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Articles et points de vue sur genre et développement

Genre et économie, une affaire de bon sens

Claudy Vouhé, présidente de Genre en Action

Jeudi 21 janvier 2016


Le changement social appelé par l’approche de genre est intimement lié aux contextes et aux choix politiques, économiques et culturels permettant la réduction des inégalités.

Les programmes AGLAE et Tchiwara ont duré trois ans ; ils ont touché plusieurs centaines de femmes en Afrique de l’Ouest et ont coûté 2,5 millions d’euros. Une goutte d’eau financière dans l’océan du « développement ». Pourtant, leurs enseignements sont fondamentaux et appellent à repenser à la fois les priorités des politiques et les orientations de tous les programmes et projets « d’aide au développement », au-delà des interventions économiques ciblant directement les femmes.

Ces enseignements nous rappellent d’abord que la vocation de toutes les actions mises en oeuvre et financées dans le cadre des politiques, programmes et projets de développement doit être d’améliorer le quotidien et le futur des femmes et des hommes. Des indicateurs macroéconomiques tels que le PIB ou le PNB, la balance des paiements ou le montant de la dette extérieure ne permettent pas d’indiquer si les femmes et les hommes du pays concerné exercent leurs droits humains fondamentaux, disposent du « minimum vital  » pour une vie décente au quotidien – et pas seulement une survie – et ont la maîtrise de leurs choix et de leur avenir. Placer les citoyennes et les citoyens au centre du développement redonne un sens aux interventions, quelles qu’elles soient.

Le programme Genre et économie confirme que l’amélioration des conditions de vie passe forcément par le changement social. Cependant, celui-ci est intimement lié à la sphère politique et économique. Une infrastructure économique (banque de développement, groupement de productrices, institution de micro-crédit) ou sociale (hôpital, mutuelle de santé, école) n’a d’impact durable que si elle contribue à éradiquer les facteurs qui structurent les inégalités et à équilibrer les rapports de pouvoir entre les principaux groupes de protagonistes, décideur-es, usager-es, élu-es, associations, responsables de projet, bailleurs, mais aussi, fondamentalement, entre les femmes et les hommes au sein de chacun de ces groupes. Or, les inégalités femmes-hommes se croisent avec les autres rapports de pouvoir, au coeur du jeu des acteurs. Il faut travailler la dimension genre à différents niveaux.

Par exemple, la faiblesse de la participation politique des femmes handicape la gouvernance, et la mauvaise gouvernance fausse le rôle politique des femmes. Agir sur un aspect de la question en négligeant l’autre n’a guère de sens. De la même manière, les difficultés d’accès des femmes aux ressources productives contrôlées par les hommes sont renforcées par le fait que ce sont des groupes sociaux dominants qui contrôlent ces mêmes ressources. Permettre l’accès des femmes à la terre en édictant et en faisant appliquer des lois égalitaires ne peut avoir un effet durable sur la pauvreté que si les conditions plus globales d’accès à la terre changent aussi – par exemple si l’accaparement et la privatisation des terres communales sont régulés en faveur des populations rurales. Il est évident que l’empowerment* économique des femmes est intrinsèquement lié aux conditions économiques. Il n’est jamais vain de vouloir faire bouger le curseur de la prise de décision économique dans les ménages, mais quel impact l’empowerment des femmes aura-t-il dans un contexte où les politiques macroéconomiques visent le contrôle de l’inflation plutôt que la création d’emplois durables et décents ?

Le programme Genre a également fait émerger la légitimité du changement en termes d’égalité femmes-hommes. De plus en plus, dans un monde qui se globalise, les rapports de genre sont des marqueurs de changement, mais aussi de résistance : le rôle des femmes dans la famille, leur place dans la société et les règles qui gouvernent leur accès aux ressources (environnementales, économiques, sociales, politiques, etc.) sont parfois présentés comme des spécificités culturelles, des marqueurs identitaires (voire des facteurs de résistance) face à la mondialisation. Il est évident que les femmes, comme toute personne vivant dans un monde globalisé, subissent des influences extérieures. Comment pourrait- il en être autrement ? Pourtant, les femmes et les hommes qui revendiquent des relations de genre différentes sont souvent accusés de porter atteinte à l’unité nationale, à la tradition, à la stabilité des ménages. Que cette « précaution » culturelle émane des donateurs ou des pays eux-mêmes, elle est révélatrice d’une volonté de garder le statu quo global et elle instrumentalise de fait les inégalités à cette fin. Quand les demandes de changement arrivent de l’extérieur, les uns parlent d’interventionnisme. Quand les demandes arrivent de l’intérieur, les autres évoquent le mimétisme par rapport à un modèle dominant. Le discours sur la souveraineté nationale appliquée aux inégalités femmeshommes, s’apparente parfois à la requête d’un « droit des États à disposer de ces inégalités  » comme bon leur semble, sous couvert d’« exception culturelle ». Ce discours, présenté comme idéologique, masque souvent des enjeux politiques et économiques forts. Pour légitimer les demandes de changement et protéger celles et ceux qui les portent, la mise en réseau est indispensable.

Les enseignements du programme nous interpellent enfin sur la nécessaire transformation des structures qui portent et financent le développement – leur configuration, leurs modes d’intervention, leur vision, leur écoute. Le changement organisationnel est une condition sine qua non pour le changement social. La prise en compte du genre est une valeur structurante qui a le potentiel d’ouvrir une marge de manoeuvre considérable pour transformer les organisations et ainsi les rendre plus justes, plus transparentes, plus efficaces.

Le programme Genre et économie a permis en trois ans de consolider des hypothèses portées de longue date par les défenseur-es de l’égalité de genre et d’ouvrir de nombreuses pistes pour un développement plus durable, parce que juste. Ce projet a fonctionné avec des moyens réduits comparés aux budgets du développement « aveugle », voire néfaste, à l’égalité de genre. Multiplier de tels projets et leur allouer davantage de moyens serait tout simplement une affaire de bon sens.

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