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Prostitution en France : propositions du rapport parlementaireDimanche 26 juin 2011 Ci-dessous l’introduction du rapport d’avril 2011 de l’Assemblée nationale sur la prostitution et des extraits des trente propositions. |
« Le système prostitutionnel est fait pour verrouiller le silence : il est très difficile de faire sortir cette parole, et que cette parole soit entendue par la société qui ne souhaite absolument pas l’entendre ». La parole des personnes prostituées est inaudible dans l’espace public, dans lequel elles se trouvent pourtant visibles de tous. Stigmatisées, marginalisées, elles apparaissent parfois dans la presse, mais généralement dans la rubrique des faits divers, lorsque l’une d’entre elles a été agressée voire assassinée, comme ce fut récemment le cas dans la région lyonnaise. Pour remédier à cette absence de visibilité, sont apparus, au cours des dernières années, des collectifs et des associations composés de personnes prostituées. Ces associations, la mission a tout fait pour les rencontrer, recevant certaines d’entre elles à l’Assemblée nationale et auditionnant les autres au cours de ses déplacements, notamment à Lyon et Marseille. Lorsqu’elles n’entretenaient pas de très bons rapports avec les pouvoirs publics locaux, la mission s’est employée à convaincre ces derniers de la nécessité de les rencontrer.
Mais la mission a également été attentive à une autre parole, plus difficile à entendre encore, parce qu’emprisonnée dans la honte et la culpabilité. Cette parole, c’est celle des anciennes personnes prostituées, les « pleureuses », comme les appelle l’anthropologue Catherine Deschamps, celles qui, un jour, veulent sortir de la prostitution et raconter ce qu’elles y ont vécu. Leur parole est emprisonnée sous la chape de plomb que constitue le mythe de la « putain », la femme coupable, qui se prostitue parce que, nécessairement, c’est une mauvaise femme. D’où une intense culpabilité, qui fait obstacle au besoin éperdu de s’exprimer. C’est également cette parole que la mission a souhaité entendre. Parfois à la surprise de ceux qui les accompagnent au quotidien, ces personnes ont été nombreuses à vouloir témoigner de leur parcours devant des parlementaires, soulignant combien cette prise de parole était importante pour elles.
Il revenait au Parlement d’être ce lieu d’écoute et de débat. Pour libérer la parole, la mission a tenu ses auditions à huis clos, à l’exception de celle des ministres. Elle s’est efforcée d’auditionner l’ensemble des acteurs qui interviennent dans le domaine de la prostitution, rencontrant plus de 200 personnes, dont quinze personnes prostituées ou s’étant prostituées. L’expérience des associations et des travailleurs sociaux, qui mettent en œuvre l’essentiel des politiques publiques, a été primordiale, dans un domaine où l’État est largement absent. Des représentants des services publics qui sont quotidiennement au contact des personnes prostituées, qu’ils soient policiers, gendarmes, magistrats, infirmiers ou médecins, de même que des sociologues, ont fourni un éclairage précieux quant aux conditions de vie et d’activité de ces dernières. Enfin, les responsables nationaux et locaux des principales politiques publiques ont permis de dresser le constat du désintérêt croissant de l’État pour le sujet de la prostitution.
Ces auditions et ces rencontres ont donné à la mission les informations nécessaires pour mener à bien ses deux premiers objectifs : établir un état des lieux objectif et aussi partagé que possible, d’une part, de la réalité de la prostitution aujourd’hui en France, et, d’autre part, de l’ensemble des politiques publiques menées en la matière. Les données ainsi collectées forment les deux premières parties de ce rapport.
Ce travail d’information à proprement parler a permis de mettre en lumière les permanences et les évolutions de l’activité prostitutionnelle. De grands constats se dégagent ainsi. En premier lieu, la prostitution est exercée à plus de 80 % par des personnes étrangères dans nos villes, alors qu’au début des années 1990, elles n’étaient que 20 %. Ce constat ne manque pas de susciter des interrogations quant aux circonstances qui poussent ces personnes, originaires du Nigeria, d’Europe de l’Est ou de Chine, à venir se prostituer sur nos trottoirs. En deuxième lieu, l’apparition d’Internet facilite incontestablement la rencontre entre la personne prostituée et son client, sans que cette réalité puisse être numériquement quantifiée. Enfin, le constat ne serait pas complet si l’on ne faisait pas état des circonstances qui poussent certaines personnes, essentiellement des femmes, à se prostituer. La traite des êtres humains est la première pourvoyeuse de personnes prostituées, associée à la vulnérabilité et à la précarité financière.
Du côté des politiques publiques, le bilan qui se dégage est en demi-teinte. Plutôt positif en matière de lutte contre le proxénétisme, il est plus nuancé dans celui de l’accès aux soins et de la lutte contre le racolage et désastreux pour ce qui est des politiques sociales. La France semble avoir tiré un trait sur le versant social de sa politique abolitionniste, se concentrant de manière pratiquement exclusive sur la lutte contre l’exploitation sexuelle et le maintien de l’ordre public. Ce sont les personnes prostituées qui en sont les premières victimes.
Ce double bilan constituait l’objectif premier de la mission. Une fois ce constat dressé, encore fallait-il analyser la prostitution en tant que telle et sa légitimité dans une société comme la nôtre.
En règle générale, cette question est reléguée au second plan comme relevant de l’opinion personnelle de chacun. Ce rejet de tout débat est fréquemment appuyé sur des jugements qui se veulent définitifs : la prostitution serait « le plus vieux métier du monde », invariant de nos sociétés depuis la nuit des temps, elle permettrait de réduire le nombre de viols, répondrait à la « misère sexuelle » de certains hommes et aurait ainsi une certaine « utilité sociale », notamment lorsqu’elle est pratiquée de manière « libre ». Ces lieux communs, si souvent utilisés pour couper court à tout débat, n’ont jamais fait l’objet d’une investigation approfondie. La mission a donc choisi de les confronter aux faits en tentant de répondre aux questions suivantes : y a-t-il moins de viols dans les sociétés où la prostitution est tolérée ou encadrée ? Les clients de la prostitution connaissent-ils réellement une misère sexuelle et affective ? La prostitution est-elle choisie et exercée en toute connaissance de cause ?
Peu à peu, toutes ces évidences se sont estompées, invitant à pousser l’enquête plus avant et à discuter de la nature même de la prostitution. Là encore, le Parlement a joué son rôle de lieu de débat lorsque la mission a décidé de réunir des philosophes de toutes sensibilités pour aborder ce sujet. Elle s’est rendue dans quatre pays étrangers qui ont tous adopté une approche différente de la question, sous-tendue par des conceptions éthiques et juridiques parmi les plus fondamentales de nos sociétés. Deux ont particulièrement retenu l’attention de la mission : les Pays-Bas et la Suède, qui ont choisi deux voies opposées mais qui se rejoignent parfois. Ces expériences étrangères fournissent des éléments d’analyse essentiels du phénomène prostitutionnel, qui sont largement mobilisés dans ce rapport.
Face à ce pluralisme tant idéologique que géographique, la mission a choisi la seule boussole possible afin de dresser la liste de ses préconisations : les principes juridiques qui sont au fondement de notre société démocratique et républicaine, au premier rang desquels la non-patrimonialité du corps humain, son intégrité et l’égalité entre les sexes. La prostitution a été analysée à l’aune de ces grands principes ; il en ressort qu’elle doit être considérée comme une violence, en majorité subie par des femmes et aux conséquences souvent considérables.
Dès lors, la perspective des politiques publiques ne peut être que celle d’un monde sans prostitution. Les arguments à l’appui de cette position, nombreux, sont détaillés dans la troisième partie de ce rapport. Cet objectif ambitieux ne doit cependant pas avoir pour conséquence de causer un tort aux personnes prostituées qui sont des sujets de droits et doivent être considérées comme tels. La mission a donc estimé qu’il fallait s’intéresser au client, longtemps passé sous silence mais acteur central de la prostitution, afin de lui faire prendre conscience des implications de ces actes. À n’en pas douter, cette préconisation sera largement débattue. Si elle devait être mise en œuvre prochainement, ainsi que l’espère la mission, tout devra également être fait pour accompagner les personnes prostituées qui le demandent dans l’exercice de leurs droits, et, si elles le souhaitent, vers la sortie de la prostitution. Des alternatives crédibles doivent leur être proposées, grâce à des politiques sociales ambitieuses, afin de les mettre en situation de véritable choix. La responsabilisation du client ne constitue que l’un des aspects d’une politique d’ensemble qui vise à garantir les droits de chacun et à les accorder avec ceux d’autrui. Telle est la philosophie générale qui anime les préconisations de la mission d’information.
Prévoir une entrée en vigueur différée de cette infraction afin de mener un travail de sensibilisation et d’information
La pénalisation des clients nécessitant un travail d’explicitation et d’information préalable à son entrée en vigueur, il serait souhaitable que cette dernière soit différée.
a) Prévoir une entrée en vigueur différée de l’interdiction
Comme cela a été rappelé précédemment, le vote de la loi suédoise a été précédé de plus de vingt années de débats au sein de la société sur la politique à adopter en matière de prostitution. Or, en France, le débat public et politique en la matière a eu récemment tendance à se concentrer sur l’opportunité de la réouverture des maisons closes, ce qui élude totalement les questions de fond que soulève la prostitution dans une société comme la nôtre.
Afin de permettre à ce débat de s’instaurer, il semble indispensable de prévoir un délai avant l’entrée en vigueur de la pénalisation des clients. C’est d’ailleurs la solution qu’a retenue le législateur à une autre occasion. Lorsqu’a été votée la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, il a été prévu de différer son entrée en vigueur de six mois afin que puisse avoir lieu une phase initiale de pédagogie et de médiation. De la même manière, la pénalisation des clients ne peut pas ne pas être accompagnée d’une période de sensibilisation et d’information sur la réalité de la prostitution, notamment en direction des clients. Un délai de six mois devrait ainsi être prévu entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de l’infraction.
b) Durant cette période, mener des actions de communication, notamment en direction des clients
Durant cette période intermédiaire, une politique de communication devrait être engagée par les pouvoirs publics, notamment à destination des clients de la prostitution. M. Fabrice Heyries, directeur général de la cohésion sociale, a rappelé qu’une telle action avait été engagée, en matière de violences conjugales, dans le cadre du deuxième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes (896).
Selon Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, chef du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, des campagnes de sensibilisation à l’école et dans les médias n’ont jamais eu lieu. M. Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, a souligné que les seules initiatives en matière de prévention et de sensibilisation émanaient du secteur associatif.
Pourtant, une telle politique, visant notamment à décourager la demande qui favorise l’exploitation et donc la traite, est préconisée par l’article 6 de la Convention de Varsovie, qui prévoit que les États signataires prennent « des mesures visant à faire prendre conscience de la responsabilité et du rôle important des médias et de la société civile pour identifier la demande comme une des causes profondes de la traite des êtres humains » et mènent « des campagnes d’information ciblées, impliquant, lorsque cela est approprié, entre autres, les autorités publiques et les décideurs politiques » .
Cette campagne de communication pourrait porter sur trois aspects :
– sensibilisation du grand public à la réalité de la prostitution. Une telle campagne contribuerait à éradiquer les idées fausses concernant la prostitution. Ainsi, selon une enquête de l’Amicale du Nid menée à l’université de Montpellier en 2009-2010, 70 % des étudiants interrogés pensaient que la prostitution était illégale en France et 37 % que le client était puni (900). Elle aurait également pour but de mieux faire connaître la réalité de la prostitution pour faire contrepoint aux représentations « glamours » qui peuvent en être véhiculées par les médias ;
– explicitation de la responsabilité des clients dans la perpétuation de la prostitution et des raisons qui ont conduit à leur pénalisation ;
– information sur l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains, en donnant les principaux critères de reconnaissance des victimes de la traite, ainsi que le préconise le plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2011-2013).
Le lancement d’une telle campagne a été jugé « tout à fait envisageable » par M. Fabrice Heyries au cours de son audition (902). D’ailleurs, celle-ci ne serait pas sans précédent. Mme Malka Marcovich a ainsi évoqué la campagne qui avait été réalisée par son association, la coalition contre la traite des femmes (CATW), en 2006, lors de la coupe du monde de football en Allemagne, sur le thème : « Acheter du sexe n’est pas un sport » (903). Par ailleurs, des associations telles que le Mouvement du Nid ont également lancé des campagnes d’information en la matière. Étant prise en charge par les pouvoirs publics, cette campagne pourrait cependant être d’ampleur bien supérieure.
Elle pourrait prendre comme point d’appui des supports originaux, qui permettent de toucher une grande part des clients potentiels de la prostitution. En Espagne, une grande campagne en direction des clients a été lancée par le ministère de l’Égalité et la Fédération espagnole de l’hôtellerie dont le thème était « Non à l’exploitation sexuelle ». Un million de dessous-de-verre illustrés sur le thème des clients ont ainsi été distribués dans plus de 20 000 hôtels, bars et discothèques, pour un coût de fabrication de seulement quelques milliers d’euros.
La coordination, par la puissance publique, des moyens associatifs engagés en la matière serait susceptible d’en augmenter grandement l’efficacité et la portée, a estimé M. Jean-Christophe Tête, directeur de l’établissement de Paris de l’Amicale du Nid.
Au cours de son audition, Mme Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la cohésion sociale a indiqué qu’il était prévu de mener une campagne d’information en 2012 « visant à dissuader les hommes d’être clients et dénonçant la prostitution comme une violence intolérable. » (906) Cette campagne aurait comme support le troisième plan de lutte contre les violences faites aux femmes.
La pénalisation des clients nécessitant un travail d’explicitation et d’information préalable à son entrée en vigueur, il serait souhaitable que cette dernière soit différée.
a) Prévoir une entrée en vigueur différée de l’interdiction
Comme cela a été rappelé précédemment, le vote de la loi suédoise a été précédé de plus de vingt années de débats au sein de la société sur la politique à adopter en matière de prostitution. Or, en France, le débat public et politique en la matière a eu récemment tendance à se concentrer sur l’opportunité de la réouverture des maisons closes, ce qui élude totalement les questions de fond que soulève la prostitution dans une société comme la nôtre. Afin de permettre à ce débat de s’instaurer, il semble indispensable de prévoir un délai avant l’entrée en vigueur de la pénalisation des clients. C’est d’ailleurs la solution qu’a retenue le législateur à une autre occasion. Lorsqu’a été votée la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, il a été prévu de différer son entrée en vigueur de six mois afin que puisse avoir lieu une phase initiale de pédagogie et de médiation.
De la même manière, la pénalisation des clients ne peut pas ne pas être accompagnée d’une période de sensibilisation et d’information sur la réalité de la prostitution, notamment en direction des clients. Un délai de six mois devrait ainsi être prévu entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de l’infraction.
b) Durant cette période, mener des actions de communication, notamment en direction des clients Durant cette période intermédiaire, une politique de communication devrait être engagée par les pouvoirs publics, notamment à destination des clients de la prostitution. M. Fabrice Heyries, directeur général de la cohésion sociale, a rappelé qu’une telle action avait été engagée, en matière de violences conjugales, dans le cadre du deuxième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes . Selon Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, chef du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, des campagnes de sensibilisation à l’école et dans les médias n’ont jamais eu lieu. M. Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, a souligné que les seules initiatives en matière de prévention et de sensibilisation émanaient du secteur associatif . Pourtant, une telle politique, visant notamment à décourager la demande qui favorise l’exploitation et donc la traite, est préconisée par l’article 6 de la Convention de Varsovie, qui prévoit que les États signataires prennent « des mesures visant à faire prendre conscience de la responsabilité et du rôle important des médias et de la société civile pour identifier la demande comme une des causes profondes de la traite des êtres humains » et mènent « des campagnes d’information ciblées, impliquant, lorsque cela est approprié, entre autres, les autorités publiques et les décideurs politiques ».
Cette campagne de communication pourrait porter sur trois aspects : – sensibilisation du grand public à la réalité de la prostitution. Une telle campagne contribuerait à éradiquer les idées fausses concernant la prostitution. Ainsi, selon une enquête de l’Amicale du Nid menée à l’université de Montpellier en 2009-2010, 70 % des étudiants interrogés pensaient que la prostitution était illégale en France et 37 % que le client était puni. Elle aurait également pour but de mieux faire connaître la réalité de la prostitution pour faire contrepoint aux représentations « glamours » qui peuvent en être véhiculées par les médias ; – explicitation de la responsabilité des clients dans la perpétuation de la prostitution et des raisons qui ont conduit à leur pénalisation ; – information sur l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains, en donnant les principaux critères de reconnaissance des victimes de la traite, ainsi que le préconise le plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2011-2013)
Le lancement d’une telle campagne a été jugé « tout à fait envisageable » par M. Fabrice Heyries au cours de son audition. D’ailleurs, celle-ci ne serait pas sans précédent. Mme Malka Marcovich a ainsi évoqué la campagne qui avait été réalisée par son association, la coalition contre la traite des femmes (CATW), en 2006, lors de la coupe du monde de football en Allemagne, sur le thème : « Acheter du sexe n’est pas un sport ». Par ailleurs, des associations telles que le Mouvement du Nid ont également lancé des campagnes d’information en la matière. Étant prise en charge par les pouvoirs publics, cette campagne pourrait cependant être d’ampleur bien supérieure.
Elle pourrait prendre comme point d’appui des supports originaux, qui permettent de toucher une grande part des clients potentiels de la prostitution. En Espagne, une grande campagne en direction des clients a été lancée par le ministère de l’Égalité et la Fédération espagnole de l’hôtellerie dont le thème était « Non à l’exploitation sexuelle ». Un million de dessous-de-verre illustrés sur le thème des clients ont ainsi été distribués dans plus de 20 000 hôtels, bars et discothèques, pour un coût de fabrication de seulement quelques milliers d’euros. La coordination, par la puissance publique, des moyens associatifs engagés en la matière serait susceptible d’en augmenter grandement l’efficacité et la portée, a estimé M. Jean-Christophe Tête, directeur de l’établissement de Paris de l’Amicale du Nid.
Au cours de son audition, Mme Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la cohésion sociale a indiqué qu’il était prévu de mener une campagne d’information en 2012 « visant à dissuader les hommes d’être clients et dénonçant la prostitution comme une violence intolérable. » Cette campagne aurait comme support le troisième plan de lutte contre les violences faites aux femmes.
Poursuivre ce travail dans la durée, en éradiquant à terme les racines du système prostitutionnel, par la prévention et l’éducation
De l’avis unanime des partisans d’une pénalisation des clients, cette mesure n’est en aucun cas suffisante pour éradiquer, à terme, les racines du système prostitutionnel. Ce dernier repose en effet sur des présupposés solidement ancrés dans les mentalités que seule une éducation sur le long terme est en mesure de combattre, ainsi qu’en conviennent tant les associations abolitionnistes que les partisans de la reconnaissance d’un statut.
a) Mettre enfin en œuvre une politique d’éducation aux inégalités de genre
« Le recours à la prostitution n’est que le haut de l’iceberg, la base en restant le modèle de relation entre les genres que véhicule notre société. », écrivent Mme Claudine Legardinier et M. Saïd Bouamama.
Cette constatation est largement partagée par les personnes auditionnées par la mission. C’est précisément l’une des utilités de la pénalisation des clients que d’établir une règle et donc une transgression, susceptible de servir de base à l’éducation à l’égalité de genre. Ainsi que l’a rappelé Mme Malka Marcovich, « ce n’est pas parce qu’il y a une loi sur le viol qu’il n’y a pas de viol. » De la même façon, ce n’est pas parce qu’en dépit de la criminalisation du viol, il y a encore des viols que cette qualification serait inutile et que la société n’aurait rien à dire sur le viol. Au contraire, marquer la transgression rend possible la pédagogie et la sensibilisation.
Il est donc nécessaire, ainsi que l’avaient préconisé la mission d’évaluation des politiques de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes et la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral en France, d’inscrire dans le projet des établissements d’enseignement les actions à mener pour promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons et l’éducation au respect, de systématiser ces actions en les inscrivant dans les programmes validés par les académies et permettant de toucher les différentes classes d’âge, enfin d’inscrire dans la formation des professeurs l’égalité entre les filles et les garçons comme une compétence devant être évaluée et validée.
Ces préconisations rejoignent les engagements internationaux de la France. L’article 6.d de la Convention de Varsovie fait obligation aux États parties d’adopter ou de renforcer les « mesures préventives comprenant des programmes éducatifs à destination des filles et des garçons au cours de leur scolarité, qui soulignent le caractère inacceptable de la discrimination fondée sur le sexe, et ses conséquences néfastes, l’importance de l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la dignité et l’intégrité de chaque être humain. » Il est significatif que le but de cet article soit le découragement de la demande.
En effet, il ressort de l’étude menée sur les clients de la prostitution que « l’ignorance en matière de sexualité et l’absence d’éducation sexuelle est la règle générale. » D’ailleurs, beaucoup d’entre eux expliquent le recours à la prostitution par une éducation manquant de mixité et par la peur des femmes.
Lors de son déplacement en Suède, la mission d’information a pu constater le lien étroit existant entre la pénalisation des clients et l’importance de la politique d’éducation sexuelle dispensée de longue date au sein du système éducatif suédois. L’une de ces deux actions ne saurait aller sans l’autre.
Engager une réflexion sur la pornographie
Si la mission d’information n’a pas abordé frontalement la question de la pornographie en tant que telle, le lien a été fait, au cours de plusieurs auditions, entre prostitution et pornographie (915).
En effet, la prostitution et la pornographie véhiculent des représentations de la sexualité qui sont fortement corrélées. L’une comme l’autre réduisent l’acte sexuel à sa seule dimension physique et masculine. Elles présentent les femmes comme soumises au désir masculin et comme objet de commerce.
L’enquête menée sur les clients de la prostitution a marqué la fréquence de la consommation de produits pornographiques par ces derniers. Ainsi, 65 % d’entre eux auraient eu recours à la pornographie avant d’acheter des services sexuels. Mise en relation avec la faiblesse de l’éducation sexuelle dans notre système éducatif, la pornographie constitue très souvent la première approche de la sexualité, notamment pour les clients. La pornographie peut donc être vue comme « une étape fréquente du processus de devenir-client ». Les demandes des clients en matière de pratiques sexuelles seraient également liées à l’évolution de la pornographie.
Ce constat est d’autant plus préoccupant que la pornographie est de plus en plus accessible, notamment sur Internet. En conséquence, les jeunes y sont beaucoup plus exposés que les générations antérieures. M. Bertrand Rouverand, membre de l’Association contre la prostitution des enfants (ACPE), rappelait ainsi que 80 % des garçons de 14 à 18 ans ont vu un film pornographique dans l’année. Ceci rend d’autant plus urgent la généralisation de l’éducation sexuelle et à l’égalité de genre à l’école.
Cette homologie entre prostitution et pornographie se retrouve également dans les politiques publiques. Les pays nordiques, qui ont été les premiers à voir l’importance de la demande dans le phénomène prostitutionnel, sont aussi ceux qui ont d’ores et déjà engagé une réflexion au sujet de la pornographie. Mme Eva-Britt Svensson, présidente de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres au Parlement européen a ainsi fait valoir que les pays du Conseil nordique menaient actuellement une réflexion sur la présence de programmes pornographiques dans les hôtels et que certains partis politiques choisissaient leurs hôtels, lors de l’organisation de congrès ou de déplacements, en fonction de la présence ou pas de programmes pornographiques dans ces derniers.
Il est donc nécessaire, ainsi que le préconisait l’étude sur les clients, de mener une réflexion d’ensemble concernant l’impact de la pornographie sur l’égalité de genre et la sexualité des Français, notamment les plus jeunes. Celle-ci pourrait être fondée sur une enquête réalisée par des universitaires, qui serait commandée par le ministère chargé de la Jeunesse.
En souhaitant qu’une réflexion s’engage en matière de pornographie, la mission n’est à l’évidence pas animée par la volonté d’imposer un nouvel ordre moral sexuel. Elle estime cependant que notre société gagnerait à s’interroger sur le modèle dominant de sexualité qu’elle véhicule et sur ses effets sur l’égalité de genre. Il ne s’agit aucunement de refouler la sexualité mais, au contraire, de lutter contre les préjugés qui l’entourent en promouvant et en diffusant l’information, notamment à l’école. D’ailleurs, on ne saurait accuser la Suède, et plus largement les pays nordiques de promouvoir un nouvel ordre moral, notamment en matière sexuelle, alors qu’ils ont été à la pointe de la libération en ce domaine dans les années 1970.
– sensibilisant les forces de l’ordre et les personnels de justice à la vision des personnes prostituées comme des victimes plutôt que comme des auteurs d’infraction, disposant de l’intégralité des droits fondamentaux et notamment du droit de porter plainte (ministères de l’Intérieur et de la Justice) ;
– formant les forces de l’ordre à la réception des plaintes des victimes de la traite (ministère de l’Intérieur) ;
– rappelant, par voie de circulaire, que la plainte d’une personne étrangère en situation irrégulière doit être enregistrée (ministère de l’Intérieur).
– n’exigeant plus d’ITT pour les victimes de proxénétisme dans l’accès à la CIVI (loi) ;
– réfléchissant à l’élaboration d’un barème national pour évaluer les préjudices subis (ministère de la Justice) ;
– disposant de statistiques sur les indemnisations allouées aux victimes (ministère de la Justice).
– porter d’un à trois mois le délai de réflexion et de rétablissement (décret) ;
– prévoir une délivrance de plein droit d’une carte de résident en cas de condamnation de l’auteur de traite ou d’exploitation sexuelle (loi) ;
– créer une procédure subsidiaire d’obtention d’une carte de séjour s’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne est une victime, avec avis d’une commission départementale (loi) ;
– renouveler automatiquement le titre de séjour obtenu sur le fondement de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile tant que des poursuites pénales sont en cours (loi) ;
– permettre aux victimes de la traite, de se domicilier auprès d’une association ou de leur avocat pour leurs démarches administratives (loi) ;
– rappeler par voie de circulaire l’ensemble des bonnes pratiques à mettre en œuvre (circulaire du ministère chargé de l’Immigration).
Dans le domaine de l’asile, des améliorations pourraient également être apportées au dispositif existant. En effet, ainsi que l’a souligné Mme Odile Schwertz-Favrat, représentant l’association Fasti, ni l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ni la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) n’estiment que les cas de traite ouvrent droit au statut de réfugié (989). Pourtant, le Haut commissariat aux réfugiés a indiqué que « les anciennes victimes de la traite peuvent être considérées comme constituant un groupe social du fait de la caractéristique immuable, commune et historique consistant à avoir fait l’objet d’une traite. » (990) Une reconnaissance du statut de réfugié sur ce fondement pourrait donc être envisagée. Cependant, ce n’est pas seulement ce statut qui est refusé aux victimes de la traite, mais parfois aussi, la protection subsidiaire, alors que les conditions pour pouvoir en bénéficier sont remplies (991). Il est donc nécessaire de former les agents de l’OFPRA et de la CNDA à cette problématique.
Par ailleurs, il existe plusieurs difficultés particulières aux victimes de la traite :
– en premier lieu, elles sont généralement contraintes par leur réseau à déposer une première demande d’asile sous une fausse identité, afin de bénéficier provisoirement d’un séjour régulier, le temps que leur demande soit examinée. Une fois sortie de l’emprise du réseau, elles souhaitent parfois déposer une deuxième demande. Mais dans ce cadre, elles bénéficient de garanties bien moins importantes (procédure prioritaire, pas d’effet suspensif du recours…). La spécificité de leur situation n’est donc pas prise en compte ;
– en deuxième lieu, le fait qu’elles aient été condamnées, notamment pour racolage, est parfois considéré, sur le fondement de l’article L. 712-2, d) du CESEDA, comme un motif de refus de la protection subsidiaire ;
– en troisième lieu, dans certaines préfectures, la délivrance d’une carte de séjour sur le fondement de l’article L. 316-1 du CESEDA est conçu comme faisant obstacle à une demande au titre de l’asile.
Là encore, les agents de l’OFPRA et de la CNDA devraient mieux être formés aux spécificités des victimes de la traite.
Enfin, en application du règlement Dublin II, ces victimes peuvent être remises à un autre État membre de l’Union européenne. Ceci peut cependant les exposer à des représailles dans ce nouvel État, les victimes perdant de surcroît tout lien avec les associations qui les assistent en France. Il faudrait que, pour les victimes de traite, la clause humanitaire de ce règlement, qui fait obstacle à la remise, soit activée.
– former les agents de l’OFPRA et de la CNDA aux spécificités de la situation des victimes de la traite (ministère chargé de l’Immigration) ;
– examiner les demandes formées par ces dernières, comme le permet le règlement Dublin II (ministère chargé de l’Immigration) ;
La garantie de revenus
Le deuxième élément nécessaire à la sortie de la prostitution est l’existence de revenus de substitution. Cet enjeu prend un tour particulier, dans le cadre de la prostitution, puisque cette activité est elle-même génératrice de gains parfois importants et que son arrêt entraîne souvent une diminution drastique des revenus de la personne prostituée. En premier lieu, se pose la problématique fiscale, dans la mesure où, l’impôt sur le revenu étant payé avec une année de décalage, la fiscalisation des personnes prostituées peut constituer un obstacle important à la cessation de leur activité. Il a d’ailleurs été fait état, devant la mission d’information, du fait que certaines d’entre elles devaient reprendre leur activité alors qu’elles avaient entamé une formation, en raison de la pression fiscale s’exerçant sur elles. Le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat, préconisait, en 2001, d’ouvrir un débat sur cette problématique pour savoir s’il était opportun de maintenir ce réalisme fiscal qui peut aboutir à un enfermement dans la prostitution ou s’il convenait d’exclure la prostitution du champ fiscal, avec le risque de rendre cette activité plus attractive.
Si le principe du réalisme fiscal doit être maintenu, pour ne pas mettre à mal le principe de l’égalité devant l’impôt, des modalités concrètes doivent être envisagées pour les personnes qui souhaitent débuter une insertion professionnelle et qui ne peuvent donc plus verser les sommes qui leur sont demandées par les services fiscaux sans reprendre la prostitution. À ce titre, des remises gracieuses peuvent actuellement leur être accordées à la triple condition qu’elles aient abandonné la prostitution, qu’elles aient retrouvé une activité professionnelle et qu’elles n’aient pas conservé le produit de la prostitution.
Cependant, selon les associations, ces remises sont parfois difficiles à obtenir, contraignant les personnes prostituées à poursuivre leur activité. Il serait donc utile d’institutionnaliser un dialogue renforcé entre les services fiscaux et les autres acteurs publics et associatifs pour apprécier la réalité des efforts et de la détermination de la personne prostituée. La sous-commission départementale ad hoc devrait constituer un tel lieu de dialogue . Par ailleurs, l’insertion professionnelle des personnes prostituées pouvant nécessiter du temps (accomplissement d’une formation, apprentissage du français...), il serait également nécessaire que les services fiscaux accordent ces remises, ou au moins suspendent la réclamation de l’impôt, lorsqu’elles entament une formation, dès lors qu’elles ont abandonné la prostitution. Ne devrait donc subsister que deux conditions pour l’octroi des remises gracieuses : l’engagement d’une formation ou l’obtention d’un emploi et l’arrêt de la prostitution.
– donnant accès au RSA aux victimes qui obtiennent un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (loi) ;
– donnant accès à l’allocation temporaire d’attente aux personnes dont on peut raisonnablement penser qu’elles sont victimes de la traite ou d’exploitation, le versement de cette allocation devant être prévu jusqu’à ce que la réinsertion ait été effective (loi).
– créant, dans les plus grands centres urbains, des structures spécifiquement dédiées à leur prise en charge (ministère de la Cohésion sociale) ;
– mettant en réseau certaines structures susceptibles d’accueillir ce type de personnes (ministère de la Cohésion sociale).
– indiquant par voie de circulaire que ces personnes font partie des publics prioritaires pour l’accession au logement social (ministère chargé du logement) ;
– finançant l’achat d’appartements par les associations spécialisées (ministère de la cohésion sociale et collectivités territoriales).
Proposition n° 14 : Accroître l’offre de soins psychologiques et psychiatriques au bénéfice des personnes prostituées qui souhaitent en bénéficier dans le cadre d’un processus de reconstruction (ministère de la Santé).
Accroître les budgets consacrés à l’insertion des personnes prostituées
En complément de la politique de pénalisation des clients, l’accent doit donc être mis sur les politiques sociales destinées aux personnes qui souhaitent quitter la prostitution. L’expérience suédoise montre que la pénalisation des clients ne remplace en rien l’accompagnement des personnes qui désirent sortir de la prostitution. En effet, de l’avis des autorités suédoises, la lacune de la politique ainsi engagée réside dans l’absence d’effort financier substantiel mis en œuvre pour accompagner cette pénalisation.
La pénalisation des clients ne peut pas être une politique menée de façon isolée, elle doit être accompagnée d’un volet social. Cependant, la tendance actuelle est plutôt celle de la diminution des financements dont bénéficient les associations spécialisées et du désengagement de l’État des politiques sociales à destination des personnes prostituées. À n’en pas douter, ainsi que nous le verrons, une meilleure coordination, notamment entre les acteurs publics et avec les associations, permettrait de réaliser de forts gains d’échelle. Ils ne peuvent pourtant pas, à eux seuls, compenser la baisse des crédits publics, qui met en danger la survie de certaines associations et accompagner la pénalisation des clients. À ce titre, il faut noter que l’accompagnement des personnes prostituées qui souhaitent changer d’activité est un travail de longue haleine, qui nécessite par conséquent un financement sur la durée. Il est regrettable que les subventions publiques soient souvent accordées de manière épisodique, d’autant plus que cette pratique pousse les associations à consacrer une part importante de leurs moyens humains à la recherche de financements. Il est également indispensable que l’État prenne en charge lui-même l’accompagnement des personnes prostituées qui désirent changer d’activité dans les territoires où il n’existe pas d’association compétente.
L’identification des victimes de la traite
Pour pouvoir davantage poursuivre sur le fondement de la traite des êtres humains, encore faut-il pouvoir identifier les personnes qui en sont victimes. En effet, ces dernières sollicitent rarement de manière spontanée les forces de l’ordre ou les services sociaux et ne se considèrent parfois pas comme des victimes (1032). De surcroît, l’absence d’identification a non seulement pour conséquence de ne pas reconnaître à ces personnes les droits afférents au statut de victime, mais elle peut également entraîner des mesures d’éloignement du territoire ou des procédures pénales à leur encontre, notamment sur le fondement du délit de racolage.
Dès lors, il importe de disposer de critères permettant de reconnaître avec suffisamment de certitude les victimes de la traite. Le groupe de travail interministériel sur la traite des êtres humains a réalisé un document de référence, en collaboration avec les principales associations concernées, qui regroupe les éléments laissant présager une situation de traite (1033). Le but de ces indicateurs est de pouvoir considérer, en amont de toute enquête, que la personne en cause est susceptible d’être victime, qu’il existe des « motifs raisonnables » de le penser, selon l’expression retenue par la Convention de Varsovie (1034).
Pour avoir une effectivité, ces critères doivent être connus des personnes qui sont susceptibles d’entrer en contact avec les victimes de la traite et qui doivent donc être formées à cet effet.
Cette nécessaire formation des professionnels résulte d’ailleurs des engagements internationaux de la France. La Convention de Varsovie, dans son article 10.2, oblige les États parties à adopter « les mesures législatives ou autres nécessaires pour identifier les victimes, le cas échéant, en collaboration avec d’autres Parties et avec des organisations ayant un rôle de soutien. » (1035) Cette obligation est précisée dans son article 10.1 qui prévoit que chaque Partie doit s’assurer que « ses autorités compétentes disposent de personnes formées et qualifiées […] dans l’identification des victimes […] et que les différentes autorités concernées collaborent entre elles ainsi qu’avec les organisations ayant un rôle de soutien, afin de permettre d’identifier les victimes. » Le rapport explicatif précise que cette formation à l’identification des victimes s’adresse à toutes les « autorités publiques qui peuvent être amenées à entrer en contact avec les victimes de la traite, par exemple, les services de police, de l’inspection du travail, des douanes, de l’immigration ou les ambassades et les consulats. » (1036) La directive européenne (1037) reprend ces deux obligations d’identification et de formation, dans ses articles 11.4 (1038) et 18.3 (1039).
Une formation est d’autant plus nécessaire que même des professionnels de terrain, qui peuvent être au contact régulier de victimes de la traite, ne parviennent pas toujours à les identifier. M. Ludovic Levasseur, responsable du service médical de la zone d’attente de Roissy, a récemment indiqué qu’il était particulièrement compliqué d’identifier les victimes de la traite parmi les mineurs qui arrivent à Roissy et que certains médecins n’étaient pas formés à cette problématique (1040). Pour sa part, Mme Claudine Legardinier a dressé un parallèle entre cette situation et l’identification des femmes victimes de violences au sein de leur couple, citant l’exemple du professeur Roger Henrion : « Avant d’écrire son rapport à ce sujet, il pensait n’avoir jamais rencontré de victimes de violences conjugales ; après s’être intéressé à ce sujet, il en voyait souvent. » (1041)
Des formations sont d’ores et déjà organisées, notamment par l’association Accompagnement Lieu d’Accueil (ALC) depuis plus de quatre ans (1042). Elles devraient cependant prendre une ampleur plus importante. Le plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2011-2013) préconise, dans sa mesure n° 10, de généraliser les formations destinées aux agents publics, sous l’impulsion de la coordination nationale (1043). Seraient ainsi formés des référents au sein de chaque administration concernée, qui seraient ensuite chargés de diffuser l’information reçue. Ce modèle est particulièrement pertinent pour diffuser à grande échelle une formation et des bonnes pratiques. Il a d’ailleurs été mis en œuvre avec succès dans le domaine des violences intrafamiliales (1044). Devraient être formés, sur le fondement de ce plan, des référents au sein des services suivants : les unités de gendarmerie et les services de police, les magistrats, les services chargés de l’immigration et du droit d’asile, les services sociaux, l’aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse, l’éducation nationale, les services de santé, les représentations diplomatiques et consulaires, les associations, les inspecteurs du travail, les douaniers, les agents des impôts, les syndicats et les avocats.
Cette formation doit être accompagnée de la diffusion de supports pédagogiques, comme le propose la mesure n° 9 du plan. Un DVD a ainsi été diffusé à hauteur de 10 000 copies, à l’initiative du groupe de travail interministériel, qui s’adresse aussi bien aux agents publics qu’aux victimes de la traite, dans la mesure où il explicite également leurs droits en différentes langues étrangères (1045).
Ces efforts doivent être encouragés et systématisés. Ils conditionnent en effet l’accès au droit des victimes de la traite.
Au-delà, il serait également souhaitable d’informer le grand public sur la réalité de la traite des êtres humains, notamment à des fins d’exploitation sexuelle. Une campagne de communication devrait être envisagée à cet effet, qui pourrait s’inscrire, pour ce qui est de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, dans le cadre de la campagne de sensibilisation précédemment évoquée portant sur la prostitution (1046). La proposition n° 5 du plan préconise de mener une telle campagne auprès du grand public, notamment au moyen d’affichages dans les lieux publics, de spots télévisés et de la création d’un site Internet.
L’identification des victimes de la traite
Pour pouvoir davantage poursuivre sur le fondement de la traite des êtres humains, encore faut-il pouvoir identifier les personnes qui en sont victimes. En effet, ces dernières sollicitent rarement de manière spontanée les forces de l’ordre ou les services sociaux et ne se considèrent parfois pas comme des victimes. De surcroît, l’absence d’identification a non seulement pour conséquence de ne pas reconnaître à ces personnes les droits afférents au statut de victime, mais elle peut également entraîner des mesures d’éloignement du territoire ou des procédures pénales à leur encontre, notamment sur le fondement du délit de racolage.
Dès lors, il importe de disposer de critères permettant de reconnaître avec suffisamment de certitude les victimes de la traite. Le groupe de travail interministériel sur la traite des êtres humains a réalisé un document de référence, en collaboration avec les principales associations concernées, qui regroupe les éléments laissant présager une situation de traite. Le but de ces indicateurs est de pouvoir considérer, en amont de toute enquête, que la personne en cause est susceptible d’être victime, qu’il existe des « motifs raisonnables » de le penser, selon l’expression retenue par la Convention de Varsovie. Pour avoir une effectivité, ces critères doivent être connus des personnes qui sont susceptibles d’entrer en contact avec les victimes de la traite et qui doivent donc être formées à cet effet.
Cette nécessaire formation des professionnels résulte d’ailleurs des engagements internationaux de la France. La Convention de Varsovie, dans son article 10.2, oblige les États parties à adopter « les mesures législatives ou autres nécessaires pour identifier les victimes, le cas échéant, en collaboration avec d’autres Parties et avec des organisations ayant un rôle de soutien. » Cette obligation est précisée dans son article 10.1 qui prévoit que chaque Partie doit s’assurer que « ses autorités compétentes disposent de personnes formées et qualifiées [...] dans l’identification des victimes [...] et que les différentes autorités concernées collaborent entre elles ainsi qu’avec les organisations ayant un rôle de soutien, afin de permettre d’identifier les victimes. » Le rapport explicatif précise que cette formation à l’identification des victimes s’adresse à toutes les « autorités publiques qui peuvent être amenées à entrer en contact avec les victimes de la traite, par exemple, les services de police, de l’inspection du travail, des douanes, de l’immigration ou les ambassades et les consulats. »
La directive européenne reprend ces deux obligations d’identification et de formation, dans ses articles 11.4 et 18.3. Une formation est d’autant plus nécessaire que même des professionnels de terrain, qui peuvent être au contact régulier de victimes de la traite, ne parviennent pas toujours à les identifier. M. Ludovic Levasseur, responsable du service médical de la zone d’attente de Roissy, a récemment indiqué qu’il était particulièrement compliqué d’identifier les victimes de la traite parmi les mineurs qui arrivent à Roissy et que certains médecins n’étaient pas formés à cette problématique. Pour sa part, Mme Claudine Legardinier a dressé un parallèle entre cette situation et l’identification des femmes victimes de violences au sein de leur couple, citant l’exemple du professeur Roger Henrion : « Avant d’écrire son rapport à ce sujet, il pensait n’avoir jamais rencontré de victimes de violences conjugales ; après s’être intéressé à ce sujet, il en voyait souvent. »
Des formations sont d’ores et déjà organisées, notamment par l’association Accompagnement Lieu d’Accueil (ALC) depuis plus de quatre ans. Elles devraient cependant prendre une ampleur plus importante. Le plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2011-2013) préconise, dans sa mesure n° 10, de généraliser les formations destinées aux agents publics, sous l’impulsion de la coordination nationale (7). Seraient ainsi formés des référents au sein de chaque administration concernée, qui seraient ensuite chargés de diffuser l’information reçue. Ce modèle est particulièrement pertinent pour diffuser à grande échelle une formation et des bonnes pratiques. Il a d’ailleurs été mis en œuvre avec succès dans le domaine des violences intrafamiliales .
Devraient être formés, sur le fondement de ce plan, des référents au sein des services suivants : les unités de gendarmerie et les services de police, les magistrats, les services chargés de l’immigration et du droit d’asile, les services sociaux, l’aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse, l’éducation nationale, les services de santé, les représentations diplomatiques et consulaires, les associations, les inspecteurs du travail, les douaniers, les agents des impôts, les syndicats et les avocats. Cette formation doit être accompagnée de la diffusion de supports pédagogiques, comme le propose la mesure n° 9 du plan. Un DVD a ainsi été diffusé à hauteur de 10 000 copies, à l’initiative du groupe de travail interministériel, qui s’adresse aussi bien aux agents publics qu’aux victimes de la traite, dans la mesure où il explicite également leurs droits en différentes langues étrangères.
Ces efforts doivent être encouragés et systématisés. Ils conditionnent en effet l’accès au droit des victimes de la traite. Au-delà, il serait également souhaitable d’informer le grand public sur la réalité de la traite des êtres humains, notamment à des fins d’exploitation sexuelle. Une campagne de communication devrait être envisagée à cet effet, qui pourrait s’inscrire, pour ce qui est de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, dans le cadre de la campagne de sensibilisation précédemment évoquée portant sur la prostitution. La proposition n° 5 du plan préconise de mener une telle campagne auprès du grand public, notamment au moyen d’affichages dans les lieux publics, de spots télévisés et de la création d’un site Internet.
Mieux appliquer la législation aux nouvelles formes de proxénétisme
Le dispositif pénal en matière de proxénétisme est complet et apte à sanctionner toutes les formes de cette criminalité. Cependant, il gagnerait à être mieux appliqué aux nouvelles formes de proxénétisme que sont en particulier l’organisation de « sex tour » et l’exploitation de la prostitution réalisée par Internet ainsi qu’aux réseaux internationaux.
a) Le proxénétisme hôtelier, un partenariat à renforcer
Plusieurs personnes auditionnées se sont fait l’écho du nombre apparemment de plus en plus important de « tournées » de personnes prostituées étrangères dans les pays d’Europe occidentale. Les chaînes hôtelières sont de plus en plus attentives à ces phénomènes, ainsi que l’a indiqué M. Jacques Barré, président du groupement national des chaînes hôtelières (1047). Outre la fermeture de l’établissement pour proxénétisme, qui est encourue, la présence de prostitution peut également être nuisible à l’image de l’hôtel, voire de la chaîne dans son ensemble. De surcroît, elle peut poser des problèmes de sécurité, puisque des agressions subies par des personnes prostituées ont déjà été signalées dans des hôtels.
En conséquence, des actions sont menées pour éviter que des personnes prostituées n’exercent en hôtel. Au sein du groupe Accor, des formations sont organisées en collaboration avec des policiers spécialisés afin de rendre le personnel attentif à la présence d’indices : « la fréquence des réservations, la répétition des noms utilisés pour réserver, les modes de paiement employés, le comportement des clients, la consonance étrangère des noms. » (1048) Le profil des femmes seules qui réservent une chambre pour une semaine attire particulièrement l’attention. Par ailleurs, les hôtels signalent systématiquement à la police les présomptions de prostitution et, si cette dernière est avérée, oblige la personne qui se prostitue à quitter l’hôtel. Enfin, des échanges de bonnes pratiques sont organisés entre les hôtels. Cette politique, selon M. Franck Courson, chef de la division criminelle de la direction interrégionale de police criminelle de Lyon, a donné de bons résultats, notamment dans la région lyonnaise, où, à la suite d’une affaire médiatisée, le groupe Accor avait désigné des référents dans chacun de ses hôtels (1049).
Cependant, des difficultés importantes persistent. Ainsi, le fait que les réservations passent de plus en plus souvent par Internet et qu’elles soient effectuées par l’intermédiaire d’agences de voyage en ligne compliquent la tâche des hôteliers. Ces problématiques seront encore accrues par la mise œuvre, dans un futur proche, de procédures d’arrivée et de départ automatisées. De plus, les hôteliers ne peuvent pas, sur de simples soupçons, pratiquer des refus de vente, la prostitution étant de surcroît une activité légale.
Des progrès pourraient encore être accomplis, notamment par la désignation systématique de référents du côté des hôteliers et des forces de l’ordre. Des formations plus régulières pourraient également être organisées, non seulement pour repérer les personnes qui se prostituent, mais surtout pour identifier les victimes de la traite des êtres humains. À titre d’exemple, en Suède, une assistance téléphonique a été créée, permettant aux hôteliers de signaler facilement toute présomption de prostitution et de traite (1050). Il convient de s’inspirer de ces bonnes pratiques pour renforcer la politique partenariale entre chaînes hôtelières et pouvoirs publics, par exemple par l’intermédiaire de la signature d’une convention entre la police nationale et les chaînes hôtelières, qui prévoirait d’organiser des formations sur la traite des êtres humains et de désigner des personnes référentes.
En matière de prostitution effectuée via Internet, les outils juridiques existent également, dans la mesure où l’utilisation d’un réseau de télécommunications constitue une cause d’aggravation du proxénétisme, rendant l’infraction passible de 10 ans d’emprisonnement et de 1 500 000 euros d’amende. Plusieurs condamnations ont été prononcées sur ce fondement.
Pourtant, les sites d’escortes semblent se développer et les sites de rencontres ou de petites annonces électroniques abritent très certainement des offres prostitutionnelles. L’éditeur du site est responsable du contenu de son site et peut donc être poursuivi pour proxénétisme. Les hébergeurs des sites disposent d’une responsabilité atténuée, depuis la loi n° 2004-575 pour la confiance en l’économie numérique du 21 juin 2004. En effet, leur responsabilité ne peut être engagée sur le plan civil et pénal qu’après notification du contenu illicite, ce qui constitue une procédure relativement lourde, selon Mme Myriam Quémener, magistrate. De surcroît, les poursuites sont rendues difficiles par la localisation des hébergeurs à l’étranger et la disparition brutale des sites qui sont aussitôt recréés sous une adresse différente.
Pour passer outre ces difficultés, une démarche de partenariat a été engagée entre l’OCRTEH et Vivastreet, site de petites annonces en ligne. Lorsque des suspicions de traite des êtres humains existent, une réquisition peut être envoyée par les services de police, qui aboutit à la communication, sous 48 heures, de l’adresse électronique, de l’adresse IP et du numéro de téléphone de la personne ayant posté l’annonce. Dès lors, des croisements peuvent être effectués par les forces de l’ordre, afin de vérifier, par exemple, qu’un numéro de téléphone ne correspond pas à plusieurs annonces différentes.
De surcroît, la décision a été prise de faire payer les annonces de la section « Érotica », afin de pouvoir disposer d’un numéro de carte bleue, de filtrer les annonces et de modérer leur contenu. Il semble impossible d’empêcher la création de sites Internet mettant en relation l’offre et la demande en matière de prostitution, dans la mesure où ces derniers peuvent être hébergés partout dans le monde. Dès lors, une réflexion doit être engagée avec les principaux hébergeurs concernés (notamment les sites de petites annonces) quant aux moyens à mettre en œuvre pour limiter ce phénomène.
Mieux utiliser les outils de la procédure pénale
La procédure pénale doit être mieux utilisée dans les affaires de traite des êtres humains et de proxénétisme, notamment en ce qui concerne la coopération internationale, la protection des victimes et la saisie des avoirs criminels.
a) Avoir davantage recours à la coopération internationale Les réseaux de traite des êtres humains et d’exploitation sexuelle se déploient de plus en plus fréquemment à une échelle européenne voire internationale . Même si la législation française, relativement stricte en matière de proxénétisme, détourne de notre pays une part de cette criminalité, les réseaux de traite s’y implantent néanmoins. La preuve de l’infraction nécessite alors une coopération policière et judiciaire, dans la mesure où le réseau est présent dans des pays différents. La création des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) constitue indéniablement un progrès dans la lutte contre ce phénomène, dans la mesure où ces dernières sont habituées à mener des procédures internationales.
L’existence de mécanismes de coopération est également primordiale. Ils ont progressivement été mis en œuvre dans le cadre européen. Le mandat d’arrêt européen en constitue l’une des formes privilégiées. Plus de 10 000 ont été exécutés entre 2005 et 2009, avec un délai moyen d’exécution de deux semaines, alors qu’il était d’un an avec la procédure de l’extradition . Or, dans ce cadre, la traite des êtres humains fait partie des infractions pouvant donner lieu à la remise de la personne recherchée sans contrôle de la double incrimination. Cependant, les réseaux se sont adaptés et leurs organisateurs se sont souvent déplacés aux marges de l’Union européenne, notamment en Moldavie, en Ukraine et en Biélorussie. Des équipes communes d’enquête peuvent être constituées et bénéficier d’un financement communautaire. Il s’agit de structures temporaires, rassemblant les magistrats et les enquêteurs de plusieurs États membres de l’Union européenne et permettant notamment d’échanger des renseignements, de mener des investigations conjointes et de coordonner les poursuites pénales. Elles sont créées par la conclusion d’un protocole entre magistrats. Dans ce cadre, des magistrats et des policiers français peuvent se rendre dans les pays sources de la traite des êtres humains afin de procéder à l’identification de la tête du réseau et à son démantèlement.
Les structures d’Europol et d’Eurojust sont enfin des mécanismes majeurs de la coopération pénale européenne, notamment en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Europol est une agence européenne de coopération policière, qui a pour buts le partage rapide d’informations et l’analyse criminelle. Cette dernière repose sur des fichiers d’analyse, qui permettent de collecter de stocker et d’analyser, pendant trois ans, des données nominatives émanant d’enquêtes en cours. Ainsi, Mme Angelika Molnar, analyste au groupe « Prostitution et traite des êtres humains » d’Europol, a indiqué que ces fichiers permettaient de mettre en évidence l’existence de réseaux dans des affaires qui sembleraient à première vue locales et de faible ampleur. L’analyse des photographies, des déplacements, des plaques d’immatriculation ou des flux financiers permet une telle caractérisation.
Un bureau de liaison français sert d’interface entre la plateforme de coopération internationale de Nanterre et Europol. Il est composé de sept personnes (policiers, gendarmes et douaniers). Eurojust a été créé en 2002 et a notamment pour mission d’encourager la coordination dans les enquêtes et les poursuites, d’améliorer la coopération judiciaire, de soutenir les autorités nationales et de renforcer la coopération judiciaire avec les pays tiers. Eurojust peut par exemple être un lieu d’élaboration d’une stratégie d’enquête ou de coordination d’arrestations entre plusieurs États membres. Il s’agit d’un organe de coopération entre autorités judiciaires nationales fondé sur la confiance, ce qui en fait une structure beaucoup moins intégrée qu’Europol. Eurojust a eu à traiter, en 2009, 74 dossiers relatifs à la traite des êtres humains, dont 52 concernaient des affaires d’exploitation sexuelle. Ce dernier chiffre s’est élevé à 67 en 2010. Sur ces 67 cas, la France a été initiatrice dans 8 et a été requise dans 4.
Eurojust constitue donc un outil précieux en matière de coopération judiciaire. Des moyens importants y sont d’ailleurs affectés par le gouvernement français puisque le bureau français comprend quatre magistrats, ce qui représente l’effectif le plus important et permet la tenue d’une permanence 24 heures sur 24. Or, au vu des témoignages recueillis par la mission, on a le sentiment qu’Eurojust est sous-utilisé. Ce constat est d’autant plus vrai en matière de traite des êtres humains, dans la mesure où de nombreuses affaires sont menées en France sous le chef de proxénétisme, domaine dans lequel la coopération est plus délicate. Il importe donc de qualifier ces affaires de traite des êtres humains et de mieux faire connaître le dispositif Eurojust ainsi que l’aide qu’il peut apporter aux magistrats français.
Une coopération est également nécessaire en matière internationale, tous les faits de traite ne se déroulant pas dans le cadre de l’Union européenne. À ce titre, la mission s’associe aux recommandations du plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2011-2013), qui prévoit notamment : – d’encourager la ratification par tous les États du protocole de Palerme (1), dans la mesure où il constitue le seul instrument universel de lutte contre la traite (mesure n° 27) ; – de développer les actions de coopération et renforcer l’assistance technique auprès des pays d’origine (mesure n° 28). M. Jean-Marc Souvira a donné l’exemple d’accords de jumelage passés avec la Roumanie et la Bulgarie pour améliorer la formation des policiers. Certains agents français sont allés travailler pendant plusieurs mois en Europe orientale pour améliorer les procédures de poursuite et inversement des policiers roumains et bulgares sont venus se former en France (2). De telles actions devraient être étendues aux autres pays sources de la traite ; – de coordonner les différentes actions de coopération (mesure n° 29). Pour ce faire, il est proposé de créer une base de données regroupant l’ensemble de projets de coopérations, qu’ils soient menés par des acteurs publics ou associatifs. Cette base de données serait gérée par le ministère des Affaires étrangères et la coordination interministérielle ; – de développer et renforcer l’entraide judiciaire et policière, que ce soit dans le cadre international ou européen (mesure n° 30) ; – de promouvoir et pérenniser l’expertise française au sein des organisations internationales (mesure n° 31) ; – et d’assurer la cohérence des travaux entrepris dans le cadre des différentes organisations internationales (mesure n° 32), afin d’éviter que certains États choisissent les normes les moins contraignantes. Par ailleurs, la coopération en matière de lutte contre la traite des êtres humains devrait être intégrée dans tous les accords de partenariat conclus par l’Union européenne avec des pays tiers.
– envisageant l’instauration d’un programme de protection des victimes et des témoins (ministères de la Justice et de l’Intérieur) ;
– facilitant l’arrivée en France des membres de leur famille restés dans leur pays d’origine (loi) ;
– rendant de droit le huis clos au procès, sur la demande des victimes de traite et de proxénétisme aggravés (loi).
Cette résolution devrait rappeler les grands principes juridiques et les valeurs qui guident l’action internationale de la France non seulement en matière de prostitution mais, plus largement, en ce qui concerne le statut du corps humain : – le principe fondamental du respect de la dignité de la personne humaine, d’où découle l’ensemble des autres grands principes protecteurs de la personne humaine et de son corps ; – les principes de la non patrimonialité, de l’indisponibilité et de l’inviolabilité du corps humain, qui font obstacle, selon nos conceptions les plus fondamentales, à considérer le corps humain comme un bien marchand ; – le principe de l’égalité entre hommes et femmes, que la prostitution et la traite des êtres humains mettent à mal. Enfin, la résolution devrait énoncer clairement les grandes lignes de sa politique en matière de prostitution, à savoir que : – la meilleure façon de lutter contre l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains à cette fin est de voir diminuer la prostitution ; – la prostitution est le plus souvent ressentie comme une violence par les personnes qui l’exercent et s’accompagne de nombreuses violences tant physiques que psychologiques ; – les politiques publiques doivent offrir des alternatives crédibles à la prostitution pour les personnes qui s’y livrent et garantir leurs droits fondamentaux, en mettant en œuvre des politiques sociales ambitieuses et spécifiques ; – la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme doivent constituer des priorités politiques ; – à terme, la France vise l’horizon de la disparition de la prostitution, de l’exploitation sexuelle et de la traite des êtres humains. Cet objectif ne pourra être atteint que par un changement progressif des mentalités et un patient travail de prévention, d’éducation et de responsabilisation des clients ; – des actions de coopération doivent être menées avec les pays sources de la traite et dans le cadre des institutions internationales et européennes.
– en ajoutant aux missions des comités départementaux de prévention de la délinquance (CDPD) l’élaboration et le pilotage de l’accompagnement intégral des personnes prostituées et la lutte contre la traite (décret) ;
– en créant au sein de chaque comité départemental de prévention de la délinquance (CDPD) une sous-commission chargée de la prostitution et de la traite des êtres humains (décret) ;
– en donnant instruction aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance de consacrer au moins une réunion par an à un état des lieux de la prostitution si cette dernière existe dans la zone concernée (circulaire du ministère de l’Intérieur).
Devraient notamment désigner des référents : les préfectures, les mairies, les conseils généraux, Pôle Emploi, les URSSAF, l’assurance maladie, l’assurance vieillesse et l’administration des finances publiques.
Afin de disposer d’une coordination interministérielle nationale dans le domaine de la prostitution, la meilleure solution est ainsi de prévoir que la coordination nationale qui doit prochainement être créée sur la traite des êtres humains soit également compétente en matière de prostitution. La création d’une structure unique par les autorités suédoises peut servir d’exemple : elle donne pleine satisfaction à chacun des acteurs engagés.
La directive sur la traite des êtres humains fait de la création d’un rapporteur national une obligation pour la France. Son article 19 oblige les États membres à mettre en place « des rapporteurs nationaux ou des mécanismes équivalents ». La mission de cette structure consisterait « notamment à déterminer les tendances en matière de traite des êtres humains, à évaluer les résultats des actions engagées pour lutter contre ce phénomène, y compris la collecte de statistiques en étroite collaboration avec les organisations pertinentes de la société civile qui sont actives dans ce domaine, et à établir des rapports. » Il est à noter que la directive, dans son article 20, évoque la « coordination de la stratégie de l’Union en matière de lutte contre la traite des êtres humains », et crée, en niveau communautaire, un « coordinateur européen de la lutte contre la traite des êtres humains ».
Or, une telle structure est inexistante en France. À l’heure actuelle, une partie de ces missions incombe à l’OCRTEH. Cependant, le rapport annuel de cet office ne porte que sur la dimension policière de la lutte contre la traite et n’évalue aucunement les politiques publiques en la matière ni ne collecte de statistiques auprès des associations. De plus, sa mission ne porte que sur la lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle et non pas contre toutes les formes de traite. Pour pallier cette absence, le groupe de travail interministériel a rédigé un avant-projet de loi visant à créer un rapporteur national indépendant en charge de promouvoir les règles relatives à la prévention et à la répression de la traite ainsi qu’à la protection des victimes, dont la création prochaine a été annoncée par M. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, lors d’une séance de questions au Sénat. Cependant, cet avant-projet de loi n’a, pour l’heure, pas été déposé au Parlement.
La compétence de ce rapporteur ne porterait pas uniquement sur la traite des êtres humains. De même que pour la coordination interministérielle, le rapporteur devrait également être compétent dans le domaine de la prostitution. Cette extension permettrait de disposer de données fiables et neutres, qui seraient particulièrement utiles, notamment pour évaluer l’impact de la pénalisation des clients.
Commander une enquête universitaire visant à dresser un état des lieux de la prostitution dans sa globalité (Service du droit des femmes et de l’égalité) ;
Demander à l’Observatoire national de la vie étudiante de mener une enquête sur la prostitution étudiante (ministère de l’Enseignement supérieur) ;
Mener une enquête visant à évaluer les besoins des personnes prostituées en matière d’accompagnement (ministère des Solidarités et de la cohésion sociale).
enregistré le 9 juin 2011
Présentée par Danielle Bousquet, Guy Geoffroy, Jean-Marc Ayrault, Christian Jacob, François Sauvadet, Yves Cochet, Marie-George Buffet, Martine Billard et Marie-Jo 2immermann
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La mission d’information de la commission des lois sur la prostitution en France, qui a rendu son rapport public le 13 avril dernier, a dressé, avec plus de 200 personnes entendues, sept ministres sollicités et six déplacements effectués, un bilan aussi complet et objectif que possible de la prostitution en France. Si elle a préconisé le vote d’une résolution parlementaire, c’est avec un triple objectif : rendre publiques certaines réalités qui posent question dans une démocratie comme la nôtre, battre en brèches les idées reçues qui laissent accroire que, sous prétexte que la prostitution serait « le plus vieux métier du monde », elle est une fatalité, enfin, réaffirmer la détermination de la France à lutter contre la prostitution et à garantir les droits des personnes prostituées.
Certains faits doivent être portés à la connaissance de nos concitoyens afin qu’ils prennent conscience de la réalité de la prostitution. Tel est le premier objectif de cette résolution.
Tout d’abord, le nombre de personnes prostituées en France serait d’environ 20 000 selon le ministère de l’Intérieur. Pour ce qui est des personnes qui se prostituent dans la rue, environ 85 % sont des femmes. Les clients quant à eux sont en quasi-totalité des hommes. Ceci démontre la réalité sexuée de la prostitution.
En deuxième lieu, il faut insister sur le renversement historique qui s’est produit en l’espace de vingt ans. Alors que seulement 20 % des femmes se prostituant dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution.
Enfin, toutes les études s’accordent sur le fait que les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent une atteinte souvent dramatique à leur intégrité physique et psychique. Des enquêtes menées aux États-Unis, au Canada et en Allemagne montrent que dans ces trois pays, plus de 50 % des personnes prostituées interrogées ont été violées, souvent plus de cinq fois au cours de leur activité. Elles auraient entre 60 et 120 fois plus de chances de mourir assassinées. En France, des faits divers dramatiques soulignent régulièrement le danger qui pèse sur elles.
Telle est la réalité de la prostitution aujourd’hui en France. Comment ne pas voir que ces constats heurtent frontalement nos principes les plus fondamentaux : la non-patrimonialité et l’intégrité du corps humain ainsi que l’égalité entre les sexes et la lutte contre les violences de genre ?
Tout en approuvant les grandes lignes de ce constat, certains hésitent pourtant sur la conduite à tenir. En effet, il est si communément admis que la prostitution est « le plus vieux métier du monde », qu’elle est considérée comme inhérente à toute vie sociale. Beaucoup estiment également que la prostitution fait diminuer le nombre de viols et qu’elle répond à la misère affective et sexuelle de certains hommes. La prostitution aurait donc une utilité sociale qui rendrait vaine, voire dangereuse, toute tentative visant à la faire régresser. Au surplus, ne dit-on pas que certaines personnes prostituées ont choisi et aiment leur « métier » ?
Ces idées reçues forment ce que la mission d’information a appelé le « mythe » de la prostitution. Sans que l’on puisse déterminer d’où elles viennent et sur quels fondements empiriques elles reposent, elles invitent à considérer la prostitution comme une donnée qu’il faudrait réguler. Pourtant, là encore, les faits sont têtus. Ils infirment, les unes après les autres, toutes ces « évidences ». Les rendre publics est la deuxième ambition de la résolution.
La prostitution ne fait pas baisser le nombre de viols, au contraire. En Suède, la pénalisation des clients, en 1999, n’a pas provoqué une augmentation du taux de viol. Au Nevada, les comtés qui ont légalisé la prostitution connaissent un taux de viol de deux à cinq fois supérieur aux autres. Il n’est donc pas nécessaire d’offrir les prostituées en pâture aux violeurs pour éviter qu’ils ne s’en prennent aux jeunes femmes.
Les clients ne sont pas des hommes qui vivent dans la misère affective et sexuelle. Plus des deux tiers vivent ou ont vécu en couple et plus de 50 % sont pères de famille. Ils sont donc parfaitement en mesure d’accéder à une sexualité non marchande. Il ne faut pas confondre les personnes prostituées avec des assistantes sociales : aider quelqu’un qui se trouve dans l’isolement ou dans le dénuement n’est pas la même chose que d’avoir une relation sexuelle avec cette personne ! « S’il y a des assistantes sociales, ce n’est pas pour rien. Notre corps était engagé, on ne se contentait pas d’écouter », témoigne une ancienne personne prostituée.
Enfin, la prostitution n’est jamais exercée de gaîté de cœur. Elle fait le plus souvent suite à un évènement traumatique (rejet lié à l’orientation sexuelle, précarité économique particulièrement forte…) quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe. Si une infime partie des personnes prostituées revendiquent leur libre arbitre, cela ne doit pas conduire à fermer les yeux sur toutes les autres. À n’en pas douter, le vécu de la prostitution est moins la mise en œuvre militante du principe philosophique de libre disposition de son corps que la réalité beaucoup plus crue de la location de ses organes sexuels par contrainte ou par nécessité.
À la lumière de ces réalités, rien ne fait obstacle à l’objectif d’une société libérée de cette violence que constitue la prostitution. Telle est d’ailleurs l’ambition de la France depuis la fin de la seconde guerre mondiale et sa ratification, en 1960, de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Les principes de l’abolitionnisme, qu’elle a alors officiellement adoptés, doivent être proclamés haut et fort à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe. Tel est le troisième objectif de la résolution.
La position abolitionniste de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles d’inciter à la prostitution disparaissent. Dès lors, il ne saurait être question de reconnaître la prostitution comme un travail et de lui appliquer les règles relatives au droit du travail. Ceux qui comparent la prostitution à d’autres activités, comme celle de masseur, oublient que les clients des centres de massage ne choisissent pas leur masseur en fonction de son sexe et de son apparence physique, que les masseurs ne subissent pas régulièrement des agressions physiques ou sexuelles et que leur métier ne les expose pas à des séquelles psychologiques profondes et durables. Qui accepterait de travailler dans de telles conditions ?
En conséquence de ce refus initial, la France doit tout mettre en œuvre pour proposer des alternatives crédibles à la prostitution afin de rétablir la liberté de choix des personnes prostituées qui souhaitent cesser cette activité. Des politiques publiques ambitieuses et coordonnées doivent être mises en place à cet effet. Dans tous les cas et quelle que soit la situation administrative des personnes prostituées, leurs droits fondamentaux doivent être garantis, ainsi que le prévoient les conventions internationales auxquelles la France est partie. Au premier rang de ces droits figure celui de pouvoir porter plainte et d’accéder à la justice.
En parallèle, un effort sans précédent doit être consacré à l’information, à la prévention et à l’éducation. Ce travail doit permettre d’exposer largement ce qu’est la réalité de la prostitution et de la mettre en regard avec les grands principes républicains précédemment évoqués. C’est uniquement grâce à ce patient travail que les représentations pourront évoluer.
Enfin, la loi doit clairement marquer la responsabilité de chacun dans la perpétuation du système prostitutionnel. Elle le fait d’ores et déjà pour ce qui est des auteurs de traite des êtres humains et de proxénétisme. Elle doit également responsabiliser les clients en leur indiquant clairement qu’eux aussi ont une part de responsabilité. Sans client, il n’y aurait pas de prostitution. L’expérience suédoise montre qu’une action de sensibilisation et de responsabilisation des clients est susceptible de faire diminuer la prostitution et la traite des êtres humains. Ce n’est pas un hasard si les Suédois et leurs femmes et hommes politiques sont aujourd’hui fiers de leur démarche.
À l’heure où les Islandais et les Norvégiens viennent d’adopter une législation similaire à celle de la Suède, où les Irlandais y réfléchissent, où une nouvelle loi est en préparation tant en Suède qu’aux Pays-Bas, la voix de la France est peu audible sur la scène européenne. Elle y est pourtant très attendue. Toutes les personnalités étrangères ou travaillant dans les institutions communautaires rencontrées par la mission d’information ont souhaité que la France prenne une position claire en matière de prostitution et de traite des êtres humains. C’est ce qu’il vous est aujourd’hui proposé, par la présente résolution.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement,
Vu l’article 3 du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » ;
Vu la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949, qui énonce que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine » ;
Vu la Convention internationale visant à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies (CEDAW) dont l’article 5 prévoit que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes » ;
Vu le protocole de Palerme ou protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signé le 15 novembre 2000 et la Convention de Varsovie ou Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, qui forment les deux instruments internationaux de référence dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains ;
Vu la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, qui dote les États membres d’un cadre commun pour lutter contre la traite et qui prévoit, dans son article 3 que « les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains » ;
Vu l’article 16 du code civil, qui énonce que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci » ;
Vu l’article 16-5 du code civil qui prévoit que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » ;
Vu le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes 2011/2013, qui considère la prostitution comme une forme de violence envers les femmes ;
Considérant que la non patrimonialité du corps humain est l’un des principes cardinaux de notre droit et qu’il fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré, en tant que tel, comme une source de profit ;
Considérant que les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent le plus souvent la prostitution portent une atteinte particulièrement grave à l’intégrité du corps des personnes prostituées ;
Considérant que la prostitution est exercée essentiellement par des femmes et que les clients sont en quasi-totalité des hommes, contrevenant ainsi au principe d’égalité entre les sexes ;
1 – Réaffirme la position abolitionniste de la France, dont l’objectif est, à terme, une société sans prostitution ;
2 – Proclame que la notion de besoins sexuels irrépressibles renvoie à une conception archaïque de la sexualité qui ne saurait légitimer la prostitution, pas plus qu’elle ne justifie le viol ;
3 – Estime que, compte tenu de la contrainte qui est le plus souvent à l’origine de l’entrée dans la prostitution, de la violence inhérente à cette activité et des dommages physiques et psychologiques qui en résultent, la prostitution ne saurait en aucun cas être assimilée à une activité professionnelle ;
4 – Juge primordial que les politiques publiques offrent des alternatives crédibles à la prostitution et garantissent les droits fondamentaux des personnes prostituées ;
5 – Souhaite que la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme constitue une véritable priorité, les personnes prostituées étant dans leur grande majorité victimes d’exploitation sexuelle ;
6 – Estime que la prostitution ne pourra régresser que grâce à un changement progressif des mentalités et un patient travail de prévention, d’éducation et de responsabilisation des clients et de la société toute entière.
En ligne sur http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3522.asp