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Programme Genre et économie, les femmes actrices du développement Rentabilité économique et rentabilité socialeInterviews réalisées entre 2010 et 2012 par Bénédicte Fiquet, Adéquations Mardi 1er janvier 2013 Azara Nfon Dibie-Sanogo est coordinatrice pour le GRET(Groupe de Recherches et d’Echanges Technologiques) d’un projet qui vise à renforcer les capacités de femmes actrices de la filière du karité au Burkina Faso. Cette mission, qui est sa première expérience professionnelle, l’a amenée à réfléchir à la question de la rentabilité économique versus rentabilité sociale |
Mots clés : compréhension du monde rural, surcharge de travail, pouvoir de décision, rentabilité, droits humains
« Nous accompagnons cinq groupements de base en milieu rural et cinq unions en milieu urbain. Au niveau rural, nous fournissons un appui technique pour la transformation du beurre de karité en savon. Les femmes ont bénéficié de formations en matière de gestion de leur activité, d’organisation des groupements et de promotion commerciales de leurs produits. Nous avons aussi été amenés à multiplier le plaidoyer en direction des maris et des commerçants de manière à ce qu’ils soutiennent leur activité. Au niveau urbain, notre objectif est d’aider les femmes à se créer un marché régional et sous-régional. Nous appuyons par exemple leur participation aux foires en facilitant la location de stand et le fret de leurs marchandises.
Avec cette mission, j’ai fait mes premiers pas dans le monde professionnel. Mon expérience auprès des femmes du milieu rural a été particulièrement riche d’enseignements. Une des premières questions que je me suis posée en apprenant à mieux les connaître était la suivante : les maigres bénéfices économiques que ces femmes tirent de l’activité que nous introduisons, légitiment-ils la surcharge de travail engendrée ?
En effet, contrairement à ce que j’imaginais au préalable, aucune de ces femmes que nous accompagnons ne se consacraient uniquement aux tâches domestiques. Elles menaient déjà toutes plusieurs activités de front et constituaient le pilier économique de leur famille. Culturellement, dans ce milieu, les maris doivent fournir le mil pour le tô, mais c’est aux femmes de se débrouiller pour les condiments et tout le reste. Dans certains projets du FSP, on a pu observer une tendance des hommes à moins contribuer aux dépenses du foyer quand la femme fait rentrer de l’argent mais pour le milieu rural dans lequel nous travaillons, si la femme ne trouve pas l’argent, les besoins en alimentation, santé, scolarité des enfants et autres ne seront tout simplement pas couverts. Les hommes ne se préoccupent même pas de savoir comment les femmes se débrouillent.
En tant que citadine et femme diplômée, je n’avais pas cette connaissance du terrain. J’ai grandi avec l’idée que le mari prenait tout en charge. Si l’homme gagne à peu près correctement sa vie, c’est lui qui donne l’argent de la popote, de la ration quotidienne. Ce n’est peut-être pas lui qui paye tout, mais du moins c’est lui qui passe pour tout payer. Et dans les milieux musulmans, c’est encore plus fort. Un mari peut même se sentir insulté si sa femme offre de participer au loyer par exemple.
Les premiers entretiens que j’ai eu à faire m’ont donc stupéfaite. Par ailleurs, tandis que je découvrais que les femmes prenaient en charge tous les aspects de la gestion du foyer, j’ai constaté qu’en dépit de leur rôle et de leurs responsabilités, elles ne gagnaient pas pour autant le droit de participer aux décisions qui se prenaient dans leur foyer ou dans leur communauté, leur statut de femme les maintenant dans un rapport de soumission à leur mari, frères etc. Je pense à l’une d’elle par exemple qui depuis bientôt cinq ans, n’avait pas rendu visite à ses parents - qui n’habitaient cependant pas loin - parce que son mari ne lui en avait pas donné l’autorisation. Ça montre bien que l’autonomie économique des femmes n’est pas une condition suffisante pour leur autonomie sociale et pour leur reconnaissance dans la société. J’ai compris par cette expérience du FSP Genre et économie, qu’il était plus facile de faire évoluer la rentabilité économique d’une activité - on peut noter des résultats dès la troisième ou quatrième année - que de faire évoluer les mentalités. En revanche, il est indéniable que l’entrée par l’économie peut être très pertinente, à conditions de l’associer à un certain nombre de formations et de mécanismes qui permettent aux femmes de négocier l’évolution de leur statut et le respect de leurs droits.
En milieu rural, les femmes ne sont pas spontanément sensibles aux questions d’égalité qu’elles estiment pour la plupart comme porteuses de troubles. Le risque en adoptant uniquement une entrée par les droits et qu’elles se désintéressent du projet ou au contraire qu’elles se mettent à revendiquer brutalement auprès de leur mari et que leur rébellion mène à la perte de leur foyer. C’est de notre responsabilité d’intervenant de ne pas générer des problèmes susceptibles d’empirer la situation des femmes dès que nous nous serons retirées.
Le levier économique, en revanche, permet d’aborder les contraintes de genre d’une manière très concrète et d’y intéresser tant les femmes que les hommes. Nous avons constaté par exemple que les femmes que nous accompagnons étaient obligées d’interrompre en grande partie leurs activités concernant le beurre de Karité sur une période pouvant aller de juin à novembre. Occupées aux travaux champêtres de leurs maris et à leurs propres travaux champêtres et domestiques, elles n’avaient plus le temps de produire et encore moins de commercialiser le savon. La négociation que nous avons entamée avec les maris, leur a permis d’alléger leurs diverses charges, dont les tâches domestiques, afin de dégager davantage de temps pour le karité. Il était en effet plus facile d’aborder les choses sous l’angle de l’intérêt économique de la famille que sous celui des droits qui peut paraître idéologique.
Autre exemple : on ne comprenait pas pourquoi peu de femmes étaient disposées à commercialiser le savon. Elles produisaient bien, mais pour la vente, à l’exception de trois ou quatre femmes, elles se défilaient. On a fini par se rendre compte que les femmes répugnaient à s’exposer. Au marché, le savon se vend à la criée et la plupart étaient trop réservées pour oser le faire. Cette pudeur qui les retenait est liée à la culture. Nous avons donc du faire des formations adaptées pour les encourager à dépasser cette autolimitation. Finalement c’était un travail sur l’affirmation de soi qui leur a été profitable bien au delà du seul aspect commercial.
Quand à la question de la rentabilité du beurre de karité, qui est une vraie question et qui intéresse, à juste titre, les bailleurs, on ne peut la déconnecter du contexte d’économie de survie, d’économie au jour le jour qui est la réalité de ces femmes, à fortiori en milieu rural. Dans le milieu où nous intervenons, beaucoup tirent leur argent pour l’alimentation familiale des différentes activités liées à la préparation du dolo, autrement dit de la bière de mil. Il y a celles qui vendent - généralement à crédit - le mil qu’elles ont fait germer – à celles qui vendent le dolo, généralement à crédit également. La première devant attendre que la seconde ait récupéré les fruits de sa vente pour être elle-même payée. Tous les 3 jours, la vente du mil germé comme celle du dolo génère entre 250 et 1000 francs (entre 0,38 € et 1€), une somme qui est immédiatement réinvestie dans l’alimentation familiale. Les autres dépenses reposent sur leur épargne en nature – mil, sorgo, arachide, sésame, amande de karité - qu’elles tirent de leur propre champ. Quand elles ont besoin d’un supplément dans leur quotidien, par exemple pour payer la scolarité des enfants, elles puisent dans cette épargne et vendent une tine (environ 15 kg) de telle ou telle récolte. A l’échelle de cette économie journalière, qui est une toute petite échelle en raison de la faiblesse du pouvoir d’achat de ces femmes, les profits qu’elles tirent de la vente du savon n’est donc pas négligeable. La question de la rentabilité économique se pose au regard même de cette échelle. Si on compare avec la ville, on trouvera que l’activité du karité n’est pas rentable mais à l’échelle du contexte économique villageois, on se rend compte qu’elle est rentable, qu’elle apporte vraiment un plus. »