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OGM : la bataille de l’information

Christophe Noisette,"Un citoyen peut-il être expert ? Une veille citoyenne peut-elle développer une expertise ?"

mars 2011

Extrait de l’ouvrage "OGM : la bataille de l’information", chapitre "L’expert : quelle place dans les choix technologiques ?", rédigé par Christophe Noisette, d’inf’OGM. D’autres extraits de l’ouvrage sont accessibles sur le site d’Adéquations


Un citoyen est, selon la définition classique, un membre d’un État qui possède des droits et des devoirs liés à un cadre réglementaire qui évolue. Le citoyen est donc un être juridique. L’expert est un être de savoir et de connaissance. Mais, ces derniers temps, du fait des nombreuses controverses technico-scientifiques, dont celle sur les OGM, le citoyen conteste ses élites, et donc les experts « classiques » issus de la science, et prétend connaître par lui-même ce qui est bon pour lui, sans avoir à passer, par exemple, par un universitaire. Il affirme posséder une connaissance intime des problèmes qu’aucun expert ne peut lui enlever ou contester. « De plus en plus souvent, l’expertise de ceux que l’on nommait traditionnellement “experts” est contestée, voire contredite, par l’intervention d’acteurs sociaux qui se réclament d’une autre expertise [1]. » Mais les citoyens sont parfois eux aussi victimes de cette course aux experts, de ce besoin de reconnaissance sociale qu’on leur accorde. Les militants anti-OGMconvoquent, dans les procès pour fauchage, par exemple, des experts, que ce soit Christian Vélot, dont on précise bien la profession, à savoir biologiste à l’université d’Orsay, Jacques Testart qui a été directeur de recherche honoraire de l’Inserm, Jean-Pierre Berlan qui était directeur de recherche à l’Inra, etc. Le jeu des experts touche donc aussi ceux qui voulaient s’en démarquer.Mais faut-il absolument s’en démarquer  ? Thierry Raffin, ancien président d’Inf’OGM, écrivait en 2002 au sujet des administrateurs d’Inf’OGM :

Nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur notre expérience et sur notre base de connaissances comme l’atteste le fait que nos membres soient interpellés à titre d’« experts » dans les cénacles officiels du « débat public » (Comité des sages, Mission information OGM du Sénat). Nous devons cependant rester vigilants, ce faisant, à ne pas voir pervertis notre approche et notre positionnement, et à ne pas nous substituer à une parole citoyenne. Nous ne pouvons pas et ne voulons pas chercher à représenter une fraction de l’opinion en prenant place dans la cour des « notabilités » du dossier OGM [2].

Comme dans le cadre du lobbying, il s’agit plus de se donner les moyens de faire primer le bien commun sur le bien individuel. Est-ce à dire qu’il est possible que des experts soient « neutres » ? La neutralité n’est souvent qu’une façade qui ne tient pas la route. Les experts, par leur participation à la vie sociale en tant que citoyens, ont des positions, défendent des opinions. C’est ainsi que plusieurs choses doivent être prises en compte. D’abord, ne pas faire appel à des experts sur des sujets qui ne relèvent pas de leur expertise : en 2007, plus de 300 scientifiques français et européens, parmi lesquels figuraient nombre d’académiciens (des sciences, des technologies, de médecine, de pharmacie, d’agriculture), ont affiché publiquement sur un site Internet [3] leur opposition à la mise en oeuvre d’un moratoire sur la culture du maïs transgénique en France. Mais qui sont ces scientifiques ? Ont-ils une légitimité à donner un avis sur les OGM comme scientifiques ou simplement comme citoyens ? En quoi Jean-Marie Lehn, Prix Nobel de chimie, ou Maurice Tubiana, radiologue, et Charles Géronimi, neurologue, sont-ils plus légitimes en tant que scientifiques pour défendre les OGM qu’un simple citoyen ?

Derrière des statuts prestigieux peuvent se glisser des conflits d’intérêts. Ainsi, quatre députés de l’opposition ont réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les deux rapports consacrés aux OGM émis par l’Académie des sciences et l’Académie nationale de médecine [4] : « Les Académies ont choisi des scientifiques partisans des OGM et certains d’entre eux ont des liens marqués avec les fabricants de semences », a dénoncé Jacques Nikonoff, président d’Attac. « Il est normal de faire appel à des spécialistes des OGM et donc à des semenciers », lui a rétorqué le Pr R. Douce, responsable du rapport de l’Académie des sciences et longtemps directeur d’une unité de recherche cofinancée par Aventis [5].

Autre élément important à prendre en compte « pour un bon usage de l’expert », la polyphonie, la diversité de visions, d’angles de vue. Si on fait appel à un expert, il faut aussi avoir le courage de la contre-expertise [6]. Ne pas se fier à un seul résultat…Enfin, il est nécessaire de chercher les potentiels conflits d’intérêts entre un expert et l’objet de son expertise. Le cas des antennes relais est riche d’enseignements : l’association Robin des Toits a dénoncé le manque d’objectivité dans les rapports d’experts demandés par le gouvernement pour évaluer leur toxicité. Le gouvernement avait en effet commandé plusieurs rapports, sans doute pour montrer son indépendance, mais, précise Étienne Cendrier, porte-parole de l’association, l’un a été élaboré par un proche d’Orange, un autre par un proche de Bouygues, et le troisième par un proche de SFR…

Un autre aspect que nous voudrions souligner est la formation. Nous évoquions au début de ce chapitre une certaine forme de reproduction sociale par la transmission du savoir. Tout le mouvement de l’éducation populaire est déjà une réponse à cette question. Si l’on prend le cas des militants qui s’opposent à la dissémination dans l’environnement des plantes transgéniques, il est incontestable qu’ils ont bénéficié d’une réelle formation via des conférences, des lectures, des débats. Les militants sont beaucoup mieux « armés » théoriquement qu’il y a dix ans. Certes, il y a encore des lacunes, des imprécisions, des maladresses dans certains propos. Mais au fond, ce qu’on souhaite souligner ici, c’est la capacité que les gens « normaux » ont à se former. Cette capacité se remarque notamment lors des jurys citoyens, parfaitement capables à l’issue de quelques week-ends de formations/réflexions, de produire un avis équilibré et sensé sur un sujet donné, y compris sur un sujet très technique [7]. Les veilles citoyennes d’information sont aussi des lieux de formation populaire, des endroits où des personnes, avec des niveaux de connaissances différents, échangent, apprennent et confrontent leurs idées et opinions. Ce sont des creusets nécessaires à l’exercice de la démocratie et des débats démocratiques. Il est vain de croire qu’un débat entre un « expert », au sens premier du terme, et un « public de profanes » puisse aboutir à la mise en place de réglementations qui seront acceptées et qui tiendront compte de la vision des usagers.

On vient de le voir : les entreprises, par l’entremise des lobbies de leurs experts, mais aussi grâce au paradigme ambiant du « plus de technologie égale plus de progrès », ont favorisé l’avènement de législations souvent faibles en matière de participation citoyenne. Toutefois, certaines percées législatives, sous la pression d’initiatives citoyennes, commencent à voir le jour.

Notes

[1D. Boy, « L’expert citoyen, le citoyen expert », Cahiers français, dossier « Les nouvelles dimensions de la citoyenneté », n° 316, septembreoctobre 2003, p. 20-24.

[2Capitalisation Inf’OGM, 2002, fiche FPH n° 10 : « Inf’OGM comme instrument du débat public », non publié.

[3Site http://nonaumoratoire.free.fr, dernier accès le 11 juin 2010.

[4C. Noisette, « France – Les académiciens ouvrent la porte aux OGM », Inf’OGM, n° 38, janvier 2003.

[5C. Noisette, « France – Les Académies contestées », Inf’OGM, n° 39, février 2003.

[6Voir à ce sujet la question posée par Yves Sintomer : « Les associations seront-elles réellement capables de contrebalancer l’alignement croissant des sciences et des techniques sur l’économie capitaliste si les pouvoirs publics ne transforment pas radicalement leur mode d’action et n’offrent pas des moyens institutionnels et matériels permettant aux mouvements sociaux de réaliser systématiquement (ou de faire réaliser) des contre-expertises ? », in Y. Sintomer, « Du savoir d’usage au métier de citoyen », Territoires, n° 471, 2006, p. 35.

[7Voir à ce sujet, par exemple, J. Testart, Le Vélo, le Mur et le Citoyen, Belin, 2006, notamment p. 78.

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