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Lettre ouverte de 2024 aux représentant.e.s permanents auprès des Nations unies sur l’agenda Femmes, Paix et SécuritéJeudi 10 octobre 2024, par Adéquations est signataire de la Lettre ouverte du groupe de travail des ONG sur Femmes, paix et sécurité, adressée aux représentant.e.s permanents auprès des Nations unies avant le débat ouvert annuel sur l’agenda Femmes, Paix et Sécurité de 2024. |
Chers ambassadeurs, chères ambassadrices,
A l’approche du débat ouvert de cette année sur l’agenda femmes, paix et sécurité (WPS en anglais) et un an avant le 25ème anniversaire de la résolution 1325 (2000), nous rédigeons cette lettre en tant qu’organisations de la société civile oeuvrant pour la paix, le droit des femmes et l’égalité des genres, pour vous exhorter à redoubler d’efforts dans la réalisation des idéaux de l’agenda femmes, paix et sécurité.
Aujourd’hui, nous somme confrontées à des niveaux record de conflits armés, de militarisation et de dépenses militaires, qui sapent l’égalité des genres, menacent de réduire à néant des décennies de progrès en matière des droits des femmes et mettent en péril les efforts internationaux en faveur de la paix. Les femmes et les groupes marginalisés sont les plus affectés par les conflits et les crises, y compris les violences sexuelles liées au conflit, la pauvreté, le déplacement forcé et la faim. La militarisation accrue s’est accompagnée d’attaques continues sur plusieurs fronts contre les normes universelles, en particulier les droits humains et le droit international ; contre les défenseuses des droits des femmes et l’espace de la société civile ; et contre la démocratie-même. En outre, la montée des représailles au niveau mondial contre la justice des genre, les droits humains et le droit des femmes et des personnes LGBTQIA+1 à disposer de leur corps, aggravée par leur exclusion systématique des prises de décisions au niveau international et du maintien de la paix, signifie que les personnes les plus touchées par les conflits armés sont aussi celles dont les voix sont les plus invisibilisées.
La vision de paix et d’égalité de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité n’a jamais été aussi importante - ni autant menacée.
Le coût de l’incapacité de la communauté internationale à mettre pleinement en oeuvre l’agenda femmes, paix et sécurité au cours des 24 dernières années se mesure en vies perdues, en droits bafoués et en conflits prolongés. Pourtant, les mouvements féministes continuent de lutter contre la misogynie et la répression pour un avenir plus juste et plus pacifique. Elles n’accepteront rien de moins que leurs droits - et vous devriez en faire autant.
Le Conseil de sécurité de l’ONU ne peut pas se permettre de laisser passer un autre anniversaire sans progrès significatif en matière de protection des droits des femmes en situation de conflit. C’est pour cela que nous vous demandons instamment de prendre des mesures décisives dans les 10 domaines suivants et de les mettre en oeuvre dans toutes les crises inscrites à l’ordre du jour du Conseil :
1. Prévenir, éviter et mettre fin aux conflits. Mettre fin à la violence est le moyen le plus efficace de protéger les droits des femmes et des filles dans toutes les situations de conflits et de crises. Comme le prévoit la Charte de l’ONU, c’est au Conseil de sécurité qu’incombe la responsabilité première de maintenir la paix et la sécurité. Pour prévenir les conflits, il faut s’attaquer aux facteurs de conflits liés au genre, notamment le patriarcat, toutes les formes d’inégalité, y compris l’inégalité socio-économique, les formes multiples et croisées de discrimination, l’exclusion et la violation des droits humains. L’égalité des genres et les droits humains sont essentiels, peu importe le contexte. Nous demandons donc instamment au Conseil de sécurité de veiller à ce que les droits des femmes et des filles soient au coeur de tous les processus internationaux de paix et de sécurité, y compris de ses propres décisions, sans exception. En outre, le Conseil doit respecter le droit international relatif aux droits humains et le droit international humanitaire, ainsi que toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, y compris celles liées à l’agenda Femmes, Paix, Sécurité et intensifier la diplomatie préventive pour garantir une résolution inclusive, sensible au genre, pérenne et pacifique de tous les conflits.
2. Reformer le Conseil de sécurité. La crédibilité du Conseil de sécurité à remplir son mandat de manière significative a été fondamentalement ébranlée par son incapacité à traiter efficacement les conflits, y compris récemment la guerre brutale menée par Israël à Gaza et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui ont toutes deux eu des conséquences dévastatrices sur les droits des femmes et des communautés marginalisées. Nous vous demandons instamment de vous engager à reformer le Conseil de sécurité afin de construire un système multilatéral plus représentatif, plus transparent, plus démocratique et plus responsable, capable de tenir efficacement la promesse de paix de la Charte de l’ONU. Cela devrait inclure une action crédible, opportune et décisive du Conseil de sécurité pour prévenir ou mettre fin à la commission de génocides, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, et conduire à la fin de l’utilisation du veto sur les résolutions visant à mettre fin aux atrocités de masse. Nous vous invitons en outre à signer le code de conduite du groupe “Responsabilité, cohérence et transparence” (Accountability, Coherence and Transparency Group en anglais), vous engageant ainsi à ne pas voter contre un projet de résolution crédible présenté au Conseil de sécurité visant à mettre un terme à ces crimes.
3. Arrêter les transferts d’armes lorsqu’il existe un risque considérable qu’elles soient utilisées pour “commettre ou faciliter des actes graves de violence basée sur le genre ou des actes graves de violence contre les femmes et les enfants,” ou si les Etats membres savent ou auraient du savoir, au moment de l’autorisation, qu’elles seraient utilisées pour commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève, des attaques dirigées contre des civils ou des biens civils, ou d’autres crimes de guerre, conformément au traité sur le commerce des armes (ATT en anglais). Le respect des obligations et des normes en matière de désarmement, de maitrise des armements et de non-prolifération4 est essentiel à la prévention des conflits et le non-respect des engagements en matière de désarmement risque d’entrainer de nouvelles violences. Les Etats ont l’obligation légale de respecter les embargos sur les armes imposés par le Conseil de sécurité. Nous vous demandons également de réduire les dépenses militaires et à la place d’augmenter le financement pour l’égalité des genres et l’assistance humanitaire mondiale afin de garantir qu’aucun besoin ne reste insatisfait.
4. Défendre les droits humains des femmes. Les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des femmes, tels qu’ils sont consacrés par le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité, constituent le fondement de l’agenda femmes, paix et sécurité. 5 Le Conseil de sécurité doit donc placer les droits humains, en particulier les droits des femmes, des filles et des personnes LGBTQIA+, au centre de toutes les discussion, processus et décisions en matière de paix et de sécurité, prendre des mesures coordonnées pour contrer les représailles conte l’égalité des genres et rejeter tout aboutissement qui porte atteinte aux droits des femmes. Les membres du Conseil doivent également exiger systématiquement et publiquement que les parties belligérantes et les autres acteurs concernés abolissent immédiatement toutes les lois, politiques ou pratiques qui empêchent ou restreignent la pleine jouissance des droits humains des femmes, conformément aux normes internationales.
5. Faire progresser la justice en matière de droits reproductifs. L’autonomie reproductive et le droit de vivre dans des communautés sûres, pacifiques et durables sont essentiels pour les femmes dans les situations de conflits et de crises partout dans le monde. Nous demandons instamment aux membres du Conseil de sécurité de protéger et de faire respecter la santé et les droits sexuels et reproductifs (SRHR en anglais), conformément aux normes internationales, y compris les résolutions pertinentes liés à l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, dans toutes les situations de conflits inscrites à son ordre du jour.6 Nous vous demandons en outre de soutenir politiquement et financièrement des services de santé sexuelle et reproductive complets, de haute qualité et non-discriminatoires, y compris l’accès à la contraception, à l’avortement sans risque et aux soins de santé maternelle et d’intégrer pleinement ces droits dans les plans de prévention, de réponse et de relèvement en cas de crises.
6. Exiger la présence des femmes à la table des négociations. Les femmes ont le droit à une représentation pleine et égale.7 Soutenez politiquement et financièrement la participation pleine, égale et significative et le leadership des femmes dans toute leur diversité8 a tous les niveaux et a toutes les étapes de la prise de décision, avec un objectif de 50 % de représentation.9 En particulier, nous vous demandons d’accorder la priorité à la participation directe des femmes aux processus politiques et de paix formels de niveau 1 ou de haut niveau et surtout à la représentation significative des femmes défenseures des droits humains et artisanes de la paix, ainsi que des mouvements féministes. Les femmes doivent être en mesure d’influencer les résultats et la mise en oeuvre des négociations, dans tous les domaines. En outre, il faut rendre la participation égale, directe et influente des femmes dans tous les processus de paix et les rassemblements soutenus par l’ONU obligatoires.10 Le Conseil de sécurité, les Nations unies et les Etats membres ne doivent approuver, faciliter, participer ou soutenir des processus de paix ou politiques dont les femmes sont exclues.
7. Soutenir l’action humanitaire fondée sur les principes. S’assurer que l’action humanitaire soit sensible aux questions de genre et localisée et garantir un accès sûr et sans entrave aux populations les plus touchées, quel que soit leurs identités, comme l’exige le droit international. Une réponse humanitaire fondée sur les principes n’est possible que si elle met l’accent sur la non-discrimination, les droits humains fondamentaux et la participation des femmes dans toute leur diversité.11 Permettre aux lois, politiques et pratiques discriminatoires de déterminer ou d’imposer des contraintes sur la manière dont les acteurs humanitaires opèrent— par exemple en déployant des équipes d’intervention exclusivement masculines ou en refusant l’accès aux services sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre — sape les principes humanitaires, limite l’accès aux femmes et aux filles d’identités diverses, renforce l’exclusion et menace encore d’avantage les droits des femmes. Il faut encourager la participation de femmes diverses à la conception et à la mise en oeuvre d’assistance humanitaire, ainsi qu’à toutes les prises de décision en la matière.
8. Exiger la justice et la responsabilisation. Toutes les violations des droits des femmes, y compris toutes les formes de violences basées sur le genre, les violences sexuelles liées au conflit et les attaques contre les défenseuses des droits humains, doivent être condamnées publiquement, faire l’objet d’une enquête approfondie et rapide et les auteurs doivent être responsabilisés. Le respect du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, y compris le respect des mesures provisoires de la Cour international de justice (CIJ), l’obligation de prévenir les génocides et la fin de l’impunité, sont les obligations primordiales des Etats membres et sons essentiels pour garantir la justice aux survivant.e.s. Nous vous demandons instamment de poursuivre des stratégies de responsabilisation axées sur les questions de genre, notamment en codifiant l’apartheid de genre et en soutenant les poursuites pour persécution basée sur le genre devant la Cour pénale internationale et en veillant à ce que les violations de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes (CEDAW) fassent l’objet de poursuites devant la Cour internationale de justice. Tous les efforts en matières de justice et de responsabilisation, y compris les processus de réparation, doivent être axés sur les droits et centrés sur les survivant.e.s, afin d’éviter de reproduire les préjudices, de favoriser la récupération et de s’attaquer aux causes profondes des violations telles que la discrimination et l’inégalité.
9. Soutenir les mouvements féministes, qui sont au coeur de l’agenda Femmes, paix, sécurité. L’ONU et tous les Etats membres doivent s’engager à appliquer pleinement une approche « tolérance zéro » à l’égard de toute forme d’attaque, d’intimidation, de représailles ou de vengeance à l’encontre de femmes d’identités diverses en raison de leur participation politique, de leurs activités humanitaires et de défense des droits humains, de leurs activités de construction de la paix ou de leur coopération avec les mécanismes de l’ONU, y compris le Conseil de sécurité. Toutefois, la protection ne doit jamais compromettre la participation. Il est essential que les femmes indépendantes et d’identités diverses de la société civile et défenseures des droits humains continuent d’informer toutes les politiques de paix et de sécurité, y compris les discussions du Conseil de sécurité13 ; que leur sélection et leurs opinions indépendantes soient pleinement respectées ; et surtout, que leurs recommandations soient suivies d’actions.
10. Financer la paix, pas la guerre. Augmenter le financement des organisations, des réseaux et des mouvements locaux dirigés par des femmes, oeuvrant pour les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ et soutenir les initiatives qui promeuvent l’égalité des genres et le leadership féministe. Fournir un financement direct, accessible, à long terme et flexible aux femmes de la société civile et promouvoir les partenariats avec elles, afin qu’elles puissent travailler en toute sécurité, de manière durable et efficace, sans entraves.14 Atteindre l’objectif minimum d’affecter 15 % des fonds à des programmes qui font progresser l’égalité des genres et allouer un minimum de 1 % de l’aide au développement à l’étranger aux organisations de défense des droits des femmes et de construction de la paix dirigées par des femmes d’ici 2025, en s’engageant fermement à augmenter cette contribution à l’avenir.15 Nous vous exhortons en outre, en tant que bailleurs, à soutenir l’indépendance et l’intégralité des organisations de la société civile, en particulier celles qui travaillent sur des questions contestées, afin de garantir qu’elles soient en mesure de poursuivre leur travail essentiel, à l’abris d’obstacles et d’interférences.
Au cours des 24 dernières années, les femmes de la société civile, y compris les défenseuses des droits humains, les artisanes de la paix et les mouvements féministes, se sont trouvés en première ligne des conflits : elles ont plaidé pour la paix, fait entendre la voix des communautés touchées et ont eu le courage de dire la vérité, tout en traçant une voie claire vers des sociétés plus justes, plus égalitaires et pacifiques. A l’approche du 25è anniversaire de la résolution 1325, les femmes, les filles et les personnes LGBTQIA+ d’Afghanistan, de la République centrafricaine, de Colombie, de la République démocratique du Congo, de Haïti, d’Irak, de Libye, du Mali, du Myanmar, des territoires palestiniens occupés, de Somalie, du Sud-Soudan, du Soudan, de Syrie, d’Ukraine, du Sahara occidental, du Yémen et de toutes les autres crises inscrites à l’ordre du jour de Conseil de sécurité se tourneront vers vous pour que vous teniez vos promesses de ces 25 dernières années.
Cordialement,
Liste des signataires dans la version pdf de la lettre
https://www.womenpeacesecurity.org/.