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Articles et points de vue sur genre et développement

Indicateurs de "l’empowerment" : comment mesurer des processus complexes ?

Élisabeth Hofmann, consultante-formatrice, membre de Genre en Action, enseignante-chercheure (IATU/STC, université Bordeaux 3 et LAM, IEP de Bordeaux)

Jeudi 21 janvier 2016


L’empowerment des femmes, individuel et collectif, s’effectue à différents niveaux, d’où la complexité pour formuler des indicateurs mesurant ces processus qui se déroulent sur le long terme.

Les définitions de « empowerment » sont nombreuses. Pour certain-es auteur-es (comme Srilatha Batliwala), l’empowerment est « le processus, et le résultat du processus, grâce auquel les femmes obtiennent une meilleure maîtrise des ressources matérielles et intellectuelles et remettent en cause l’idéologie patriarcale et les discriminations sexuelles qui s’exercent à l’égard des femmes dans toutes les institutions et les structures de la société ». Pour d’autres, dans la lignée d’Amartya Sen, prix Nobel d’économie, l’empowerment est une question de choix (en opposition aux analyses de la pauvreté comme une fatalité subie et caractérisée par l’absence du choix) : il s’agit « d’étendre la capacité des individus à faire des choix de vie stratégiques dans un contexte où ils étaient auparavant privés de cette capacité ».

Ces définitions suggèrent que l’empowerment renvoie à la signification, aux motivations et aux objectifs que les personnes donnent à leurs actions – leur sens de l’initiative ou la conscience de leur valeur individuelle. Un indicateur unique ne peut à lui seul refléter l’empowerment des femmes qui doit être évalué sous de nombreux angles, en combinant des méthodes quantitatives et qualitatives.

L’approche de Naila Kabeer pour mesurer l’empowerment des femmes comporte quant à elle trois dimensions articulées entre elles : l’accès aux ressources (la condition sine qua non), l’initiative (la capacité d’utiliser ses ressources pour s’ouvrir de nouvelles opportunités, revendiquer ses droits, se porter candidates pour des élections, etc.) et les performances ou accomplissements (résultats ressentis concernant les capacités, l’estime de soi, la reconnaissance de l’entourage, la réussite de son organisation, etc.). L’analyse de Kabeer suggère que ces trois dimensions sont indivisibles, d’où la nécessité d’utiliser de multiples sources, méthodes et outils pour croiser les données.

D’autres insistent sur les processus d’empowerment (en plus des résultats perçus par les concerné-es), notamment sur trois niveaux : individuel, organisationnel et communautaire. Pour mesurer des processus d’empowerment d’une personne, un indicateur pertinent pourrait être celui de son engagement au sein d’organisations ou de la communauté. Les processus d’empowerment organisationnel peuvent être mesurés par exemple par un partage du pouvoir décisionnel et du leadership au sein de l’organisation. Un processus d’empowerment de la communauté peut être évalué par le degré d’accès réel au gouvernement local, aux médias locaux et à d’autres ressources communautaires.

Un défi majeur est de répondre à la fois au besoin d’une approche universelle pour évaluer les processus d’empowerment et à celui de leur nécessaire contextualisation. Certains proposent des indicateurs multi-niveaux, où les mêmes indicateurs généraux pourront s’appliquer à différents contextes, tandis que les indicateurs au niveau communautaire et du foyer seront spécifiques à chaque contexte. À titre d’exemple, on peut citer six dimensions  : économique, socioculturelle, familiale-relationnelle, juridique, politique et psychologique. Chacune de ces dimensions est mesurée à différents niveaux sociaux : le foyer, la communauté et les sphères plus moins locales (la législation nationale, la religion dominante dans la région, etc.). Dans le domaine économique, les indicateurs d’empowerment intègrent le contrôle relatif des hommes et des femmes sur le revenu du foyer, leur accès à l’emploi, au crédit et aux marchés au niveau communautaire et la prise en compte des préoccupations des hommes et des femmes dans les politiques macro-économiques. Dans le domaine psychologique, les indicateurs comprennent l’estime de soi et le bien-être psychique, la conscience collective de l’injustice et l’acceptation sociale des femmes en tant que membres à part entière de la société, disposant de droits égaux à ceux des hommes.

Les stratégies en matière d’évaluation de l’empowerment des femmes doivent également tenir compte du caractère non-linéaire de ces processus de longue haleine. L’horizon temporel d’une évaluation de l’empowerment incite à relativiser les résultats. In fine, la consolidation des processus à moyen terme peut être plus décisive pour la viabilité de l’empowerment que des résultats tangibles mesurés à un moment donné.

L’évaluation de l’empowerment est clairement orientée vers des valeurs, des perceptions, un ressenti : les projets d’empowerment des femmes ont pour but d’aider ces femmes à s’aider elles-mêmes. L’évaluation n’est donc pas uniquement un exercice qui sert à rendre des comptes, mais elle doit s’inscrire dans les processus en cours : la réflexion, l’auto- analyse et l’auto-évaluation visent une prise de conscience de ces processus, non seulement pour les rendre « évaluables », mais aussi pour que les femmes se les approprient et les développent davantage. Dans ce sens, il est illusoire de vouloir travailler avec une batterie d’indicateurs d’empowerment préétablis. L’évaluateur/trice d’empowerment joue plus un rôle d’accompagnateur/ trice qui aide les femmes concernées à formuler elles-mêmes la manière pertinente de mesurer les processus dans lesquels elles sont engagées et les résultats qu’elles ressentent. Car in fine, les projets d’empowerment se laissent mal brider par des indicateurs objectivement vérifiables formulés en amont : les femmes qui commencent à prendre leur vie en main découvrent leur chemin au fur et à mesure, au gré de leurs avancées multiples et variées et des opportunités qui se présentent. Elles ne se soucient pas des cadres logiques qui étaient à l’origine du projet. Et si cette « émancipation » du projet tel qu’il a été préconçu était en soi un indicateur d’empowerment ?


Les sources d’inspiration pour ce texte sont les nombreux travaux de Naïla Kabeer et plus particulièrement d’Annalise Moser, Gender and Indicators Overview Report, BRIDGE, Sussex, UK, July 2007 : >>>>

Autres indications bibliographiques :

Batliwala S., 1995, Defining Women’s empowerment Framework, Education for Women’s empowerment, prise de position de l’ASPBAE lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes de Beijing, septembre 1995, Asia-South Pacific Bureau of Adult Education, New Delhi

Batliwala S., 2007, Putting Power back into empowerment, Open Democracy : >>>>

Kabeer N., 2005, Gender Equality and Women’s empowerment : A Critical Analysis of the Third Millennium Development Goals, Gender and Development 13.1 : 13–24

Kabeer N., 1999, Resources, Agency, Achievements : Reflections on the Measurement of Women’s empowerment, Development and Change 30.3 : 435–64

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