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Témoignage de Mike MarchalLundi 12 septembre 2016 Responsable de projets à l’EFPP, une école de formation des éducatrices et éducateurs de jeunes enfants (EJE), Mike Marchal est aussi le co-fondateur de l’AMEPE (Association pour la mixité et l’égalité dans la petite enfance) qui vise à légitimer la place des hommes dans les métiers de la petite enfance et à promouvoir une éducation non sexiste. Il aborde ici les questions de genre au prisme de son homosexualité et les discriminations sexuées au travail. |
Mots-clés : Professionnel de la petite enfance • mixité et ségrégation professionnelles • homophobie
« J’ai été sensible très tôt à la question du genre, avant même de me poser celle de l’égalité. Enfant, à l’école dans l’espace cour, tu dois décider si tu joues avec les filles ou les garçons. La classe, elle, normalement est mixte. Moi, j’allais rarement jouer avec les garçons, je trouvais leurs jeux assez agressifs, assez violents. En retour, ils n’étaient pas très sympas avec moi et je faisais souvent l’objet d’injures et d’humiliations n’étant pas le garçon le plus viril de la classe. A l’époque, je ne savais pas encore que je serais homo, mais je me sentais différent.
Ado, j’ai pris conscience qu’il fallait que je fasse attention. J’essayais de paraître le plus neutre possible en contrôlant mes gestes, ma manière de parler, de me déplacer. Ce fut aussi une période plus facile, parce que pendant l’adolescence les spécificités s’affirment et je n’étais plus le seul à être différent. Mais je me souviens quand même de ma hantise des activités sportives qui impliquaient la séparation filles-garçons. Au foot, je faisais tout pour me faire sortir du terrain... Mes parents, eux aussi tenaient absolument à ce que je fasse du sport. Auraient-ils autant insisté si j’avais été une fille ?
Aujourd’hui encore je suis gêné quand je vois des hommes parader torse nu dans l’espace public. Si je passe près d’un groupe d’hommes ou de jeunes hommes bien cohésif, c’est vrai que je ne m’attarde pas trop, mais d’une manière générale, seul, je ne me suis jamais senti en insécurité dans la rue. En tous cas, pas à la hauteur de ce que de plus en plus de femmes commencent à décrire et que je ne soupçonnais pas avant que des amies ne me parlent de leur vécu. En couple, c’est différent. Je prends soin de ne pas m’afficher. On a toujours le risque en tête. C’est aussi un mélange de pudeur et du sentiment que "ça ne se fait pas", y compris pour des gestes qui sembleraient très banals au sein d’un couple hétéro.
C’est mon travail dans la petite enfance qui m’a amené à croiser la question du genre et des inégalités femmes-hommes. J’ai d’abord travaillé vingt ans en crèche comme éducateur de jeunes enfants puis comme responsable d’établissement et actuellement je participe à la formation de la "nouvelle génération" d’éducatrices et de quelques éducateurs.
Je suis entré dans cet univers professionnel sans avoir vraiment conscience de la partition sexuée des rôles. Certes j’avais choisi cette voie en refusant d’être le mâle viril que la société attendait que je devienne. Et plutôt que de faire mon service militaire, j’avais opté, en tant qu’objecteur de conscience, pour un service civil dans une crèche parentale. Mais il m’a fallu du temps pour comprendre que je me trouvais dans un espace de relégation, un secteur professionnel peu valorisé parce qu’essentiellement féminin et considéré comme le prolongement, dans la sphère publique, du rôle des mères.
Par ailleurs, deux stéréotypes pèsent sur les hommes qui travaillent auprès des tout-petits : être perçus à la fois comme homosexuel et un possible pédophile.
Le premier n’était pas un problème pour moi : je suis homosexuel. En revanche, le second est plus puissant. Il participe à renforcer le premier stéréotype en tant que stigmatisation de l’homosexualité. De même l’inquiétude réelle de certains parents, voire de professionnelles, pour les petits garçons qui jouent à des jeux dit de filles repose sur un préjugé homophobe. Ça finit par être usant.
Assez vite, je suis devenu directeur. Un classique me direz-vous. Aux femmes le plafond de verre et aux hommes l’escalator de verre ! Sans doute, mais dans cette profession, c’est aussi un moyen d’éloigner les hommes des enfants. Un jour une mère s’est inquiétée auprès de moi de la présence d’un homme dans l’équipe. Quand je lui ai fait remarquer, quand même un peu surpris, que j’étais moi-même un homme, elle m’a bien remis à ma place : "Ah, mais c’est différent. Vous, vous êtes le directeur ! ".
Finalement, pour faire bouger les lignes, j’ai compris qu’il fallait que j’intervienne à un autre niveau. C’est ce qui m’a poussé à devenir formateur. Mais ce n’est pas suffisant. Il y a de l’inertie aussi dans ce milieu et le changement ne s’obtiendra que par de l’action collective. C’est ce sur quoi nous misons avec l’AMEPE. »