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De l’approche « femmes et développement » à l’approche « genre » Genre et développementImportance du genre dans la coopération et la solidarité internationale 2008 En 1995, la Conférence mondiale de Pékin, organisée par l’ONU sur la situation des femmes, a marqué une rupture dans la manière de prendre en compte les intérêts des femmes et leur participation aux processus de développement humain équitable. Dans le domaine de l’aide au développement et de la solidarité internationale, à l’approche dite « femmes et développement », qui ciblait les femmes de manière isolée dans des projets ou des volets spécifiques, succède l’approche « genre et développement », qui s’efforce de prendre en compte en même temps les femmes et les hommes dans chaque contexte social. Il s’agit, dans tous les projets, outre le fait de répondre aux besoins pratiques immédiats des femmes, de veiller simultanément à renforcer leurs intérêts stratégiques, leurs capacités et leur autonomie à plus long terme, afin d’agir sur des situations initiales inégalitaires entre femmes et hommes. |
Initiée pendant la « Décennie des femmes » (1975 à 1985) organisée par les Nations unies pour tenter de résoudre le problème des inégalités entre femmes et hommes dans le développement, l’approche « femmes et développement » a tenté de répondre aux besoins spécifiques des femmes dans tous les secteurs, orientant les projets concernés vers des opérations dont elles étaient les seules bénéficiaires.
A terme, ce caractère souvent trop exclusif, ignorant les positions inégalitaires et les interactions entre hommes et femmes au sein de la famille et de la communauté, a parfois conduit paradoxalement à marginaliser des femmes. Les détournements occasionnels, par des hommes, de crédits ou d’équipements alloués aux femmes en sont une illustration, par exemple en matière de micro-crédit, d’aménagements agricoles, etc.
Si des actions spécifiques permettent souvent à des femmes d’accéder à des ressources utiles (formation, organisation, crédit…), ces actions montrent leurs limites lorsqu’elles ne prennent pas en compte, dans chaque situation, les relations culturellement construites et les inégalités initiales existant entre les femmes et les hommes : accès inégal à la terre, à l’éducation et à la formation continue, aux ressources du travail, à l’activité agricole, au contrôle du revenu, à la représentation politique, au pouvoir… De la même façon, les programmes éducatifs s’adressant aux fillettes ne peuvent avoir un impact suffisant sur les évolutions sociales qu’en prenant aussi en compte l’éducation des garçons à l’égalité entre femmes et hommes, et en luttant, par exemple, contre les stéréotypes sexués, encore nombreux dans les manuels scolaires.
Par ailleurs, à partir des années 80, en lien avec les politiques macro-économique d’ajustement structurel visant à résorber la "dette du tiers-monde", l’éclatement de structures sociales qui assuraient la production, l’éducation, la transmission culturelle, l’insertion et la sécurité sociale a eu pour effet l’appauvrissement de groupes entiers de populations dans de nombreux pays défavorisés. Ces processus ont aussi modifié ou perturbé les relations entre hommes et femmes. Ils ont entraîné à la fois des effets positifs quant à la reconnaissance des droits des femmes, à leur autonomie et à leur prise de responsabilité - mais souvent au prix d’un accroissement de leur quantité de travail - et des effets négatifs en rendant plus vulnérables certains groupes sociaux et particulièrement de femmes, notamment dans le secteur informel, et dans les mégalopoles (habitat insalubre, violences, familles monoparentales, etc.).
La prise en compte de toutes ces interactions, et particulièrement celles directement liées à l’évolution des rôles sociaux féminins et masculins dans un contexte de mondialisation économique rapide, constitue donc un élément essentiel pour atteindre l’objectif politique des droits humains, de la gouvernance et du renforcement des capacités, et sur le plan pratique, pour accroître l’efficacité de l’aide et éviter de multiples échecs et gaspillages.
Sans pour autant renoncer à des actions ciblant spécifiquement des femmes en vue du renforcement de leurs capacités et de leurs droits, il s’est donc avéré nécessaire de replacer toutes les interventions en faveur du développement dans le contexte des relations sociales entre les hommes et les femmes, et de définir des stratégies qui prennent en compte les différences entre leurs situations respectives. Cette nouvelle approche, qui correspond au concept sociologique de « genre », a pour objectif un développement qui réduise les inégalités entre hommes et femmes, dans un souci d’efficacité autant que de justice sociale.
L’approche « genre et développement » vise à contribuer à équilibrer les rapports de pouvoir entre les deux sexes, et pas uniquement à résoudre les « problèmes des femmes ». Elle tient compte de la répartition des rôles et des activités des hommes et des femmes, qui ne répond pas à un modèle unique et figé, mais dépend étroitement des sociétés et du temps où elle s’inscrit. Dès lors, les femmes sont reconnues, avec les hommes, comme actrices et partenaires des processus de développement, et plus seulement comme bénéficiaire de projets.
Ainsi, en raison de la division sexuée du travail, particulièrement forte dans certains pays du Sud, femmes et hommes ont des connaissances différentes sur les plantes et les techniques agricoles. L’aide à des programmes de modernisation agricole tournés vers les hommes, sous forme d’apports d’engrais, en oubliant d’analyser les tâches effectuées par les femmes, a pu rendre la vie de ces dernières plus pénible par l’augmentation du travail de désherbage dont elles avaient la charge, sans pour autant les faire bénéficier de revenus plus importants . L’aménagement de bas-fonds, la mise en valeur de terres marginalisées réservées précédemment aux femmes, leur a souvent fait perdre l’accès à ces terres au profit des hommes. Les projets de conservation, de sélection, d’accroissement de productivité, doivent tenir compte des compétences de genre et des savoirs des femmes en matière de biodiversité. Dans certaines régions au Sud, tandis que les hommes s’occupent de quelques cultures céréalières, les femmes cultivent plus de cent vingt espèces vivrières et locales et détiennent des savoirs traditionnels irremplaçables dans ce domaine.
Autre exemple : en Afrique, les trois-quarts des jeunes qui deviennent séropositifs sont des femmes. C’est que l’épidémie de VIH-Sida y est aggravée par des prescriptions et des stéréotypes culturels qui se traduisent par des comportements différents des hommes et des femmes, et par des lois discriminatoires à l’égard des femmes. Ainsi, sont-elles rarement en mesure d’exiger le préservatif et la fidélité. Beaucoup sont victimes de violences et de mariages précoces ou contraintes à la polygamie. Pour être efficaces, la prévention et les traitements doivent donc prendre en compte les rapports sociaux de genre.
Distinguant les besoins « pratiques » des femmes, qui touchent à leur vie quotidienne, de leurs intérêts « stratégiques », qui visent à moyen et long terme leur intégration à la vie de la société dans son ensemble, l’approche genre nécessite que les projets prennent en compte ces deux niveaux.
Il est ainsi apparu pertinent d’impliquer les hommes dans les questions relevant de la sphère domestique, donc du domaine traditionnellement dévolu aux femmes (santé, éducation, alimentation de la famille), comme d’impliquer les femmes dans la gestion du développement et dans des secteurs d’où elles sont souvent écartées : action et représentation politiques, technologies, infrastructures, gestion d’équipements, etc. L’approche genre vise donc l’implication complémentaire et égale des femmes et des hommes dans toutes les problématiques du développement.
Cette perspective conduit à des évolutions aussi nécessaires que fondamentales des structures sociales et des institutions, à des changements profonds de comportements individuels et collectifs. Elle peut se heurter à des résistances du fait des transformations politiques, sociales, culturelles qu’elle suppose, que ce soit en matière d’actions de terrain ou dans le domaine du fonctionnement interne des institutions de développement, au Nord comme au Sud. La démarche de genre requiert donc, outre une formation des acteurs aux concepts et à l’utilisation des outils méthodologiques du genre, des moyens suffisants pour mettre en œuvre ces compétences, et surtout une réelle volonté politique pour accompagner et favoriser l’évolution vers des rapports de genre plus égalitaires.