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Dossier "Pour un monde durable", magazine Biocontact novembre 2010

La ville durable bientôt une réalité ?

Une interview de Jean-Marie PELT par Caroline BONGIRAUD

Dimanche 14 novembre 2010

Du village aux mégalopoles, la ville grignote peu à peu les espaces naturels et agricoles. Quelles conséquences pour l’humanité et la planète ? Comment concevoir la ville durable ? Réponses de Jean-Marie Pelt, écologiste nommé par la Commission européenne ambassadeur bénévole de l’environnement de l’Union européenne.


La ville mord toujours plus sur la nature. Comment expliquer ce phénomène et quelles en sont, à court et à long termes, les conséquences pour l’homme et la planète ?

Il faut bien comprendre le phénomène. En France, il est très net : les années 60/70 ont vu une urbanisation pensée en fonction des barres et des tours, qui formaient les fameuses ZUP (zones à urbaniser en priorité), qu’on appelle aujourd’hui les quartiers et qui sont devenues des cités à problèmes. En réponse à ce type d’urbanisation dont on a bien compris les limites, on a imaginé d’autres formules. La tendance était alors de construire beaucoup de pavillons, dans les villes mais aussi dans les villages. Le pavillonnaire a peu à peu mordu sur les espaces agricoles qui s’en sont réduits d’autant, au moment où la productivité agricole est devenue un impératif en raison de la croissance démographique.

On a maintenant pris conscience, avec l’émergence des idées écologistes, que cette formule extrêmement consommatrice d’espace était à revoir : on parle de nouveau aujourd’hui de densification des espaces urbains. Par densification on pense en réalité à freiner le pavillonnaire en périphérie au profit du « petit collectif », formule intermédiaire entre le pavillonnaire et le collectif. L’exemple type est le quartier Vauban, à Fribourg, en Allemagne, où l’on associe quelques appartements et des espaces verts collectifs au sein de quartiers sans voitures, très conviviaux, offrant différents services collectifs.

Le pavillonnaire nécessite aussi d’organiser des transports en commun performants. En effet, les zones pavillonnaires ne comportant que peu d’habitants, elles ne peuvent pas, ou difficilement, être reliées de manière efficace à des services de transports collectifs. Ces espaces pavillonnaires, surtout en banlieue et grande banlieue, imposent l’usage de la voiture au quotidien, au moment où l’on se pose la question de l’avenir de la voiture individuelle, où l’on pense qu’il faut en réduire l’usage le plus possible.

Enfin, le pavillonnaire exige beaucoup d’investissements pour l’accès à l’ensemble des services des eaux (épuration, assainissement), à l’électricité, etc. C’est un mode collectif d’investissements onéreux. Ce qui explique qu’il a actuellement plutôt mauvaise presse.


Comment repenser l’aménagement du territoire pour un monde durable en tenant compte de la croissance démographique ?

Peut-être faut-il imaginer une manière plus conviviale de vivre ensemble, dans des villes où le vélo aura repris sa place, où la circulation sera apaisée, comme à Metz avec le fameux 20 km/heure, où la voiture n’a plus la priorité sur le piéton ou le vélo.

Il faut penser aussi à la présence de la nature dans la ville. Nous avons créé, avec mon ami Roger Klaine, à Metz, en 1972, le concept d’écologie urbaine. A cette époque, on ne parlait pas encore des problèmes d’énergie. L’écologie urbaine consistait à introduire de la nature à proximité des gens dans les villes. Il s’agissait d’une série de stratégies d’aménagement des espaces, y compris dans les centres-villes. C’était aussi la réappropriation par les habitants du patrimoine ; il faut se souvenir qu’à l’époque des ZUP le patrimoine, le centre-ville, les monuments historiques étaient complètement à l’abandon. Or ce sont des éléments importants pour le bien-vivre en ville, qui permettent à ses habitants de s’y retrouver en tant que citoyens. L’introduction de la nature en ville est une priorité en matière de développement durable.

La nature, c’est aussi l’eau. Sa présence en ville devient très importante : on voit d’ailleurs des fontaines apparaître ici et là.

La présence de la biodiversité aussi est très importante. D’où également un changement de conception de ce que l’on appelait autrefois les espaces verts. Il s’agissait jusque-là d’espaces très travaillés et très sophistiqués. Les villes ont aujourd’hui plutôt tendance à créer des espaces qui respectent davantage la biodiversité.

La ville durable, c’est tout cela, une ville où l’utilisation de l’espace et le bien-vivre en ville pour les habitants sont cohérents.


La ville durable n’est donc pas une utopie ?

Pas du tout. Ce qu’on a fait à Metz est tout à fait significatif de ce qui est possible. Nous étions en avance à l’époque en créant la première rue piétonne de France mais, aujourd’hui, on peut faire un constat : quand on traverse les villes, petites ou grandes, on ressent l’effort qui a été produit dans la qualité des espaces, qui n’existait absolument pas il y a 30 ans. Cela est notamment dû à l’influence du fleurissement, où l’on attribuait des étoiles aux villes les plus fleuries. Aujourd’hui, ces villes recherchent un fleurissement plus « biodiversitaire » ; elles ont donc beaucoup progressé : plus personne ne remet en question les zones piétonnes, alors qu’elles étaient violemment contestées il y a 30 ou 40 ans. Le développement durable en ville a sans aucun doute progressé.

Autre exemple : le tri sélectif. Il se pratique de manière quasi généralisée. Pour le recyclage, c’est un progrès. La combustion des ordures en revanche a posé problème : les usines d’incinération étaient très mal acceptées, et à juste titre, parce que très polluantes. Elles le sont aujourd’hui un peu moins : on va vers un autre modèle, celui du recyclage des ordures ménagères organiques avec lesquelles on produit du biogaz et, par ce biais-là, de la chaleur ou de l’électricité. La ville durable est parfaitement possible. En revanche, elle ne se fera qu’à la condition que les responsables des villes aient une forte volonté politique.


Le concept de ville durable est-il aussi applicable aux mégapoles qui s’étendent de manière incontrôlable, notamment sur le continent américain et en Asie ?

On observe, dans ces parties du monde, un phénomène, qui est moins net en Europe : c’est l’énorme poussée démographique, notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Dans ces régions, les questions d’écologie n’ont de fait pas été prioritaires, la priorité ayant été donnée au développement, mais à l’ancienne : on y construit encore les villes comme on les faisait il y a 40 ou 50 ans.

Ces villes sont des mégalopoles. Le développement durable est donc plus compliqué à intégrer. Mais on observe une certaine volonté : la Chine, par exemple, a en projet de créer des villes durables. Elles n’existent pas encore, mais on verra ce qu’elles donneront. Et cette conscience collective, que nous pourrions croire propre à notre Hexagone, est en fait planétaire. On peut donc être optimiste.


Jean-Marie PELT

Agrégé de pharmacie, botaniste et écologiste, Jean-Marie Pelt exerce de nombreuses fonctions, parmi lesquelles celles de président de l’Institut européen d’écologie (IEE), président de la Fédération européenne de recherche sur l’éducation et l’écologie de la personne et ses applications sociales (Fereepas), président d’honneur de la Société française d’ethnopharmacologie, membre du comité scientifique de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, secrétaire du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique).

CONTACT
Institut européen d’écologie, Cloître des Récollets
1, rue des Récollets, BP 74005, 57040 Metz Cedex
Tél. : 03.87.75.41.14 / i.e.e wanadoo.fr


QUELQUES LIVRES DE L’AUTEUR SUR L’ECOLOGIE
- Quelle écologie pour demain ?, éd. L’Esprit du temps.
- La raison du plus faible, éd. Fayard.
- C’est vert et ça marche, éd. Fayard.
- Le nouveau tour du monde d’un écologiste, éd. Fayard.
- L’avenir droit dans les yeux, éd. Fayard.
- La loi de la jungle, éd. Fayard.
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