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Les lobbies : au coeur de la gouvernance européenneLundi 29 septembre 2008 Ce texte de position, reproduit ici avec l’aimable autorisation de son auteur, Claude Layalle, du comité ATTAC Paris 12ème, dresse un tableau des acteurs et des pratiques du lobbying en France, en Union européenne et aux Etats Unis, et analyse la portée et l’impact de ces pratiques des groupes d’intérêt. |
Les lobbies sont de natures très variées : Une entreprise, un groupement d’entreprises, un syndicat professionnel, une église, une obédience franc maçonne, un think thank, une association ou un club de bridge. Le seul point commun entre ces différents lobbyistes est qu’ils veulent influencer un centre de pouvoir ciblé dans le sens de leurs intérêts, de celui de leurs adhérents, ou tout simplement conformément à leur volonté ou leur idéologie.
Généralement, le lobbying agit sur les représentants du pouvoir. Parfois il le fait au travers de l’opinion publique contre le gré des politiques : Ce n’est cependant pas une loi générale : Le lobbyisme prend souvent la forme d’un service rendu par le lobbyiste à sa cible politique tout à fait consentante, par exemple en lui préparant des dossiers prêts à signer.
Il ne faudrait pas confondre lobbying et corruption, bien qu’ils soient souvent consubstantiels. En théorie, la méthode du lobbying est de convaincre, celle de la corruption d’acheter un service illégitime, mais la corruption est parfois le moyen le plus efficace de convaincre.
Les formes de lobbying dépendent du milieu dans lequel il s’exerce.
Il repose souvent sur le clientélisme, la tradition et la pression des dominants, par exemple une grosse entreprise, un gros propriétaire ou le curé de l’église locale. Combattre le lobbying à ce niveau signifie en fait combattre un pouvoir local.
C’est probablement le lobbying le plus insidieux, très efficace à long terme. Il s’attaque moins aux problèmes concrets mais plus aux idées et aux comportements : Sur une base idéologique, il vise à orienter les capacités d’analyse des décideurs qui en sont la cible.
C’est le lobbying des sectes, mais aussi des clubs de réflexion, think tanks, loges maçonnes, cercles divers dans lesquels certains décideurs eux-mêmes sont partie prenante, avant de relayer la doctrine dans leur milieu politique et de la prendre en compte dans le cadre de leurs décisions.
C’est la forme de lobbying la plus connue sinon la mieux connue : celle des entreprises, ou des groupements d’entreprises, qui entretiennent des contacts étroits avec les personnels politiques, individuellement ou dans le cadre de groupes de travail, sous couvert de les assister dans leur tâche législative ou décisionnelle. En France, ce lobbying est aussi celui de certains ordres institutionnels et corporatistes comme l’ordre des médecins, des notaires ou des géomètres experts.
Ils ont des plans à long terme conformes à leurs propres intérêts, qu’ils proposent aux politiques, lesquels ont toujours le pouvoir de décider, mais sur des dossiers qu’on leur a préparés sur mesure.
A Bruxelles comme à Strasbourg, il y a plus de lobbyistes conseilleurs que de personnels politiques à conseiller (entre 10 et 15 000 lobbyistes suivant les sources) et la situation est la même dans les parlements nationaux où ils ont libre entrée : Il n’est pas rare que telle ou telle entreprise organise des réunions de travail sur des sujets en discussion dans les propres locaux du Sénat français. Seule une petite minorité de lobbyistes (moins de 10%) ne se réclament pas d’objectifs économiques, encore faudrait-il en soustraire les nombreuses associations « bidon » créées par les entreprises elles-mêmes pour contrer les arguments qui leur sont opposés.
C’est un lobbying très particulier et en vérité mal connu que l’on rencontre en particulier en France dans le secteur des industries d’armement et aérospatiales. Je ne sais si la situation est la même dans d’autres pays européens.
Ces industries ont pour clients quasi exclusifs des pouvoirs publics nationaux, européens ou étrangers, dans le cadre d’un ensemble compliqué d’accords internationaux, d’imbroglio politiques et de règles administratives liés à la nature particulière de leur activité.
Leur activité est considérée comme de la délégation de service public et à ce titre les pouvoirs publics assurent un certain contrôle sur leur gestion, avec des contrôleurs et des ingénieurs de l’état. Dans l’industrie aérospatiale française, des agents de l’état sont en permanence présents dans l’entreprise et les taux horaires, pour les travaux en dépenses contrôlées doivent être autorisés par les agents de l’état à l’issue de négociations annuelles.
On pourrait même croire que l’on assiste à du lobbying à l’envers, les entreprises privées fonctionnant sous le contrôle de l’Etat mais ce n’est qu’une fausse impression.
Dans ce système, le lobbying qui n’exclut ni la corruption ni la prévarication s’exerce à très haut niveau, au sein des états-majors et des directions d’entreprises et le pantouflage y est une pratique courante malgré tous les règlements et décrets supposés l’interdire.
Il existe quand même, dans l’industrie d’armement, un lobbying corporatif. On recense à Bruxelles au moins 3 lobbies militaro industriels importants : Le « New Defence Agenda »(NDA), financé à l’origine par Lockheed Martin et BAE Systems, l’Association européenne des constructeurs de matériel aérospatial (AECMA) et le Groupe européen des industries de défense (EDIG)
Certaines ONG de dimension internationale ont les moyens d’entretenir des lobbyistes à titre permanent ou à temps partiel pour intervenir à Bruxelles ou Strasbourg à l’occasion de certains dossiers. Ce sont généralement des associations internationales de terrain comme OXFAM, le CICR, le WWF ou encore Greenpeace mais l’UE classe aussi dans cette catégorie associative par opposition aux lobbies industriels des agences gouvernementales ou intergouvernementales comme le PNUD, l’UNIDO [1], l’UNICEF et … last but not least … l’OMC !!
Sont aussi reconnues dans les lobbies associatif des fondations, souvent émanations directes des entreprises : En France notamment, la loi sur le mécénat de 2003 a incité les entreprises à créer des fondations bénéficiant d’avantages fiscaux. Les plus polluantes comme les pétroliers n’hésitent pas à sponsoriser des activités dans l’environnement et l’écologie [2].
De source « Fondation de France », il y aurait eu cinq fois plus de fondations créées en France en 2004 et 2005 qu’en 2003, ce qui représenterait 175 fondations à vocation humanitaire avec un budget total de 116 millions d’Euros pour l’année 2004. Il serait intéressant de savoir, mais cette donnée nous manque, combien de ces associations nouvelles pratiquent le lobbying et dans quel sens.
A Bruxelles, on classe aussi dans cette catégorie du lobbying associatif le lobbying d’influence.
On aurait tort de ranger tous les lobbies dits économiques ou industriels dans le même sac : Ils ne sont pas tous formés de la même façon et ne poursuivent pas tous les mêmes buts au-delà de leur image commune de bras armé du libéralisme. Voici quelques exemples.
Europabio représente 40 multinationales et 13 sociétés nationales. Dans la composition du groupe, il y a Bayer, Monsanto Europe, Nestlé, BASF, Aventis, Syngenta Seeds, Organibio, Unilever, DuPont de Nemours International et encore Hoffmann-La Roche LTD.
En avril 2008, Europabio, que l’on soupçonne d’être l’un des co-rédacteurs de la directive sur le brevetage du vivant, organisait à Bruxelles une rencontre très pro-OGM pour informer les membres du Parlement européen et les représentants permanents du risque représenté pour l’industrie par les mesures prises par certains Etats membres pour assurer la coexistence entre cultures OGM et non OGM au nom du principe de précaution. (source : site internet Europabio)
La Fédération de l’Industrie Européenne de Construction (FIEC) représente 33 fédérations d’industriels dans 28 Etats européens, appartenant ou non à l’UE. C’est l’un des plus anciens lobbies reconnus, créé en 1905, advisor officiel de l’ONU et cité en référence par l’OMC.
Dans les années 90, la Commission européenne a confié à la FIEC une étude sur les besoins européens à moyen terme de voies de communications. La FIEC a proposé à l’époque un projet de quelque 105 milliards d’ECU (à peu près autant d’Euros) pour la création d’un réseau européen de communications incluant tunnels, viaducs, autoroutes, voies fluviales et TGV.
Ce projet a depuis été mis en chantier dans chaque Etat avec coordination européenne.
Dans un rapport du 31/12/2007, la FIEC estimait à 338 milliards d’Euros le montant des travaux d’infrastructures prioritaires en cours dans le cadre de ce projet dont par exemple le TGV Paris - Strasbourg - Stuttgart - Vienne - Bratislava, l’autoroute Igoumenitsa - Patras - Athènes - Sofia - Budapest ou la voie maritime Rhin - Meuse - Main - Danube, l’aéroport de Milan - Malpensa ou encore le viaduc de Millau dans le Larzac en France.
Toutes les entreprises retenues pour l’infrastructure de ces projets sont adhérentes à la FIEC.
La FIEC lance actuellement une campagne comparable sur le thème de la rénovation des villes et considère que « le développement des villes joue un rôle majeur dans le développement de la stratégie de Lisbonne », stratégie dans laquelle, est-il nécessaire de le préciser, la FIEC s’est largement impliquée auprès des autorités européennes directement ou au travers de l’UNICE et de l’ERT.
L’ERT (Table Ronde Européenne des industriels) se définit elle-même comme un forum informel de 45 PDG ou « chief executives » d’autant d’entreprises multinationales européennes qui « pèsent » autour de 1 000 milliards d’Euros de chiffre d’affaire et 6.6 millions d’emplois européens.
L’UNICE qui depuis 2007 s’est rebaptisée « Businesseurope » est une organisation patronale européenne qui regroupe 40 fédérations appartenant à 34 pays dont les 27 de l’UE. Son Président est le Baron Ernest Sellière, ancien président du MEDEF français.
L’une comme l’autre de ces deux organisations sont parmi les principaux conseillers des services de l’UE et parmi les instigateurs de la stratégie et de l’agenda de Lisbonne. Le rôle qu’elles se sont donné peut être résumé dans trois lignes de la liste de priorités qu’affiche BUSINESSEUROPE sur son site internet :
Ensure effective implementation of internal market rules
Implement the services directive (…).
Improve economic governance (…).
Il est difficile d’être plus clair et c’est bien de gouvernance économique de l’Europe qu’il s’agit.
Le panorama est loin d’être exhaustif, mais nous venons de décrire 3 fonctions essentielles du lobbying en Europe :
Avec EUROPABIO, désarmer les oppositions à des choix politiques et économiques qui se heurtent à des craintes dans l’opinion publique et certains milieux politiques, pour le compte d’intérêts privés.
Avec la FIEC, nous avons un bel exemple de lobby corporatiste qui intervient directement sur la formation d’un marché pourtant supposé « libre et non faussé » dans la doxa libérale.
Avec l’ERT et BUSINESSEUROPE, organismes moins marqués par les préoccupations corporatistes, nous avons deux représentants importants de ce lobbying qui ne cherche pas seulement à favoriser des intérêts particuliers mais à créer les conditions toujours plus idéales d’une gouvernance économique qui réduit la responsabilité politique et le choix des citoyens à la portion congrue et donne le pouvoir aux acteurs du marché.
Nous verrons que le lobbying d’entreprises a encore d’autres cordes à son arc.
Le Comité 133 doit son nom au fait qu’il est défini dans l’article 133 du TFUE. Il est « chargé de donner un avis dans le domaine de la politique commerciale » et des comités 133 spécialisés existent dans la plupart des domaines liés au commerce. Il y a ainsi un comité 133 « services » chargé entre autres à L’OMC des négociations sur l’AGCS mais aussi des règles internes multilatérales sur les services et donc du suivi de la directive du même nom. Il y a un comité 133 acier qui a aidé MITAL à faire son shoping chez ARCELOR. Il y a aussi dans le Comité 133 un « groupe des relations transatlantiques » (COTRA) [3] qui est l’interface européenne du partenariat transatlantique matérialisé depuis 1 an par le TEC, organisme inter-gouvernemental UE/US.
Le comité 133 est au cœur de toutes les négociations bi et multilatérales de l’Europe avec le reste du monde.
Composé de fonctionnaires européens, il est l’un des points d’entrée privilégiés du lobbying car c’est là que sont préparés tous les dossiers sensibles, dans des commissions auxquelles sont invités à participer les « experts » extérieurs, qu’ils soient résidents à Bruxelles ou directement envoyés pas les entreprises. Par son intermédiaire, les dossiers préparés par les entreprises remontent au COREPER [4] puis à la Commission puis au Conseil des ministres concernés.
Peter Mandelson et Charly Mc Creevy ont chacun un bureau au Comité 133.
Curieusement, le comité 133 ne gèrerait officiellement pas d’archives, comme le découvrit à ses dépends le WWF portant plainte contre lui pour refus de communiquer certains documents (incluant minutes de délibérations) : Il se vit répondre que de tels documents n’existaient pas [5].
En 1995, à Madrid, Bill Clinton et Jacques Santer signaient un « nouvel agenda transatlantique » destiné à fournir un cadre économique renouvelé dans le système commercial mondial avec pour objectif l’intensification des relations économiques entre l’UE et les États-Unis. Leurs collaborateurs Ron Brown et Leon Brittan réunissaient à cette occasion des multinationales étasuniennes et européennes pour organiser un dialogue permanent sur le développement d’une zone de libre échange transatlantique libéralisée.
D’abord conçu à la demande des deux parties comme un forum permanent entre les entreprises étasuniennes et européennes, le TABD (Transatlantic Business Dialogue) s’est dès 1998 structuré sous la forme d’un groupe de CEOs organisé assurant un lien permanent entre le Comité 133 européen d’une part et l’USTR (Bureau des représentants du commerce) étasunien d’autre part. Feuille de route : Aider les administrations des deux côtés de l’Atlantique à établir des règles communes pour un marché transatlantique libre et sans contraintes.
Le TABD qui réunit aujourd’hui 34 transnationales majeures parmi lesquelles British Airway, Coca Cola et la City Corp Bank (entre autres) est devenu l’un des lobbies transatlantiques les plus puissants avec AMCHAM et son influence n’est pas limitée au périmètre européen : son activisme a été remarqué dans les couloirs des négociations du cycle de Doha.
En Novembre 2007, constatant les conflits persistants (aéronautique, OGM, bœuf aux hormones, etc…), le TABD faisait appel à une dizaine d’autres lobbies et plusieurs multinationales [6] pour cosigner un message quasi comminatoire aux deux présidents des USA et de l’UE leur rappelant que, 9 ans après la signature du « new transatlantic Agenda », il était temps de mettre en application des résultats concrets. Message entendu puisqu’au Transatlantic Economic Council réuni le lendemain à Washington, les représentants de l’UE et des US décidaient conjointement de désigner le TABD, déjà lien officiel entre l’USTR et le Comité 133 comme advisor officiel du TEC pour la réalisation d’un « open market » transatlantique.
La reprise de l’essentiel des demandes et des propositions du TABD dans le rapport MANN au Parlement européen nous démontre la redoutable efficacité de ce type de lobbying qui inaugurait en 1998 un partenariat public-privé pour la construction de ce que Pierre Bourdieux appelait « Une Europe euro-américaine ». La brique de base est une vaste zone de libre-échange qui est clairement dans les projets du TABD.
Paradoxal ? Dans notre vieille Europe encore si archaïque et si méfiante, les lobbies sont beaucoup moins encadrés et réglementés que dans les Etats-Unis d’Amérique du Nord, prototype et leader officiel du libéralisme. Pourtant, c’est vrai : Il n’existe rien à Bruxelles d’équivalent au « Lobbying Disclosure act » de 1995 ni au « Foreign Agents Registration act. » Le premier définit l’exercice du lobbying résident, le second exige l’enregistrement particulier des lobbyistes représentant éventuellement des intérêts politiques ou économiques étrangers. Ces lois fédérales définissent aussi des points particuliers en débat non résolus en Europe comme les règles et limitations de « pantouflage » des fonctionnaires (baptisé aux USA du joli nom de « back door » operation).
Le lobbyisme à l’américaine part du principe que l’intérêt général n’existe pas en soi mais est tout simplement la somme des intérêts particuliers, ce qui conduit en raison du 1er amendement [7] de la Constitution fédérale à reconnaître à chacun le droit de parler, de pétitionner ou de se faire représenter auprès des autorités publiques.
Plus concrètement, les textes étasuniens définissent le lobbyisme comme un métier de représentation et le lobbyiste comme l’agent appointé d’une entreprise ou d’une association pour défendre ses intérêts ou les intérêts qu’elle représente dans la sphère publique.
Rappelons qu’en Europe et en 2008, le débat fait rage pour … obtenir l’enregistrement et l’identification des lobbyistes et des intérêts qu’ils représentent auprès des instances européennes ou nationales, autrement dit simplement pour savoir qui est qui et pour qui il travaille !
Dans les cultures européennes, du moins dans la plupart des expressions nationales, malgré la pénétration des thèses libérales, l’intérêt général est encore une notion concrète qui repose sur des droits et des libertés publiques qui délimitent le champ de l’entreprise individuelle.
Dans ce contexte, la définition étasunienne – et libérale – du lobbying pose quelques problèmes et c’est pourquoi la notion même de lobby choque profondément, y compris dans des milieux qui ne l’analysent pas nécessairement sur une base politique comme élément anti-démocratique.
Produits importés, dans une Union Européenne dominée par les intérêts, les lobbies en Europe fonctionnent sur le même modèle qu’aux USA, mais dans des conditions encore pire d’opacité en raison du manque d’encadrement juridique.
Bien peu d’entre elles ont les moyens d’entretenir un personnel permanent de lobbyistes correspondant à la définition étasunienne et peu ont même les moyens d’assurer du lobbying à temps partiel : seules quelques-unes ont cette capacité et même celles-là sont désavantagées devant la puissance économique des lobbies industriels ou financés en sous-main par l’industrie. Certaines associations, dont la nôtre, se posent la question d’une participation active à un système qui court-circuite les voies démocratiques. Le débat est ouvert.
Il est pourtant essentiel pour le monde associatif d’être présent là ou les lobbies industriels et idéologiques font la loi.
Nous venons de voir, par les exemples précédents, que les lobbies d’influence pour la plupart diffusent dans le milieu politique et (par l’intermédiaire des médias) dans l’opinion publique une idéologie qui se réclame de la liberté d’entreprendre, de la liberté du commerce et même du libre choix du consommateur, tandis que les lobbies corporatifs font exactement le contraire, cherchant par leur action à orienter le marché et les choix de consommation à leur profit.
La contradiction n’est qu’apparente, le marché libre et non faussé n’étant qu’une fiction soigneusement entretenue par les milieux libéraux pour contrer toute règle d’intérêt général qui limiterait les profits des entrepreneurs.
Boeing et Airbus, Nestlé et Danone sont des exemples parmi d’autres de ces multinationales concurrentes exerçant un lobbying féroce chacune de leur côté, pourtant unies dans des lobbies communs. Eiffage (F) et Cintra (E) qui se disputent jusqu’au procès éventuel la concession de l’autoroute française Paris – Rhin - Rhone sont probablement adhérents ensemble à la FIEC.
Nous avons vu qu’il existe plusieurs sortes de lobbies : Les lobbies corporatistes et d’entreprises sont essentiellement des prédateurs pour les services publics qui les privent encore des parts considérables de marchés là ou les deux systèmes cohabitent (énergie, santé, services généraux divers) et leur action auprès des pouvoirs publics s’appuient suivant les circonstances à revendiquer le dépeçage des services publics ou leur mise en vente sous prétexte de libre concurrence.
Les lobbies d’influence jouent plutôt sur la « modernisation » des services publics, une modernisation vue comme l’application des principes libéraux : l’usager solidaire devient le client, le service s’applique à chacun selon ses moyens plutôt qu’à chacun selon ses besoins, la notion de nécessité s’efface devant des impératifs de rentabilité sur des critères étrangers au service public. C’est le passage en Europe de la notion de « service public » à celle de « service d’intérêt général » dans laquelle la notion de service s’efface devant celle de compétitivité dans un contexte de concurrence économique obligatoire.
Au final le résultat est le même : dépouillé de ses éléments assurant son équilibre économique, livré au privé, entravé dans son fonctionnement au détriment de la qualité du service, géré suivant des méthodes incompatibles avec les objectifs originaux, le service public désavantagé et désarmé est livré au privé avec la complicité des décideurs politiques, et c’est l’usager qui paie le prix.
L’idée américaine du lobby est que les entreprises qui sont des acteurs majeurs dans la vie économique et donc dans la vie tout court doivent pouvoir s’exprimer auprès des cercles gouvernants : Ils défendent l’idée pas folle que des gouvernants qui ignoreraient la réalité des entreprises sous leur administration seraient probablement de piètre gouvernants.
S’en tenir à cette conclusion nous conduirait à considérer le lobbying comme un mal nécessaire et à ignorer la nécessité démocratique prioritaire de donner d’abord un droit d’expression aux citoyen.
Il ne s’agit pas seulement de droit d’expression : nous avons vu à travers quelques exemples, non limitatifs, que les lobbies sont très concrètement associés dans la préparation comme dans la gestion des actes politiques, sans contrôle démocratique et dans l’opacité de commissions et de groupes de travail anonymes ignorés du public.
De proche en proche, évoluant vers une gouvernance libérale de plus en plus débridée, les lobbies sont devenus partie intégrante de fait du système politique européen dans les instances nationales comme dans l’UE, sans même être encadrés par une loi de comportement.
Comme aux USA, nous voyons les effets de cette dérive se développer tous les jours, avec la soumission des services publics aux règles du profit, avec l’abandon des règles de solidarité, avec une politique ferroviaire de développement de TGV et de suppression de trafic local, avec un accord « open sky » récent [8] dont on attend une augmentation de 30 à 50% du trafic aérien de passagers en Europe, avec un développement de réseaux routiers axé sur le transport autoroutier, en dépit de tous les « Grenelle de l’environnement », protocole de Kyoto ou recommandations du GIEC. Le dernier avatar au profit d’AREVA en France est la volonté du Président de la République Française, sous la pression du lobby nucléaire, d’envisager le lancement d’une nouvelle unité de centrale nucléaire technologie EPR 3ème génération.
Vue d’ensemble de notre rubrique "Action lobbying"
Liste de tous les articles consacrés à ce thème
[1] United Nations Industrial Development Organization
[2] Ainsi de la Fondation Shell qui s’est donné comme objectif le développement durable et qui a l’an dernier à son tour sponsorisé la Fondation canadienne de l’arbre à la hauteur de 235 000 $.
[3] Chargé des relations entre l’U.E., les Etats-Unis et le Canada, dans toutes leurs dimensions (politique, économique, commerciale, sectorielle, Politique Etrangère et de Sécurité Commune/Politique Européenne de Sécurité et de Défense, Justice Affaires Intérieures...)
[4] Comité des représentants nationaux permanents
[5] Cette histoire est racontée dans la passionnante étude “Europe Inc.” Editée sous couvert du CEO.
[6] Advanced Medical Technology Association, American Business Forum on Europe, American Chamber of commerce to the european Union, Businesseurope, Eurochambers, European-American Business Council, European council of American Chambres of Commerce, British Airway, Transatlantic Legislator’s Dialogue Us Chamber of Commerce, United States Council for International Business.
[7] Qui définit le droit pour chacun de la libre expression
[8] Entre USA et UE, notamment préparé et négocié des années durant sous la conduite du TABD.