols collectifs brutaux, souvent devant leur propre famille ou leur communauté toute entière. Dans de nombreux cas, les hommes de la famille sont contraints, sous la menace d’une arme, de violer leur propre fille, leur mère ou leur sœur.

« Les atrocités perpétrées par des groupes armés sont d’une brutalité inimaginable, qui va bien au-delà du viol. Le viol et l’esclavage sont au coeur de ces « atrocités » qui visent la destruction physique et psychologique complète des femmes, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour l’ensemble de la société ». Après le viol, il est fréquent que les bourreaux tirent au fusil dans l’appareil génital de la femme ou qu’ils la poignardent dans cette partie de son corps. « Plusieurs femmes qui ont survécu à des mois d’esclavage ont raconté que leurs tortionnaires les avaient forcé à manger les excréments ou la chair des membres de leur famille assassinés », déclare Yakin Ertürk .

 Un hôpital pour les victimes

L’hôpital de Panzi, à Bukavu, à l’est de la RDC, est un des rares lieux où les femmes victimes de violences sexuelles peuvent se faire soigner. Il a été fondé et est dirigé par le gynécologue Denis Mukwege, 53 ans, qui a reçu à ce titre le Prix des Nations Unies pour la cause des droits de l’homme en décembre 2008. A cette occasion, il a déclaré : « Nous venons en ces lieux vous parler de ces femmes et de ces enfants dont le corps a été transformé en champ de bataille par les bandes armées qui ont perdu tout sens de l’humanité ». Denis Mukwege a expliqué que la violence sexuelle qui sévit dans la région des Grands Lacs est plus une stratégie qu’une simple arme de guerre. Il a également blâmé l’inaction ou l’inefficacité de certaines interventions extérieures, pourtant bien intentionnées. Il a ajouté qu’il parlait au nom des femmes du monde entier qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. Le docteur Mukwege est également lauréat du prix Olof Palme 2008 (Suède), d’un montant de 75 000 dollars, qui lui sera remis le 30 janvier 2009. Ce médecin estime à 500 000 le nombre de femmes victimes de violences sexuelles, car la majorité d’entre elles ne se fait pas connaître. Rejetées par leur famille, elles n’osent pas porter plainte ou bien, blessées et mutilées, ou vivant dans des zones reculées, elles ne peuvent pas se faire soigner.

La MONUC, présente dans le pays depuis 1999, est la plus importante des forces de maintien de la paix des Nations Unies. Elle fait ce qu’elle peut, avec ses 17 000 hommes pour un territoire grand comme cinq fois la France, aux frontières poreuses, face à des groupes de combattants très mobiles. Son chef, Alan Doss, a d’ailleurs réclamé fin 2008 des effectifs supplémentaires. Comme si cela ne suffisait pas, la MONUC a dû, à plusieurs reprises, répondre elle-même à des accusations d’abus sexuels de la part de Casques bleus sur les populations civiles !

 Echec du droit international

Cette situation perdure malgré l’adhésion de la RDC aux instruments internationaux, tels que Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) ou le Protocole sur la prévention et la répression de la violence sexuelle contre les femmes et les enfants adopté, le 30 novembre 2006, lors de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs. Protocole qui a pour objectif d’« offrir une protection aux femmes et aux enfants contre l’impunité dont fait l’objet la violence sexuelle dans le contexte spécifique de la Région des Grands Lacs »... Malgré, également, les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies : celle de décembre 2007 (Résolution 1794, 2007), demandant au gouvernement de la RDC, en coopération avec la MONUC et les autres parties concernées, de traduire impérativement en justice les auteurs de violences sexuelles ainsi que les officiers supérieurs dont ils relevaient ; et celle du 19 juin 2008 sur la paix et la sécurité pour les femmes (1820, 2008). Le Conseil s’y déclare « profondément préoccupé par le fait que, bien qu’il ait maintes fois condamné la violence contre les femmes et les enfants en période de conflit armé, notamment la violence sexuelle en période de conflit armé, et appelé toutes les parties à des conflits armés à cesser immédiatement de commettre de tels actes, ceux-ci persistent et sont, dans certains cas, devenus systématiques, généralisés et d’une brutalité épouvantable ». _ (Préambule de la résolution 1820 du Conseil de sécurité, § 8).

L’Unicef s’est alarmée de la situation et son ambassadrice de bonne volonté, l’actrice américaine Mia Farrow, a accusé les capitales occidentales d’"apathie" face aux abus commis dans l’Est de la RDC, où elle a effectué une visite en décembre 2008. "Je pense que si la population du Nord-Kivu était une communauté de gorilles, une solution aurait été trouvée depuis longtemps", a déclaré l’actrice dans un entretien avec l’AFP (16 décembre 2008).

 Mobilisation des femmes congolaises...

Les femmes congolaises n’ont cessé de déployer des efforts pour lutter contre ces atrocités. Elles ont participé à la Conférence pour la Paix, la Sécurité et le Développement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, en janvier 2008 (www. amanileo.org). Voulant « lancer avec rage un cri d’alarme vers la communauté internationale pour dénoncer les atrocités commises actuellement à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) par les groupes rebelles ainsi que par des éléments des Forces armées de la RDC », des associations de femmes de cette région ont initié la Campagne des femmes congolaises contre les violences sexuelles en RDC « pour que le corps de femmes cesse d’être un champ de bataille, pour que la violence sexuelle cesse d’être une arme de guerre, pour que les Congolaises et les Congolais retrouvent leur dignité et puissent enfin espérer vivre en paix ». Elles sont soutenues par la Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits et l’ONG canadienne Droits et Démocratie. La Campagne des femmes congolaises a lancé une pétition « Pour que la guerre en République démocratique du Congo cesse de se faire sur le ventre des femmes et des filles » .

Le 16 décembre 2008, des milliers de Congolaises ont manifesté à Kinshasa pour dénoncer "l’impunité envers les auteurs de violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants" en RDC. Elle étaient porteuses d’un message exhortant à "l’arrêt des violences sexuelles faites aux femmes et enfants utilisés comme armes de guerre" notamment dans la province du Nord-Kivu, qu’elles ont remis au chef de la Mission de l’ONU en RDC, Alan Doss. Celui-ci a déclaré : "Le message (reçu par l’ONU) s’adresse à tous les hommes. A travers le Conseil de sécurité (de l’ONU), la communauté internationale a passé plusieurs résolutions (sur les violences sexuelles) mais il nous faut entreprendre des actions quotidiennes pour changer les mentalités" (source : AFP 17 décembre 2008).

 … et des femmes de France

En France, des féministes, à l’initiative notamment de Ni putes ni soumises, relaient la voix des femmes de la RDC pour « montrer au monde leur colère devant l’inertie de la communauté internationale ». La participation de nombreuses associations et ONG au colloque du 22 novembre "Urgence Femmes RDC" les a amenées à vouloir se constituer en collectif afin de « renforcer les partenariats existants et mettre en place de nouveaux partenariats pour impliquer tous les acteurs des mouvements sociaux en vue de mener une action coordonnée plus offensive au niveau national, européen, et international contre les violences faites aux femmes dans toute la RDC », explique Mathilde Chiquita Ohin. C’est l’objet de la réunion du mardi 13 janvier pour créer le collectif Urgence RDC.

Au regard de son ampleur, cette tragédie insensée est très peu couverte par les médias. Le reportage de Christophe Boltanski pour le Nouvel Observateur, « Le viol comme arme de guerre », mérite d’autant plus d’être mentionné (4 décembre 2008).

« Et alors ? estime Mathilde. Je ne suis pas d’accord qu’une cause doive être médiatisée pour agir. »


Monique Perrot-Lanaud 12 janvier 2009

Un collectif “Urgence RDC” s’est créé Informations et contacts. L’association Ni Putes ni Soumises a lancé un manifeste "Ni violées ni brûlées" le vendredi 6 mars 2009 contre les violences faites aux femmes en RDC et dans le monde.

Sélection d’autres articles de Monique Perrot-Lanaud :

- La Clause de l’Européenne la plus favorisée, le meilleur pour les Européennes, initiative de Choisir la cause des femmes et de Gisèle Halimi. A suivre dans le cadre des élections européennes de juin 2009. Lire en ligne
- Violences masculines, symptôme de l’inégalité, sur les violences sexuelles
- Niki de Saint Phalle ou la féminité triomphante

P.-S.

Monique Perrot-Lanaud est membre d’Adéquations.
- Consulter sa présentation sur le site.

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