Accueil > Nos projets & actions en cours > Démocratie & veilles citoyennes > Archives > Le développement soutenable est-il (...) > N°4. « Economie "verte", crise financière, greenwashing ? (...) |
N°4. « Economie "verte", crise financière, greenwashing ? Quelles marges de manœuvre pour une transition vers un développement soutenable ? »Mercredi 1er février 2012 Le 4ème séminaire du cycle organisé par Adéquations « Le développement soutenable est-il soluble dans le lobbying, les conflits d’intérêts et les expertises biaisées ? » a porté sur le thème : Economie « verte », crise financière, greenwashing ? Quelles marges de manœuvre pour une transition vers un développement soutenable ? |
Susan George interviendra notamment sur la crise financière : quelles sont les raisons qui font que ne sortons pas de cette crise ?
Susan George est auteur ou co-auteur de quatorze livres, traduits dans une vingtaine de langues. Elle est Présidente du Conseil d’administration du Transnational Institute (Amsterdam), un institut de recherche décentralisé dont les membres se consacrent à l’étude des rapports Nord-Sud et sont engagés dans la société civile et la vie associative de leurs pays respectifs. Elle est également présidente d’honneur d’ATTAC-France [Association pour une Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens] dont elle a été aussi vice-présidente entre 2000 et 2006.
Présentation et articles de Susan George sur son blog au Transnational Institute
Biographie détaillée
Derniers ouvrages
Leurs crises, nos solutions, Albin Michel,2010
La Pensée enchaînée : Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l’Amérique, Fayard 2007
Nous, peuples d’Europe, Fayard, 2005
Un Autre Monde et Possible Si..., Fayard, Paris 2004
Pour ou contre la mondialisation libérale, (un débat avec Martin Wolf du Financial Times) Grasset, 2002
Le Rapport Lugano, Fayard 2000, livre de poche Editions de l’Aube.
Les think tanks qui veulent la peau du principe de précaution.
Le principe de précaution est devenu la cible d’innombrables attaques venues des think tanks néolibéraux, d’élus et de commentateurs politiques. Certains d’entre eux ont même fait de ses attaques leur priorité, comme l’Observatoire du principe de précaution, le think tank de François Ewald, et Ecologie d’avenir, le think tank de Claude Allègre, drainant derrière eux un cortège d’académiciens, de lobbyistes et de PDG de grandes entreprises polluantes, qui ont parallèlement développé une vaste communication pour apparaître comme des acteurs du développement durable et de l’économie verte. Roger Lenglet révélera les dessous et les enjeux de cette campagne contre le principe de précaution, ainsi que les procédés utilisés pour le décrédibiliser, neutraliser sa portée juridique et remettre en question son socle constitutionnel français et européen.
Lire un article documentaire d’Adéquations sur le principe de précaution
Lire la synthèse du séminaire d’Adéquations sur les think tanks avec Roger Lenglet
Ouvrage de Roger Lenglet et Olivier Vilain Un pouvoir sous influence.
Quand les think tanks confisquent la démocratie.
Roger Lenglet, éléments de bibliographie
Philosophe et journaliste, directeur de la collection Librio Santé chez Flammarion. Ses enquêtes sur la corruption et le lobbying abordent régulièrement les procédés concrets utilisés par les professionnels de l’influence et les directions d’entreprises. Ses secteurs privilégiés : santé publique, sécurité sanitaire environnementale, gestion de l’eau, syndicalisme. Auteur notamment de :
Un pouvoir sous influence. Quand les think tanks confisquent la démocratie. Avec Olivier Vilain, Armand Colin 2011
Menace sur nos neurones : Alzheimer, Parkinson... et ceux qui en profitent, avec Marie Grosman, Actes Sud, 2011
Lobbying et santé - Comment certains industriels font pression contre l’intérêt général, éd. Pascal-Mutualité Française, 2009. Interview et extraits sur le site d’Adéquations : >>>>>
Cocktail d’enfer (journal intime d’un lobbyiste), avec Simon Pradinas, coll. Polar Santé, éd. Pascal-Mutualité Française 2008.
Profession corrupteur - La France de la corruption, éd. Gawsewitch, 2007.
L’eau des multinationales - Les vérités inavouables, avec Jean-Luc Touly, Fayard, 2006.
Silence, on intoxique ! - Face aux lobbies, la longue bataille pour sauver notre santé, avec André Aschieri, La Découverte 2006.
Croissance, technologie vertes, une nouvelle impasse
La croissance du Produit intérieur brut (PIB) après la seconde guerre mondiale est en grande partie celle de la croissance de structures gigantesques, que l’on nomme macro-systèmes techniques ("Very large technical systems") mais dont l’image est celle de "mégamachines" qui assurent des transports à longues distances, la régulation de flux dans des réseaux de toutes sortes avec un haut degré d’entropie. C’est pourquoi seule une petite partie de cette croissance représente un gain en termes de confort. En Europe, le PIB a augmenté de près de trois fois depuis les années 1970 mais le confort pour le citoyen, difficile à calculer, n’a pas cru à ce rythme et sur certains aspects (coût du logement, travail, qualité de l’air, maladies mentales, etc.) le recul est certain. Le bonheur n’est pas de ce monde, mais il devient évident dans les pays développés que le progrès est devenu un leurre auquel s’accrochent les tenants d’une croissance à tout prix, synonyme d’une mondialisation où les profits sont d’abord destinés à la finance internationale.
Et l’on oublie trop souvent, au profit d’analyses économiques simplistes, cet aspect "mégamachine" de l’appareillage technologique du dispositif de la mondialisation, responsable pour une bonne part de l’augmentation de la pression mise sur la planète, de la prédation énergétique et du pillage des ressources. Il est évident que ce constat semble aller à l’encontre de ce que recherchent ces pays émergents, qui comptent au contraire, du moins leurs gouvernants, sur les flux mondiaux et les exportations pour accroitre les richesses. Mais de quelles richesses s’agit-il ? Si à court ou moyen terme le pillage laisse le sol exsangue, totalement stérile, ce n’est pas la technologie qui nous sauvera.
La fuite en avant des technologies vertes est tout aussi prédatrice que celle du développement. Le dilemme « développement ou pauvreté ? » résolu par les économistes du Fonds monétaire international (FMI) par « croissance et emploi » faite partie de la « novlangue » des experts internationaux : c’est un langage orwelllien du style « La guerre c’est la paix » ou thatchérien « There is no alternative ». Joseph Tainter dans son ouvrage "The collapse of complex system" nous montre que, à travers l’histoire, la complexité croissante des systèmes socio-techniques atteint un stade où la survie de l’existant devient le seul enjeu et absorbe peu à peu tous les "progrès" dans l’usage de l’énergie. Passé un pic, le système s’effondre, il n’explose pas, il implose.
La fuite en avant technologique que représente pour une bonne part la "croissance verte" se situe dans ce schéma des rendements décroissants et du risque majeur d’implosion. L’impasse paraît donc, dans la perspective actuelle, s’imposer comme une évidence. Pourtant cette notion d’impasse est-elle même critiquable. En effet, si la technique est un fait de culture, il n’y aucune raison pour qu’elle suive un chemin déterminé. Ce monde aurait pu ne pas être tout simplement. La notion d’impasse ne peut se comprendre qu’ainsi : elle est l’expression d’une vision linéaire du développement humain, en quelque sorte la notion d’impasse elle-même renforce la croyance en un sens de l’histoire.
Or la détermination d’aujourd’hui par hier, et de demain par aujourd’hui, est un leurre qui fonctionne sur une interprétation perverse de la causalité, tout particulièrement dans le domaine technologique. Il n’y avait aucune nécessité historique à ce que la machine thermique s’empare de notre avenir. Cette invention aurait pu avoir lieu et ne jamais devenir innovation, jamais trouver sa place dans la niche écologique.
De même, aucune "transcendance" n’oblige les pays émergents à chercher leur avenir dans une croissance centrée sur les flux de marchandises, cela n’est aucunement la réalisation d’une tendance universelle, d’un progrès, qui serait une étape de la longue marche de l’humanité. Le monde que l’économiste décrit aujourd’hui, marchant au rythme de la "croissance" destructrice de la planète, n’est pas plus vrai que celui des Aztèques sacrifiant leurs prisonniers pour maintenir le soleil en vie, mais il l’est tout autant si nous ajoutons foi au dire de ces économistes. Le PIB peut cesser de croître pour les uns, le soleil ne plus se lever pour les autres. Les deux illusions sont productrices de sens mais un jour ou l’autre, lorsque la planète entre dans le coma ou que des barbus blancs s’attaquent victorieusement au soleil en abattant ses idoles, il faut changer de cap. La liberté n’est qu’à ce prix, celui de l’aventure dans le labyrinthe du temps et de la création sans cause.
La contrepartie de ce développement dévastateur ne peut donc se concevoir que dans un renversement de perspective socio-technique. La relocalisation est une nécessité à la fois économique et morale pour sauver la planète et l’humanité qui l’habite, mais elle va de pair avec le choix de technologies simples, robustes, recyclables, adaptées à leur environnement et aux usages des populations. Technologies que les pays émergents pourraient mettre en place encore plus vite que les pays riches parce que le savoir faire est encore présent. C’est aussi cela la nécessité de la décroissance dans la dimension technologique.
Présentation d’Alain Gras et bibliographie
Docteur ès-Lettres (Sorbonne), DES ès-Sciences (Marseille), M.S.Sc. (Stockholm)
Fondateur et directeur du Centre d’Etudes des Techniques des Connaissances et des Pratiques (CETCOPRA-Uté de Paris 1 -17) ; jusqu’au 1er septembre 2010, du Département des Sciences Sociales de 1984 à 1999, et responsable de l’option du Mastère Recherche de Philosophie Anthropologie des Techniques Contemporaines jusqu’en 2009-2010 .
Il a travaillé sur les questions de prospective sociale et technologique en France et à l’étranger, notamment en Suède (Université de Lund 1965-68 et Stockholm1976), en Afrique (Université de Cape-Coast, 1968-69, ISCAE Casablanca 1973-4) et au Brésil (expert OIT auprès du Ministre du Travail, à Brasilia 1981-82).
Les champs de recherche sont constitués par la critique écologique et philosophique du progrès technique et l’étude socio-anthropologique des macro-systèmes techniques ("Very large technical systems"), en particulier le système aéronautique, le lien social et le virtuel, le commentaire de la question philosophique de la technique posée par Heidegger et ses successeurs, les rapports-homme machine dans les systèmes informatisés. Par ailleurs il mène une critique écologique sur l’évolutionnisme et l’historicisme dominant en matière d’anthropologie des techniques. Il a aussi fondé avec Serge Latouche, Jean-Claude Besson-Girard et Jean-Paul Besset la "Revue d’étude théorique et politique de la déccroissance, Entropia". Alain Gras est chroniqueur à L’Ecologiste et La Décroissance.
- Derniers ouvrages parus :
(ss.la dir.) L’avion : le rêve, la puissance et le doute, PU Sorbonne, 2010
Le choix du feu - Aux origines de la crise climatique. Fayard, 2007
Fragilité de la puissance, se libérer de l’emprise technologique. Fayard, 2003 (Lauréat du Prix Turgot 2004) (italien, roumain)
Ouvrages de référence :
Grandeur et dépendance - Sociologie des macro-systèmes techniques ; Les macro-systèmes techniques, PUF, 1996
Articles les plus récents :
"La décroissance comme fait spirituel" in Entropia n.11" Le Sacré : une constante anthropologique ?", octobre 2011
"L’ombre de la dette ; la décroissance aurait évité le pire", Le Monde, 2 décembre 2011
"Et l’humanité incendia la planète" Sciences Humaines n.12, janvier-février 2012
L’emprise des banques et milieux d’affaires sur le modèle économique de l’Union européenne ; propositions d’organisations citoyennes pour plus de contrôle public.
Yiorgos Vassalos a été engagé dans le mouvement des étudiants grecs et a obtenu en 2005 un diplôme dans le cadre d’un programme de master relatif aux politiques européennes à Bruxelles. Depuis 2006 il travaille pour Corporate Europe Observatory, membre du réseau ALTER-EU sur des sujets tels que la priorité accordée aux entreprises dans les processus décisionnels de l’UE avec l’accent sur les politiques économique et financières.
Dossiers et campagnes d’Alter EU
Intervention de Yiorgos Vassalos sur "Enjeux du lobbying, des conflits d’intérêts et des comités/groupes d’expert au niveau des institutions européennes : propositions et campagne de la coalition citoyenne Alter-EU"
Face aux lobbys européens
Yiorgos Vassalos, chercheur au Corporate Europe Observatory (CEO) [1]
Depuis 2010, l’Union européenne réforme sa gouvernance économique afin d’assurer une austérité éternelle… Selon CEO, les lobbies patronaux utilisent en Europe la « stratégie du choc » afin de créer une véritable « UE–topie de marché » qui réalisera leurs rêves les plus fous.
En 2000, Daniel Janssen, alors président de la Table Ronde des Industriels (ERT), décrivait l’intégration européenne comme une « double révolution ». « D’une part, nous sommes en train de réduire les prérogatives de l’État et du secteur public en général de par les privatisations et la dérégulation… Et d’autre part nous sommes en passe de transférer de nombreuses prérogatives étatiques vers une structure moderne et devenue internationale, avec une échelle européenne. L’unification européenne progresse, et elle favorise les entreprises internationales telles que les nôtres ». L’ERT, un club composé des 45 multinationales européennes les plus importantes, ajoutait en 2002 : « au moment de leur préparation, les budgets nationaux et les mesures importantes en termes de politiques fiscales devraient être examinés à l’échelle de l’UE » [2] .
L’ERT développe des stratégies sur le long terme afin d’influencer l’orientation générale de l’Union. Business Europe est l’autre pilier du lobby patronal européen. C’est une confédération d’organisations, telles que la FEB, le MEDEF, etc., qui œuvre pour préparer et influencer les projets législatifs et les initiatives politiques concrètes de l’UE. Au cours des deux dernières années, ils ont réussi à concrétiser les orientations évoquées ci-dessus, définies par l’ERT.
Dans le Pacte pour l’Euro, on retrouve plusieurs propositions faites par Business Europe : la modération (voire la réduction) des salaires, l’interdiction juridique des déficits, l’augmentation de l’âge de retraite et une taxation plus indirecte et donc plus injuste. Les 23 gouvernements qui ont signé ce pacte, ont décidé d’inclure ces points dans leurs priorités [3].
Il est difficile de distinguer l’origine des idées incluses dans le paquet législatif de la gouvernance économique (surnommé « six-pack ») entre la « task force » des 27 ministres des finances, la Commission européenne et BusinessEurope. Les divers documents publiés lors de l’élaboration de ce paquet avaient beaucoup de similitudes [4]. A partir de la publication de la proposition législative de la Commission BusinessEurope a également réussi à convaincre une majorité d’Eurodéputés de la durcir. Certains d’entre eux étaient déjà des convaincus, certainement de par leurs postes d’actionnaires au sein de grandes entreprises. C’est le cas par exemple de Gunnar Hokmark et Burhard Balz, conservateurs suédois et allemand, qui sont respectivement actionnaires dans une entreprise d’assurances et d’ingénierie, et ont déposé des amendements conformes aux positions de BusinessEurope [5].
Selon le « Semestre Européen » qui a pris effet en 2011, les États membres doivent soumettre dès le mois d’avril leurs programmes de stabilité et de réformes économiques. Sur cette base, la Commission fait ensuite des recommandations qui sont, dans une phase ultérieure, adoptées par le Conseil européen. Ces recommandations publiées par la Commission en juin 2011 [6] ont de nombreux points communs avec les propositions par pays présentées par BusinessEurope le 23 mars 2011 [7].
En ce qui concerne la Belgique, le lobby des employeurs a mis en avant la « réforme » des pensions et « l’amélioration » des méthodes de concertation sociale et des mécanismes de définition des salaires. Interprétant le mot « amélioration » selon les souhaits du patronat, la Commission a proposé l’augmentation de l’âge de la retraite, la décentralisation de la concentration sociale et la flexibilisation de l’index [8]. Tout au long de 2012, la Commission va faire pression au gouvernement belge pour qu’il mette en place cet agenda.
Il en va de même pour beaucoup d’autres pays. BusinessEurope propose le relèvement de l’âge de la retraite pour l’Autriche, le Danemark, la France (la réforme de 2010 n’a pas été suffisante), le Luxembourg, les Pays-Bas et la Pologne, et, sur cette proposition, elle a été suivie par la Commission Européenne. Ce merveilleux lobby patronal a également fait des propositions sur la « flexibilisation » de la concertation sociale, les licenciements, le salaire minimum et l’indexation des salaires, toutes suivies par la Commission dans le cas de Chypre, de la France, de l’Italie, du Luxembourg et de l’Espagne.
Les propositions de BusinessEurope sur les retraites et les salaires n’ont pas été retenues par la Commission uniquement dans le cas de la Finlande et de l’Allemagne. Cela en dit long sur le rapport de force entes les Etats dans la gestion de la crise de l’Euro. D’autre part des recommandations du lobby patronal, encore plus fantaisistes ont fait leur chemin dans les documents officiels de la Commission, comme par exemple la réduction de l’impôt sur la fortune en Suède. Allez chercher pourquoi...
Le nouveau « traité de l’austérité » que les chefs d’Etats veulent ratifier d’ici fin mars 2012, institutionnalise et immortalise la rigueur budgétaire. Cet énième projet de traité a bien sûr subi de nombreuses influences de la part de BusinessEurope. En effet les présidents des fédérations patronales nationales se sont réunis le 2 décembre 2011 à Varsovie où ils ont formulés trois demandes principales :
• que l’interdiction du déficit « excessif », déjà prévu par le Pacte pour l’Euro, soit intégrée dans les constitutions nationales avant la fin 2012
• que le système de vote au Conseil soit reformé afin de rendre plus difficile le rejet des recommandations de la Commission
• que le caractère contraignant des programmes de réformes économiques pour chaque pays soit renforcé [9].
Le dernier brouillon du traité (24 janvier 2012) prévoit que la transposition de l’interdiction du déficit « excessif » doit se faire au maximum un an après l’entrée en vigueur du traité et que, sur la question du déficit, le Conseil ne pourrait bloquer les propositions de la Commission qu’avec une majorité qualifiée. Le projet de traité accentue aussi l’importance des programmes économiques par pays [10].
Entre vingt et trente milles lobbyistes sont basés à Bruxelles et visent les quelques milliers de décideurs politiques des trois institutions Européennes (fonctionnaires de la Commission, Eurodéputés, représentants de ministères nationaux). Plus du deux tiers de ces lobbyistes représentent les intérêts des grandes entreprises transnationales à travers leurs propres bureaux de lobbying, leurs fédérations sectorielles ou des entreprises de consultance et de relations publiques.
Au-delà du lobbying collectif des employeurs (comme c’est le cas de BusinessEurope), le lobby de l’industrie financière est également très puissant. Depuis 1999, ses représentants ont été invités par la Commission à définir conjointement le plan de l’Européanisation des marchés financiers. Ce processus s’est déroulé au sein des « groupes d’experts » créés par la Commission et composés de 80 à 100% de lobbyistes financiers. En 2009, quand le manque de contrôle et de régulation au niveau européen est devenu évident, le Commissaire responsable pour la régulation financière a dû avouer qu’une des raisons de la crise a été la confiance presque aveugle que lui et ses collègues ont montré à l’égard des marchés financiers [11].
Malheureusement ce constat n’a eu aucune conséquence. Jusqu’en 2011 les groupes d’expert en matière financière sont restés dominés par le secteur privé de la finance [12]. Les lobbyistes ont continué à écrire la plupart des amendements déposés par les Eurodéputés [13]. Le résultat est que les régulations européennes adoptées depuis 2008 n’ont pas limité l’aspect spéculatif de ces marchés. Les ’Hedge Funds’ demeurent largement incontrôlables [14] et les mécanismes de supervision restent liés aux intérêts des grandes banques [15] (parfois avec la médiation des gouvernements nationaux, comme l’a montré le cas de Dexia). Il n’a été constaté une amélioration que dans le domaine des produits dérivés [16], même s’il faudra attendre 2013 pour la mise en application de ces nouvelles réglementations, tandis que les gouvernements européens se plient l’un après l’autre devant les attaques de ces marchés financiers, y compris le marché de ces fameux produits dérivés. Après avoir insisté pour ne pas passer de l’ « autorégulation » à la régulation contraignante des produits dérivés, l’ex-commissaire McCreevy est allé travailler pour cette industrie [17].
Les lobbyistes des banques sont invités aussi dans le bâtiment du Conseil européen lors des Sommets européens et ont le privilège de participer aux derniers stades des négociations. C’est ainsi que l’Institut International de la Finance a réussi à imposer son plan de restructuration de la dette grecque qui lui permit de se débarrasser de ses obligations toxiques, en faisant croire au public et aux médias que c’était un grand sacrifice des banques au nom de l’intérêt général [18].
Au moins dix-sept directeurs de banque ont été promus – depuis mai 2010 – à des postes dans des gouvernements nationaux ou à la Banque Centrale Européenne [19] (dont le président Mario Draghi qui a travaillé pour Goldman Sachs [20]). On a donc à faire à une situation d’omniprésence des personnes liées aux lobbys financiers et patronaux.
La coalition ALTER-EU composée d’un peu plus de 200 organisations venant de la société civile, des syndicats, etc. oeuvre quotidiennement pour freiner ce déchaînement des lobbyistes. Corporate Europe Observatory figure parmi les groupes fondateurs. Plus particulièrement, l’ALTER-EU demande :
a) l’imposition d’un enregistrement obligatoire de tous les lobbyistes et la déclaration de leurs dépenses,
b) l’interdiction des deuxièmes emplois pour les Eurodéputés qui seraient en situation de conflits d’intérêts,
c) l’introduction d’un délai de réserve avant qu’un Commissaire ou haut fonctionnaire puisse travailler pour un cabinet ou un service de lobbying.
d) l’adoption de règles afin de révoquer la mainmise des groupes d’experts par les multinationales [21].
Ces propositions garantiraient un minimum de distinction entre pouvoirs publics et intérêts privés. Ils ne sont bien sûr pas suffisants pour marquer le passage à une Europe réellement démocratique et sociale. Une critique plus globale de la construction actuelle de l’Union européenne doit être portée par les mouvements sociaux : une critique, progressiste, internationaliste et démocratique, qui contribuerait à l’élaboration d’alternatives. Cela passe par le rejet catégorique du nouveau projet de traité et la lutte pour des référendums partout en Europe.
Vers un système social immunitaire contre l’ « insoutenable »
Les obstacles qui bloquent la transition vers un développement soutenable sont le déni mais aussi la fragmentation des efforts. Il ne suffit pas en effet de s’entendre sur un diagnostic commun de maladie systémique, il s’agit de nommer ensemble ce que nous reconnaissons comme l’« insoutenable ». On peut identifier ici quelques manifestations : intoxication des milieux et des hommes, épuisement des ressources, addiction à la consommation, obsolescence programmée des produits…
La question clé devient : « Sommes nous en mesure de nous constituer en « système social immunitaire » capables d’éliminer l’ « inhumain », c’est à dire les pratiques hostiles à la vie mentale, relationnelle et écologique ?
Le levier ici est la vie politique au sens de la co-construction d’un intérêt général. « Faire société » devient vital alors que la domination des experts a évacué la « mise en politique des questions écotechniques qui définissent notre milieu de vie futur. « Faire société » devient primordial alors que la fascination ou les pratiques « fun » valorisent le désir individuel comme pulsion. Les parties prenantes ont intérêt à opérer une mutation pour travailler ensemble (en parties apprenantes et comprenantes) au service de deux mission :
Contribuer à la prise de conscience commune que, globalement, les outils techniques nous tiennent et formatent nos modes de vie (alimentation, santé, communication, voyage, habitat, dopage…).
Apporter des moyens pour permettre aux gens d’avoir prise sur les projets (education, industries, urbanisme, innovation…) leur donner sens, et les ajuster aux priorités communes.
Pour opérer, un organe politique international d’évaluation des technologies adossé aux Nations unies est demandé par un Collectif d’associations internationales, dans le cadre de Rio+20. De façon à pallier très en amont l’insoutenabilité des risques incalculables, délocalisés et irrémédiables (cf Ulrich Beck).
Dorothée Benoit Broways est déléguée générale de VivAgora, association pour l’engagement citoyen dans la gouvernance des technologies (http:// www.vivagora.org.).
Journaliste scientifique pendant vingt ans, elle s’intéresse aux enjeux sociaux des nouvelles technologies.
Elle a publié :
Fabriquer la vie (Coauteur Bernadette Bensaude Vincent) – Editions du Seuil, octobre 2011
Le Meilleur des nanomondes, Éditions Buchet Chastel, mars 2009
Cerveau, sexe et pouvoir (coauteur Catherine Vidal) - Éditions Belin, 2005
Alertes santé (coauteur André Cicolella) - Éditions Fayard, 2005
Des inconnus dans nos assiettes : les aliments transgéniques, Éditions Raymond Castells, 1998
La bioéthique - Les Essentiels - Milan éditions 1995
Quelles économies vertes » pour quelles transitions de l’agriculture ?
Julien Adda, délégué général de la FNAB
Au départ marginale à tous points de vue, l’agriculture biologique a su imposer ses techniques, ses valeurs voire ses normes dans notre société. Pour autant, il faut constater qu’elle n’est pas encore en situation de pouvoir remplacer le modèle agro-industriel dominant. L’objectif du Grenelle de 6% de la surface agricole utile en bio ne sera pas atteint en 2012, reste l’espoir d’atteindre 20% en 2020, étape indispensable pour modifier en profondeur notre système agro-alimentaire.
Le projet porté par les milliers de paysans bio membres de la FNAB est bien, en pratiques comme en valeurs, de créer une autre économie agricole, ancrée dans les territoires, faite de solidarité entre paysans et avec les citoyens. En clair de nouveaux rapports sociaux de production plaçant au cœur la délivrance de biens publics sociétaux et environnementaux.
Cette « économie verte citoyenne » s’oppose à celle proposée d’une manière très structurée par l’industrie au cœur des dispositifs publics, déjà largement financée sur fonds publics.
Pour la théorie, nous avons la récente étude du "Cercle de l’Industrie" sur l’économie verte qui précise comment faire du risque environnemental une opportunité économique. Pour la pratique, on peut s’en référer à l’intense lobbying des industriels de la "chimie verte" sur les agrocarburants ou les "bioplastiques". Ainsi, conformément à ce qui est dit dans l’étude (la co construction public-privé d’un cadre sécurisé et profitable pour les investisseurs), on peut citer l’exemple de l’amendement déposé par G.Carrez et C. De Courson pour le projet de loi de finances 2012. Celui-ci, largement soutenu par le "Club des bioplastiques" (industriels chimistes dont BASF entre autre), prévoie d’accroître la compétitivité des bioplastiques en taxant les sacs plastiques actuels et en affectant les 250 millions d’euros récupérés auprès des consommateurs vers la filière. Cette collecte publique, bien entendu, serait le déclencheur des investissements industriels.
Ces exemples de technologie verte dans l’industrie (agrocarburants, agroplastiques) montrent comment les pouvoirs publics sont appelés à solvabiliser de nouveaux investissements et marchés, sans remettre en cause le modèle agro-industriel à la source de la matière transformée (céréales notamment). La collectivité paye donc la transition technologique (eco taxes affectées), le "minerai agricole" (PAC) et les coûts de dépollution (eau, air, sol) afférents.
A l’inverse, et pour donner un exemple, le développement de l’agriculture biologique sur les zones de captage prioritaires représente dès le départ l’optimum de l’économie verte entendue par le Cercle de l’Industrie quand "(...) en langage économique, [on] internalise toutes les externalités environnementales dans les décisions économiques, afin de réduire les dommages environnementaux tant qu’il est moins cher de les éviter que de les réparer." Alors que les coûts de dépollution de l’eau sont estimés à un total de plus de 500 milliards d’euros en France , l’actualisation du rapport du CGDD publiée en janvier 2012 rappelle que l’agriculture biologique est une des mesures prioritaires pour « réduire sensiblement les coûts de la gestion durable de la ressource ». L’économie verte, c’est l’économie de la fiscalité préventive au service de l’intérêt général et non de la contribution obligatoire au service des oligarchies industrielles.
[1] L’Observatoire de l’Europe des industriels (Corporate Europe Observatory) est un groupe de recherche et de campagne qui cible le pouvoir politique et économique des entreprises et de leurs groupes de pression. Il est issu du mouvement environnemental et il existe depuis 1997.
[3] Comités Action Europe, Gouvernance économique : l’Union européenne contre les travailleurs p. 13 et 22 – 23 : voir ICI ; voir ausssi Business against Europe, Corporate Europe Observatory, March 2011 : ICI.
[4] Comparez par exemple : Commission Communication, June 30 : >>>>> ; Video with Philippe De Buck, 14 June 2010 : >>>>> ; BusinessEurope Letter to Barroso, 6 July 2010 et BusinessEurope Declaration on Economic Governance, October 22.
[5] Les deux deputés ont depose des amendements soutenant le vote avec majorité qualifiée inverse, voir An undemocratic economic governance, Corporate Europe Observatory, April 2011 : >>>>>]. Les infos sur leurs deuxièmes emplois ICI.
[11] A captive Commission : the role of the financial industry in shaping EU regulation, ALTER-EU 2009.