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Genre et migrationsMardi 15 septembre 2020, par |
Les statistiques récentes, portant sur la période entre 1990 et 2017, indiquent que les femmes et filles constituent, de façon stable, entre 48 et 51 % des migrante-s dans le monde. La proportion de femmes et d’hommes migrants varie selon les continents, les femmes étant majoritaires en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique Latine.
Dans le domaine de l’histoire des migrations, les publications sur les femmes migrantes sont longtemps restées assez parcellaires, en dehors de sphères « militantes » et féministes. Alors même que la proportion de femmes migrantes était à peu près égale à celles des hommes depuis au moins les années soixante et lui est maintenant supérieure dans plusieurs régions du monde , le migrant « type » était presque toujours un homme, les femmes étant supposées migrer en relation avec les hommes (regroupement familial) et être dépendantes économiquement des hommes.
Cette vision trop schématique étant répercutée par la recherche comme par les programmes d’appui, il en est résulté une connaissance plus fragmentaire de la place des femmes dans les migrations et des femmes des diasporas, issues des migrations. Selon Nasima Moujoud , « la plupart des analyses se limitent aux conditions au sein de la famille et des « communautés » migrantes, négligeant de prendre en compte l’ensemble des rapports sociaux de sexe, ainsi que les autres rapports sociaux de pouvoir, tant dans la société d’origine que dans celle d’arrivée. Enfin, le rôle des États de départ et d’arrivée, tout comme les similarités dans les changements que connaissent les femmes dans les diverses sociétés, ne sont pas intégrés dans la réflexion. »
On trouve ainsi des formulations telles que : « au cours de la période récente, l’immigration est perçue comme à l’origine de discriminations au sein même de la société d’accueil, c’est-à-dire frappant des français. Emerge progressivement la conscience du risque de traitement inéquitable, qui se transmet du père, étranger, au fils, voire au petit-fils, français, à cause non seulement de son origine, mais de son origine visible ». De nombreux ouvrages de démographes et spécialistes récemment parus en France comme contribution au débat public sur les migrations (souvent à visée pédagogique et contre les idées reçues) continuent à ne pas mentionner, ou seulement à la marge, les enjeux de genre, à part le classique rappel de l’importance numérique des femmes dans la migration. Si l’impact du changement climatique et de la crise écologique sur les migrations actuelles et à venir est, depuis peu, presque systématiquement mentionné, la question pourtant bien plus documentée des migrations de « care » (notion utilisée pour le travail domestique, de soins et de services aux personnes), voire de celles qui alimentent le marché du sexe, n’est presque jamais discutée. Elle a pourtant des impacts importants dans le domaine social et économique, à la fois dans les pays d’origine et d’accueil, (cf. ci-dessous).
Plutôt que d’une « féminisation de la migration », il faut donc parler d’une plus grande « visibilisation » . Et au fur et à mesure que les migrations des femmes deviennent plus visibles, de nombreux aspects de genre dans les échanges internationaux apparaissent : migrations pour fuir des violences de genre (mutilations sexuelles, mariages forcés, violences sexuelles lors de conflits armés), migrations de travail autonomes de jeunes femmes célibataires, de femmes soutiens de famille, migrations de care, migrations liées à l’essor de « l’industrie du sexe », voire du mariage transfrontalier, etc. Pour certain-es auteur-es, il s’agirait, dans le cadre de la division internationale actuelle du travail, d’une « sorte de nouvelle matière première extraite des pays du Sud pour être consommée dans les pays riches », d’un « nouvel échange inégal » . Pour d’autres, il faut rompre avec une approche des femmes comme victimes et ne pas minimiser les capacités et stratégies d’autonomisation des femmes, à partir d’activités en apparence dévalorisantes.
Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à migrer vers des pays à revenus élevés. Tendance nette depuis plusieurs années, la « féminisation de la migration qualifiée » , reste insuffisamment étudiée, alors même qu’elle dément les stéréotypes sur les femmes migrantes peu éduquées et dépendantes. La chercheuse Mirjana Morokvasic se demande « pourquoi les recherches sur la création d’entreprises par les immigrées ou sur l’entrepreneuriat au féminin sont si rares. Les immigré(e)s sont de plus en plus qualifié(e)s : comment se fait-il que les quelques travaux qui soulèvent la question des femmes hautement qualifiées privilégient le secteur des soins se limitant aux infirmières ? Les femmes médecins immigrées, ingénieures, etc., existent pourtant, mais ne trouvent pas de place dans notre regard qui s’est habitué à les [les femmes migrantes] voir comme subalternes ».
On trouve également des femmes migrantes dans des domaines précédemment occupés par les hommes, comme l’industrie et l’agriculture. Mais même quand elles sont diplômées et/ou occupaient des emplois qualifiés dans leur pays d’origine, beaucoup d’entre elles se trouvent cantonnées à des emplois pénibles, mal rémunérés, aux horaires contraignants (travail domestique, services à la personne, nettoyage dans l’industrie et les hôtels).
Les impacts des migrations des femmes en matière d’évolution des rapports de genre dans les pays de départ, les pays d’accueil et sur les femmes migrantes elles-mêmes (et les hommes) sont à étudier au cas par cas. Les migrations de care peuvent conforter les stéréotypes sexués (les tâches domestiques seraient une compétence « naturelle » des femmes), tout en contribuant à dédouaner les pays d’accueil de développer des services publics adaptés et les couples aisés à négocier un partage équitable des rôles parentaux, puisqu’ils ont les moyens de se décharger des tâches domestiques et de soins aux enfants sur d’autres femmes. De leur côté, ces femmes migrantes sont confrontées à une double journée de « travail de care », l’une précaire et faiblement rémunérée, l’autre gratuite à l’intérieur de leur propre foyer. Certaines sont contraintes de confier leurs enfants à leur famille dans leur pays d’origine, ce qui est parfois vécu comme un abandon et est par ailleurs susceptible d’aggraver la charge de travail de femmes âgées ou d’entraver la scolarité des jeunes filles. Toutes ces répercussions des « chaînes économiques de care » devraient être prises en compte à la fois par les pays de départ et les pays d’accueil, que ce soit du point de vue des politiques sociales et de protection des travailleuses domestiques, comme des politiques d’aide au développement et de réduction de la pauvreté et des inégalités.
L’acquisition par les femmes de nouveaux droits dans les pays d’accueil et leur rôle de pourvoyeuses de fonds peuvent leur conférer une nouvelle autonomie ; c’est l’une des motivations qui les pousse à entreprendre une migration. Cette émancipation est parfois conflictuelle dans le cas de relations de genre « traditionnelles » au sein des familles. Quoiqu’il en soit, les politiques migratoires ont toujours des répercussions sur le genre, favorables quand il s’agit de la protection des migrantes victimes de violences ou menacées de mariage forcé ou de mutilations sexuelles, défavorables par exemple dans le cas de l’allongement des durées d’obtention de titres de séjour, la dépendance au conjoint, qui accroît les risques de violences de genre, ou quand le pays d’accueil s’aligne sur des codes de la famille discriminatoires des pays d’origine, dans le cadre d’accords bilatéraux. L’impact des migrations sur l’évolution des masculinités dans les pays d’accueil et les pays de départ reste aussi un champ d’études à développer.
En ce qui concerne la contribution des diasporas au développement, ce sont d’abord majoritairement des hommes qui ont été mis en avant, via les associations villageoises et fédérations par pays, présidées par des hommes et dont les conseils d’administration restent plutôt masculins. Cependant, depuis quelques années, le dynamisme et la diversité des associations créées par des femmes issues des migrations sont beaucoup plus valorisés dans le champ de la solidarité internationale et de la citoyenneté.
S’il existe relativement peu de données désagrégées précises concernant les montants des transferts de fonds ou les méthodes des transferts et leurs coûts, on considère généralement que les contributions des femmes constituent au moins la moitié des transferts (Western Union, 2015) et « une plus grande proportion de leur revenu quelle que soit leur nationalité et leur pays de résidence » (OIM) . Les femmes ont pourtant des revenus moindres que ceux des hommes et potentiellement plus de difficultés en matière d’accès à des comptes bancaires et de moyens de communication, sans compter le coût élevé des transferts, qui les affectent d’autant plus. Les pays destinataires des flux les plus importants sont aussi ceux qui connaissent une forte émigration de travail féminine, notamment pour les travaux de care (Inde, Chine, Philippines, Mexique). Selon les travaux du Forum mondial sur la migration et le développement, « les Philippines apportent plus d’un tiers des 12 à 16 milliards de dollars envoyés tous les ans ; et au Népal, 23% du PIB vient des envois de fonds des femmes » .
Les femmes mettraient donc plus d’argent de côté et enverraient leur aide sur une base plus stable et plus régulière que les hommes, avec des montants proportionnellement plus élevés. D’après ONU Femmes (2013), les fonds ont « plus de chances d’être plutôt affectés à la santé, l’éducation, la famille, au développement communautaire », les activités génératrices de revenus et de subsistance .
Cependant, les données existantes restent globalisantes. On manque d’analyses des parcours migratoires reflétant la grande diversité des conditions, des motivations et des statuts sociaux, l’évolution des relations de genre et intrafamiliales dans les régions de départ et d’arrivée, toutes ces conditions influant nécessairement sur la nature des transferts et des projets soutenus par des femmes migrantes et par les femmes nées en France de parents immigrés.
Les femmes migrantes connaissent des difficultés spécifiques, notamment en termes de risques accrus de violences sur le parcours migratoire et dans le pays d’arrivée, de stéréotypes croisés racistes et sexistes (telle une vision fréquente de la femme analphabète, soumise à son mari), de harcèlement de rue, de difficulté d’adaptation et d’exploitation économique. Par exemple, les femmes migrantes ont plus de risques d’être contaminées par le virus du sida en France, du fait de leur précarité .
Dans l’Union européenne, les législations relatives à la migration et à l’asile intègrent peu la question du genre, se limitant souvent à l’aborder sous l’angle des « femmes victimes », mais sans pour autant offrir de protection réellement efficace . En France, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes appelle à mieux prendre en compte la situation des femmes migrantes et demandeuses d’asile (qui constituaient un tiers des demandeurs d’asile en 2016 et 2017).
Au niveau onusien, les droits des femmes migrantes sont rappelés dans la Convention internationale pour l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes (CEDEF) et le Programme d’action de la Conférence de Pékin. L’Organisation internationale du travail a adopté une Convention sur le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, entrée en vigueur en 2013 et qui concerne de fait beaucoup les femmes migrantes .