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Quel avenir pour l’agriculture française ?

Réactualisé 11 septembre 2014

Mardi 4 mars 2014, par Yveline Nicolas

Qu’en est-il de l’agriculture dans le processus de transition écologique proposé par le gouvernement ? Un projet de loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 11 septembre 2014.


Actualité : le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a été définitivement adopté le 13 octobre 2014. Consulter en ligne

 Extrait de la version définitive de la Loi : les objectifs de la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche maritime

« Art. L. 1. – I. – La politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation, dans sa double dimension européenne et nationale, a pour finalités :

« 1° Dans le cadre de la politique de l’alimentation définie par le Gouvernement, d’assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages et contribuant à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique ;
« 2° De développer des filières de production et de transformation alliant performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire, capables de relever le double défi de la compétitivité et de la transition écologique, dans un contexte de compétition internationale ;
« 3° De soutenir le revenu, de développer l’emploi et d’améliorer la qualité de vie des agriculteurs et des salariés, ainsi que de préserver le caractère familial de l’agriculture et l’autonomie et la responsabilité individuelle de l’exploitant ;
« 4° De soutenir la recherche, l’innovation et le développement, en particulier des filières de produits biosourcés et de la chimie végétale ;
5° De contribuer à la protection de la santé publique et de la santé des agriculteurs et des salariés du secteur agricole, de veiller au bien-être et à la santé des animaux, à la santé des végétaux et à la prévention des zoonoses ;
6° De développer la valeur ajoutée dans chacune des filières agricoles et alimentaires et de renforcer la capacité exportatrice de la France ;
7° De rechercher l’équilibre des relations commerciales, notamment par un meilleur partage de la valeur ajoutée ;
8° De participer au développement des territoires de façon équilibrée et durable, en prenant en compte les situations spécifiques à chaque région ;
9° D’encourager l’ancrage territorial de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, y compris par la promotion de circuits courts, et de favoriser la diversité des produits et le développement des productions sous signes d’identification de la qualité et de l’origine ;
10° De promouvoir l’information des consommateurs quant aux lieux et modes de production et de transformation des produits agricoles et agroalimentaires ;
11° De promouvoir la conversion et le développement de l’agriculture et des filières biologiques, au sens de l’article L. 641-13
12° De concourir à la transition énergétique, en contribuant aux économies d’énergie, au développement des énergies renouvelables et à l’indépendance énergétique de la Nation, notamment par la valorisation optimale et durable des sous-produits d’origine agricole et agroalimentaire dans une perspective d’économie circulaire ;
13° De concourir à l’aide alimentaire ;
14° De répondre à l’accroissement démographique, en rééquilibrant les termes des échanges entre pays dans un cadre européen et de coopération internationale fondé sur le respect du principe de souveraineté alimentaire permettant un développement durable et équitable, en luttant contre la faim dans le monde et en soutenant l’émergence et la consolidation de l’autonomie alimentaire dans le monde ;
15° De contribuer à l’organisation collective des acteurs ;
16° De développer des dispositifs de prévention et de gestion des risques ;
17° De protéger et de valoriser les terres agricoles.

II. – Les politiques publiques visent à promouvoir et à pérenniser les systèmes de production agro-écologiques, dont le mode de production biologique, qui combinent performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire.

« Ces systèmes privilégient l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité, en maintenant ou en augmentant la rentabilité économique, en améliorant la valeur ajoutée des productions et en réduisant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. Ils sont fondés sur les interactions biologiques et l’utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles, en particulier les ressources en eau, la biodiversité, la photosynthèse, les sols et l’air, en maintenant leur capacité de renouvellement du point de vue qualitatif et quantitatif. Ils contribuent à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique.

« L’État encourage le recours par les agriculteurs à des pratiques et à des systèmes de cultures innovants dans une démarche agro-écologique. À ce titre, il soutient les acteurs professionnels dans le développement des solutions de biocontrôle et veille à ce que les processus d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché de ces produits soient accélérés.

« L’État facilite les interactions entre sciences sociales et sciences agronomiques pour faciliter la production, le transfert et la mutualisation de connaissances, y compris sur les matériels agricoles, nécessaires à la transition vers des modèles agro-écologiques, en s’appuyant notamment sur les réseaux associatifs ou coopératifs..")]

 Analyse du projet de Loi, avril 2014

Votée en première lecture à l’Assemblée nationale en février, puis le 16 avril au Sénat, entrée en 2ème lecture à l’Assemblée nationale, mais prenant du retard, la loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt [1] se propose de "concilier compétitivité et protection de l’environnement". Un débat sensible dans un pays qui a perdu plus de la moitié de ses exploitations agricoles en 25 ans. Le dernier recensement de 2010 indique en effet que la France compte 490.000 exploitations - contre plus d’un million en 1990.

Après différentes consultations, le ministère de l’Agriculture avait présenté en décembre 2012 un projet agro-écologique [2] visant à concilier à la fois « la performance économique et environnementale ». Six programmes sont définis : les plans Ecophyto et Antibio, un plan de méthanisation, un plan pour les protéines végétales, pour l’apiculture et pour l’agriculture biologique. La loi d’avenir pour l’Agriculture précisera les mesures à mettre en œuvre.

La loi introduit une définition de "l’actif agricole", comme exerçant une activité agricole principale, excluant les retraités et les personnes exerçant une activité agricole à titre secondaire du bénéfice des aides.

Une mesure centrale de la loi : la création de Groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) associant plusieurs exploitants agricoles et, le cas échéant, d’autres personnes. Ces groupements pourront bénéficier de majorations dans l’attribution des aides publiques pour la mise en place d’un "projet pluriannuel de modification durable de leurs systèmes de production en visant une double performance économique et environnementale".

Extrait du texte de loi définitif  : « Chapitre V Groupement d’intérêt économique et environnemental
« Art. L. 315-1.-Peut être reconnue comme groupement d’intérêt économique et environnemental toute personne morale dont les membres portent collectivement un projet pluriannuel de modification ou de consolidation de leurs systèmes ou modes de production agricole et de leurs pratiques agronomiques en visant une performance à la fois économique, sociale et environnementale. La performance sociale se définit comme la mise en œuvre de mesures de nature à améliorer les conditions de travail des membres du groupement et de leurs salariés, à favoriser l’emploi ou à lutter contre l’isolement en milieu rural.
« Cette personne morale doit comprendre plusieurs exploitants agricoles et peut comporter d’autres personnes physiques ou morales, privées ou publiques. Les exploitants agricoles doivent détenir ensemble la majorité des voix au sein des instances du groupement.
« La reconnaissance de la qualité de groupement d’intérêt économique et environnemental est accordée par le représentant de l’Etat dans la région à l’issue d’une sélection, après avis du président du conseil régional.
« La qualité de groupement d’intérêt économique et environnemental est reconnue pour la durée du projet pluriannuel.

Par ailleurs, le rôle des Safer, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural est réaffirmé, et leur droit de préemption étendu. Un amendement voté au Sénat inscrit le principe de compensation en nature de terres agricoles perdues dans le cadre de la politique d’aménagement rural, de manière à maintenir le potentiel de production agricole.

Un Institut Agronomique, Vétérinaire et Forestier de France (IAV2F) est créé avec pour mission l’élaboration et la mise en oeuvre de stratégies de recherche, de formation et de développement. La formation initiale et continue sera renforcée. Des mesures aideront les coopératives à faire face à la volatilité des prix des matières premières et un médiateur des relations commerciales agricoles sera institué. Les nouvelles installations agricoles seront aidées, notamment les jeunes. Les règles d’urbanisme seront adaptées pour lutter contre l’artificialisation des terres. En matière de politique alimentaire, le projet de loi énonce deux priorités : la justice sociale et l’éducation alimentaire. Ainsi les citoyens devraient être associés au débat public sur l’alimentation, en particulier dans les régions. Les résultats des contrôles menés dans les établissements seront publiés, l’utilisation d’antibiotiques en médecine vétérinaire sera réduite, les pesticides (« produits phytopharmaceutiques ») réduits, etc. En ce qui concerne la forêt, le projet de loi prévoie la création de groupements d’intérêt économique et environnemental forestier et d’un fonds stratégique de la forêt et du bois pour financer les projets d’investissement, de recherche, de développement et d’innovation.

L’agriculture française et les secteurs agroalimentaires et forestiers devront « relever le défi de la compétitivité pour conserver une place de premier plan au niveau international ; continuer à assurer une production alimentaire de haut niveau qualitatif et en quantité suffisante face à l’augmentation de la population mondiale ; s’inscrire dans la transition écologique ». Ces objectifs sont-ils compatibles ?

Lors des Etats généraux de l’agriculture [3] organisés par la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture et la CNMCCA (Coop de France, la MSA, Groupama) le 21 février à la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, pour peser sur le débat public, les ministres de l’agriculture et du développement durable n’avaient pas manqué de promettre des mesures d’assouplissement de normes fiscales et environnementales pour le secteur agricole. Parmi ces mesures : neutralisation de l’impact de la contribution climat-énergie pendant les trois prochaines années, modification des procédures des aides des agences de l’eau pour la réduction des « pollutions diffuses », réflexion sur la simplification des zonages environnementaux dans le cadre de l’application de la directive européenne sur les nitrates [4], extension de la simplification des installations classées de l’élevage porcin à d’autres filières et raccourcissement des délais d’obtention d’autorisation… Cette simplification a constitué un des plus grands reculs environnementaux de ces dernières années en France. Le décret du 27 décembre 2013 [5] fait passer le seuil d’autorisation de création ou d’agrandissement des élevages intensifs de porcs de 450 à 2000 places, dispensant les projets d’enquête publique, d’avis des services de l’Etat en charge de la santé publique et de l’environnement et d’étude d’impact.

Les pesticides

Sur le dossier épineux des pesticides, les associations semblent mitigées sur la proposition de transfert du pouvoir d’autorisation de mise sur le marché (AMM) du ministère de l’agriculture vers l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). FNE estime que cette AMM devrait être du ressort des trois ministères concernés (Santé, Environnement, Agriculture), tandis que Générations Futures considère que c’est une avancée pour desserrer l’emprise des lobbies industriels.

Le précédent plan Ecophyto de 2008 visait à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2018. On voit mal comment cet usage diminuerait puisque le ministère refuse, par exemple, de dissocier vente des pesticides (par les coopératives agricoles) et activité de conseil pour leur pulvérisation (par ces mêmes coopératives)… Pourtant le rapport de bilan des plans de surveillance et de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments [6] paru fin 2013 indique que près de 12 % des fruits et légumes contiennent des résidus de pesticides à des taux supérieurs aux seuils réglementaires…

Les PNPP (produits naturels peu préoccupants, comme l’emblématique purin d’ortie) sont réintégrés dans la catégorie des produits phytopharmaceutiques. Selon l’association Aspro-PNPP cette classification implique "des procédures lourdes, coûteuses et inadaptées". Le ministère va favoriser les « produits de bio-contrôle » (utilisation d’insectes, champignons, bactéries…) au détriment des pesticides, mais ce sont des techniques complexes avec des brevets : cela risque de profiter à quelques industries au détriment des alternatives populaires peu coûteuses et non brevetées.

Une méconnaissance de "la Bio" ?

En ce qui concerne « la Bio », le rapport de l’INRA " Analyse des performances de l’agriculture biologique » [7] publié en octobre 2013 a posé un sérieux problème. Sa méconnaissance et son traitement biaisé de l’agriculture biologique a suscité un tollé de la filière, des associations et même de 136 scientifiques et techniciens qui pétitionnent pour son retrait. Ainsi, l’absence de pesticides dans les aliments bio n’est même pas mentionné parmi les points positifs de ce modèle agricole. D’ailleurs les auteurs vont jusqu’à proposer l’autorisation de certains pesticides de synthèse en bio ! (Pour approfondir ce dossier du point de vue scientifique Télécharger la note argumentée de 63 chercheurs adressées à l’INRA (pdf 11 p.) ; Télécharger la réponse des auteurs de l’étude (pdf 50 p.)).

La « bio », en progression lente
Les engagements du Grenelle de l’environnement de septembre 2007, repris dans le plan « agriculture biologique : horizon 2012 » visaient un objectif de 6 % de la SAU (surface agricole utile) en agriculture biologique et 20 % de « produits bio » dans les commandes de la restauration collective publique en 2012. Fin 2012, les surfaces cultivées en France en bio couvrent 1 032 935 hectares soit 3,7 % de la SAU – la moyenne étant de 5,4 % dans l’Union européenne. En mai 2013, la France atteignait les 25 000 exploitations agricoles en bio, soit 4,7% des exploitations.
Restauration collective : début 2013, 56% des établissements de restauration collective proposaient ponctuellement des produits bio, principalement dans le secteur de l’enseignement.
Source : www.agencebio.org

Semences paysannes et brevets

Autre point problématique si l’on vise une agriculture durable et équitable : la reconnaissance du droit collectif des paysan-nes d’utiliser et d’échanger leurs semences, face à la tendance à multiplier les brevets et au poids des entreprises détentrices de droits de propriété intellectuelle (DPI) ou de certificats d’obtention végétale (COV).. Dans le cadre de l’examen au Parlement d’un projet de loi contre les contrefaçons depuis novembre 2013, cet enjeu fait l’objet d’une mobilisation citoyenne demandant que "la production à la ferme par un agriculteur de ses semences, de ses plants, de ses animaux ou de ses préparations naturelles pour les besoins de ses propres productions agricoles et fermières" soit clairement retirée du champ d’application de la loi visant à lutter contre les contrefaçons. Le projet de loi d’avenir de l’agriculture est l’occasion de clarifier les choses, avec un amendement du gouvernement en faveur de la liberté des semences paysannes. Consulter l’ensemble du dossier sur le site du collectif Semons la Biodiversité.. La "journée internationale des luttes paysannes", à l’initiative du mouvement Via Campesina, qui a lieu le 17 avril, porte d’ailleurs cette année sur la défense des semences paysannes.


En France, la culture du « progrès » passant par la technique, les pressions en tous genres, les informations biaisées, le manque d’indépendance du personnel politique comme des agences d’expertise sont autant d’obstacle pour la mise en œuvre d’une agriculture respectueuse de la nature, des animaux et de la santé. Dans ce contexte, c’est aux citoyen-nes et aux consommateurs de montrer la voie à suivre, par leurs achats et leurs pratiques individuelles.


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