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Séminaire sur le lancement d’alerte du 8 octobre 2014 Synthèse de l’intervention de Riccardo PetrellaJeudi 30 octobre 2014 |
Riccardo Petrella [1], précurseur de la mondialisation des alertes, a analysé le lancement ou le fait de porter des alertes comme une réaction à l’inacceptable et comme un acte utopique, qui se concrétise par le refus de l’ordre du jour des dominants, des priorités qu’ils fixent.
Il souligne l’importance du langage et des medias. Pour lui, la première victime de l’ordre inégal de la mondialisation, ce sont les mots. Ceux qui n’aiment pas l’égalité parlent de « l’égalité des chances », Berlusconi n’a parlé que de « justice », les commissaires européens parlent de « droits », la « croissance verte » est une nouvelle formule de l’accumulation du capital par la financiarisation de la nature, etc.
Le producteur d’alerte fait un acte de rupture par rapport aux dominants, qui trouvent des raisons naturelles à la pauvreté, à la domination, à l’injustice. L’alerte demande transparence et participation versus opacité, elle ne peut faire de compromis, elle demande le droit de désobéissance. Elle dénie aux dominants la légitimité de représenter la société dans son ensemble, de parler au nom de l’humanité.
D’autre part, l’alerte pose la question de l’ordre social organisé, des médias. L’alerte risque de se diluer dans la désinformation. Riccardo Petrella note que la langue anglaise est déterminante. Si Thomas Piketty est subitement devenu un économiste écouté dans le monde entier, c’est que les anglo-saxons en ont parlé. Les « social networks » en langue nationale ne servent à rien malgré tout l’intérêt de leurs propos. Qui connaît le scandale du « Libor » [2] ? Les medias n’en ont pas parlé, donc ça n’est pas connu.
Riccardo Petrella est revenu sur son expérience de Directeur du programme FAST (Forecasting and Assessment in Science and Technology) de la Commission européenne, en 1978-1994. Mettant en jeu plus de 400 centres de recherche en Union Européenne entre 1979 et 1994, ce programme était fondé sur l’idéologie qu’à la base de tout progrès il y a la connaissance, la technologie, qu’il faut « culturaliser » auprès des citoyens européens (« public acceptance »). Riccardo Petrella et les animateurs du programme ont changé le mandat en mettant au centre le travail, l’emploi, le vivant… Du coup on a essayé de les évincer. Et ce sont les forces sociales organisées qui ont sauvé le programme. Les députés européens s’en sont mêlés, parce que les médias en parlaient, etc. La nouvelle orientation du programme n’entrait pas dans le triptyque capitaliste « croissance, compétitivité, emploi » qui est la bible européenne – même s’il est non validé depuis 50 ans (comme le montre par exemple la disparition de l’industrie informatique européenne). On a fait l’intégration européenne par les dominants, les marchés, la finance. Riccardo Petrella a créé le groupe de Lisbonne composé de chercheurs, journalistes, etc. qui a publié en 1994 le rapport « Limites à la Compétitivité ».
D’après Riccardo Petrella, actuellement un problème est que les forces sociales organisées sont de plus en plus faibles, et de plus en plus dans la logique des dominants (c’est le cas des syndicats, des grandes ONG, qui sont de plus en plus standardisées).
L’idéologie dominante nous objecte que « la coopération ne fait pas partie de la nature humaine ». L’exemple de l’eau nous montre le contraire. Mais en 1992, pour la première fois, la communauté internationale dit que l’eau est un bien économique (Conférence internationale de Dublin sur l’eau et l’environnement [3].). A noter d’ailleurs que dans la constitution du Chili de Pinochet, l’eau est un bien privé.
Rappelons que dans la logique capitaliste marchande, il y a deux critères :
la rivalité : plus le bien est demandé plus il a de la valeur (offre / demande)
l’exclusion : devenant propriétaire privé, j’exclus les autres.
Quand un bien devient économique, il est générateur d’exclusion. Or, personne ne peut dire : « je ne veux pas d’eau ». L’eau est un bien insubstituable, et donc pas économique. Le Manifeste de l’eau, la création du comité international pour un contrat mondial de l’eau en1997 alertaient sur le fait que l’eau est un bien commun public mondial, car tout le monde a un droit universel à la vie. Un droit humain n’est pas divisible. La bataille pour l’eau est devenue un élément de la bataille pour les droits humains, qui battait un peu de l’aile.
Nos dominants sont imprégnés du concept de la naturalité des inégalités entre humains, partant d’une confusion entre différences, diversité et inégalités. Ils acceptent la bifurcation de plus en plus grande entre riches et pauvres. C’est par exemple une imposture de dire que le pauvre d’aujourd’hui est plus riche que le pauvre d’il y a 50 ans. La cassure est entre ceux qui peuvent décider et ceux qui ne peuvent pas. Parce qu’on accepte la légitimité des prix décidés en bourse, alors même que 30 % des transactions financières sont maintenant des « transactions à haute fréquence » [4].
La plus grande alerte est maintenant de nous battre pour la reconnaissance de l’humanité, en tant que sujet juridique et politique. Il n’y a humanité que s’il y a représentation : il faut changer l’ONU en une organisation mondiale de l’humanité. Il faut déclarer la pauvreté illégitime. Actuellement les politiques d’aide au développement visent non pas à lutter contre la pauvreté mais à faire en sorte que les pauvres deviennent comme nous, qui devons devenir riches pour les aider. La « philanthropie » tend à remplacer l’aide, c’est « je t’aime un peu parce que je suis riche ».
Au lieu de l’aide, il faut changer le système économique et financier..
Le séminaire de conclusion du cycle aura lieu le 3 décembre 2014 sur le thème L’alerte devant la loi et la justice, nos droits pour protéger la population, alerter et se défendre : suivre le lien pour plus de précisions et pour s’inscrire.
[1] Parmi les publications de Riccardo Petrella : Bien Commun – Éloge de la Solidarité (1996), Le Manifeste de l’Eau (1998), Désir d’humanité. Le droit de rêver (2004), Pour une nouvelle narration du monde (2007) (NDLR)
[2] Le Libor est une série de taux d’intérêt de référence auxquels les banques, sur le marché de Londres, se prêtent entre elles (London interbank offered rate). L’affaire « Libor » a soulevé un énorme scandale financier d’abord en Grande-Bretagne puis en Suisse, aux Etats-Unis et de façon mondiale, montrant que le cœur même de la finance mondiale était entaché de manipulations (NDLR)
[3] Principe 4 « l’eau a une valeur économique dans toutes ses utilisations concurrentes et doit être reconnue comme un bien économique »
[4] Transactions boursières faites en micro secondes par des algorithmes informatiques