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Programme Genre et économie, les femmes actrices du développement De l’organisation des femmes à la bonne gouvernanceInterviews réalisées entre 2010 et 2012 par Bénédicte Fiquet, Adéquations Mardi 1er janvier 2013 Moussa Balde est coordinateur national de l’association AVSF (Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières) au Sénégal. L’association organise des femmes impliquées dans deux filières, la filière avicole et la filière de l’anacarde (noix de cajou). Enjeux : rendre visible leur activité économique et favoriser la bonne gouvernance au sein des groupements. |
Mots clés : fédération, renforcement technique et organisationnel, accès à la matière première et au foncier, mobilité, bonne gouvernance
« Pour la filière avicole, notre ambition était d’organiser en une véritable fédération, une cinquantaine de groupements féminins de base constitués à l’origine d’une manière très informelle et de valoriser des échanges entre groupements. La Fédération Départementale des Aviculteur-trices de Vélingara « Bantaré NDiwri » compte aujourd’hui 1250 membres dont près de 90 % sont des femmes.
Au départ ces dernières vivaient difficilement de leur travail au champ et élevaient quelques poules qu’elles revendaient pour faire face aux dépenses urgentes : les médicaments pour un enfant malade, les cahiers des petits, bref le type de dépense qui incombe généralement aux femmes. Pour les professionnaliser, il convenait de les renforcer sur la plan technique bien sûr mais aussi organisationnel, de manière à ce qu’elles puissent s’approvisionner plus facilement en poussins et en équipement car Dakar est à plus de 10 heures de route. Ainsi, nous les avons amenées à réfléchir sur l’organisation interne des groupements, sur le rôle d’une fédération, sur ses missions vis à vis de ses membres et nous avons mis en place une centrale d’achat à Vélingara (chef lieu du département) qu’elles gèrent maintenant en toute autonomie d’une manière collégiale.
Non seulement, les avicultrices ont amélioré leur production et leurs revenus mais elles ont gagné en autonomie. Ainsi, de plus en plus de femmes se décident à faire seule les 20 km nécessaires pour se rendre à la centrale d’achat et s’approvisionner en poussins, ce qui ne se faisait pas du tout encore récemment. Si la distance excède les 50 km, c’est généralement le mari qui part avec sa charrette ou sa moto chercher les poussins. Là, c’est le signe que l’activité des femmes gagne en légitimité car avant les maris ne collaboraient pas.
Dans la filière de l’anacarde (noix de cajou) nous avons regroupés des femmes au sein de deux unités de transformation composées respectivement de 42 et de 50 femmes. Nous les avons équipés de machines et d’outils et formées pour faire des amandes de qualité car elles travaillaient dans des conditions très fastidieuses, exposées à la fumée pendant des heures avec pour tout matériel des bols et des cailloux. Notons que les deux groupements en question sont aujourd’hui membre d’une coopérative régionale des transformatrices et transformateurs de la noix de cajou où elles jouent un rôle important car l’une d’entre elle en est la présidente. Par ailleurs le fait de les aider à négocier le prix des noix qu’elles achetaient à leur propre mari ou aux propriétaires de plantation des villages des alentours, à été déterminant. Elles pâtissaient en effet de la forte demande d’acheteurs indiens qui avaient fait monter le prix des noix de près de 60 % et elles ne pouvaient plus suivre. Notre travail a été de convaincre les maris et les intermédiaires présents dans la communauté rurale qu’en vendant aux femmes les noix dont elles avaient besoin à un prix préférentiel et non à un prix d’usure, la plus value resterait dans les familles et le village. Il faut savoir que pour des amandes de qualités telles que les femmes les fournissent aujourd’hui, le kilo se vend autour de 3000 francs CFA. Finalement nous avons obtenu qu’elles achètent le kilo de noix entre 300 et 350 francs CFA et que le surplus se vendrait aux Indiens (autour de 500 francs CFA).
Le bénéfice pour le village est évident. Aujourd’hui elles vendent comme des petits pains. Un commerçant voulait même leur préacheter leur production mais nous leur avons appris à attendre pour observer l’évolution du marché et rester dans une logique de négociation. Au Sénégal, ce sont les marchés de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Bissau qui influent les prix.
Nous avons aussi accompagné les femmes de manière à ce qu’elles accèdent au foncier, pour établir leur unité de transformation et pour disposer d’un champ collectif. Un groupement a toujours besoin d’un champ collectif que ce soit pour le cultiver afin de faire face à certaines dépenses (repas des assemblées générales, etc.) ou pour se réunir. Généralement, les femmes finissent par obtenir de la terre, mais on peut leur retirer du jour au lendemain. Leur demande était que le conseil rural leur délivre des attestations pour sécuriser leur accès à la terre. Là encore, notre démarche a d’abord consisté à les faire reconnaître comme actrices du développement locale.
Nous avons invité les élus à une journée de réflexion et organisé des visites de terrain. Les deux unités n’étaient pas à plus de trois km du chef lieu de la communauté rurale mais les élus ne s’y étaient jamais rendus. Les femmes ont fait des démonstrations, ils en sont restés tout ébahis : ce qu’ils n’avaient vu qu’à la télé, se produisait sous leur nez, dans leur communauté !« Vous ne connaissez même pas nos produits, alors que nous vendons jusqu’à Dakar », ont souligné les femmes en réclamant des terres. Le président de la communauté rurale a donné un groupe électrogène et troishectares à chaque groupement. Il a décidé des les intégrer au plan local de développement et leur a offert une boutique pour qu’elles puissent exposer leur produits au niveau de la communauté rurale, à charge pour elles d’en payer les taxes, ce qui est tout à fait normal. Notre seule action finalement s’est bornée à rendre visible le travail des femmes, à communiquer…
L’Etat du Sénégal donne souvent des subventions aux paysans sous forme d’intrants (des engrais, des semences…). Or les personnes pensent que ces intrants étaient destinés à des personnes spécifiques, aux élus et à leurs proches. Nous avons fait comprendre aux femmes que ces intrants sont destinés à l’ensemble des agriculteurs et des agricultrices de la communauté rurale et qu’elles avaient le même droit que les autres.
Que ce soit dans la filière avicole ou dans celle de l’anacarde, nous avons misé sur la transparence et la démocratie des groupements. Toutes les femmes savent désormais quel est le rôle d’un-e président-e d’un-e secrétaire, d’un-e trésorier… Un bilan est réalisé et présenté tous les mois par la trésorière. Tout le monde est invité à poser des questions. Cette transparence est rare dans les groupements. Généralement, une même famille maîtrise tout. L’homme préside, sa belle-fille fait office de secrétaire etc. C’est noyauté et ça crée des problèmes. Dans les groupements que nous accompagnons, les femmes sont devenues très exigeantes. Pour de tout petits écarts, elles ont poussé des présidentes à démissionner.
C’est l’apprentissage de la gouvernance.
Nous cherchons d’ailleurs à les intégrer dans les réseaux professionnels. Lors du renouvellement du conseil d’administration de la fédération régionale d’aviculture, c’est une femme « du Fonds de solidarité prioritaire Genre et économie » qui en est devenue la présidente. Pour dire que ça bouge ! »