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Séminaire du 27 mars 2014 : "Evaluation des risques, identification des dérives, lancement de l’alerte"Vendredi 30 mai 2014 La deuxième journé du cucle de séminaires "Lancement d’alertes, enseignements et perspectives" organisé par la revue "Les Périphériques vous parlent" et Adéquations, a eu lieu le 27 mars 2014 au Palais du Luxembourg. |
En introduction, Les Périphériques vous parlent et Adéquations ont rappelé les points abordés lors de la séance inaugurale du cycle du 27 janvier dernier. Si les questions liées à l’alerte éthique dans le domaine de la santé environnementale étaient au cœur des débats et des interventions, les enjeux économiques et financiers ont également été abordés, avec les prêts toxiques entrainant les collectivités locales dans la spirale de l’endettement. Les organisateurs ont mentionné la dimension plus participative de ce deuxième séminaire et des suivants (mai, octobre, décembre), qui mettront davantage à contribution l’expertise et l’expérience des participant-es pour ce qui concerne la compréhension de l’ensemble des phases opérationnelles du lancement d’alerte.
Roger Lenglet, coorganisateur du cycle de séminaires, philosophe et journaliste d’investigation en santé publique et corruption, est revenu sur les phases préalables du lancement d’alerte : l’identification des risques et des dérives, mais aussi les modalités qui permettent de réunir les éléments d’un dossier ; ceci à la lumière d’exemples historiques marquants, comme le mercure ou l’amiante, dès le début du 20ème siècle. Il a insisté sur le fait que, si le terme de lanceuse et de lanceur d’alerte avait tendance à personnifier le lancement d’alerte, ce dernier demeurait une aventure et un processus éminemment collectifs ; dans la mesure où, justement, le principal danger qui guette le lanceur d’alerte, notamment dès qu’une alerte est lancée dans l’espace public et médiatique, c’est sa solitude face aux ripostes des acteurs incriminés (entreprises, lobbyistes…). De l’écriture d’un livre ou d’articles, du recours à l’aide d’associations ou encore à travers la sensibilisation des politiques qui peuvent légitimer une alerte sur un risque, le lanceur d’alerte doit s’appuyer sur de précieux relais qui outilleront son combat.
Annie Thébaud-Mony, sociologue, spécialiste de santé publique et des maladies professionnelles, présidente de l’association Henri Pèzerat, a abordé les alertes sanitaires sur le terrain professionnel, la concurrence des études scientifiques (toxicologiques) entre elles pour l’établissement des diagnostics et des préconisations concernant les risques et les dangers qui touchent les salarié-es.
Elle a développé l’idée que, durant les trente glorieuses, s’est opéré progressivement une confiscation et une opacification par le savoir médical de la question des maladies professionnelles qui, jusque là, s’inscrivaient pour les ouvriers - qui avaient notamment un savoir de leur maladie - dans le champ de la lutte des classes. L’expertise médicale, avec une technicisation nouvelle des diagnostics, s’est ainsi fondue dans le moule des directions d’entreprise, maîtrisant et communiquant désormais l’information sur les risques professionnels liés aux expositions à des substances ou à des matériaux potentiellement dangereux. Aujourd’hui, ce sont les ouvriers qui pâtissent le plus de leur exposition à des composants toxiques sur leur lieu de travail, notamment les personnes employées en sous-traitance, qui ne font pas l’objet d’un suivi. Et la reconnaissance des pathologies professionnelles est entravée par la mise en place d’un système de normes et de protocoles de la part des autorités médicales et de recherche qui ne répondent en rien bien souvent à l’urgence des risques encourus, et imposent un système procédurier, long et dilatoire, minimisant bien souvent les effets des expositions.
André Picot, toxicochimiste, président de l’Association Toxicologie-Chimie (ACT), a témoigné de son parcours de chimiste. En tant que créateur et ancien directeur de recherche de l’Unité de Prévention du Risque Chimique au CNRS, il a précisé les contextes et les contraintes qui pèsent sur les chimistes dès lors qu’il s’agit d’informer sur les risques et de mettre en place des mesures efficaces de prévention du risque chimique, à travers l’expertise de disciplines menacées, sinon supprimés en France comme la pharmacochimie et la toxicochimie.
Le poids des hiérarchies, les conséquences économiques des interdictions éventuelles, les effets d’aubaine économique pour les chimistes brevetant des substances de plus en plus nombreuses, freinent ou voire paralysent la prévention sur bien des plans : des maladies professionnelles, à l ‘industrie pharmaceutique…
Bruno Van Peteghem, lanceur d’alerte, prix Goldman pour l’environnement 2001 a témoigné du processus d’alerte contre la destruction du récif coralien de Nouvelle-Calédonie par l’industrie minière du nickel. Ancien stewart d’une compagnie aérienne, son combat a débuté par son opposition à une construction immobilière illégale, érigée sur un remblai tout aussi illégal du domaine public maritime de l’État à proximité de son domicile. Sa demande consistait à faire appliquer la loi française de protection des littoraux en Kanaky-Nouvelle-Calédonie.
Ensuite, du fait de son opposition aux pouvoirs en place et de son action associative pour faire inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco les récifs coralliens des lagons, qui abritent une diversité biologique exceptionnelle, il a perdu son emploi et dû quitter la Nouvelle Calédonie, dans un contexte où le droit de l’environnement local est assez disparate. Les récifs coralliens ont finalement été inscrits par l’Unesco au patrimoine mondial en 2008.
Les discussions ont fait apparaître l’importance d’une vigilance citoyenne en amont du lancement d’alerte, par exemple le fait d’utiliser les procédures de consultation, comme les enquêtes d’utilité publique qui doivent consigner les avis de tous les citoyen-nes qui souhaitent s’exprimer. Par ailleurs il faut revaloriser l’expertise citoyenne et militante, les savoirs issus de l’expérience des salarié-es par exemple, actuellement considérés comme de moindre valeur que la parole académique scientifique officielle, bien que celle-ci soit très souvent influencées par de nombreux conflits d’intérêts. Il faut également favoriser la mise en relation internationale des chercheurs indépendants, comme cela a pu se faire pour la lutte contre l’amiante, par le mouvement Ban Abestos.
Sur le plan pratique, les conseils suivants ont émergé : ne pas rester seul-e mais fédérer les cas individuels, rejoindre ou créer une association ; se documenter, rassembler la documentation scientifique y compris les études internationales (ce qui suppose d’apprendre à distinguer les études sérieuses des études biaisées par les lobbyistes) ; alerter les medias (les journalistes bénéficient d’une protection quant à leurs sources) ; se faire aider sur le plan juridique ; chercher des alliés et travailler en réseau (associations, syndicalistes, institutions, chercheurs…) ; être conscient des risques de harcèlement et des dangers encourus quand il s’agit d’affronter des situations quasiment « mafieuses ». La question d’une maison des lanceurs d’alerte et d’un fond d’appui financier tel qu’il existe dans d’autres pays a été rappelée.
La séance s’est conclue sur la nécessité de fournir plus d’informations et d’outils sur le lancement d’alerte, de recenser les pratiques et de faire connaître les dispositifs juridiques, ce qui sera fait progressivement à partir des acquis de ce cycle de séminaires.