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Conférence de présentation du guide pour la mise en oeuvre de la CIDE à partir de l’approche de genre, 10 juin 2014 Intervention de Marie Derain, défenseure des enfantsMardi 17 juin 2014 |
Vous m’avez invitée à assurer la clôture de la matinée de présentation du « Guide pour la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant à partir de l’approche de genre », qui est la nouvelle publication de votre association. Je vous en remercie et m’exprimerai de la place qui est la mienne de Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits, Dominique BAUDIS, récemment et trop tôt disparu comme vous le savez.
Dans le cadre de la révision constitutionnelle souhaitée par le Président de la République en 2008 visant à moderniser les institutions de la Cinquième république a été décidée la création du Défenseur des droits, désormais inscrit dans la Constitution [1].
Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés et à la promotion des droits et de l’égalité. Ses attributions et leurs modalités d’intervention ont été définies par la loi organique du 29 mars 2011. Il est nommé par le Président de la République pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Le premier défenseur des droits a été Dominique BAUDIS.
L’institution Défenseur des droits a regroupé quatre institutions préexistantes : Le médiateur de la République ; Le défenseur des enfants ; La Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) ; La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS).
La fusion des quatre autorités qui l’ont précédées a produit une institution nouvelle, inédite, qui a pour ambition de développer une approche transversale et spécifique des questions soulevées par les personnes qui le saisissent de leur situation personnelle, mais aussi des pouvoirs publics et, plus généralement, de la société civile.
Le Défenseur des droits a mis en place une organisation de ses services visant à la mutualisation des compétences, la transversalité et la collaboration entre les agents. C’est ainsi que les réclamations relatives aux droits de l’enfant sont le plus souvent traitées par le pôle droits de l’enfant, qui fait appel en tant que de besoin aux autres pôles, tels que le pôle santé, protection sociale et solidarité, affaires pénales et judiciaires…
La défense des enfants a aussi largement bénéficié de l’expertise des agents de la HALDE en particulier en matière d’égalité femmes-hommes.
Institution de proximité présente sur l’ensemble du territoire grâce à un réseau de 450 délégués qui assurent des permanences sur tout le territoire national, le Défenseur des droits a mission de prévenir les atteintes aux droits et de garantir leur effectivité.
Il utilise les pouvoirs significatifs qui lui sont dévolus par la loi organique du 29 mars 2011 dans un souci constant de réparation et d’apaisement, mais également de réaffirmation des droits fondamentaux des individus. Il peut être amené à faire usage de son pouvoir d’enquête, en menant des investigations, et/ou en se rendant sur les lieux de survenance des faits qui lui sont décrits. Il peut suggérer ou être à l’origine des propositions de réformes législatives ou réglementaires.
En ratifiant la Convention, les Etats s’engagent :
à mettre en place une autorité indépendante, chargée de faire en sorte que les droits formels de l’enfant se transforment en droits réels ;
à mettre leurs propres lois et la manière dont elles sont appliquées par les juges, en conformité avec les dispositions de la Convention, à modifier celles qui ne seraient pas conformes à la CDE, et à en voter éventuellement de nouvelles.
En France, le Défenseur des enfants, a été créé par la loi du 6 mars 2000. Cette institution avait pour mission de « défendre et de promouvoir les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé », en recevant des « réclamations individuelles d’enfants mineurs ou de leurs représentants légaux qui estiment qu’une personne publique ou privée n’a pas respecté les droits de l’enfant ».
Elle ne disposait cependant que d’une panoplie juridique limitée et n’avait que la possibilité de proposer « toutes mesures de nature à remédier à cette situation », autrement dit en absence précise de modalités d’intervention dans la loi on limitait ses possibilités d’intervention contraignante notamment pour l’Etat ou plus largement la puissance publique, comme pour les personnes privées.
Depuis la création du DDD en mars 2011, c’est au Défenseur des droits que le législateur a confié la mission de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, au premier rang desquels la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). Un Défenseur des enfants est adjoint au Défenseur des droits pour l’exercice de cette mission, en l’occurrence moi-même.
La protection des droits, dont l’activité principale est le traitement des réclamations individuelles [2].
La Promotion des droits et de l’ISE consistant à faire largement connaître, par différents moyens « actifs et appropriés », les principes et les dispositions de la Convention [3], aux adultes comme aux enfants.
Mettre en lumière des thèmes de la défense et de la promotion de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant, signaler des dysfonctionnements, formuler des recommandations pour améliorer la vie des enfants, examiner les dossiers reçus, proposer une médiation auprès des institutions mise en cause, sont les tâches qui nous incombent pour mener à bien cette mission.
La CDE contient un préambule et 54 articles en trois parties. Les 41 premiers parlent des droits eux-mêmes, la deuxième partie parle de leur application et des moyens qui doivent être employés pour la vérifier, et la troisième partie prévoit son application du point de vue du droit et comment elle peut être modifiée ou complétée.
La définition de l’enfant pour l’application de la convention est précisée au premier article : il s’agit de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt selon les lois qui s’appliquent dans le pays.
A partir de sa ratification, les Etats s’engagent à respecter les droits énoncés dans la Convention et à les garantir « à tout enfant, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents. » (Article 2).
Les enfants doivent pouvoir exprimer leur avis sur tous les sujets qui les concernent et être acteurs de leur quotidien sans que quiconque ne leur impose une vision parfois trop classique du monde tel qu’il le conçoit.
Le principe de l’égalité des sexes et plus largement, de non-discrimination constitue un principe directeur de la Convention des droits de l’enfant, comme le sont les principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son droit à l’expression. Les principes de non-discrimination, d’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale et l’expression de l’enfant sur toutes les questions l’intéressant sont les trois principes fondamentaux de la Convention.
Ce principe de non-discrimination figurait déjà à l’article premier dans ce que vous qualifiez fort justement dans votre Guide « d’ancêtre » de la CDE, à savoir la déclaration des droits de l’enfant, proclamée par l’Assemblée Générale des Nations unies en 1959, et un an plus tard, la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement adoptée par l’UNESCO rappelait la nécessité de lutter contre toutes les discriminations, y compris celles fondées sur le sexe, pour préserver l’égalité de traitement en matière d’enseignement.
le Comité des droits de l’enfant [4], chargé de contrôler l’application des dispositions de la CDE par les Etats l’ayant ratifié, a été amené à émettre en direction des gouvernements pour rendre effectifs les droits reconnus aux enfants : mesure des investissements de l’Etat consacrés aux enfants selon le sexe des bénéficiaires, lutte contre les stéréotypes sexistes, protection des enfants contre les violences sexistes et l’exploitation sexuelle, égalité des chances en matière de scolarisation et d’orientation professionnelle, abolition du mariage précoce et des pratiques traditionnelles néfastes à la santé des filles, prévention de la mortalité maternelle, inscription de l’éducation sexuelle au programme scolaire des enfants, réinsertion des filles recrutées dans des forces armées, lutte contre l’exploitation économique des filles domestiques, partage des responsabilités parentales, recouvrement des pensions alimentaires etc.
Tout comme la déclaration universelle des droits de l’homme pose comme principe l’égalité entre les hommes, entendus au sens générique du terme, la Convention relative aux droits de l’enfant pose ainsi comme principe l’égalité entre les enfants et entre les sexes.
Certains pensent qu’il n’est plus utile de traiter du sujet de l’égalité entre les filles et les garçons, en particulier en France. Certes, le droit et les politiques publiques visent aujourd’hui l’égalité femmes-hommes, mais la construction sociale du genre n’est pas suffisamment abordée.
L’égalité est le principe selon lequel les êtres humains doivent être traités de la même manière, avec la même dignité. Ils disposent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs. Mais égaux ne signifie pas identiques. Dire que deux individus sont égaux en droits ne signifie pas nier ce qui les différencie, de fait, mais c’est affirmer que ces différences ne peuvent fonder une hiérarchie.
Le genre exprime les rapports sociaux de sexe, la construction sociale des caractéristiques, valeurs et normes attachées au féminin et au masculin par la culture, l’éducation, les institutions… Ces rapports sociaux entre femmes et hommes, qui se transforment et évoluent en permanence selon les époques et les contextes, sont marqués par une hiérarchisation et des inégalités, le plus souvent au détriment des femmes et des filles, en France aussi.
Le poids des contraintes sociales dans nos sociétés influe encore trop fortement sur notre comportement en fonction de notre sexe. En modifiant les rapports sociaux fondés sur le sexe, en promouvant une éducation, au sens large, les lignes pourront enfin bouger. L’objectif est de lutter contre des stéréotypes, trop ancrés dans nos vies, qui contribuent à l’accentuation de l’inégalité de traitement entre les sexes et clivent les rapports sociaux en jouant par exemple sur une dévalorisation de certaines tâches. Ces stéréotypes empêchent, contraignent certains enfants à ne pas exercer une activité, un loisir habituellement réservé à l’autre sexe. Du coup, ils préfèrent ne pas se dissocier de leurs camarades de peur des moqueries, très lourdes à supporter à leur âge. Alors quid du respect de la liberté d’expression ou d’opinion ? La différence n’est-elle pas source de richesse et de complémentarité ?
Dans les manuels d’éducation civique, les métiers et activités sont représentés de façon encore trop souvent sexuée. Les hommes et les femmes connaissent donc un traitement différencié : les femmes restent surreprésentées dans l’univers domestique et souvent sous-représentées dans les sphères politiques et intellectuelles. Ces constats sont malheureusement transposables dans certaines disciplines enseignées à l’école, telles que la littérature, les langues, les sciences…
Beaucoup de travail reste encore à accomplir dans ce domaine dans les pays en voie de développement, mais aussi dans nos sociétés occidentales. Et c’est dans une démarche éducative d’égalité (et pas seulement au sein de l’école) que doivent tendre nos agissements pour aller vers une société plus juste entre les femmes et les hommes, entre les filles et les garçons.
Les entraves à l’exercice des droits de l’enfant fondées sur le genre ne sont pas les plus aisées à repérer. Pour y parvenir, Il faut réussir à dissiper l’illusion d’égalité qui a tendance à être de règle en France, comme dans beaucoup des pays occidentaux, en raison de l’égalité formelle inscrite dans le droit. Participer à la déconstruction des mécanismes qui génèrent des violences sexistes et de la discrimination entre filles et garçons relève cependant de notre mission. A titre d’exemple, et pour illustrer notre préoccupation concernant les impacts des violences conjugales sur le devenir des enfants, le Défenseur des droits a remis, en mars 2012, une recommandation au ministère de l’Intérieur, visant à être attentif aux modalités d’intervention des forces de sécurité au domicile en présence d’enfants.
Outre la possibilité que nous offre la loi organique instituant le Défenseur des droits de présenter au législateur des modifications législatives qui apparaissent nécessaires, nous travaillons conjointement avec le monde éducatif et associatif pour construire ensemble des outils de promotion. Ce guide en est l’expression dans sa préparation et dans sa diffusion. Il renforcera les interventions des Jeunes Ambassadeurs auprès des collégiens. A cet égard, votre mise en garde contre le relativisme culturel est particulièrement pertinente et les arguments que vous déployez dans l’introduction du guide sans équivoque.
« L’approche de genre, lorsqu’elle est combinée à une approche fondée sur le droit, est particulièrement utile pour améliorer la vie des enfants, quel que soit leur sexe mais aussi quelle que soit leur culture ou origine.
En effet, alors que certaines valeurs, traditions et coutumes s’accommodent parfaitement des inégalités entre les sexes voire les encouragent ou les génèrent, ces mêmes valeurs et traditions sont fréquemment invoquées pour justifier des violations des droits des enfants, des filles et des femmes. Ce relativisme culturel peut troubler jusqu’aux acteurs de la protection de l’enfance, certains hésitant à agir pour défendre les droits des enfants – en particulier des filles – par crainte d’interférer avec la culture dont les enfants sont issus. Or, aucune revendication culturelle ne peut aller à l’encontre de l’universalité des droits humains.
Car, comme le rappelle le Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans son observation générale n° 28, le droit international engage les Etats à garantir que les attitudes traditionnelles, historiques, religieuses ou culturelles, ne soient pas utilisées pour justifier les violations du droit des femmes et des filles à jouir des droits humains sur un pied d’égalité [5] ».
C’est pourquoi la prise en compte des questions de genre par tous les acteurs et actrices publics et de la société civile appelées à intervenir dans le champ des droits de l’enfant doit être encouragée. Le Guide que vous avez élaboré pour la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant à partir de l’approche de genre sera, à cet égard, d’une aide précieuse.
En mettant en place une institution de DDE en 2000 puis de DDD en 2011, l’Etat français a contribué à assumer sa responsabilité de protéger les enfants mais l’on voit bien que l’action quotidienne d’une institution comme la nôtre est essentielle pour veiller et agir pour faire en sorte de rappeler l’Etat à ses obligations.
En France il appartient au pouvoir législatif de faire les lois, au travers de propositions de loi, pour adapter les Conventions internationales à la législation française, à élaborer des lois visant à protéger les libertés et les droits fondamentaux, et à garantir à chacun un traitement équitable.
Il n’est pas véritablement contesté que dans notre pays, le dispositif législatif, réglementaire, conventionnel ou jurisprudentiel a pour préoccupation l’intérêt de l’enfant. Cela ne veut évidemment pas dire que la situation soit, en tous points et en tous lieux, satisfaisante. De surcroît, encore faut-il que les lois, les droits soient effectifs. A tous les acteurs de la protection de l’enfance, dont nous sommes, d’y participer, l’éducation étant un levier essentiel.
En cette année du 25ème anniversaire du Convention relative aux droits de l’enfant, je suis ravie d’être associée à ce guide. Je lui souhaite une belle diffusion, à chacun de nous d’y contribuer.
[1] Article 71.1
[2] C’est le cœur de métier d’une institution qui reçoit annuellement un très grand nombre de réclamations : plus de 80 000 (dans les 4 domaines), dont près de 3500 pour la défense des droits des enfants en 2013.
Les saisines reçues par le Défenseur des droits relèvent notamment :
des conséquences pour les enfants, des conflits familiaux, notamment au travers des séparations : dans lesquels les enfants sont un enjeu des intérêts personnels des parents ;
des contestations des mesures et des modalités d’interventions en matière de protection de l’enfance ;
des enfants étrangers (la problématique du refus des allocations familiales pour les enfants arrivés en France hors regroupement familial, le refus de scolarisation des enfants, notamment des enfants Roms),
les réponses inadaptées d’accueil d’enfants handicapés, notamment pour leur scolarisation.
[3] Article 42
[4] Dont la création figure dans la CDE Article 43
[5] Comité des droits de l’Homme. Commentaire général n° 28 l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, 2000