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Selon Corporate Europe Observatory, l’agrobusiness veut s’emparer de la politique agricole communeDimanche 1er juillet 2012 L’avenir de la Politique agricole commune (PAC) après 2013 est actuellement en discussion. La Commission européenne propose un nouveau budget de 4,5 milliards € pour la recherche agronomique. Il y a là un enjeu hautement stratégique : les projets de recherche considérés comme prioritaires et qui recevront des financements, auront un impact sur l’évolution des pratiques agricoles. C’est pourquoi la bataille de lobbying en cours pour le contrôle de ces fonds est si importante : c’est la vision même de l’avenir de l’agriculture en Europe qui est en jeu. |
CORPORATE EUROPE OBSERVATORY
_ L’agrobusiness essaye de s’emparer de la PAC
Les lobbies de l’agriculture industrielle luttent contre toute évolution de la PAC vers une
agriculture durable.
Traduction : Les Amis de la Terre
Les industriels qui profitent du modèle actuel d’agriculture industrielle veulent toujours la même chose : des projets de recherches visant à renforcer la productivité et leur compétitivité au niveau mondial, non seulement pour l’alimentation, mais aussi pour ce secteur qu’on appelle la « bio-économie » et qui utilise les plantes pour toute une série de produits allant des plastiques aux carburants. De l’autre côté, une coalition informelle d’agriculteurs familiaux, de consommateurs, d’organisations écologistes et environnementalistes, de scientifiques et de collectivités locales essayent de promouvoir des idées et des pratiques nouvelles, dans le but de réconcilier production de nourriture, limites écologiques et bien être social. Vu les évolutions technologiques développées récemment dans ce secteur – avec leurs possibilités et leurs risques accrus - les enjeux ne peuvent être plus élevés, non seulement pour l’Union européenne, mais au-delà.
Si on analyse les propositions législatives et la puissance de feu déployée, la situation est claire. Le rapport de force entre les lobbies de l’agrobusiness et leurs opposants est de 4 contre 1 (annexe 1). Leurs moyens sont sans comparaison et leur poids politique leur a permis de maintenir leur vision de l’avenir de l’agriculture tout en haut des priorités de l’Union européenne, alors qu’il y a des alternatives prometteuses et que les preuves de l’échec actuel et futur de cette politique s’accumulent. La décision finale sur deux textes importants - la PAC et l’Horizon 2020 - doit être prise fin 2012/début 2013. Est-ce que les fonds de l’Union européenne pour l’agriculture et avec eux les perspectives pour ce secteur vont une fois encore être contrôlés par l’agrobusiness ?
Peu de politiques sont débattues avec autant d’ardeur à Bruxelles que la Politique Agricole Commune (PAC). C’est la politique la plus importante et la plus fédéralisée de l’Union et elle représente plus de 40% de son budget, soit près de 58 milliards d’euros en 2012. Les discussions en cours sur la PAC après 2013 ont atteint un nouveau niveau, lorsque la Commission publia ses propositions [1]. Elles sont actuellement débattues au Parlement européen et par les Etats membres.
Depuis 1992, la PAC a été réformée plusieurs fois. Ces réformes ont été menées principalement avec deux priorités : démanteler le système de soutien aux prix pour les matières agricoles afin de respecter les règles de l’OMC sur le commerce international, tout en maintenant des subventions à la production pour les agriculteurs ; et introduire des incitations pour la protection de l’environnement, afin de limiter les dommages écologiques provoqués par l’agriculture industrielle, dommages résultant souvent des subventions de la PAC. Ces réformes ont entraîné pour les agriculteurs une chute des revenus provenant de la vente de leurs produits, alors qu’elles ne réduisaient que marginalement les dommages causés à l’environnement. Pendant ce temps, les autres acteurs de la chaîne alimentaire (industries des pesticides et du machinisme agricole, secteur alimentaire, négociants et distributeurs…) ont continué d’engranger de gros profits.
La PAC a aussi des conséquences majeures hors de nos frontières. Le régime commercial actuel de l’Union européenne pour les aliments à destination humaine et animale [2], provoque la destruction des sources de revenus agricoles dans les pays en voie de développement, que ce soit par les exportations ou en favorisant la déforestation en Amérique « latine » provoquée par la culture du soja GM destiné aux animaux d’élevage des usines à viande européennes.
Il est essentiel de noter que ces réformes n’ont pas empêché la chute spectaculaire du nombre d’exploitations familiales (notamment dans les 12 nouveaux pays membres) [3], ces trente dernières années. Au contraire, cette tendance s’est accentuée, à cause de la détérioration des termes de l’échange et des conditions de travail des agriculteurs [4], ainsi qu’à cause des difficultés croissantes pour accéder à la terre.
Nombreux sont ceux qui ont souligné que la politique agricole de l’Union européenne était dans une impasse totale, tant sociale qu’écologique. Cet état de fait commence à être reconnu - au moins verbalement - et c’est une bonne chose, par quelques personnes en charge du dossier. Lorsque le Commissaire à l’Agriculture, Dacian Ciolos, proposa [5] d’augmenter substantiellement le budget pour la recherche et l’innovation en agriculture dans la nouvelle PAC, une des raisons invoquées concernait les défis écologiques. Cette proposition fut accueillie positivement par le Parlement européen. Mais de quelle recherche, pour quel type d’agriculture s’agit-il ?
La proposition de la Commission européenne pour la PAC après 2013 suggère de doubler le budget de la recherche agricole, en passant de 2 milliards dans l’actuel Cadre des Programmes de recherches (le septième du nom ou FP7) à 4,5 milliards pour la période de 2014 à 2020 (soit 5,1 milliards en valeur nominale). Dans le Cadre actuel, le FP7, les recherches agricoles représentaient près de 10% du financement total accordé à la recherche agricole dans l’Union européenne durant cette période (en fait l’agriculture ne recevait que la moitié des 2 milliards, le reste allant à la recherche alimentaire et les biotechnologies). Si le financement des états membres se maintien à même niveau à l’avenir, cette proportion doublerait [6].
C’est principalement grâce aux pressions exercées par le Commissaire Ciolos que ce budget a été augmenté. Conformément au projet de la PAC, l’argent passerait par le « second pilier » qui verse les fonds pour le développement rural. Ces financements sont utilisés pour cofinancer les projets volontaires des états membres, conçus pour soutenir l’agriculture et plus largement les zones rurales [7]. Il y a aussi des projets pour un Partenariat pour l’Innovation Européenne sur « Productivité Agricole et Durabilité », un nouveau réseau qui vise à accélérer le transfert de connaissances et à renforcer la collaboration entre les chercheurs et les agriculteurs [8].
Les fonds proviendront d’un nouveau cycle du budget européen de la recherche 2014 - 2020, connu dans le jargon bruxellois, sous le nom de 8ème Cadre Stratégique Commun pour la Recherche et l’Innovation ou « Horizon 2020 » [9]. Le projet final de l’ « Horizon 2020 » est actuellement l’objet de discussions au Parlement européen et dans les états membres. Il a été publié par la Commission européenne, fin novembre 2011, et affiche le chiffre de 4 422 544 millions d’euros pour « la recherche en sécurité alimentaire, en agriculture durable, les recherches marines et maritimes et la bio-économie », un des six « challenges sociétaux » catalogués dans le projet [10].
Mais comme si souvent, les difficultés surgissent dans le menu détail. Une note de bas de page explique que « à ce stade, la répartition entre les Directions Générales n’est pas fixée ». Le budget inclut aussi des recherches sur la pêche et ce que certains appellent la « bio-économie ». Que restera-t-il pour une agriculture durable ? Des sources proches de la Commission estiment qu’en gros, 50% des financements vont aller aux recherches concernant la production primaire (croissance de la plante en général). Mais il est difficile d’obtenir des chiffres plus précis, notamment parce que la DG Agriculture et la DG Recherche se disputent le contrôle de ces fonds, et qu’on attend les décisions du Parlement et du Conseil.
Les deux Directions Générales (DG) ont chacune leurs propres conceptions. La Commissaire pour la Recherche, Maíre Geoghegan Quinn pousse en faveur de la bio-économie, une approche industrielle et technologique de l’agriculture, tandis que le commissaire Ciolos est favorable à un changement dans les principales pratiques agricoles, qui s’appuie sur l’agronomie. On retrouve cette idée dans ses propositions pour « verdir » la PAC, avec l’inclusion de trois pratiques environnementales « certes modestes mais contraignantes », dans le « premier pilier », celui des « paiements directs ». Les deux points de vue sont présents dans la formulation du projet « Horizon 2020 » qui indique que le soutien à la recherche agricole portera sur des projets « qui fournissent suffisamment de nourriture, d’aliments pour le bétail, de biomasse et autres matières premières, tout en préservant les ressources naturelles et en améliorant les services des écosystèmes, ce qui comprend la lutte contre les changements climatiques et leur limitation. Les actions devront mettre l’accent sur des systèmes agricoles et forestiers plus soutenables et productifs, qui soient efficaces sur le plan des ressources (et peu carbonés) et résilients, tout en développant en même temps des services, des concepts, des politiques pour favoriser des activités économiques rurales florissantes » [11].
Mais les implications de ce débat dépassent la PAC et le projet Horizon 2020. Si l’on élargit le cadre on découvre ce qui est réellement en jeu.
La bataille d’influence commence déjà dans la façon de formuler le problème. Une stratégie utilisée par les lobbies de l’agrobusiness a été de transformer le débat sur l’agriculture et l’alimentation, en un débat sur les besoins nécessaires pour nourrir un monde affamé, avec en perspective proche une population atteignant les 9 milliards en 2050, dans un contexte de changements climatiques. Le message sous-jacent est clair : la population mondiale ne peut être nourrie que si la production alimentaire industrielle est développée et intensifiée, tant au niveau européen que mondial.
Cela passe très bien dans l’ordre du jour fixé sur le libre échange et la compétitivité mondiale, de la Commission européenne et de certains états membres comme le Royaume Uni, l’Irlande et les Pays Bas. Fondé ou pas, ce principe tend à légitimer les solutions technocratiques qui industrialisent encore plus la production alimentaire. Mais cela risque de ne plus fonctionner longtemps, pour au moins trois raisons :
- les rendements de production ont été obtenus jusqu’à maintenant au détriment de notre environnement, c’est-à-dire de notre avenir. Dans les plus anciennes régions européennes de production céréalières, les rendements céréaliers ont atteint un pic à la fin des années 90 et ont cessé d’augmenter depuis (certains ont même commencé à baisser), en raison de l’épuisement des sols [12].
L’agriculture industrielle n’atteint pas les agriculteurs affamés, car ils ne peuvent pas acheter les produits industriels. Au contraire, les petits producteurs doivent mettre fin à leur activité à cause des producteurs de monocultures et sont expulsés de leurs terres qui sont accaparées. Les communautés qui peuvent se nourrir elles- mêmes sont de moins en moins nombreuses.
La troisième faille de cette argumentation, c’est qu’elle cache le fait que nourrir le monde est moins un problème de production qu’un problème de répartition : dans les pays occidentaux, près d’un tiers de la nourriture est jeté, tandis que les subventions agricoles aux Etats Unis et dans l’Union européenne ainsi que des conditions des échanges commerciaux internationaux injustes détruisent la production alimentaire domestique dans les pays en voie de développement.
Pour résoudre ces problèmes, il est nécessaire de promouvoir des approches agronomiques et des outils dont les petits paysans peuvent tirer profit pour construire leur pouvoir de négociation, individuel et collectif, dans la chaîne alimentaire. Cela exige aussi de réformer les inégalités d’accès au foncier, plutôt que de créer encore plus d’exploitations industrielles. José Graziano da Silva, le Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) disait à peu près la même chose au début de l’année 2012 : « d’un point de vue mondial, la production alimentaire n’est pas un problème. Nous devons regarder de plus près certains pays en particulier (…) afin de développer la production de nourriture là où vivent les pauvres » [13].
La Commission européenne définit la « bio-économie » comme « tous les secteurs dont les produits découlent de la biomasse » [14]. Le terme « biomasse » provient lui-même de l’écologie - en tant que science - et désigne la mesure de la matière organique totale (morte ou vivante) dans un endroit donné. Mais ce concept a été réduit par l’industrie, à la quantité de matière organique qui peut être utilisée comme combustible ou matière première pour des procédés industriels. Ces deux interprétations différentes sont au cœur des conflits actuels concernant les futures priorités de la politique de recherche agricole de l’Union européenne.
La stratégie de la Commission pour la bio-économie (« Innover pour une croissance soutenable : une bio-économie pour l’Europe » [15]) rejoint l’exposé sur les matières premières. Comme expliqué dans le « résume pour les ‘’citoyens’’ » :
« Cette Stratégie vise à développer une bio-économie en Europe et à contribuer à la mise en forme proactive de la transition vers une économie peu carbonée, tributaire de matières premières organiques (…). La bio-économie embrasse la production de ressources biologiques renouvelables et la conversion de ces ressources et des flux de déchets en produits à valeur ajoutée, comme la nourriture, les aliments pour animaux, des bioproduits et la bioénergie ».
Le texte de la Commission est publié à un moment où les technologies évoluent très rapidement et permettent à l’industrie d’utiliser comme matériau de base, les plantes au lieu des combustibles fossiles, pour fabriquer toujours plus de produits. L’industrie des biotechnologies, par exemple, est en train de mettre au point des plantes qui produisent des plastiques [16]. Les développements récents de la biologie synthétique – une approche nouvelle du génie génétique qui a pour objectif de créer des formes de vie artificielles – pourraient produire dans un futur proche des bactéries synthétiques, capable de transformer la cellulose des plantes directement en plastique [17].
Cela peut paraître intéressant sur le papier, mais en réalité, la pression exercée sur la nature dépasse déjà les capacités de la nature à se regénérer [18]. Comment pourra-t-on produire toute la biomasse nécessaire pour ces produits ? La vie dans les sols, les écosystèmes naturels, l’eau douce et les conditions climatiques particulières qui sont les piliers de la vie humaine, sont des systèmes fragiles qui ne peuvent être exploités au-delà de certaines limites et dont nous devons prendre soin. L’actuel Commissaire pour l’Environnement, Janez Potočnik, a récemment exprimé de façon très claire ce qui était en jeu : « Il est possible de réconcilier l’agriculture et l’environnement. Cela est absolument nécessaire, pas seulement pour l’agriculture, ni pour l’environnement, mais pour notre survie à tous – celle de la race humaine et des autres espèces avec qui nous partageons cette planète » [19].
La stratégie sur la bio-économie concède « quelques inquiétudes quant aux impacts sur la sécurité alimentaire, que pourrait avoir une demande croissante en ressources biologiques renouvelables poussée par d’autres secteurs, et sur les ressources limitées en Europe et dans des pays tiers ». Les objectifs fixés par la Directive sur les énergies renouvelables pour les agrocarburants de 2009 qui furent introduits après un intense lobbying des industriels de l’automobile et des agrocarburants [20] ont provoqué une augmentation catastrophique des monocultures dans les pays du Sud [21]. Mais au lieu de conclure qu’il est nécessaire de réduire leur exploitation à des niveaux soutenables, la Commission propose de développer une industrie totalement nouvelle sur ces mêmes ressources [22].
Le texte propose aussi « des négociations pour établir, d’ici 2013, un Partenariat Public-Privé (PPP) de recherche et d’innovation au niveau européen pour des bio-industries », ce qui permettrait de multiplier les opportunités de financement des recherches prioritaires pour l’industrie des biotechnologies, avec l’argent des contribuables européens. L’industrie des biotechnologies influence déjà les appels annuels à proposition de la DG Recherche, grâce à l’influence qu’elle exerce sur plusieurs Plateformes Technologiques Européennes (PTE). Ces plateformes ont été mises en place par la Commission avec l’argent de l’Union européenne pour contribuer aux recherches de l’industrie [23]. Mais ce dont il est question ici, c’est une Initiative Technologique Conjointe (ITC) qui renforce les Plateformes pour créer un Partenariat Public-Privé entre les institutions européennes et l’industrie, permettant à cette dernière de profiter de subventions garanties sous la forme de transferts financiers directs [24]. Il existe actuellement cinq Initiative Technologiques Conjointes pour un coût pour les caisses publiques s’élevant à 3,14 milliards d’euros pour la période 2007 - 20113.
Les industriels étaient ravis de cette proposition. Joanna Dupont-Inglis, une des directrices du groupe de lobbying Europabio exprima devant la presse « son réel enthousiasme » pour cette stratégie qui pourrait entraîner, d’après elle, des recherches sur les bioplastiques et les biocarburants [25].
Business Europe un des porte-parole les plus importants de l’industrie à Bruxelles, soutient aussi le projet et a écrit au Parlement européen pour demander que la proposition de la Commission européenne de Partenariats Public-Privé dans le projet « Horizon 2020 » demeure inchangée [26].
La proposition de la Commission va bien au-delà des affaires habituelles, en proposant que plus de 20 milliards d’euros soient mis à disposition « d’activités où les industriels fixent l’ordre du jour » [27], au sein d’une composante du « Leadership industriel ». Parmi ces activités, les biotechnologies sont l’une des priorités, ce qui signifie que cette industrie va recevoir encore plus de possibilités de financement (aucun budget particulier n’est mentionné pour les biotechnologies, mais la ligne budgétaire totale pour le « Leadership dans les technologies habilitantes et industrielles » est de 14,678 milliards d’euros).
Fait plus grave encore, les Partenariats Public-Privé pour la recherche profitent sur le long terme aussi à l’industrie, en alignant la recherche scientifique publique sur l’ordre du jour fixé par l’industrie et en instituant des relations de travail entre les chercheurs publics et privés. Pourtant, l’Agence Européenne pour la Sécurité Alimentaire (AESA) a déjà affirmé que ce type de politique de recherche au niveau de l’Union Européenne ou des états membres faisait qu’il était difficile de trouver des experts sans conflits d’intérêts avec l’industrie [28].
Pour mieux comprendre la position de l’industrie, il est important de se rappeler que ce débat ne porte pas seulement sur le fait que l’industrie essaye de s’assurer des subventions publiques pour développer la « biomasse » domestique. Il s’agit aussi d’une partie de la compétition impitoyable au niveau mondial pour les ressources, afin de soutenir la création de richesse. Quatre vingt six pour cent de la biomasse mondiale se trouve dans les zones tropicales ou subtropicales. L’attrait pour les terres et la biomasse des investisseurs internationaux qui ont besoin de canaliser leurs capitaux vers des valeurs refuges, n’a jamais été aussi fort. Il s’ensuit de très nombreux accaparements des terres dans ces zones (à commencer par l’Afrique subsaharienne et les Amériques du Sud et Centrale) [29].
Les produits développés par l’industrie de la chimie et des biotechnologies permettent des retours sur investissement importants et à court terme, mais ils ont un coût social et écologique très élevé. C’est pour cela qu’il est très important pour l’industrie d’avoir le soutien politique de l’Union européenne - comme lors des discussions du sommet de Rio+20 [30] – pour cette « économie verte » pourtant si destructrice socialement et écologiquement.
Au sein de la Commission, tout le monde ne partage pas cet enthousiasme et certains ont notamment avancé que, au lieu de développer une « bio-économie industrielle », la priorité devrait être de changer les pratiques agricoles actuelles. Au sein de certains états membres aussi, il semble que l’on réfléchisse sérieusement à la nécessité de changer profondément l’approche en matière d’agriculture européenne et au type de recherches nécessaires pour soutenir ce changement. Cela se retrouve dans les conclusions du rapport du Comité Permanent pour la Recherche Agricole, un organisme chargé de conseiller la Commission européenne et les états membres sur les priorités de recherche en agriculture. On peut y lire que « la plus haute priorité de financement devrait être accordée aux démarches qui mettent en place les axes s’orientant vers des systèmes à intrants faibles mais à haut rendement, qui intègrent les connaissances traditionnelles ainsi que les principes de l’agro-écologie qui se servent des possibilités de la nature ».
Cette conclusion fait échos à celle de l’Évaluation Internationale des Connaissances, des Sciences et des Technologies Agricoles pour le Développement (IAASTD en anglais), à laquelle ont participé 900 participants de 110 pays et qui fut cofinancée par la FAO (Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture), le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’UNESCO, la Banque Mondiale, l’Organisation Mondiale de la Santé. Ce rapport révolutionnaire – surnommé par certains le GIEC de l’agriculture – explique que nous avons jusqu’à maintenant nourri le monde en épuisant le capital naturel et qu’il faut se projeter au-delà du train-train économique habituel (c’est-à-dire une approche purement productiviste), si nous voulons réellement nous attaquer à la faim et la pauvreté. Aucune solution ne peut faire l’impasse sur des thèmes plus larges et essentiels comme la durabilité, l’usage de l’eau, l’occupation des sols, la consommation d’énergie.
La scientifique allemande des climats et de l’agriculture, Nicole Freibauer, a dirigé le panel responsable du rapport du Comité Permanent pour la Recherche Agricole. Elle déclara au Parlement européen en décembre 2011 que, ce dont l’agriculture avait besoin, c’était un changement de paradigme « de la technologie vers la connaissance », laissant derrière une approche standardisée et industrielle de l’agriculture, pour aller vers une approche par écosystème. En d’autres termes, il s’agit de travailler avec la nature et non contre elle. La recherche scientifique sur les techniques agro-écologiques (contrôle biologiques des ravageurs, mélange des cultures, systèmes d’agroforesterie [31], techniques de gestion des habitats…) combinée avec une approche interdisciplinaire et participative [32] englobant des innovations sociale plus larges comme l’Agriculture Soutenue par la Communauté et d’autres formes d’agriculture urbaine, est bien plus prometteuse en terme de production alimentaire réellement soutenable, socialement et écologiquement. Des techniques biotechnologiques particulières comme la sélection assistée par marqueurs [33] (permettant une sélection conventionnelle beaucoup plus rapide et précise) pourrait aussi être utile.
Le modèle actuel d’agriculture industrielle avec ses variétés de plantes et d’animaux sélectionnés pour leur productivité et produits dans des environnements mécaniquement et chimiquement stérilisés et fertilisés, a un avantage : il est simple. Les compagnies comme Syngenta, Monsanto, Dow, Bayer, Mark… qui vendent les produits de base nécessaires (engrais, biocides et médicaments vétérinaires) continuent de nier qu’il y ait le moindre problème et de combatte toute tentative de les tenir responsables pour les dommages causés. D’après elles, l’érosion des sols, la destruction de la biodiversité, la pollution toxique de l’eau de régions complètes et de fleuves entiers, l’augmentation de la résistance des bactéries aux antibiotiques n’ont rien à voir avec leurs produits et ne sont dues qu’à leur « utilisation inadaptée » par les agriculteurs.
En février 2012, un procès contre Monsanto, tenu à Lyon, pourrait avoir ouvert une brèche. Pour la première fois, un agriculteur français a gagné un procès contre une entreprise de pesticides, suite à une grave intoxication survenue lors du nettoyage de sa cuve de pesticide. Monsanto a fait appel de la décision. L’herbicide impliqué, le Lasso, (marque déposée pour l’alachlore) fut interdit dans l’Union européenne en 2006 [34].
Ce problème de la résistance de l’agrobusiness au changement a été souligné dans le rapport du Comité Permanent pour la Recherche Agricole : « Les difficultés d’expansion de l’agro-écologie sont liées au parti pris des Systèmes de Connaissance Agricole actuels, soutenus par des intérêts économiques et institutionnels puissants et par des conditions de blocage (Vanloqueren et Baret, 2009). Comme il y a besoin de développer le paradigme agro-écologique, l’intervention de l’opinion publique est nécessaire » [35].
Il est de la première importance pour les entreprises de l’agrobusiness, vu la forte concentration de leurs marchés avec le temps, que la dépendance vis-à-vis des techniques agricoles industrielles soit amplifiée, que ce soit pour faire pousser de la nourriture ou de la « biomasse ». Et comme la promotion d’un modèle commercial alternatif ne peut se faire qu’avec l’intervention de l’opinion publique, ces entreprises n’ont de cesse de faire pression pour contrôler les fonds proposés ou au moins pour s’assurer que ces fonds ne soutiendront pas des projets qui pourraient prouver que les arguments qu’elles avancent sont erronés.
Pour imposer leur vision de l’agriculture, les multinationales de l’agrobusiness peuvent compter sur un très vaste réseau d’associations professionnelles, de sociétés conseils, de groupes de réflexion, de gouvernements bienveillants… en plus de la mobilisation de leurs propres moyens. Cette armée est très visible à Bruxelles où elle bombarde les media et les hommes politiques de ses communiqués de presse, documents d’orientation, invitations à des événements, et où elle répond à des demandes quotidiennement.
La réforme de la PAC est entièrement soumise à un lobbying acharné, mais qui est plus complexe qu’une simple opposition des intérêts de l’agrobusiness contre tous les autres. Cette dichotomie n’en reste pas moins pertinente pour le problème de la recherche, vu que ce qui est en jeu, c’est une vision globale du secteur et non pas des aspects détaillés sur comment les paiements directs devraient être gérés ou quelles devraient être les conditions environnementales pour leur versement. L’Observatoire Européen de Industrie (CEO) a trouvé que 79% des organisations qui font du lobbying sur la PAC, telles qu’elles sont inscrites dans le Registre Européen pour la Transparence, défendent probablement les intérêts de l’agrobusiness (voir annexe 1).
Un examen des dépenses de lobbying, met en évidence que les dépenses des industriels de l’agrobusiness - ainsi que de leurs principaux alliés – représentent 4 fois celles des exploitants agricoles familiaux, des consommateurs, des salariés, des collectivités locales, des ONG environnementales et des associations écologistes réunis. Ce déséquilibre est, selon toute probabilité, beaucoup plus grand étant donné que le Registre n’a qu’un caractère volontaire et que des lacunes importantes ont été constatées [36].
Effectivement, plusieurs des principales compagnies alimentaires et de distribution, ainsi que des associations professionnelles – comme Mars, Monsanto, Sara Lee, Metro, et la Table Ronde Européenne de la Distribution – ne sont pas inscrites dans le Registre. Celui-ci ne donne pas de renseignement non plus sur l’intensité du lobbying qui a cours au niveau des états membres - on peut s’attendre à ce qu’il y soit important puisque les gouvernements jouent un rôle de premier ordre dans ce débat.
Un des signes les plus visibles de ce pouvoir bien supérieur dont jouissent les multinationales dans les débats sur l’agriculture, est le nombre d’événements de haut niveau que les industriels de l’agrobusiness organisent à Bruxelles et le nombre d’intervenants de premier plan qu’ils attirent. Le « World Agricultural Forum » (Forum Mondial de l’Agriculture) est au départ une conférence à huis-clos organisée par Monsanto. En 2011, elle attira des délégués du monde entier et fut ouverte par Paolo de Castro, l’actuel président du Comité Européen pour l’Agriculture au Parlement Européen. Elle était sponsorisée par Bayer Crop Science et un certain nombre d’autres compagnies de l’agrobusiness. Le droit d’entrée à la conférence dépassait les 1000 euros – suffisamment élevé pour exclure les critiques.
Le « Forum for the Future of Agriculture » constitue un autre exemple. Il s’agit d’un des plus grands événements de politique agricole, conjointement sponsorisé par Syngenta et l’Organisation Européenne des Propriétaires fonciers. On y retrouve la majorité des décideurs impliqués dans le débat sur la PAC. Une recherche menée en 2011 par le CEO [37], montrait que Syngenta avait versé 1 million d’euros à cette association pour profiter de son éminent réseau politique, afin de soutenir la conférence organisée dans « The Square », un des centres de conférences les plus coûteux de la ville. En mars 2012, Syngenta présentait son « Opération Pollinisateurs », un coup médiatique avec des insectes pollinisateurs dans des cages vitrées et des publicités montrant comment les agriculteurs peuvent encourager la présence d’insectes pollinisateurs comme les abeilles sur leurs exploitations. Les organisateurs doivent avoir un certain sens de l’ironie quand on sait que plusieurs pesticides de Syngenta, comme le Cruiser®, contiennent des néonicotinoïdes dont il a été démontré qu’ils sont dangereux pour les abeilles [38]. Cet événement se déroulait en présence du Commissaire pour l’Agriculture, Mr Ciolos. Abandonnant la neutralité apparente qu’il affichait jusqu’alors vis-à-vis des OGM, Mr De Castro choisit cette occasion pour affirmer que les plantes GM devaient « absolument » jouer un rôle dans l’agriculture européenne et il ajouta « Nous devons investir dans la recherche et les biotechnologies ont un rôle très important à jouer » [39].
Le même jour, Europabio organisait une conférence au Parlement Européen sur les « Avantages des biotechnologies », accueillie par la députée européenne de droite, Françoise Grossetête. Le Commissaire Européen pour la Santé et les Consommateurs, John Dalli – aussi en charge des OGM – était présent, ainsi que la Commissaire pour la Recherche, Mme Geoghegan-Quinn qui prononça le discours final. Elle avait aussi écrit l’avant-propos d’une nouvelle étude rendue publique ce jour là et commandée par Europabio auprès du bureau de consultants Ernst&Young, « Qu’est-ce que l’Europe a à offrir aux compagnies de biotechnologies – détricoter les cadres fiscal, financier et réglementaire ». Dans cette publication, Mme Geoghegan fait l’éloge des biotechnologies comme étant « l’un des secteurs les plus importants et les plus avantageux de l’Union européenne » [40]. Europabio a certainement bénéficié du soutien interne de Maive Rute, chèfe de la Direction Biotechnologie de la DG Recherche, qui participa au diner annuel de l’organisation en mars 2011 [41] et qui, à maintes reprises, a montré son soutien à cette industrie [42].
Ceux qui au sein de la Commission disent que des conférences alternatives d’un niveau équivalent devraient être organisées pour contrer de telles campagnes de publicité des industriels, devraient se pencher sur les coûts. Les dépenses annuelles de lobbying du principal syndicat agricole progressiste à Bruxelles, le bureau de la Coordination Européenne du mouvement mondial Via Campesina, s’élèvent à 150 000 euros par an, soit 17 fois moins que le seul budget de lobbying de Bayer Crop Science.
Bien sûr, les conférences ne sont que la pointe de l’iceberg, et les conséquences de cet écart observé entre les groupes de pression de l’agrobusiness et les autres, peut être constaté dans d’autres domaines, en premier lieu la main mise déjà opérante sur les financements [43]. Des organismes, comme les Plateformes Technologiques Européennes, permettent à l’industrie d’avoir un accès privilégié auprès des responsables de la DG Recherche, leur donnant la possibilité d’influencer les appels à propositions annuels. Un des derniers exemples concerne l’appel « KBBE.2012.3.3-01 : Dépasser les obstacles à l’innovation dans les biotechnologies industrielles en Europe » de 2011. Après avoir affirmé qu’il y avait « une méconnaissance des avantages potentiels que l’industrie des biotechnologies peut apporter à un certain nombre de secteurs déjà établis et souvent conservateurs », il proposait 2 millions d’euros pour un projet qui doit concevoir un document stratégique pour mieux développer l’industrie des biotechnologies en Europe et identifier les besoin en biomasse de l’industrie. Ce projet devait aussi identifier des projets pilotes et des activités de sensibilisation afin de « renforcer l’industrie des biotechnologies, en tant que fournisseur de solution pour de nombreux secteurs industriels », tout en précisant que « le projet fera la liaison entre les associations industrielles, les Plateformes Technologiques Européennes et les autres organisations et réseaux d’importance ». Ce projet fut attribué en avril 2012 sous le nom de BIO-TIC, à Europabio et au CEFIC (un lobby de l’industrie chimique). Mais qui d’autre aurait pu recevoir ce financement dans de tels termes ? Et les activités du projet ne paraissent-elles pas sorties directement du domaine de compétence d’Europabio ?
Le rôle du principal syndicat agricole à Bruxelles, le COPA-COGECA, lors des débats sur l’agriculture, est devenu, ironie du sort, à la fois essentiel et marginal en ce qui concerne la défense de la vie des agriculteurs. L’organisation des agriculteurs européens fut à une époque très puissante à Bruxelles et fonctionnait comme une « bureaucratie auxiliaire » de la Direction Générale de l’Agriculture de la Commission. Encore aujourd’hui, aucun événement traitant de la PAC à Bruxelles n’aurait de crédibilité s’il n’y avait des agriculteurs dans la salle.
Mais le principal problème du COPA-COGECA aujourd’hui est son succès historique en tant qu’organisation. Les agriculteurs européens créèrent le COPA en 1958, époque où la majorité d’entre eux voulait le progrès par la mécanisation. Ils ont assez joliment réussi leur coup puisque, grâce à un intense lobbying, ils ont fini par s’éliminer eux mêmes en obtenant que les exploitations familiales qui étaient la base des communautés rurales soient remplacées par des unités industrielles plus grandes.
Dans le domaine des recherches, le COPA-COGECA est impliqué dans plusieurs Plateformes Technologiques Européennes aux côtés de représentants de l’industrie [44], donnant ainsi leur légitimité à des groupes de pression dirigés par l’industrie et fixant les objectifs. Inversement, les seuls orateurs qui intervinrent à l’atelier du COPA-COGECA sur le problème de la recherche agricole, en février 2012, étaient à l’exception des autorités de l’Union européenne, des lobbyistes agricoles représentant l’industrie de la chimie, les compagnies pharmaceutiques (IFAH), l’industrie des biotechnologies (Europabio), de grandes compagnies alimentaires (Food Drink Europe) et les producteurs d’engrais (Fertilizers Europe) [45]. Aucun membre de la Plateforme pour l’Agriculture biologique (TP Organics) n’intervenait.
Cela montre bien que le COPA-COGECA tend à faire sienne la vision de l’agriculture prônée par l’industrie. Est-ce vraiment la meilleure idée, alors que l’agriculture industrielle est sur le point de vider l’Europe de ses exploitations familiales ?
Les discussions autour de l’Horizon 2000 - source des financements pour la recherche agricole dont il est question dans cet article - sont toujours en cours au Parlement. On attend un vote de la commission ITRE (Industrie et Recherche) du Parlement européen, en octobre ou novembre 2012. La première version du rapport rédigée par la commission ITRE et consultée par le CEO à la mi-juin, ne changeait pas de façon significative la proposition consacrée à la recherche agricole.
Le 31 mai 2012, le Conseil prit une décision rapide concernant l’Horizon 2020, en acceptant le texte dans l’attente des négociations avec le Parlement Européen. En proposant d’augmenter légèrement le budget total à 86 milliards d’euros [46] et en ne touchant pratiquement pas au texte de la Commission, le document du Conseil expose de façon explicite, dans la section sur la recherche pour l’agriculture, les contradictions entre le fait que « De plus en plus de ressources biologiques sont nécessaires pour satisfaire les demandes du marché en nourriture sure et saine, en biomatériaux, en biocarburants et en produits à base biologique » et le fait que « les capacités des écosystèmes aquatiques et terrestres nécessaires à leur production sont limitées, alors qu’il y a plusieurs demandes concurrentes quant à leur utilisation, et qu’elles sont souvent gérées de façon non optimale comme le montre par exemple, la forte baisse de la teneur en carbone des sols et de leur fertilité ». La contradiction entre préserver les écosystèmes et développer une « bio-économie » est toujours là et il reste à voir si les belles paroles à propos de « l’utilisation optimale et renouvelable des ressources biologiques en vue d’une production primaire soutenable et de systèmes de transformation qui puissent produire plus de nourriture et autre produits à base biologique avec un minimum d’intrants, d’impacts écologiques et d’émissions de gaz à effet de serre, avec une amélioration des services des écosystèmes, avec zéro déchets et une valeur sociale adéquate » iront au-delà des formules rhétoriques.
En ce qui concerne les négociations de la PAC, les propositions de financement ne semblent pas poser de problème. Les propositions de la Commission pour la PAC traitent principalement de la mise en place du Partenariat Européen pour l’Innovation (Article 53 du Règlement relatif au Développement Rural), un réseau dont les objectifs consistent à « remplir les vides en reliant mieux la recherche et la pratique agricole », une mission flexible qui a été bien accueillie à la fois par les groupes écologistes et l’industrie des biotechnologies. Mais est-ce que le Parlement et les états membres accepteront cela sur l’une des lignes budgétaires les plus stratégiques de la réforme de la PAC ?
Une des batailles dans la réforme actuelle de la PAC porte sur un budget considérable, les 4,4 milliards destinés aux recherches dans le domaine de l’agriculture et provenant du programme de financement de la recherche du projet « Horizon 2020 ». En fait, derrière cette bataille pour le budget, se cache un conflit plus profond entre deux visions opposées de l’avenir de l’agriculture européenne : est-ce que ces fonds vont continuer à alimenter un système agricole industriel dont l’échec est patent ou vont-ils permettre une approche différente qui mette l’accent sur une production alimentaire locale et soutenable ?
Ce qui est clair, c’est qu’au sein de la Commission, l’actuelle DG Recherche exerce de fortes pressions en faveur de la première option, baptisée « bio-économie ». Que cette approche repose sur la vision développée par les mêmes multinationales de l’agrobusiness dont les produits ont été la cause des problèmes, devrait rendre prudent, mais à Bruxelles, les multinationales et leurs beaux discours sont en terrain conquis. Une des propositions de la DG Recherche les plus inquiétantes dans la stratégie de la bio-économie est de financer des partenariats public-privé pour la recherche avec les compagnies de biotechnologies, en plus de tout l’argent et de l’influence politique dont elles disposent déjà. On est en totale opposition avec le type de projets de recherche, spécifiques à chaque écosystème, multidisciplinaires et participatifs qui pourraient favoriser une transition radicale dans la façon de produire notre nourriture sans hypothéquer notre avenir. La DG Agriculture, l’autre gestionnaire possible de ce financement semble avoir une vision des choses plus adaptée aux défis à relever, mais l’orientation que prendra son Partenariat Européen pour l’Innovation ne semble encore fixée pour l’instant.
Les négociations politiques portant sur ce financement de la recherche agricole entrent dans leur phase finale. Le Conseil s’est déjà mis d’accord sur un projet, le 31 mai 2012, et le Parlement Européen est en train de débattre sur les amendements finaux de ses rapports qui seront probablement votés en octobre ou novembre 2012. Avec un projet initial « Horizon 2020 » soutenant fermement les intérêts de l’agrobusiness (20 milliards d’euros pour des projets dirigés par l’industrie), il reste à voir jusqu’à quel point, le résultat final de la négociation reflètera l’influence des lobbies de l’agrobusiness.
Malheureusement, ceux qui soutiennent des positions alternatives (exploitants familiaux, associations écologistes, consuméristes, certaines collectivités locales) ont beaucoup moins de ressources à leur disposition. En se basant sur les informations - pourtant limitées - disponibles dans le Registre Européen pour la Transparence, on constate que les intérêts de l’agrobusiness dépassent en personnel et en argent les moyens des exploitants familiaux, des consommateurs, des salariés, des collectivités locales et des ONG environnementalistes et des associations écologistes dans un rapport de 4 pour 1. Le nombre et le poids politique des événements organisés par l’agrobusiness à Bruxelles reflètent ce déséquilibre dans le rapport de force. Non négligeable non plus est le fait que le plus grand syndicat agricole européen, le COPA-COGEPA qui joue un rôle clé dans toutes les réformes de la PAC reste clairement aligné sur les positions de l’industrie en ce qui concerne les projets relatifs à l’agriculture.
La nouvelle PAC va avoir un impact à long terme et stratégique sur l’agriculture européenne. La reproduction du modèle du passé et la poursuite aveugle d’objectifs comme la compétitivité et le libre échange n’ont aucun sens si l’on se place d’un point de vue écologique, social ou même sur le plan de la compétitivité. Mais malheureusement, les priorités pour la recherche que l’Union Européenne a définies jusqu’à maintenant servent dans leur grande majorité cette position. Y a-t-il un moyen de renverser la tendance ? Après quatre décennies de destruction sociale et écologique, l’Union Européenne pourrait-elle comprendre que les intérêts de l’agrobusiness ne correspondent pas à ceux de l’Europe et commencer à soutenir des alternatives pour sortir de cette impasse ? Les exemples se multiplient spontanément partout en Europe, comme les fermes biologiques, les projets de distribution en circuits courts et d’agriculture urbaine. Quel monde l’argent des contribuables européens va-t-il promouvoir, le vieux ou le nouveau ?
[1] Propositions législatives pour la PAC après 2013, DG Agriculture et Développement rural, 12 octobre 2011. Voir ici.
[2] Mondialisation de la faim – Sécurité alimentaire et Politique Agricole Commune de lʼUE (PAC), Thomas Fritz, TNI, Décembre 2011. Voir ici.
[6] Cela serait dʼautant plus important que lʼUE finance particulièrement des projets de recherches tandis que les Etats membres ont aussi à financer des infrastructures de recherche.
[7] Le « Pilier II » de la PAC fut introduit en 1999 et se concentre sur les aspects sociaux et environnementaux. On le décrit parfois comme devant essayer de résoudre les problèmes provoqués par le « Pilier I » qui continue de recevoir 70% des financements et des soutiens à a production primaire.
[8] The European Innovation Partnership "Agricultural Productivity and Sustainability”, MEMO/12/147, 29/02/2012 ; ici.
[10] La liste des thématiques de recherches prioritaires appelée “Societal challenges”, est lʼélément le plus important de lʼ « Horizon 2020 » avec 35.9 milliards dʼ€. Voir ici p. 62 & 107.
[11] Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL establishing Horizon 2020 - The Framework Programme for Research and Innovation (2014-2020), European Commission COM(2011)-809 final, p.65
[12] Les rendements du blé et du maïs ne progressent plus, Agreste Primeur, mai 2008, Secrétariat général, Service central des enquêtes et études statistiques, Ministère de l’agriculture et de la Pêche, République Française. Voir ici.
[13] The Economist Conference, Feeding the World in 2050, Genève, Suisse, 8 février 2012 ; voir ici.
[15] La Commission propose une stratégie pour une bio-économie soutenable en Europe, DG Recherche, 13 février 2012, voir ici.
[16] Metabolix produit des bio-plastiques à partir de panic raide, Biomass magazine, 15 Août 2008, voir ici.
[17] « Votre copain plastique - une bactérie modifiée génétiquement produit un plastique plus vert », The Economist, 26 novembre 2009 ; voir ici.
[18] Le jour du dépassement est arrivé ! Lʼhumanité a épuisé son budget de lʼannée en 9 mois - Global Footprint Network, 27 septembre 2011, voir ici.
[21] « Agrofuel Target is Not Sustainable », Corporate Europe Observatory, 8 Janvier 2009, voir ici.
[22] La Stratégie conseille la « mise en place de réseaux avec les logistiques nécessaires pour des bio-raffineries, des usines de démonstration et pilotes, intégrées et diversifiées, dans toute lʼEurope, y compris les logistiques nécessaires et les chaînes dʼapprovisionnement pour une utilisation en cascade de la biomasse et des flux de déchets ».
[23] « Biotech lobby targets the EU’s research and agriculture funds », Corporate Europe Observatory, 29 juin 2011, voir ici.
[24] EU research funding : for whose benefit ?, Corporate Europe Observatory, Décembre 2012, voir ici.
[26] Business Europe, dans un mail vu par le CEO et envoyé le 24 avril 2012 à tous les députés européens de la part du Comité Industrie et Recherche soulignait que « Alors quʼil y a certainement des marges pour améliorer la structure et la gestion des Partenariats Public-Privé, les entreprises européennes recommandent de NE PAS amender les éléments essentiels de la proposition de la Commission pour lʼ « Horizon 2020 » dans ce domaine.
[30] « Big business and the EU : painting the economy green », Corporate Europe Observatory, 14 juin 2012, voir ici.
[32] La sélection participative des plantes est devenue par exemple une démarche habituelle à cause de son efficacité au Centre de Recherche agricole en Zones Sèches (ICARDA). Cʼest une organisation mondiale de scientifiques dont le but est de « contribuer à lʼamélioration des conditions de vie des gens pauvres en ressources dans les zones sèches, en améliorant la sécurité alimentaire et en combattant la pauvreté par lʼintermédiaire de recherches et de partenariats pour obtenir un augmentation soutenable de la productivité agricole et des revenus tout en garantissant une utilisation et une préservation des ressources plus efficace et plus équitable ». Voir www.icarda.org et voir aussi ici le projet de « Recherche coopérative sur les problèmes environnementaux en Europe » (CREPE), financé par lʼUE.
[33] « Smart Breeding : Marker-Assisted Selection, a non-invasive biotechnology alternative to genetic engineering of plant varieties », Greenpeace International, 13 novembre 2009, voir ici.
[35] Sustainable food consumption and production in a resource-constrained world, European Commission – Standing Committee on Agricultural Research (SCAR) The 3rd SCAR Foresight Exercise, février 2011, p.87, voir ici.
[38] A Common Pesticide Decreases Foraging Success and Survival in Honey Bees, Science, 29 Mars 2012 ; voir ici.
[40] « What Europe has to offer biotechnology companies – unraveling the tax, financial and regulatory framework », Ernst & Young and Europabio, 2012
[41] Dʼaprès un échange dʼE-mail consulté par le CEO
[42] « Biotech lobby targets the EU’s research and agriculture funds », Corporate Europe Observatory, 29 juin 2011, voir ici.
[43] « EU research funding : for whose benefit ? », Corporate Europe Observatory, décembre 2012, voir ici.