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On ne nait pas homme, on le devient

Lundi 6 mars 2017


 Le masculin, les masculinités dans le système de genre

« On ne naît pas femme, on le devient ». Quiconque s’intéresse aux enjeux de l’égalité des femmes et des hommes connaît cette assertion de Simone de Beauvoir. Le constat vaut tout autant pour les hommes : « On ne naît pas homme, on le devient ». Les attributs, qualités, rôles associés au « masculin » sont eux aussi construits par l’histoire, les traditions, les institutions et systèmes juridiques, l’éducation, la culture, les médias, la publicité, etc. Le masculin étant plus valorisé que le féminin, les garçons apprennent à devenir des hommes en se démarquant des filles et des modèles de « féminité » ainsi que des homosexuels, qui sont assimilés aux femmes.

Dans des sociétés dirigées par des hommes, le masculin a longtemps été confondu avec « l’universel » et les « hommes » avec « l’Homme » en général. C’est paradoxalement cet androcentrisme qui explique le développement plus tardif des études sur les masculinités et leur moindre diffusion, notamment dans la sphère francophone. On n’interroge pas ce qui va de soi. Selon ces critères, les femmes, en revanche, appartiennent au « deuxième sexe » et le féminin apparaît comme une particularité du genre humain, d’où sa prédisposition à constituer un objet d’étude.

La construction historique des masculinités

L’organisation patriarcale des sociétés est très ancienne. D’après l’anthropologue Françoise Héritier, les hommes, confrontés au fait que seules les femmes peuvent mettre au monde non seulement des filles qui sont leurs pareilles mais aussi des garçons, se sont organisés pour contrôler cette reproduction sociale. Si des sociétés plus égalitaires et valorisant davantage les femmes ont sans doute existé, la sédentarisation, l’agriculture ainsi que le développement de la propriété privée et des conflits armés ont accru cette différenciation et les inégalités [1].

Maurice Godelier, anthropologue qui a décrypté, dans La Production des grands hommes, les mécanismes concrets d’installation et de maintien de la domination dans une société traditionnelle, indique que si des raisons qui ont produit la domination masculine pourraient à l’origine être « non intentionnelles », « cela ne signifie en rien que les hommes installés par ces raisons […] dans une situation sociale avantageuse n’aient pas oeuvré intentionnellement et collectivement pour reproduire et élargir cet avantage » [2].

Le patriarcat est un mode d’organisation sociale où le père, le chef de famille (cf. la notion de « toute puissance paternelle ») et par extension les hommes, sont dépositaires de l’autorité. Cette domination s’est traduite par un ensemble de dynamiques qui façonnent encore en partie notre société : l’accaparement par les hommes du pouvoir symbolique (élaboration des concepts, écriture de l’histoire, art), la dévolution des femmes à la fonction reproductive ainsi que la subordination de leur sexualité à celle des hommes et la division sexuée du travail. Les femmes assurent ainsi à titre gratuit la fonction de reproduction domestique et le travail de care, les hommes le pouvoir politique et économique. Tandis que le droit et les institutions viennent conforter cette division hiérarchisée, la religion, la science et la médecine la légitiment. Quant au langage, il entérine et renforce cet état de choses : « le masculin l’emporte sur le féminin ».

Cette histoire (occidentale) n’est pas linéaire. Des époques ont connu plus ou moins de liberté pour les femmes : droit d’hériter, d’exercer des métiers, de se constituer en corporations etc. Entre la fin du XVe siècle et le début du XVIIIe siècle en France, la « querelle des femmes » a opposé partisan·es de l’égalité et conservateur·trices, dans des termes parfois proches des débats contemporains (cf. les citations historiques rassemblées plus bas). En 1789, la Révolution française proclame les droits de l’Homme et du citoyen. Pour justifier l’exclusion des femmes de cette citoyenneté (et notamment du droit de vote et de représentation), tout un discours sur la différence des sexes a été développé. Les rôles féminins et masculins s’en sont trouvés encore plus naturalisés. Médecins, scientifiques, hommes politiques, philosophes se sont attachés à démontrer que les femmes, inférieures sur le plan intellectuel, étaient par nature faites pour la maternité, l’éducation des enfants et la gestion du foyer. Le XIXe siècle voit le triomphe de la construction sociale de la virilité, dans un contexte d’instauration d’une économie industrielle, de l’hégémonie de la valeur « travail », de l’impérialisme géopolitique et de la colonisation. L’historien George L. Mosse montre qu’au XXe siècle, les guerres mondiales, le nationalisme, les régimes autoritaires, les extrémismes politiques, le racisme ont partie liée à cet « idéal masculin », qui a aussi généré ses contre-types dévalorisés (comme le « Juif » ou le « Noir ») [3].

De la virilité au virilisme

La virilité se réfère tant aux attributs sexuels physiques des hommes qu’à un ensemble de caractéristiques socialement construites et valorisées : force physique, puissance sexuelle, agressivité, courage, contrôle de soi et de ses émotions, volonté, attitude protectrice, rationalité… L’injonction à la virilité passe par la dévalorisation du « féminin » et l’homophobie. Selon Pierre Bourdieu, « la virilité est une notion éminemment relationnelle, construite devant et pour les autres hommes contre la féminité, dans une sorte de peur du féminin, et d’abord en soi-même ». Le « virilisme » désigne une exacerbation du comportement et des normes « viriles ». Il se traduit notamment par des attitudes valorisant la violence sexiste, renforcées par un confinement dans l’entre-soi masculin où être reconnu par les pairs est constitutif de l’identité. Ce virilisme a été analysé dans les quartiers paupérisés, mais aussi dans les lieux de pouvoir et de prestige. « Si une femme peut avoir de la vertu au sens romain (être “virile”), un homme ne peut pas avoir – et d’ailleurs une femme elle-même non plus – quoi que ce soit qui dénoterait la vertu par l’emblème de sa forme sexuelle. Viril n’a pas de symétrique et n’ayant pas de symétrique il a pourtant un antonyme : efféminé », Colette Guillaumin, sociologue [4].

La domination masculine, organisée par le droit et les institutions

Même si de nombreux hommes n’ont pas exercé les droits que leur conférait la loi, comme celui de s’accaparer l’autorité sur les enfants ou d’interdire à leur femme de travailler, les normes juridiques et les institutions ont influencé la construction de leur identité personnelle, les limites de ce qu’ils pouvaient juger acceptable et inacceptable.

En France, jusqu’en…

… 1910, les hommes pouvaient disposer légalement du salaire de leur femme
… 1930, seuls des hommes pouvaient étudier à l’École Centrale
… 1944, seuls les hommes avaient le droit de vote
… 1965, les hommes pouvaient interdire à leur femme de travailler ou d’avoir un compte en banque
… 1972, seuls des hommes pouvaient étudier à l’École polytechnique
… 1970, au sein d’un couple marié, le père était institué chef de famille
… 1972, la question des inégalités salariales entre femme et homme n’avait fait l’objet d’aucune loi
… 1978, il n’y avait que des hommes à l’école de l’Air
… 1980, il n’y avait que des hommes à l’Académie française
… 1990, forcer sa femme à avoir une relation sexuelle n’était pas considéré comme un viol.
… à ce jour (2016), il n’y a eu que des hommes à la présidence de la République française.

Si le modèle de masculinité dominant occidental exporté par la colonisation a développé des discours de « dévirilisation » des hommes colonisés, les assimilant à des « races » inférieures, proches du « féminin », on assiste également à l’exportation de stéréotypes de féminité. Ainsi la transposition de modèles juridiques inspirés du Code civil de 1804 – dit code Napoléon – qui consacre l’incapacité juridique des femmes mariées et la conception du ménage occidental avec un homme « chef » pourvoyeur économique et une femme « au foyer », a pu réduire l’autonomie de femmes africaines, plus importante que celles de femmes européennes à certaines époques et dans certaines cultures, notamment dans les systèmes matrilinéaires [5].

D’après Michael Kimmel, sociologue des masculinités : « Il existe évidemment un modèle traditionnel de ce que doit être un homme, même si cette définition a changé au fil des années. Mais quand je demande : “Qu’est-ce que ça veut dire être un vrai homme ? ”, la plupart des hommes que j’interroge répondent invariablement : “être fort, ne pas pleurer, être compétitif, agressif, avoir du succès avec les femmes, réussir financièrement…” Dans les années 1960, à l’époque où j’ai grandi, il y avait trois institutions majeures de socialisation : la famille, l’église et l’école. C’est là qu’on nous apprenait à être de “vrais hommes”. Aujourd’hui, j’ajouterai deux autres facteurs : les médias, et surtout, les pairs. Ce sont toujours les autres hommes qui évaluent et qui testent votre masculinité. Prenez la phrase “ça, c’est un truc de pédé” entendue à longueur de journée, ce sont presque toujours des hommes qui la prononcent. » [6]

 Les masculinités : des privilèges et des coûts ?

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les sociétés occidentales affichent un idéal égalitariste entre les femmes et les hommes et s’engagent vers l’égalité en droit. Mais ce n’est qu’à partir des années 90 que le « masculin », la « condition masculine », les « masculinités » en tant que constructions et pratiques sociales au sein du « système de genre » se sont constitués en objet d’études sociologiques. Il s’agit d’analyser, à travers les époques et les sociétés, les différents modes d’être un homme, les interactions entre hommes et avec les femmes, l’exercice de la paternité etc., mais aussi d’observer les rapports de pouvoir entre différentes classes et groupes sociaux d’hommes eux-mêmes. La masculinité « dominante » ou « traditionnelle » que ces études ont mise en valeur est héritée du mode d’organisation patriarcale de la société décrite ci-dessus, où certains groupes d’hommes accaparent des positions de pouvoir et de richesse.

Part des hommes parmi les élu.es des principales assemblées politiques
et comparaison avant/après les lois de parité.
Chiffres-clés édition 2015, ministère de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes : >>>>

Raewyn Connell, sociologue australienne de référence sur les masculinités, analyse la « masculinité hégémonique », dont la domination s’exerce sur les femmes mais aussi sur des « masculinités subordonnées » (par exemple les homosexuels en tant qu’ils sont perçus comme une menace pour l’ordre hétérosexuel dominant, ou certains groupes sociaux ou « ethniques » défavorisés subissant des discriminations). Elle parle aussi de « masculinité complice » pour désigner les nombreux hommes qui n’ont pas nécessairement des pratiques de domination mais qui bénéficient des « dividendes » du système global. Ces interactions sociales évoluent et s’adaptent en permanence.

Tout groupe social dominant a des privilèges. Ceux de nombreux hommes sont d’être déchargés de la plupart des tâches domestiques, de l’éducation des enfants, du soin aux personnes dépendantes, d’avoir plus de temps dont ils peuvent disposer librement, un accès plus facile aux ressources économiques, aux processus de décision, aux responsabilités politiques, de davantage profiter d’infrastructures de loisirs et sportives, etc. Le système binaire de genre a également organisé un double standard en matière relationnelle et de sexualité. Tandis que les femmes sont censées avoir une sexualité « sage » et monogame, voire dans certaines cultures être gardiennes au prix de leur vie de l’honneur de la famille, les hommes, répondant à de supposées « pulsions », restent valorisés pour leurs conquêtes.

Les stéréotypes, bien partagés

Paroles de femmes recueillies lors d’un « speed dating », où femmes et hommes se présentent en quelques minutes pour faire connaissance, et plus « si affinités ».

« Moi, mon prince charmant, serait un homme dynamique, ambitieux, intelligent. Je sais que j’ai besoin d’un homme qui me domine légèrement. Moi, j’ai un coeur énorme. Je suis gentille. Je suis drôle. J’ai vécu à l’étranger donc j’ai une expérience de vie assez intéressante. »

« Un gentleman, qui tient la porte, qui est avenant… »

« Quelqu’un qui est assez protecteur. J’aimais bien les stéréotypes de l’ancien temps. C’est-à-dire l’homme qui protège quand même sa famille. »

« J’aime bien les hommes jaloux, possessifs aussi. Et arrogants aussi, j’aime bien. »

« Ce que je pourrais lui apporter ? Heu… Mon corps… (rires). Le rôle de la femme, c’est, voilà, de se faire jolie. Sans être superficielle pour autant. Mais de garder son rôle de femme, c’est-à-dire que l’homme se sente valorisé par rapport à la femme qu’il a à côté de lui, tout en ayant quelque chose à dire, mais qui fait comme si elle avait rien à dire (rires). Pour moi, l’homme il doit être plus fort, pour faire un équilibre. »

« C’est marrant de dire qu’il y a toujours une femme derrière un grand homme. D’une certaine façon, c’est pas faux. Parce que l’homme a besoin de ce regard féminin et tout pour se sentir valorisé, pour avoir confiance en lui, etc. »

« Les hommes qui ont un niveau de culture inférieure parfois ils se sentent dévalorisés, inférieurs, ils n’aiment pas que la femme gagne plus d’argent, ait un meilleur boulot, fasse davantage de choses. »

« Je pense qu’il vaut mieux que ce soit lui qui gagne plus. C’est un symbole un petit peu de domination masculine. Bien évidemment que dans l’absolu, ça n’a aucune importance. Mais je pense que pour l’homme lui-même c’est important, qu’il se sente valorisé, déjà par cette position. »

Extraits du documentaire La Domination masculine de Patric Jean (Voir par ailleurs son témoignage sur le site d’Adéquations : >>>>).

Des disparités de genre dans tous les domaines

Les disparités de genre ne sont pas « naturelles ». Elles résultent de comportements « masculins » socialement valorisés entraînant notamment compétition, violences, difficultés d’accès aux ressources et au pouvoir pour les femmes.

• 178 chefs d’État et de gouvernement sur les 193 États des Nations unies sont des hommes
• 77 % des parlementaires dans le monde sont des hommes
• 85 % des chefs d’entreprises en France sont des hommes
• 1 % des professionnel·les de la petite enfance sont des hommes en France
• 82 % des films réalisés dans l’Union européenne le sont par des hommes
• 90 % des noms de rue ou de places sont attribués à des hommes
• 118 garçons sont nés pour 100 filles en Chine en 2010
• Dans le monde, les hommes vivent en moyenne 5 ans de moins que les femmes
• 97 % des détenus en prison sont des hommes
• Trois fois plus d’hommes que de femmes meurent par suicide en France
• 73 % des personnes mortes dans des accidents de voitures dans le monde sont des hommes.

Part des hommes parmi les expert.es invité.es de certaines émissions d’information entre 2012 et 2014.
Chiffres-clés édition 2015, ministère de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes : >>>>

Si les femmes subissent les effets de la masculinité dominante en termes d’inégalités socio-économiques, de violences, d’exclusion des responsabilités politiques, les hommes en supportent aussi certains coûts : pressions dues au rôle de « gagne-pain » et au surinvestissement dans le travail ; violences et discriminations à l’encontre des garçons et hommes non conformes (homosexuels, transgenres, garçons au comportement timide, adolescents petits ou fluets) ; maladies et accidents favorisés par l’injonction à prendre des risques (au travail – en particulier pour les ouvriers – dans la conduite automobile, en matière de consommation d’alcool et de drogues etc.) ; échec scolaire… Un exemple : la moindre habitude des hommes à réinvestir la sphère familiale pour y trouver le cas échéant des compensations, les rend parfois plus vulnérables au durcissement du monde du travail. Une étude montre ainsi que dans des entreprises à management autoritaire, des hommes ont tendance à vivre ces situations comme une atteinte à leur virilité, ce qui se traduit par davantage d’arrêts de travail, voire de suicides [7].

Selon Raewyn Connell «  Il peut aussi être important de montrer que les hommes ne profitent pas en bloc des dividendes masculins générés par un ordre du genre patriarcal. Il y a des niveaux de profit très différents et certains groupes d’hommes payent en réalité un prix fort (en pauvreté, en violence, en dépression) pour le maintien de l’ordre du genre en vigueur. Ce qui veut dire que certains hommes (et leur nombre ne fait qu’augmenter) tireront des bénéfices de la transformation progressiste de l’ordre du genre et qu’ils peuvent donc constituer des alliés dans le combat pour le changement » [8].

Les coûts de la masculinité s’évaluent également en termes de coût pour la société. Ainsi les répercussions économiques des violences conjugales en France sont estimées en 2012 à au moins 3,6 milliards d’euros, tandis que ceux de la prostitution, identifiés en 2015 à partir de 29 postes (coûts de la surconsommation médicamenteuse, du placement d’enfants, de l’évasion fiscale, etc.) s’élèveraient à 1,6 milliard d’euros par an [9].

Étude relative à l’actualisation du chiffrage des répercussions économiques des violences au sein du couple
et leur incidence sur les enfants en France, PSYTEL, 2014 : >>>>

 L’égalité, entre avancées et résistances

Les masculinités se reconfigurent dans le contexte de la révolution contemporaine des luttes féministes et de l’égalité des droits, caractérisées à la fois par la montée en puissance de mouvements visant la transformation sociale, et par des résistances au changement ou des stratégies de récupération.

Bien que rares, des hommes que nous qualifierions aujourd’hui de féministes en raison de leurs prises de positions publiques ont existé de tout temps. De Poullain de la Barre à Fourier, en passant par Condorcet et Stuart Mill, ils ont analysé et remis en question la domination masculine. D’abord en s’exprimant en faveur d’une éducation des filles, puis, au fil des siècles, en revendiquant l’égalité des droits, la mixité, le droit de vote, etc. Des hommes ont pris part à chaque nouvelle vague des mouvements féministes. Celle des années 1970 en a rallié le plus grand nombre et a vu la création de groupes de parole d’hommes, la volonté de certains d’analyser les manifestations de la domination masculine dans leurs comportements quotidiens, voire de s’engager concrètement dans des actions visant la transformation des rapports de sexe, avec par exemple des expériences autour de la contraception masculine.

Le féminisme, pour l’émancipation des femmes et des hommes
À la fois pensée et mouvement politique et social, le féminisme vise le plein exercice des droits des femmes ainsi que l’égalité des femmes et des hommes. Contrairement aux idées reçues, le féminisme ne concerne pas que les femmes mais bien l’ensemble de la société, car il promeut aussi l’émancipation des hommes. Plutôt que « féministes », certains hommes préfèrent se désigner comme « pro-féministes », estimant ne pas être habilités à parler au nom des femmes. L’utilisation du pluriel – « Féminismes » – permet d’évoquer les différents courants et priorités des mouvements féministes, selon les époques, les contextes, les milieux sociaux. L’anti-féminisme est le fait de s’opposer à l’émancipation et à l’égalité femmes-hommes. « Le féminisme est aussi comme une attitude individuelle face à la vie, un refus des destins tout tracés et des conditionnements étouffants […]. Ce “féminisme ordinaire” est présent dans la trame de nos vies quotidiennes : une manière de choisir un livre d’enfant, de décider de sa vie amoureuse, de répondre aux blagues sur les blondes, de s’informer autrement, de protester, de se faire respecter, d’être solidaire… », Christine Bard, historienne [10].

Si « le privé est politique » – comme l’affirmaient les féministes de ces années pour accélérer les choix législatifs favorisant des rapports sociaux plus égalitaires entre les femmes et les hommes au sein des familles – c’est dans de nombreux cas l’évolution des moeurs et la généralisation de certains comportements individuels qui ont mis les pouvoirs publics au pied du mur. L’aspiration de nombreuses mères à un meilleur partage des tâches et de certains pères à s’occuper davantage de leurs enfants se traduit peu à peu dans la loi. On notera en 1984, le droit des hommes à prendre un congé parental d’éducation (sept ans après l’accès des femmes à ce droit) et en 2002 celui de prendre un congé paternité indemnisé de onze jours dans les quatre mois qui suivent la naissance. Alors que le premier reste sous-utilisé (en 2013 les pères ne représentaient que 3,5 % des bénéficiaires du congé parental), le second en revanche est devenu très populaire : sept pères sur dix y recourent [11].

Le mariage hétérosexuel indissoluble était un fondement du système patriarcal. Les lois successives sur le divorce et la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe consacrent les évolutions sociétales relatives à la diversité et à la recomposition des modèles de famille et de sexualités. Quant à la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, en instaurant la pénalisation du client, elle rompt institutionnellement avec les représentations de l’homme soumis à des besoins sexuels

La généralisation de la mixité (scolaire, professionnelle, dans l’espace public, les loisirs, les cafés…) et les revendications de parité en politiques, traduites elles aussi par des lois, contribuent progressivement à l’égalité et réduisent les espaces « d’homosociabilité », lieux privilégiés de fabrique des masculinités. C’est le cas notamment depuis 2001 de l’abrogation du service militaire masculin obligatoire, qui pour une majorité de jeunes ne prenait déjà plus « les traits d’une école des hommes mais (faisait) seulement figure d’impôt temporel » [12].

La transition vers l’égalité reste néanmoins un processus sur le très long terme. La virilité des « gagnants » prend de nouvelles formes : diplômés d’écoles prestigieuses, dirigeants de multinationale, traders, etc. L’industrie de la consommation dans sa logique du « diviser pour mieux vendre » surinvestit la division sexuée et donc la renforce, appliquant la stratégie de type « rose/ bleu » à une gamme toujours plus étendue de produits. Parallèlement, dans un contexte où le système économique mondialisé exacerbe les inégalités, le retour des conservatismes, des extrémismes religieux et politiques font peser une menace lourde sur les acquis de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le masculinisme, une réaction à l’émancipation des femmes ?
Des mouvements dits « masculinistes » ont émergé en réaction aux changements sociaux en matière d’égalité et de droits obtenus par les femmes. Certains instrumentalisent les analyses de l’assignation aux rôles sociaux issues de l’approche de genre. Ils s’appuient notamment sur « les coûts de la masculinité » pour présenter les hommes comme les principales victimes du système de genre, en occultant les rapports de domination. Certains évoluent vers une essentialisation de l’identité masculine dont il faudrait retrouver l’authenticité en complémentarité avec le « féminin ». Selon leur raisonnement, les femmes auraient pris le pouvoir et la société devenue « matriarcale » provoquerait perte de repères des hommes et inégalités en leur défaveur. Parmi leurs thèmes de prédilection, accompagnés de données erronées, figurent les violences des femmes faites aux hommes et les entraves à l’exercice de la paternité.

Enfin, l’intériorisation des normes « masculines » dominantes par les femmes comme par les hommes continue d’être une entrave au projet d’égalité. Si promouvoir l’égalité et les droits des femmes ne consiste qu’à défendre leur participation décisionnelle à un modèle historiquement construit par la masculinité hégémonique – caractérisé aujourd’hui par les rapports de domination géopolitique et post-coloniale, la compétition économique, une hyper consommation, un mode de développement au détriment des pays pauvres, la prédation sur les ressources et la destruction des équilibres écologiques – le risque n’est-il pas de déplacer les rapports de domination sans les supprimer ? La nécessaire transformation des rapports sociaux, de l’organisation du travail et de l’exercice du pouvoir ne passe-t-elle pas par la valorisation de certaines pratiques et valeurs culturellement considérées comme féminines et dont bien des hommes peuvent aussi être porteurs ?

Dans ce contexte, il est essentiel de faire connaître et d’encourager tout ce qui favorise la diminution de l’emprise du système de genre, lequel, on l’a vu, en entravant la liberté et la créativité, pèse à la fois sur les femmes et les hommes ainsi que sur les personnes qui voudraient se définir autrement que comme « femme » ou « homme ». Seule l’articulation des prises de conscience individuelles avec des actions collectives et des mesures institutionnelles locales comme globales permettra à terme de dépasser l’actuel système de genre.

P.-S.

Cet article est extrait de l’introduction de la publication d’Adéquations « Vers L’égalité des femmes et des hommes : questionner les masculinités. Enjeux, témoignages et pratiques ».
L’ensemble du dossier associé à cette brochure est disponible ici

Notes

[1Masculin-Féminin I. La Pensée de la différence, Françoise Héritier, Odile Jacob, 1996, rééd. 2002.

[2La production des Grands hommes. Pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, Maurice Godelier, Fayard, 1982 (nouvelle édition 1996).

[3L’image de l’homme, L’invention de la virilité moderne, George L. Mosse, Abbeville, 1997 (traduction française).

[4Article « Masculin banal, masculin général » (Le genre humain, 1984), dans Sexe, Race et Pratique du pouvoir. L’idée de Nature, Côté femmes éditions.

[5Cf. notamment l’analyse de Temilola A. George sur l’histoire des femmes en politique au Nigeria dans État des résistances dans le Sud.
Mouvements de femmes, collection État des résistances dans le Sud, Éditions Cetri, Sylepse 2015 et Catherine Coquery-Vidrovith dans Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique du XIXe au XXe siècle, Paris, Desjonquères, 1994.

[6interview dans Libération : >>>>.

[7De singulières disparités de consommations sanitaires hommes femmes face au pouvoir dans l’entreprise, P. Guiol, A. Hess-Miglioretti, P. Mériot, J. Munoz dans Boys Don’t Cry

[8Interview de Raewyn Connell, professeure de sociologie à l’Université de Sydney : >>>>.

[9Étude Prostcost réalisée par le Mouvement du Nid : >>>>.

[10Le féminisme au-delà des idées reçues, Christine Bard, Le Cavalier Bleu, 2012.

[11Voir ici.

[12Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France XIXe-XXIe siècle, sous la direction de Ludivine Bantigny et Ivan Jablonka, Paris, PUF, 2009

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