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Introduction du livre "Le développement durable"

Sous la direction de Catherine Aubertin et Franck-Dominique Vivien, Documentation française

Lundi 3 janvier 2011

"Le développement durable, enjeux politiques, économiques et sociaux", paru en 2006, a fait l’objet en 2010 d’une nouvelle édition entièrement remaniée, publiée par la Documentation Française, sous la direction de Catherine Aubertin et Franck-Dominique Vivien, avec la collaboration de Jean-Marc Bascourret, Valérie Boisvert, Denis Chartier Michel Damian et Bruno Villalba.
Le premier chapitre peut être lu en ligne sur le site d’Adéquations, avec l’aimable autorisation de la Documentation Française.


  Sommaire de cet article  

 Table des matières

Introduction
Catherine Aubertin et Franck-Dominique Vivien
→ Une triple crise de plus en plus aiguë, de plus en plus globale
→ L’institutionnalisation du développement soutenable : quelles propositions et actions ?

1. Le développement soutenable : deux siècles de controverses économiques
Valérie Boisvert et Franck-Dominique Vivien
→ Une interrogation ancienne sur l’évolution du capitalisme
→ Croissance versus développement
→ L’envers des Trente Glorieuses
→ L’analyse économique contemporaine et le développement soutenable
→ Conclusion

2. L’actualité des conventions sur le climat et la biodiversité. Convergences et blocages
Catherine Aubertin et Michel Damian
→ Les malentendus des conventions
→ Actualité des conventions : blocages et surenchères
→ Vers un régime international du développement soutenable ?
→ Conclusion : quel nouveau régime de croissance ?

3. Le développement soutenable et les politiques publiques. Interprétation restrictive et institutionnalisation extensive
Bruno Villalba
→ De l’environnement au développement soutenable
→ Animer la politique gouvernementale
→ Du développement soutenable à la question climatique
→ Conclusion

4. Développement soutenable et ONG. De la difficulté d’incarner l’alternative
Denis Chartier
→ Les ONG, créatrices et porteuses de la notion de développement soutenable
→ Après Rio : un développement soutenable et un monde non gouvernemental en expansion
→ Espace politique « sans zone de confort »
→ Conclusion

5. Le monde de l’entreprise et le développement soutenable
Jean-Marc Bascourret et Franck‑Dominique Vivien
→ Développement soutenable : l’entrée en scène progressive des entreprises
→ La responsabilité sociale des entreprises (RSE) : une nouvelle manière de gérer les entreprises ?
→ Une nouvelle façon de produire ?
→ Une palette d’outils pour prendre en compte l’environnement
→ Avant tout, le développement durable de l’entreprise ?
→ Conclusion

Conclusion
Catherine Aubertin et Franck-Dominique Vivien
→ Le Green New Deal : le développement soutenable nouveau est arrivé ?
→ Le développement soutenable absorbé par le changement climatique ?

Annexes
→ 1. Les grands accords internationaux sur le développement soutenable (1971-2010)
→ 2. Bibliographie sommaire
→ 3. Liste des principaux sigles utilisés
→ 4. Liste des encadrés

 Introduction

- Catherine Aubertin : économiste, directrice de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement), UR 199. Elle travaille sur la mobilisation des concepts et les jeux d’acteurs dans le cadre des politiques d’environnement et de développement durable. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Nature, Sciences, Sociétés.
- Franck-Dominique Vivien : économiste, maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardennes, membre du laboratoire "Organisations marchandes et institutions" (EA2065). Ses recherches portent sur le développement soutenable, la politique internationale de lutte contre l’érosion de la biodiversité biologique et l’économie patrimoniale.


Plus de quatre ans ont passé depuis la première édition de notre ouvrage Le développement durable. Enjeux politiques, économiques et sociaux. Le thème, alors simplement « en vogue », est devenu omniprésent.

Selon un sondage Ipsos réalisé à la fin de 2008, désormais, 97 % des Français déclarent avoir déjà entendu parler de l’expression « développement durable ». Le citoyen peut calculer son empreinte écologique et suivre la valse-hésitation du gouvernement au sujet de la taxe carbone. Le consommateur assiste, inquiet, à la remontée du prix du pétrole et, au moment de ses achats, doit apprendre à lire des étiquettes indiquant le contenu en carbone des produits qui lui sont proposés. Les entreprises, souvent mises en cause pour des accidents industriels ou des pollutions, adoptent de nouvelles normes de production et communiquent allègrement sur leur responsabilité sociale. Les politiques observent les scores électoraux des écologistes et négocient âprement, au niveau international, les engagements des États en matière d’environnement. À toutes les échelles territoriales, les administrations élaborent de nouveaux types d’indicateurs sociaux et environnementaux. Les organisations non gouvernementales (ONG) et les associations dénoncent la folie et le cynisme qui mènent le monde et signent des partenariats divers pour faire avancer les choses…

Il y a plus de vingt ans, en 1987, le développement soutenable a été présenté par le rapport Brundtland [1] comme la solution à la triple crise économique, environnementale et sociale que connaissent nos sociétés. Or, au cours de ces dernières années, ces trois crises se sont à la fois amplifiées et imbriquées davantage. Les questions que soulève l’impératif de développement soutenable sont de plus en plus graves et urgentes.

Une triple crise de plus en plus aiguë, de plus en plus globale

La crise économique, dont le dérèglement de la sphère financière a servi de révélateur, ouvre une période de grande incertitude et de grande inquiétude quant aux conditions de la « reprise ». L’effondrement des marchés boursiers en 2008 s’est traduit par une perte de valeur de plusieurs dizaines de milliards de dollars. En 2009, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays industrialisés ont été en récession. Le Fonds monétaire international (FMI) s’attend à une contraction du commerce international de 12,3 % en 2009, contre une croissance de 7,2 % deux ans auparavant. Le taux de chômage au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a dépassé les 8 % en 2009, soit une hausse de plus de deux points depuis 2007. Aux États-Unis, 2 millions d’emplois ont été perdus en 2008, et un taux de chômage record de 10 % est attendu pour 2010. Malgré quelques rebonds, la croissance est fortement compromise et ne crée pas d’emplois.

Au-delà du chômage, la crise sociale s’amplifie et se traduit par un cumul des inégalités sociales et climatiques, posant de façon violente la question de l’accès aux ressources. La consommation augmente plus vite que la population, mais de façon inégale : le revenu annuel du milliard de personnes des pays les plus riches représente quinze fois celui des 2,3 milliards de personnes des pays les plus pauvres. Il y a moins de ressources à partager : la quantité de terre par habitant est environ un quart de ce qu’elle était il y a un siècle et devrait baisser à environ un cinquième du niveau de 1900 d’ici à 2050. La faim touche aujourd’hui un milliard de personnes, soit 100 millions de plus qu’en 2008. Pour nourrir une population de 9 milliards d’individus, soit une augmentation de 50 % de la population mondiale qui devrait advenir d’ici à 2050, sans renoncer à une consommation carnée, il faudra produire deux fois plus d’aliments qu’aujourd’hui. Plus de la moitié des 6 000 langues parlées par les hommes dans le monde sont en danger, et certains pensent que 90 % de toutes les langues ne survivront pas à ce siècle.

La crise écologique, quant à elle, s’emballe. Les tendances à une dégradation globale se sont affirmées. À la suite du Millennium Ecosystem Assessment de 2005, les rapports publiés en 2007 se font plus inquiétants, qu’il s’agisse du Global Environment Outlook (Geo 4) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ou du quatrième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec). Tous les voyants sont au rouge : concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère responsable des désordres climatiques, extinction des espèces et dégradation des habitats. L’empreinte écologique de l’humanité est de 21,9 hectares par personne, alors que la capacité biologique de la Terre n’est en moyenne que de 15,7. L’extinction des espèces se produit à une vitesse 100 à 1 000 fois supérieure à ce qui a été observé sur les fossiles. Les craintes concernant une sixième extinction de masse [2] ne sont plus des spéculations. Chez les vertébrés, un tiers des amphibiens, un quart des mammifères et un oiseau sur huit sont menacés. Les moyens industriels de pêche sont trois fois supérieurs à ce qui serait compatible avec une reproduction des stocks de ressources marines. La disponibilité en eau douce diminue : d’ici à 2025, l’utilisation d’eau devrait augmenter de 50 % dans les pays en voie de développement. La liste des informations alarmantes semble infinie.

Les relations complexes entre sciences et politiques ne permettent pas de réagir à la hauteur de ces alarmes. 2010 a été proclamée « Année internationale de la biodiversité  » par l’Assemblée générale de l’Onu, une date qui correspond à l’objectif de réduction du rythme d’érosion de la diversité biologique que s’était donné la communauté internationale lors du Sommet du développement soutenable de Johannesburg de 2002. Or, force est de constater que cet objectif ne sera pas tenu. Autre exemple, lors des négociations internationales, les politiques ont choisi, parmi les différents modèles du Giec, l’objectif de ne pas dépasser à l’horizon 2050 une augmentation moyenne de température de 2°C, en restant sous une concentration de dioxyde de carbone (CO2) de 450 parties par million (une partie par million – ppm – équivalant à un gramme par tonne) [3]. Cet objectif ne sera probablement pas atteint. Il illustre les difficultés de traduire en politiques publiques des résultats scientifiques. Il se heurte à la fois aux campagnes troubles de remise en cause des méthodes et des résultats des scientifiques lanceurs d’alarme, mais également au manque de volonté politique renforcé par la crise économique, qui relègue les efforts en faveur de l’environnement au second plan. La somme des engagements annoncés par pays à la suite du sommet de Copenhague sur le changement climatique de décembre 2009 est bien loin du compte.

La gravité du constat ne fait plus de doute : les dommages annoncés se produisent plus rapidement, plus fortement que l’on ne pensait. Depuis 1970, les courbes des dégradations environnementales, toutes exponentielles, sont en parfaite corrélation avec l’augmentation de la population et du produit intérieur brut (PIB), avec le nombre de véhicules produits et l’usage de fertilisants, avec le développement des mouvements financiers et touristiques. L’homme est devenu une force géologique qui, par ses choix de production et de consommation, modifie son environnement naturel. C’est bien une partie de l’humanité qui a créé ainsi les dommages environnementaux qu’elle doit maintenant affronter. Le déni de réalité, qui était de mise il y a quelques années, fait place à un déficit d’imagination pour accepter la situation et s’approprier l’inimaginable. Cela transparaît notamment dans l’usage de l’expression « développement durable », qui, bien souvent, traduit des arrière-pensées de « pourvu que ça dure ! ». Pour nous démarquer de cette lecture conservatrice, nous avons choisi dans cette nouvelle édition d’utiliser l’expression « développement soutenable ». Cette traduction nous semble plus proche de l’expression originelle sustainable development. Elle accompagne une tout autre recherche, celle d’un équilibre délicat de co-évolution des hommes et de leur planète, qui nécessite une modification radicale du modèle économique et des modes de vie de nos sociétés industrielles.

L’institutionnalisation du développement soutenable : quelles propositions et actions ?

Bien que ces constats soient implacables, la notion de développement soutenable n’a pas perdu de son ambiguïté. Si elle sert de référence pour justifier des politiques publiques, des stratégies d’entreprise ou pour mener des batailles citoyennes contre les ordres établis, elle est en retour dénigrée pour son flou et son usage incantatoire. Ainsi peut-elle servir à la fois de support de dénonciation de notre mode de croissance, de projet pour atteindre un monde meilleur ou de leurre pour faire accepter la perpétuation de la suprématie des intérêts économiques sur les aspects sociaux et écologiques. Dès son origine, le développement soutenable a été une idée très controversée et le demeure encore aujourd’hui. Cela n’a pas empêché sa traduction, sa transcription, sa codification à travers un ensemble de textes, normes, instruments, indicateurs, politiques, stratégies…, autant d’éléments définis et mis en oeuvre – là encore, de manière controversée – par différentes grandes catégories d’acteurs qui cherchent à la fois à en donner une définition particulière et à y apporter leur propre réponse.

Cette institutionnalisation du développement soutenable, dont on a pu observer la dynamique depuis quatre ans, nous a conduits à garder la structure de la première édition de cet ouvrage, qui mettait l’accent sur les stratégies et les instruments proposés par les acteurs engagés dans la problématique du développement soutenable. Les chapitres proposés ici ont été modifiés pour accompagner l’actualité et les changements dans la façon d’aborder le développement soutenable, et plusieurs sont totalement nouveaux.

Le premier chapitre reprend le cadrage historique et théorique général de la notion de développement soutenable. Grâce à un long détour analytique, il permet de comprendre les origines des divers courants de pensée économique qui s’affrontent aujourd’hui au sujet de sa traduction en termes de contraintes devant peser sur la croissance et le développement. Les réflexions économiques se sont ainsi focalisées sur la distinction entre soutenabilité faible (qui repose sur une substitution du capital naturel par du capital créé par les hommes) et soutenabilité forte (qui prend en compte les risques d’irréversibilité liés à la perte de certains éléments du capital naturel). Si certains économistes se centrent ainsi sur les questions environnementales, d’autres réinterrogent la notion même de développement, soit en s’intéressant en priorité à la dimension sociale du développement soutenable, soit, comme les tenants de la décroissance, en cherchant à instaurer de nouvelles normes de progrès social.

Les deux grandes conventions internationales sur le changement climatique et sur la diversité biologique, dont il est question dans le chapitre 2, étaient supposées construire un régime international de développement soutenable. Elles ont d’abord tenté de proposer des solutions techniques aux problèmes posés, considérés comme des « externalités », des défaillances de marchés, suivant en cela la théorie économique dominante. La situation a très sensiblement évolué. Tout d’abord, il est devenu évident que les réponses apportées à l’effet de serre et à l’érosion de la biodiversité passeraient par le choix collectif d’un nouveau modèle de croissance. Si la remise en 13 cause du modèle énergétique au coeur de la Convention climat est prédominante pour une nouvelle économie à basse teneur en carbone, la Convention sur la diversité biologique n’a pas été marginalisée pour autant. Les thèmes, les objets et les expertises scientifiques propres aux deux conventions, au début bien distincts, ont convergé. Les questions sont imbriquées et les jeux d’acteurs sont organisés de la même façon autour des États-Unis, de l’Europe et des pays du Sud. Les deux conventions ont à traiter l’entrée en lice des pays émergents et des populations autochtones, dans une exacerbation des oppositions entre le Nord et le Sud. Les surenchères sont telles que les compromis diplomatiques sont de plus en plus difficiles à obtenir, et leur mise en oeuvre paraît bien hasardeuse.

Le troisième chapitre analyse comment l’État français a institutionnalisé le développement soutenable à travers un certain nombre d’actions et de politiques publiques. Pour répondre à ses engagements pris à l’échelle internationale et surtout européenne, mais aussi pour satisfaire les groupes de pression nationaux, il a orchestré la production d’une multitude de textes, de lois, d’indicateurs, d’obligations diverses qui s’imposent tant à lui-même qu’aux collectivités locales, aux entreprises, aux citoyens. Les politiques publiques en matière de développement soutenable se présentent comme un patchwork d’initiatives aux portées contrastées, quand elles ne sont pas purement contradictoires, ou reléguées en fonction de l’urgence économique. Cependant, les questions écologiques, parents pauvres des politiques sectorielles, tendent à devenir plus englobantes. En témoigne le dernier avatar du ministère de l’Écologie (MEEDDM), qui se voit adjoindre l’énergie, le développement durable et la mer, et est chargé des technologies vertes et des négociations sur le climat.

Le quatrième chapitre montre comment les ONG, qui sont à l’origine de la construction de la notion de développement soutenable, ont dû peu à peu revoir leurs stratégies et leurs modèles, de la révolution à la réforme, au profit d’une « pensée intégrée » des différentes crises. La nature des réponses apportées, qui nécessite des alliances avec le secteur public ou privé, permet à certaines ONG d’émerger plutôt que d’autres comme acteurs du renouveau de l’approche politique. Face à l’accélération de la crise écologique, on aurait pu s’attendre à une radicalisation de leurs actions, alors que l’on observe des réponses plus pragmatiques et gestionnaires. Dans un contexte d’urgence et d’expérimentations partagées, les ONG deviendraient des acteurs comme les autres.

Enfin, le dernier chapitre étudie comment les entreprises ont su, elles aussi, intégrer le développement soutenable à leurs discours et pratiques. Sous la pression des pouvoirs publics, pour éviter les réglementations, elles ont répondu essentiellement par des innovations managériales et l’élaboration de normes privées qui reconnaissent et labellisent des engagements volontaires de réduction de leurs impacts environnementaux.

Toutes ces actions, tous ces acteurs s’efforcent, à leur manière, de codifier et de mettre en oeuvre le développement soutenable. Les résultats de ces diverses stratégies, qui témoignent d’une prise de conscience, sont-ils à la hauteur des enjeux ? C’est ce sur quoi nous nous interrogerons dans la conclusion, en tentant d’y dessiner les scénarios futurs du développement soutenable.

Notes

[1World Commission on Environment and Development (Commission mondiale sur l’environnement et le développement), Our Common Future, Oxford University Press, Oxford, New York, 1987 (trad. française : Notre avenir à tous, Éditions du Fleuve, Montréal, 1987).

[2Laquelle, à la différence des cinq précédentes, est imputable à l’action humaine et non à des causalités d’ordre naturel.

[3Voir chapitre 2, note 5.

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