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Sciences Citoyennes appelle Xavier Bertrand à revoir son projet de loi sur la chaîne du médicamentCommuniqué de la Fondation Sciences citoyennes Lundi 1er août 2011 La Fondation Sciences Citoyennes appelle le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, à revoir son projet de loi sur le médicament, afin de respecter ses propres déclarations de janvier dernier et de traduire en actes certaines propositions approfondies, à commencer par celles contenues dans le rapport de juin de l’Inspection générale des affaires sociales « sur la pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament » [1]. |
Nous avons accueilli avec intérêt les annonces et les engagements pris par le ministre de la Santé le 15 janvier dernier. Les mesures annoncées le 23 juin et le projet de loi sur le médicament présenté le 1er août en conseil de ministres contiennent certes des avancées, dues de longue date, compte tenu de l’énorme retard français en la matière. Mais force est de constater qu’elles restent loin derrière ces annonces et seront insuffisantes pour induire les changements structurels indispensables.
La transparence sur les conflits d’intérêts ne peut être effective que si des dispositions législatives et juridiques sont prises pour contrôler toutes les déclarations et réprimer tout écart, et pas seulement pour ce qui est des responsables des agences. En outre, la Fondation Sciences Citoyennes a attiré l’attention à maintes reprises sur le fait que la transparence ne suffit pas et qu’elle permet même de légitimer et banaliser les conflits d’intérêts, pourvu qu’ils soient déclarés. Seule l’élimination des conflits d’intérêts garantit que l’intérêt de la santé l’emporte sur ceux des industriels. [2]
Il faut que les citoyens exigent une réforme radicale de l’ensemble du système, à commencer par une déontologie de l’expertise [3] qui ne saurait se réduire à une meilleure transparence et à des modifications cosmétiques telles que le changement de nom de l’AFSSAPS, le remplacement de quelques responsables et autres annonces médiatiques.
L’absence de dispositifs juridiques et législatifs nouveaux – qui permettraient la répression des abus des industriels de la santé fabriquant des produits défectueux et intervenant à divers niveaux du système, pour l’influencer directement ou à travers les leaders d’opinion [4] -, aura pour conséquence le statu quo structurel, tout en donnant l’illusion d’une volonté politique et d’une consultation large. Or les Assises du médicament ont été largement dominées par l’industrie pharmaceutique et des experts ayant des liens avec elle et n’ont pas été le procès global qu’elles auraient dû être [5], permettant d’évaluer (assess), afin d’établir une jurisprudence et éviter que des drames humains tels que le Médiator ne se répètent. Des souhaits ont été exprimés à la suite des Assises, tout aussi peu contraignants que les suggestions comprises dans le rapport de la mission parlementaire sur le Médiator.
En République, nous ne devrions plus avoir de corporations et groupes d’intérêts qui s’ « autorégulent » par des chartes d’éthiques volontaires et échappent à la loi et à la décision citoyenne. Or les médecins, qui dépendent surtout de leur propre conseil de l’ordre, continueront à s’autoréguler et à ne pas être responsables de leurs prescriptions ; les laboratoires pharmaceutiques continueront à ne s’appliquer que des chartes de déontologie volontaires (sic). Et les « déontologues » ou comités de déontologie pourront toujours justifier l’absence de changement structurel en invoquant le respect de la vie privée (sur les conflits d’intérêts) et du secret industriel (pour les médicaments défectueux, les essais cliniques non publiés, etc.). Le même secret neutralisera toujours la loi – minimaliste et purement formelle – sur l’information et l’accès aux documents administratifs.
Xavier Bertrand annonce un durcissement des conditions d’autorisation de mise sur le marché (AMM), mais aucun changement fondamental de l’AMM n’est prévu. Par exemple, la supériorité des médicaments nouveaux n’est toujours pas exigée pour l’homologation et des garde-fous contre des AMM obtenues sous la pression d’associations de malades instrumentalisées par les firmes ne sont pas prévus. Et au niveau européen, le futur directeur de l’EMA, Guido Rasi, s’est dit en faveur d’AMM en procédure accélérée…
Les tares structurelles du système de « pharmacosomnolence » ne sont pas non plus remises en question. Les études de phase IV (post-commercialisation) resteront à la discrétion des laboratoires, qui ne les font quasiment jamais, tout comme l’essentiel de l’information sur le médicament, ainsi que la formation médicale continue, la presse médicale, les sociétés savantes sponsorisées… Améliorer la pharmacovigilance ne peut pas se faire sans appliquer toutes les propositions concrètes de l’IGAS, qui a critiqué la dispersion et l’inefficacité du système actuel des centres régionaux.
Le doute ne profitera aux patients que sur le papier, puisque l’inversion de la charge de la preuve restera inchangée et qu’il est quasiment impossible à un lanceur d’alerte qui n’a pas accès à l’intégralité des données, ni une organisation pour le soutenir, de prouver une relation de causalité stricte entre un médicament et tels effets indésirables.
Les leaders d’opinion ayant des conflits d’intérêts continuent d’être promus malgré des déclarations allant dans le sens contraire : ainsi, Jean-Luc Harousseau [6] a été nommé à la tête d’une Haute autorité de santé qui ne fait toujours pas le travail d’évaluation transparente des rapports bénéfices/risques, coût/efficacité et efficience que font l’IQWIG allemand ou le NICE britannique.
Les publicités pharmaceutiques indirectes seront toujours de mise, avec la complicité des institutions publiques qui légitiment des campagnes d’ « éducation » à la santé destinées à vendre des médicaments grâce à la surmédicalisation et à la surmédicamentation des phénomènes physiologiques, des états d’âme ou des facteurs de risque.
Rien n’est fait pour contrecarrer une fois pour toutes le « paquet pharmaceutique » concocté par une Commission européenne qui, exprimant les intérêts de l’industrie pharmaceutique et non pas ceux de la santé publique, tente régulièrement d’imposer des dispositifs législatifs qui réduiraient à néant même les faibles protections existantes et permettrait un marketing pharmaceutique sans limites, mais non sans risques pour les patients.
Le marketing est le maître mot pour des firmes qui n’apportent plus d’innovations thérapeutiques, de même que pour des hommes politiques qui communiquent en allumant des contre-feux dont on attend toujours la traduction en actes. Si Xavier Bertrand souhaite qu’il y ait « un avant et un après Médiator », son projet de loi ne peut pas être adopté tel quel.
Comme un premier pas vers une refonte globale d’un système qui doit enfin servir la santé publique, la Fondation Sciences Citoyennes appelle à une application intégrale des propositions contenues dans le rapport du mois de juin de l’Inspection générale des affaires sociales, ainsi que des propositions formulées par la revue Prescrire [7], celles de l’UFC Que Choisir sur le recours collectif en justice [8] et les nôtres sur la déontologie de l’expertise et la protection de l’alerte [9].
[1] IGAS : « Rapport sur la pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament »
[2] Voir à ce sujet deux communiqués de presse détaillés de Sciences Citoyennes : ici et ici
[3] Sciences Citoyennes a élaboré une proposition de loi sur la déontologie de l’expertise et la protection de l’alerte :
[4] Au sujet des leaders d’opinion, voir cet article de Pharmacritique
[5] Voir le communiqué de presse de Sciences Citoyennes, contenant une analyse détaillée
[6] Sur les conflits d’intérêts du Pr Harousseau, voir ici
[7] Les 57 propositions de Prescrire sont ici
[8] Les propositions d’UFC Que Choisir sur l’action de groupe sont ici
[9] La proposition de loi sur la déontologie de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte : voir ici
Pour une vision globale, voir aussi le livre de Jacques Testart, Agnès Sinaï, Catherine Bourgain : « Labo-Planète ou Comment 2030 se prépare sans les citoyens » (Mille et une nuits 2010).
Contact : Elena Pasca – 09 54 88 58 42 - Mail
Source : site de la FSP