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Programme Genre et économie, les femmes actrices du développement

Les atouts d’un diagnostic participatif de genre

Interviews réalisées entre 2010 et 2012 par Bénédicte Fiquet, Adéquations

Mardi 1er janvier 2013

Françoise Sitti est cheffe du projet « Décollage social et professionnel des femmes au Togo » mené par l’association Sotchi, dans la Kara, une région du Nord du Togo. Elle explique en quoi un diagnostic participatif de genre (DPG) a permis d’identifier certaines conditions nécessaires - mais jusqu’alors insoupçonnées - à une meilleure intégration économique des femmes.


Mots clés : meilleure connaissance du public cible (ou diagnostic participatif), mariage civil, corruption, coopérative

«  Les personnes bénéficiaires du projet sont des jeunes femmes en milieu rural de la région de Kara, dans le Nord du Togo : des femmes analphabètes, des jeunes femmes qui n’ont pas achevé leur scolarité ou des jeunes filles et des anciennes victimes du trafic. Il faut savoir qu’une grande pauvreté sévit dans la région de la Kara. Comme les terres ne sont pas fertiles, on ne peut les cultiver sans acheter d’engrais chimiques. Mais investir n’est pas à la portée des paysans. Dans la région de la Kara, les filles ne sont pas maintenues à l’école. A partir du CM1 ou CM2, leurs parents estiment qu’ils n’ont pas assez d’argent pour les entretenir. Soit elles sont mariées de manière forcée, soit elles partent pour l’exode en vue de chercher un avenir meilleur et souvent elles tombent dans les griffes des trafiquants et au bout d’un ou deux ans, elles reviennent bredouilles. Il y a toute sortes d’exploitations : les plus jeunes vont travailler dans les champs de café en Côte d’Ivoire ou au Nigéria mais elles sont sous tutelle et leur tuteur ne leur remet pas la totalité de leur argent. Si elles réclament cet argent, elles sont renvoyées. Souvent, elles n’ont même pas les moyens de rentrer. Pour celles de 15, 16 ans, c’est la prostitution. Nous avions fait une enquête au Nord du Bénin, dans les bars de prostitution, 98 % des jeunes filles ou jeunes femmes viennent de la région de la Kara.

Nous travaillons donc avec ces filles qui sont devenues des jeunes femmes aujourd’hui, et qui ont souvent un ou deux enfants, pour éviter qu’elles ne repartent. Beaucoup abandonnent leurs enfants et repartent parce qu’elles se disent que là-bas, au moins, elles auront de quoi manger.

Au début pour enrayer tout ça, nous avions commencé à leur donner des petits crédits. Mais ce n’était pas la solution. Il suffit qu’un enfant soit malade, qu’une grossesse soit difficile, qu’un serpent morde quelqu’un et le capital va à l’hôpital. C’est la différence que je vois avec le projet que nous menons actuellement dans le cadre du programme Genre et économie. Il faut toute une préparation et agir sur l’environnement des femmes.

Un diagnostic participatif genre (DPG) pour mieux cerner les besoins des femmes impliquées.

Avec ce projet, nous voulons organiser ces femmes en coopérative après les avoir formées à la pâtisserie, à la transformation alimentaire et à la gestion des micro-entreprises. Ce type d’organisation favorise l’insertion économique durable des femmes mais demande une réelle sensibilisation, car dans la région ce n’est pas la coutume, comme ça l’est au Burkina où il y a beaucoup de coopératives. Dans la Kara, les femmes sont réticentes à s’organiser en groupement et nous devons donc anticiper un certain nombre de problèmes pour éviter les mésententes. Ainsi, nous avons conçu les questionnaires du DPG de manière à pouvoir identifier ce qui favoriserait leur regroupement en coopérative. Nous avons voulu nous assurer notamment, que toutes les femmes ou du moins la majorité d’entre elles, avaient contracté un mariage civil sachant que le mariage civil protège la femme. Or, à notre grand étonnement, il est ressorti que sur un échantillon de trente-quatre femmes, seules six d’entre elles avaient fait un mariage civil. Et sur les six en question, quatre l’avaient appris à l’occasion de ce questionnaire, autrement dit leur mari s’était marié civilement avec elle à leur insu pour toucher les allocations auxquelles la famille avait droit. D’autre part, le DPG nous a montré que les femmes ignoraient l’existence du mariage légal et donc les avantages qu’il conférait à la femme, à l’homme et aux enfants.

On s’est aussi demandé comment il était possible de contracter un mariage civil avec une femme en son absence. En fait la corruption est partout. Les maris ne vont pas à la mairie. Ils s’adressent dans le village, à l’agent de l’Etat civil qui est le secrétaire du chef, mais qui n’a pas de salaire. Quand on lui propose 5000 FCFA (7,5€) ou 2000 FCFA (3€), c’est beaucoup pour lui. Il s’empresse de remplir les papiers, on cherche quelqu’un pour apposer son emprunte en bas du papier à la place de la fille, et c’est réglé. La loi exige la présence des deux partis puisqu’il faut le consentement mutuel. La loi établit aussi que le mari doit avoir au moins 20 ans et la fille 18 ans. Or si la fille ne vient pas, comment peut-on savoir son âge ? Elle peut aussi bien avoir 12 ans ou 15 ans. Certaines jeunes filles sont aussi mariées à leur insu avec des hommes qui souhaitent partir travailler dans la sous-région parce qu’on donne plus facilement des permis de travail aux hommes mariés qu’aux célibataires. Sans doute parce qu’un homme avec une famille au Togo sera moins tenté de s’établir définitivement à l’étranger.

Impact de ces nouvelles données sur le projet

A vu de ces résultats du diagnostic participatif de genre, nous avons décidé d’inclure dans nos sensibilisations, le thème du mariage civil, thème que nous n’avions pas prévu initialement. Mais avant de sensibiliser les femmes à cette question, dans le souci d’une approche participative, nous avons choisi d’en savoir davantage sur les types de mariage qui se pratiquaient dans leur village ainsi que leurs effets éventuels. Nous avons constaté que le mariage traditionnel (je ne parle pas ici des mariages religieux : catholique, protestant ou musulman) était toujours célébré, y compris pour ceux qui s’étaient mariés religieusement. Les villageois apportaient au mariage traditionnel une importance d’autant plus considérable, qu’ils ignoraient souvent jusqu’à l’existence d’un mariage civil. Même si les chefs de village étaient autorisés à célébrer les mariages civils, dans les faits ils n’y recouraient jamais. A tel point que dans un village, la mairie avait fini par reprendre les registres.

Malheureusement, le mariage traditionnel ne fait qu’avantager les hommes et réduit les femmes au statut de victimes. Ainsi à la mort du mari, la femme est à la merci de la belle famille. Soit elle accepte d’épouser son beau-frère – c’est ce qu’on appelle le lévirat - soit elle s’en va avec ses enfants, sans bénéficier d’aucune aide. On l’exproprie, on lui enlève tous ses biens, parce que la belle-famille estime que ces biens sont ceux de son mari.

Je voudrais d’ailleurs souligner que dans le cadre du lévirat, le terme « accepter » n’est pas approprié. Dans les faits, la femme n’a pas la possibilité de décider. La tradition veut que l’on prenne un coq ou une pintade, qu’on égorge, puis qu’on jette à terre. Si la pintade se débat, ça veut dire que la femme a accepté. Cette pratique nous a été rapportée dans les cinq villages où nous avons fait l’animation.

Dans une seconde étape, nous sommes passé à la sensibilisation et nous avons expliqué ce qu’est le mariage civil. Nous avions apporté le code de la personne et de la famille, et nous lisions directement les articles du code aux femmes et aux hommes réunis. Finalement, ils ont compris que le mariage légal protégeait la femme mais aussi l’homme dans la mesure où il protégeait les enfants de ce dernier.

Le mariage civil, un atout pour une meilleure intégration économique des femmes

Sur le plan économique, le mariage civil apporte certaines garanties. Ainsi, le code de la famille précise que les femmes ont la liberté d’exercer des activités génératrices de revenus dès lors où ça ne porte pas atteinte au bien être de la famille. Or il y a des hommes qui n’acceptent pas que leur femme ait des activités génératrices de revenus. C’est le cas en particulier des Peuls. Le mariage civil, permet donc à ces femmes d’exercer librement les activités de leur choix.

D’autre part, en cas de décès du mari, les femmes peuvent hériter des biens de ce dernier et rester dans son foyer. Par ailleurs, les biens qu’elles auront acquis dans le cadre de leur travail en coopérative ne pourront pas leur être raflés par la belle-famille, puisque le mariage civil protège les biens de la femme comme ceux de l’homme. Certes, notre projet peut préparer une femme à bien gérer ses activités mais il ne peut pas lui garantir un pouvoir d’achat durable et la poursuite de ses activités si au décès de son mari, elle est chassé de la maison, voire même de son milieu. Si elle doit rejoindre ses parents qui habitent un autre village, est-ce qu’elle va recommencer tout ce processus ? Comment pourra-t-elle continuer à s’investir dans sa coopérative ? Ça peut également déstabiliser tout le groupement, si la femme y occupe une fonction clé.

Impact de la sensibilisation sur les femmes et leurs maris

Quand elles ont compris à quel point le mariage civil les protégeait, les femmes ont souhaité acheter le code de la famille, y compris celles qui ne savaient pas lire, pour convaincre les maris absents de la réunion.

Dans le village où les registres de mariage avaient été retirés, elles ont formé une délégation pour demander au maire qu’il redonne la compétence aux chefs de village de célébrer les mariages civils, de manière à ce qu’elles puissent régulariser le leur. Dans le village, ou certaines ont appris que leur mari, enseignant ou cadre, avait conclu « avec elle » un mariage civil en leur absence, sans qu’elles en soient informées, les hommes se sont engagés à ne plus agir de la sorte. Partout les femmes se mobilisent donc pour négocier avec les maris.  »

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