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Femmes, hommes, hormones et cerveaux…

Lundi 11 juillet 2016, par Yveline Nicolas

Les femmes et les hommes ont-ils des dispositions, des aptitudes, comportements différents, du fait de caractéristiques biologiques liées notamment aux hormones ou des cerveaux "différents" ? Et si le sexisme était à l’oeuvre aussi en neurologie ?


Les médias raffolent en général des études suggérant des influences hormonales, des différences dans l’architecture neuronale entre les hommes et les femmes, et à chaque nouvel article, le courrier des lecteurs-trices abonde en commentaires se félicitant que la "théorie du genre" est enfin battue en brèche…

D’après Catherine Vidal, neurobiologiste et directrice de recherche à l’Institut Pasteur, ces études sont largement fantaisistes ou biaisées par les présupposés de leurs auteur-es. La plupart n’ont jamais été reproduites, portent sur des échantillons minuscules - souvent moins d’une vingtaine de personnes, de surcroît placées dans des conditions très spécifiques - voire sur des rats de laboratoire. Chez des rats, on a pu constater que l’hormone ocytocine jouait un rôle dans les soins de la mère au petit. Mais il est impossible de reproduire ces conditions d’expérience chez des femmes.

La neuroplasticité

En effet, chez les humains, aucun instinct n’existe à « l’état brut ». Les humains sont des êtres culturels, façonnés par l’environnement, l’éducation, les institutions… Le cerveau est caractérisé par sa plasticité. Il se modifie en permanence en fonction des apprentissages et des expériences de la vie, en interaction constante avec l’environnement. Seuls 10% des 100 milliards de neurones sont connectés entre eux à la naissance d’un enfant.

Catherine Vidal cite l’exemple de la faim et la soif, qui sont « extrêmement programmées, il y a beaucoup d’hormones qui interviennent dans leurs processus de déclenchement. Or, l’être humain est capable de faire une grève de la faim. Il est capable de court-circuiter complètement cette programmation instinctive ».

Car le cerveau humain est différent de celui des animaux en raison de l’hyper développement de son cortex, qui a donné naissance au langage, à la conscience de soi, à des fonctions cognitives qui permettent de faire des choix, de développer des stratégies, qui sont autonomes par rapport aux changements hormonaux : il y a en effet très peu de récepteurs hormonaux dans le néocortex.

En mission sur Mars et Vénus

Magazines et ouvrages de vulgarisation propagent une vision extrêmement naïve mais aussi très normative des différences biologiques. Leur caricature est représentée par « Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus » (= les hommes sont régis par leur testostérone, les femmes par l’ocytocine et les oestrogènes) . Extrait du livre "Vénus en feu, Mars de glace" (Lafon, 2010 !) : "Imaginons le pauvre homme contraint de suivre sa femme dans les boutiques. Cela ne lui poserait guère problème s’il trouvait une question à résoudre, un but à atteindre. Mais à ses yeux, elle poursuivra ses achats indéfiniment (...) Il se sent rapidement débordé, éreinté et la frustration l’amène à la déprime. Il ne produit aucune testostérone alors qu’il en a un besoin si criant"... Quant aux femmes "ce va et vient d’aide à autrui, puis de soutien puis à nouveau d’échanges vers les autres est le fondement du bien-être féminin" est la condition pour "restaurer leur niveau d’ocytocine".

Une vie de couple harmonieuse consiste alors à ce que l’homme sache adopter la bonne attitude, les paroles adaptées pour que le taux d’ocytocine de sa femme soit optimum et vice versa pour les femmes qui doivent apprendre à ne pas trop faire baisser la testostérone de leur conjoint et surtout ne pas augmenter le leur par des comportements trop masculins, des responsabilités professionnelles par exemple. L’auteur note que, de nos jours, le niveau de stress des femmes augmente avec leur double ou triple journée. Il faut donc adopter des comportements voire des modes alimentaires restaurant leurs réserves en ocytocine. Il ne semble jamais lui venir à l’esprit que cette double ou triple journée est liée à un problème d’inégalités sociales et de genre, une répartition des tâches et des responsabilités inéquitable, etc..

En définitive, apparait de façon assez évidente la promotion d’une vision des femmes naturellement disposées à la communication, l’empathie, le sentiment et des hommes tournés vers l’action, la compétition, ayant besoin de se sentir reconnus, d’être félicités pour leurs compétences. Le modèle "Mars et Vénus" fleure bon les vieilles théories des "deux cerveaux" et la nostalgie de la famille américaine des années cinquante (la génération des parents de l’auteur ?)... Il se félicite que les études "scientifiques" modernes aient montré la validité de ses "intuitions" d’il y a vingt ou trente ans. Décrivant des stéréotypes de genre tout à fait classiques et construits socialement - mais souvent caricaturaux et parfois de longue date dépassés par les évolutions sociétales - il leur affecte un système hormonal binaire, les ancrant définitivement dans une "nature" masculine et une "nature" féminine indépassables. Il ne faut surtout pas essayer d’échanger les rôles : cela ne peut que générer des catastrophes hormonales (dans le meilleur des cas en partie rattrapables en prenant des compléments alimentaires).

Le propos est finalement réactionnaire voire secrètement (?) misogyne. "Un homme a une bouffée de testostérone quand sa partenaire se montre heureuse ; mais une femme ne ressent pas grand chose devant un conjoint de bonne humeur". "Les femmes ont le pouvoir de faire émerger le bonheur des hommes simplement en cessant de les contrarier". "Ne vous plaignez pas de ce qu’il n’a pas fait". L’objectif idéologique - et pratique - apparait alors assez clairement : "Nous avons été induits en erreur par la conviction qu’il appartenait aux hommes d’assumer davantage de tâches ménagères pour contrebalancer l’arrivée des femmes dans la sphère professionnelle. Du fait des dissemblances entre cerveaux masculin et féminin, entre les hormones de chaque sexe, les hommes ne peuvent s’adapter aussi facilement que leur partenaire"...

Combattre le "neurosexisme" par la "neuroéthique"

Il est clair que les études sur les différences réelles ou supposées sont « sur-investies » par les médias, par rapport aux travaux qui vont dans le sens de la diversité et de la liberté individuelle. Les propos de quelques chercheurs, médecins, psychologues ou psychanalystes médiatiques, habitués des émissions très écoutées et tenant des chroniques de vulgarisation dans la presse sont pris pour argent comptant par les journalistes, sans que jamais les sources et la validité des affirmations soient réellement questionnées. Exemple de formulation du titre d’une chronique de Boris Cyrulnik sur France Info (mars 2013) « Pourquoi les garçons préfèrent les voitures quand les filles préfèrent les poupées ». (Cf. critique observatoire critique de la vulgarisation).

Les résultats des travaux invoqués sont souvent interprétés de façon simplifiée dans le sens de stéréotypes de genre et les communiqués de presse jouent sur le côté spectaculaire. Ainsi ces titres de l’AFP, repris par une bonne partie de la presse à propos de deux études : « Plus un homme aide à la maison, plus il risque le divorce ». « Plus un homme fait le ménage, moins il a de rapports sexuels ».

Sur la base de données datant d’il y a vingt ans, la première étude "observe que les couples où les tâches ménagères sont les mieux partagées entre homme et femme ne sont pas ceux qui ont les rapports sexuels les plus fréquents", ce qui donne lieu à plusieurs interprétations possibles. D’après les chercheurs "une interprétation possible de nos résultats est que la participation des hommes aux tâches ménagères accroît leur niveau de stress et les rend moins susceptibles de vouloir engager un rapport sexuel. Si les femmes ne se sentent pas habilitées à prendre l’initiative, alors le travail ménager des hommes, et la fatigue qui s’ensuit, contribue à réduire la fréquence des rapports. Selon cette interprétation, ce n’est pas avec l’activité sexuelle que l’égalitarisme est incompatible, mais avec les codes qui régissent actuellement les rapports sexuels". Lire l’analyse sur le site nouvellesnews

En ce qui concerne la seconde étude sur les liens entre la participation aux travaux ménagers et le divorce - curieusement interprété par l’AFP comme le fait que le mari "aide sa femme" et non comme un partage équitable des tâches domestiques - les chercheurs indiquent qu’il n’y a guère de lien de causalité. Il s’agit plutôt d’une caractéristique sociologique des couples "modernes" où la femme peut divorcer plus facilement en raison de son indépendance financière et de son niveau d’éducation élevé. Ce qui est remarquable, c’est le déchainement de stéréotypes sexistes et de propos simplificateurs dans les articles de presse vulgarisant ces études. Lire l’analyse sur nouvellesnews.

Au delà des simplifications destinées à attirer les lecteurs et lectrices, l’enjeu idéologique visant à promouvoir la notion de déterminisme biologique, qui expliquerait notamment les inégalités sociales reste très fort - notamment en période d’aggravation des inégalités économiques. Dans un contexte de société de consommation qui doit vendre en suscitant de nouveaux besoins, il y a également un enjeu : pour l’industrie pharmaceutique, cela offre un potentiel pour produire des médicaments différents selon le sexe - comme les jouets sexistes permettent de d’accroître l’offre de produits.

La science n’est jamais neutre, et pour lutter contre le « neurosexisme », des scientifiques ont constitué en 2010 un réseau international « genre et neurologie » (Neuro-Gendering Network), dont l’objectif est « d’analyser comment les travaux sur les hommes et les femmes sont transmis par les scientifiques, et comment ces travaux sont repris dans les médias ».

Un débat récurrent aux Etats-Unis
En 2005, le président de l’Université de Harvard faisait scandale en affirmant que "le faible nombre de femmes dans les disciplines scientifiques s’explique par leur incapacité innée à réussir dans ces domaines". Féministes, scientifiques, médias se sont affrontés... Les académies de Médecine, Sciences et Technologies apportent une réponse dans un rapport publié l’année suivante : "les études sur la structure et le fonctionnement du cerveau, l’influence des hormones et l’évolution de l’espèce humaine, n’indiquent pas de différences significatives entre les sexes dans les aptitudes cognitives qui pourraient expliquer la sous représentation des femmes dans les professions scientifiques (... ) Cette situation est le résultat de facteurs individuels, sociaux et culturels".
- Il n’empêche que certaines écoles aux Etats-Unis promeuvent une éducation spécifique visant à prendre en compte les supposées différences "de fonctionnement" entre filles et garçons. Par exemple il est conseillé à l’instituteur-trice de donner des instructions brèves aux garçons et de parler aux filles plus longuement, avec douceur, etc. Certains préconisent même de séparer les filles et les garçons pour améliorer leurs résultats scolaires. Un article de la revue Science estime que cela n’a pas d’impact, si ce n’est de renforcer les stéréotypes.
- Une étude menée par des chercheur-es de l’Université de Pennsylvanie sur 521 femmes et 428 hommes de 8 à 22 ans a été publiée le 2 décembre 2013 dans les Comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS). Consulter l’étude (en anglais). Elle affirme qu’il existe une différence de connectivité neuronale entre hommes et femmes, surtout à partir de l’adolescence et de l’âge adulte. Cela expliquerait la supériorité des femmes pour la capacité d’attention, la mémoire des mots et des visages et l’intelligence sociale, tandis que le cerveau masculin est "structuré pour faciliter les échanges d’informations entre le centre de la perception et celui de l’action".
Des contradicteurs-trices de cette étude rappellent que cette équipe de recherche a toujours été orientée par le présupposé de la différence de genre innée. Et que rien ne prouve que les différences de connectivité neuronales ne sont pas culturellement acquises - d’autant que l’étude elle-même confirme qu’avant 13 ans les différences filles-garçons sont très ténues. Point de vue du neurologue belge Jean-Christophe Bier "Personnellement, je ne suis pas du tout convaincu par l’hypothèse des chercheurs américains. De mon point de vue, ce sont les expériences qui définissent les connexions. Donc, le genre pourra définir les expériences qui, elles, définiront les connexions".

Lise Eliot, médecin neurobiologiste, a publié en 2009 un pavé de 500 pages analysant les derniers travaux scientifiques sur la question. Si elle affirme qu’il y a des différences liées aux hormones à plusieurs étapes de la vie jusqu’à l’adolescence, elle conclut en permanence au peu de preuves scientifiques et statistiques de ces différences et surtout de leurs impacts. Elle souligne constamment que l’éducation et la socialisation priment. « Les différences neurologiques entre hommes et femmes sont moins importantes que celles d’hommes entre eux ou de femmes entre elles ».

Les situations et les comportements influent sur les hormones

Si l’on tient absolument croire à l’importance des hormones, notons que des travaux récents suggèrent que ce ne sont pas les hormones qui influent sur le comportement, mais telle ou telle situation donnée qui entraîne une adaptation hormonale ! Cela permet même d’établir que les pères ont un « instinct paternel » : une étude de 2009 montre qu’en devenant père et en s’occupant d’un bébé, les hommes voient leur taux de testostérone baisser… (Université de Northwestern en Illinois, 624 hommes sur 4 ans). Enfin une étude parue en avril 2013 indique que, contrairement aux idées reçues, les pères réussissent autant que les mères à reconnaître les pleurs de leur bébé parmi d’autres enfants (Université de St Etienne). En fait, jusqu’à présent les pères étant exclus des études sur les pleurs des enfants, comme si tacitement, cela ne les concernait pas...

Cela montre bien qu’il ne s’agit guère dans l’espèce humaine d’une question d’instinct et d’hormones mais de compétence acquise : chez les femmes comme chez les hommes, c’est tout simplement le nombre d’heures passées avec le nourrisson (au moins quatre heures) qui apporte cette compétence.

Yveline Nicolas
coordinatrice d’Adéquations

Bibliographie

- Catherine Vidal :
Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ? Le Pommier, 2009 ;
Hommes, femmes : avons-nous le même cerveau ? Le Pommier, 2007
- Lise Eliot :
Cerveau rose, cerveau bleu, les neurones ont-ils un sexe ? (édition française, Robert Laffont, 2011)

Points de vue en ligne

- Catherine Vidal : interview dans Le Monde 25/05/2013 (extrait encadré ci-dessous) ; interview sur le site osezlefeminisme.fr ;
- Réfutation par C. Vidal du point de vue de Susan Pinker psychologue et chroniqueuse au quotidien canadien The Globe and Mail –, Pinker qui évoquait des différences entre les cerveaux des hommes et ceux des femmes : un article du site rue89 ; article de C. Vidal sur le neurosexisme dans la Revue Ravages, n°6, "Mauvais Genre")
- Interview de Susan Pinker sur rue89
- Sur le livre « Cerveau rose, cerveau bleu » : leglob.viabloga.com
- Dossier sur les « pseudo » études scientifiques et le neurosexisme : slate.fr
- Dossier de Sciences et avenir sur le neurosexisme, février 2012.
- Critique du positionnement de Boris Cyrulnik sur le thème "le cerveau a-t-il un sexe, en ligne sur allodoxia, observatoire critique de la vulgarisation

Extrait interview de Catherine Vidal dans Le Monde du 25 mai 2013 "Il n’y a pas de différence anatomique entre les cerveaux des fœtus filles et garçons. Les gènes qui permettent de construire les hémisphères cérébraux, le cervelet et le tronc cérébral sont en effet indépendants des chromosomes X et Y. Le schéma structurel est donc exactement le même. La seule différence que l’on peut relever concerne le contrôle des fonctions physiologiques de la reproduction. Les ovaires et les testicules, qui sont formés dès la huitième semaine de grossesse, produisent en effet une hormone différente chez le fœtus féminin et chez le fœtus masculin : respectivement la FSH (hormone folliculo-stimulante) et la testostérone. Il a été démontré que la testostérone produite pendant la vie fœtale influence une partie du cerveau, l’hypothalamus, qui va fonctionner différemment chez les filles et les garçons. A la puberté, des neurones vont ainsi s’activer chaque mois dans l’hypothalamus des jeunes filles pour déclencher l’ovulation. Une activité absente du cerveau masculin.
En revanche, on ne trouve aucune différence entre les cerveaux des bébés filles et des bébés garçons concernant toutes les autres fonctions du cerveau, qu’elles soient cognitives – telles que l’intelligence, la mémoire, l’attention, le raisonnement – ou sensorielles, comme la vision ou l’audition. C’est ce qui se passe après la naissance qui compte le plus. Les interactions de l’enfant avec son environnement social, affectif, culturel vont en effet jouer un rôle majeur dans la construction du cerveau".
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