Site de l’Association Adéquations
Développement humain durable - Transition écologique - Egalité femmes-hommes - Diversité culturelle - Solidarité internationale

Jeudi 28 mars 2024

Intranet

Accueil > Nos projets & actions en cours > Démocratie & veilles citoyennes > Lobbying & conflits d’intérêts : (...) > Point de vue de Juan Roy de Menditte, Fondation (...)


Point de vue de Juan Roy de Menditte, Fondation Sciences Citoyennes

Lobbystes et anti-lobbystes

Lundi 13 octobre 2008

Dans cet article, Juan Roy de Menditte, membre du CA de la Fondation Sciences Citoyennes et d’ATTAC, plaide pour que les ONG se considèrent comme des "anti-lobbyistes" et non des "lobbyistes", dans la mesure où leur action est sans commune mesure avec celle des lobbystes tant sur le plan des moyens (400 personnes travailleraient à Bruxelles pour des ONG tandis que 15 000 lobbystes agissent pour des intérêts industriels) que du fait qu’elles promeuvent une vision de l’intérêt général.


Lobbystes et anti-lobbystes

Le terme de lobby signifie vestibule, couloir ou hall.

Selon l’acception utilisée dans la pratique du lobbying, ce terme se rapporte plutôt à l’antichambre du roi, c’est-à-dire au lieu où se négocient, en catimini et avec le décideur adéquat, des décisions politiques.

D’une part, le lobbying tend généralement à court-circuiter les procédures légales, d’autre part, il consiste en un rapport interpersonnel avec le décideur qui favorise un cercle vicieux de clientélisme et de renforcement du pouvoir personnel (sans parler des aspirations vénales et autoritaires que ce pouvoir finit petit à petit par insuffler à ses prétendants).

Compte tenu des diverses manières (plus ou moins légalisées aujourd’hui) pour un groupe financiarisé de favoriser l’enrichissement personnel et compte tenu des techniques d’influences et de pressions modernes (juridiques, rhétoriques, psychologiques, etc.) basées sur des études poussées (sinon scientifiques), le lobbying est devenu un métier d’experts et de cabinets spécialisés qui constitue un véritable ver dans le fonctionnement démocratique. La volonté néolibérale d’institutionnaliser le lobbysme, prétendument pour mieux le contrôler, se paye d’une minimisation du pouvoir des parlementaires et du pouvoir des consultations plus larges (comme les conseils nationaux, les référendums ou les conférences de citoyens), soit, en somme, d’une représentativité sociale équilibrée.

Etant donnés les critères adoptés à travers cette institutionnalisation, qui rend possible une rémunération et un soutien politique indirects aux décideurs cibles (selon des concessions sans grandes restrictions – on l’a vu aux Etats-Unis avec ceux qui naviguent entre des postes à responsabilités obtenus alternativement dans les entreprises et dans le gouvernement), seuls les pouvoirs de l’argent et de la compétence en matière de manipulation peuvent régner. Or, ces pouvoirs sont étrangers par nature aux associations citoyennes que nous représentons. Contrairement au conseil, le lobbysme comprend un sens offensif qui ouvre la voie à un jeu de pressions légitimé en soi. C’est la défense active d’un intérêt. Si tant est que nous dussions représenter l’intérêt général dans ce cadre, cela signifierait ou que cet intérêt général peut être considéré à l’égal de n’importe quel intérêt particulier, ou que le politique – qui est censé représenter et défendre cet intérêt de par sa qualité d’élu – ne remplit pas son rôle.

Or, c’est bien dans ces deux cas de figure que nous nous trouvons : quoi que défendant l’intérêt général (que je n’essaierai pas de définir ici), une bonne part du public considère que nous défendons ‘notre’ intérêt (notre crèmerie), tandis que le politique attend de nous que nous défendions officiellement cet intérêt pour prétendre à une représentativité équilibrée dans le processus de décision (quand ce n’est pas, par un autre cynisme souvent aussi rencontré, pour s’informer des arguments possibles en la matière de façon à pouvoir, le moment venu, face au public, être mieux préparé à les contrer).

Autrement dit, nous nous retrouvons démunis face à la puissance industrielle et corporatiste. Le public nous méprise à moitié en imaginant que nous ne faisons que défendre un intérêt particulier parmi d’autres et on se sert de nous pour justifier un semblant de démocratie. Il faudrait en plus de cela que nous adoptions l’appellation de lobby ? Il faudrait que les 400 personnes qui travaillent, dit-on, au niveau des institutions européennes pour des ONG se fondent parmi les 15 000 salariés qui travaillent pour des groupes corporatistes, industriels et financiers ? Ne finirait-on pas alors par entériner la corruption de notre image ?

Je pense, au contraire, que, quitte à intervenir dans les procédures institutionnalisées du lobbysme, nous devons cultiver notre différence sur le pied précis de cette appellation. Comme l’expression OGM, le terme lobby ne s’est pas tapi dans l’univers quotidien des français. Il n’a pas été dépolitisé ni blanchi par la lessive du pragmatisme anglo-saxon. Il n’est pas encore devenu la pilule qu’on essaie de nous faire avaler avec tant d’autres dispositions néolibérales. Il peut encore devenir le socle de notre différentiation, avec d’un côté les lobbies qui travaillent pour des intérêts privés (et de préférence les intérêts des plus forts) et de l’autre nos organisations citoyennes qui travaillent pour l’intérêt général.

Ce terme nous permet encore de stigmatiser ceux qui travaillent à notre encontre – à l’encontre du plus grand nombre, générations futures comprises. C’est pourquoi je propose une autre appellation pour nous caler sur celle-ci : celle d’anti-lobby.

C’est cette fonction que plusieurs d’entre nous avons eu le sentiment d’effectuer durant tout le temps où nous avons cherché à bloquer les influences des lobbies auprès, entre autres, du gouvernement (notamment en démystifiant leurs promesses et mensonges). Je crois beaucoup plus fécond et engageant de nous considérer comme des anti-lobbyistes. De considérer que, pendant que certains travaillent à faire gagner des millions (voire milliards) d’euros à des groupes privés, nous essayons de faire perdre à ces groupes, lorsque c’est justifié (et ça l’est malheureusement très souvent), ces mêmes sommes au nom du bien commun. De considérer que, plutôt que de restreindre la vision du décideur politique, nous l’élargissons et la libérons. De considérer que nous rentrons nous-mêmes dans la bataille, mais pas par la porte des intéressés.

Je crois que nous gagnerions beaucoup à adopter ce terme et la posture qu’il sous-tend.

Haut de page
Accueil | Contact | | Mentions légales | Plan du site | Membres et partenaires