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Transactions foncières à grande échelle : la menace pèse sur les pauvresCommuniqué de presse du CIRAD, 14 décembre 2011 Mercredi 14 décembre 2011 La plus grande étude réalisée à ce jour sur les transactions foncières à grande échelle met en garde contre les menaces à l’encontre des pauvres. L’étude, menée par l’International Land Coalition, le Cirad et l’International Institute for Environment and Development, pointe quatre faiblesses majeures de la gouvernance qui portent préjudice aux pauvres des zones rurales dans les pays en développement. |
L’étude la plus complète réalisée à ce jour sur les acquisitions de terres à grande échelle dans les pays en développement – publiée en ligne le 14 décembre 2011 par l’ILC (Coalition internationale pour l’accès à la terre) – révèle que celles-ci causent plus de tort qu’elles n’engendrent de bénéfices.
Plus de 40 organisations ont collaboré au projet de recherche Pressions commerciales sur les terres dans le monde, qui fait la synthèse de 27 études de cas, études thématiques et comptes rendus régionaux.
Ce rapport comprend également les dernières données disponibles du projet en cours de matrice des transactions foncières destiné à contrôler les transactions foncières à grande échelle, et couvre une période complète de dix années de transactions foncières, allant de 2000 à 2010. Ces transactions couvrent plus de 200 millions d’hectares de terres – soit huit fois la taille du Royaume-Uni.
Cette recherche a révélé certaines tendances dont les médias, dans leur récent regain d’intérêt pour les questions foncières, ont très peu parlé. Tout d’abord, les élites nationales ont un rôle beaucoup plus important dans les transactions foncières que ce qu’ont indiqué les rapports des médias jusqu’ici, lesquels ont plutôt mis l’accent sur les investisseurs étrangers.
Ensuite, la production alimentaire n’est pas le principal objectif des transactions foncières. Sur les 71 millions d’hectares de transactions que les auteurs ont pu référencer, 22 % concernaient les exploitations minières, le tourisme, l’industrie manufacturière et la sylviculture, et les trois quarts des 78 % restants destinés à la production agricole concernaient les biocarburants.
Le constat des chercheurs a révélé que bien que les transactions foncières à grande échelle peuvent créer des opportunités, elles sont plus susceptibles de causer des problèmes pour les membres les plus pauvres de la société, qui sont souvent privés de l’accès à la terre et aux ressources naturelles, lesquelles sont essentielles à leurs moyens de subsistance. « Dans les conditions actuelles, les transactions foncières à grande échelle menacent les droits et les moyens de subsistance des communautés rurales pauvres, et en particulier des femmes » déclare l’auteur principal de ce rapport, Ward Anseeuw, du Cirad.
En outre, les emplois promis ne se sont toujours pas matérialisés, et dans leur empressement à attirer les investissements les gouvernements laissent passer les opportunités à long terme de recettes fiscales et de revenus tirés de la location des terres que des transactions mieux négociées pourraient leur procurer.
« La concurrence pour les terres s’exerce de plus en plus à l’échelle mondiale et donne lieu à des inégalités de plus en plus marquées. La gouvernance déficiente, la corruption et le manque de transparence dans le processus décisionnel, principales caractéristiques de l’environnement typique dans lequel les acquisitions de terres à grande échelle ont lieu, signifient que les pauvres ne retirent que peu de bénéfices de ces transactions mais paient un prix élevé » déclare M. Madiodio Niasse, directeur du secrétariat de la Coalition internationale pour l’accès à la terre, dont les membres incluent des agences des Nations-unies, des institutions financières internationales, des instituts de recherche et des organisations paysannes et de la société civile.
Les droits fonciers précaires sont un autre problème. « Les gouvernements sont propriétaires des terres et il leur est donc facile de louer de grandes superficies aux investisseurs, mais les bénéfices pour les communautés locales ou pour les trésors publics sont souvent minimes », déclare M. Lorenzo Cotula, co-auteur, de l’Institut international pour l’environnement et le développement. « Ceci souligne la nécessité pour les communautés pauvres de se doter de droits renforcés sur les terres qu’ils occupent depuis des générations. »
« Nos conclusions confirment pour la plupart l’idée que le terme « accaparement des terres » est largement justifié » déclare M. Michael Taylor, responsable du programme Afrique et Politiques mondiales au secrétariat de l’ILC, qui a coordonné l’étude et participé en tant que co-auteur à la rédaction du rapport de synthèse.
En outre, la gouvernance économique manque à ses obligations envers les pauvres des zones rurales. Les régimes du commerce international fournissent une protection juridique solide aux investisseurs internationaux, alors que les dispositions internationales mises en place pour protéger les droits des pauvres en milieu rural ou pour assurer qu’une augmentation du commerce et des investissements se traduise par la réduction de la pauvreté et un développement inclusif et durable sont moins nombreuses et moins efficaces.
Une partie du problème tient également au fait que de nombreux responsables politiques considèrent que la petite exploitation agricole n’a aucun avenir et que l’agriculture intensive à grande échelle est la meilleure façon d’atteindre la sécurité alimentaire et de soutenir le développement national.
L’éviction et la marginalisation des pauvres des zones rurales ne datent pas d’hier. Au contraire, la ruée actuelle sur les terres représente une accélération des processus en cours, qui semble devoir se poursuivre. La conclusion de ce rapport, par conséquent, c’est que dans de nombreuses régions de l’hémisphère sud nous sommes à la croisée des chemins en ce qui concerne l’avenir des sociétés rurales, de la production agricole et des écosystèmes.
Ce rapport recommande que les gouvernements et les investisseurs :
reconnaissent et respectent les droits coutumiers des populations rurales à la terre et aux ressources,
placent la production des petites exploitations au cœur des stratégies de développement agricole,
fassent en sorte que les droits humains internationaux s’appliquent aux pauvres,
fassent en sorte que le processus décisionnel sur les questions foncières soit transparent, inclusif et responsable,
assurent la viabilité environnementale dans les décisions sur les acquisitions et les investissements affectant les terres et les réserves en eau.
Ce rapport invite instamment à adopter des modèles d’investissement qui n’impliquent pas d’acquisitions de terres à grande échelle, mais qui, de préférence, collaborent avec les utilisateurs locaux des terres, en respectant leurs droits fonciers et la capacité des petits exploitants à jouer eux-mêmes un rôle décisif en investissant pour répondre aux besoins alimentaires et en ressources futurs.
La Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC) est une alliance mondiale d’organisations intergouvernementales et de la société civile, oeuvrant ensemble pour promouvoir l’accès sécurisé et équitable à la terre et les droits fonciers des pauvres, hommes et femmes, par le biais d’activités de plaidoyer, de concertation et de renforcement des capacités. Elle se compose de 116 organisations membres dans plus de 50 pays, y compris des agences des Nations Unies et autres organisations internationales, des organisations paysannes, des instituts de recherche, des ONG et des organisations communautaires. En rassemblant des intervenants issus d’organisations gouvernementales, intergouvernementales et de la société civile, l’ILC développe des alliances pluripartites pour faire respecter le droit aux ressources des hommes et des femmes pauvres, et permet à ses membres et partenaires de collaborer à la mise en place d’un agenda foncier centré sur l’individu.
Le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) est un centre de recherche français qui travaille dans les pays en développement pour répondre aux problèmes internationaux liés à l’agriculture et au développement. Il collabore avec ces pays pour produire de nouvelles connaissances, soutenir le développement agricole et contribuer au débat sur les principaux thèmes généraux portant sur l’agriculture, l’alimentation et les territoires ruraux. Le CIRAD dispose d’un réseau mondial de partenaires et de directions régionales, à partir desquelles il mène des interventions conjointes dans plus de 90 pays. Il emploie 1 800 personnes, dont 800 chercheurs. Son budget annuel est de 214 millions d’Euros, financé aux deux tiers par le gouvernement français.
L’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED) est un institut de recherche indépendant, à but non lucratif. Établi en 1971 et basé à Londres, l’IIED offre son expertise et son leadership pour mener la recherche et parvenir au développement durable.
Les auteurs de l’étude
Ward Anseeuw est chercheur au Cirad, et basé à l’Université de Pretoria, en Afrique du Sud. Ces dix dernières années il a mené des recherches en Afrique du Sud et sur le continent africain, particulièrement sur les thèmes de la restructuration agricole, des conflits fonciers, et des réformes foncières et agraires. Il a publié de nombreux articles sur ces questions dans des revues scientifiques et avec des éditeurs de renom.
Liz Alden Wily est spécialiste en économie politique et possède plus de 35 ans d’expérience dans 15 pays d’Afrique et d’Asie. C’est une experte reconnue des régimes fonciers et de l’administration foncière dans les économies agraires, qui s’intéresse particulièrement aux questions des régimes fonciers autochtones. Elle a conseillé des gouvernements et des agences internationales en matière de politiques foncières innovantes et de conception de programmes opérationnels. Elle travaille fréquemment sur le terrain, en développant avec les populations rurales de nouvelles approches de sécurisation foncière en masse, qui touchent particulièrement les propriétés collectives.
Lorenzo Cotula est chercheur en chef, spécialiste en droit et développement durable à l’IIED (Institut international pour l’environnement et le développement), basé au Royaume-Uni. À l’IIED, Lorenzo dirige les travaux sur les droits fonciers et l’investissement dans les ressources naturelles. Il mène des activités de recherche, de renforcement des capacités, de plaidoyer et de conseil sur le terrain et aux niveaux national et international.
Michael Taylor est Responsable du programme Afrique et Politiques mondiales au Secrétariat de la Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC), basé à Rome dans les locaux du FIDA. Anthropologue social et spécialiste de l’environnement, il a travaillé sur la gestion communautaire des terres de parcours au Botswana, Mali, et Kenya, de même que sur d’autres aspects des régimes fonciers et de la gestion communautaire des ressources naturelles en Afrique et dans le monde.
Source : site du CIRAD