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Qu’est-ce qu’une alimentation durable ?

Vendredi 25 janvier 2013, par Yveline Nicolas

Directement liée à des modes de production agricole et de commercialisation durables, une "alimentation durable" est une alimentation viable sur le plan économique et social, qui préserve l’environnement, la santé et la diversité culturelle.

Sous l’influence des politiques agricoles, des industries agro-alimentaires et des changements de modes de vie, le mode alimentaire des pays riches a beaucoup évolué depuis une cinquantaine d’années et ne répond plus à des critères de durabilité.


 L’alimentation industrialisée

Ce mode alimentaire se caractérise par une forte transformation des produits consommés, des distances importantes entre producteur/transformateur et consommateur (en France la distance moyenne parcourue par un consommateur vers son lieu d’approvisionnement est de 25 km), un régime alimentaire généralement riche en produits raffinés, sucres rapides, graisses saturées, sel, viandes, pauvre en aliments de base non transformés, en céréales complètes, fruits et légumes, souvent carencé en en fibres et micronutriments essentiels (sels minéraux, vitamines), et un fort gaspillage des aliments (40 % sont jetés)...

L’alimentation est d’une importance vitale pour l’humanité sur le plan nutritionnel, sanitaire, social, culturel... et géopolitique (autosuffisance ou dépendance alimentaire des pays). Paradoxalement, les évolutions de la production d’aliments n’ont à aucun moment fait l’objet d’un débat public, d’une réflexion globale de la société et des décideurs politiques. Elles n’ont pas été basées sur des politiques alimentaires et nutritionnelles définies, mais sur un ensemble de facteurs, comme les politiques agricoles, foncières et d’aménagement du territoire, des évolutions technologiques et agronomiques, les choix économique et financiers de la part des entreprises, le développement de la publicité, des changements dans les modes de vie, les rapports sociaux entre femmes et hommes, l’urbanisation, etc.

Les aliments actuels, résultats d’assemblages internationaux

Les ingrédients de base ne représentent en général plus qu’une part très faible du coût d’un produit alimentaire, par rapport aux coûts de la fabrication du produit fini, du transport, de l’emballage, de la distribution, du marketing et de la commercialisation. Dans le contexte de la mondialisation économique, de nombreux produits alimentaires résultent d’un assemblage impliquant plusieurs pays et des dizaines de milliers de kilomètres parcourus. Même les aliments non transformés, mais produits industriellement, comme les fruits et légumes, les poissons et crustacés, voyagent sur de longues distances.

Un exemple : la langoustine "non durable"

Une société britannique pêche des langoustines en mer d’Ecosse. Jusqu’à présent, ces langoustines étaient décortiquées dans des unités de la région et vendues dans des chaines de magasins en Grande-Bretagne. Pour maximiser ses bénéfices, le fonds de pension actionnaire de l’entreprise décide de modifier le mode de production. Les langoustines sont congelées à terre, puis transportées en Thaïlande pour être décortiquées manuellement, puis renvoyées en Ecosse où elles sont cuites et commercialisées... Les quantités produites sont de 400 à 600 tonnes par an. Cet exemple concentre la plupart des caractéristiques d’un mode de production et de consommation alimentaires non durable :
- Sur le plan social : fermeture d’usines locales et destruction d’emplois, utilisation à l’étranger d’une main-d’oeuvre peu à même de faire valoir ses droits.
- Sur le plan environnemental : un circuit de 27 000 km aller-retour, induisant des émissions de gaz à effet serre (1,5 tonnes de CO2 par tonne de langoustines), sans compter la congélation et la chaine du froid, très coûteuses en énergie.
- Sur le plan sanitaire : les langoustines circulent pendant plus de deux mois, alors qu’il serait plus sain de les consommer fraiches.
- Sur le plan économique : l’entreprise trouve son compte en délocalisant le travail dans un pays où les normes sociales et les salaires sont 28 fois plus bas (65 centimes d’euros l’heure). Mais l’impact en matière de réchauffement climatique et de chômage n’est pas "internalisé" dans les coûts de revient, il est "externalisé" dans le domaine public... (Source des chiffres : article Canard Enchaîné)

Il en est de même pour les crevettes, pêchées et congelées dans un pays (par ex. en Norvège), décortiquées dans un autre (ex. au Maroc), conditionnées dans un autre, ramenées en Europe pour être vendues, etc. Or la consommation de crevettes, qui posent de nombreux autres problèmes environnementaux, a augmenté de 300 % en dix ans dans les pays riches.

Actuellement la plupart de nos produits alimentaires effectuent ce genre de parcours. Une étude a montré qu’un simple yaourt à la fraise avait parcouru 9 000 kilomètres d’un pays européen à l’autre, en raison de cette séparation des tâches et en additionnnant les parcours de tous les composants : lait, fraises, sucre, additifs (cf. ci-dessous), pot, couvercle, étiquette...

Légumes de contre-saison et transport

La consommation de fruits et légumes de contre-saison induit des gaspillages énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, les tomates cultivées industriellement sous serre en Espagne à Almeiria sont distribuées en hiver dans toute l’Europe, parcourant 3000 kilomètres. Cette région produit 3 millions de tonnes de légumes par an pour l’exportation ; 20 % des légumes consommées en Europe provient d’Ameiria. Des modes de production industrielle, un prix de revient très bas du transport routier et de la main d’oeuvre immigrée rendent ce commerce rentable, bien qu’il commence à être concurrencé par des prix de revient encore plus bas au maghreb et en Israël...

Appauvrissement nutritif, baisse de diversité, impacts sanitaires

L’alimentation industrielle apparue en occident depuis une cinquantaine d’année se refère à une vision "hygiéniste" ("pasteurienne") de la sécurité sanitaire. Les autorités publiques édictent des normes strictes en matière bactériologique - ce qui pose des problèmes aux petits producteurs locaux (fromages, par exemple). Mais les critères de fraicheur des aliments, de densité et de qualité nutritionnelle, l’impact des résidux de pesticides et des nombreux "auxiliaires techniques" et additifs ne sont pas intégrés dans cette approche culturelle techniciste.

A partir du début du siècle, l’industrie a commencé à raffiner tous les produits de base comme la farine, le sucre, les huiles, en enlevant le germe du blé, les fibres, en chauffant les huiles etc, conduisant à une forte diminution des teneurs en vitamines et acides gras essentiels et générant des composés toxiques, notamment dans les huiles. Pour pallier ces carences, l’industrie agroalimentaire tend actuellement à complémenter ses produits en vitamines artificielles et en fibres...

Dans l’Union européenne, plus de 300 additifs sont autorisés dans les aliments : colorants, exhausteurs de goût, conservateurs, anti-oxydants, édulcorants, affermissants... La notion de dose journalière admissible (DJA) sur laquelle se fondent les autorisations est insuffisante pour appréhender la nocivité et les effets croisés de certains produits sur une durée longue.

L’agriculture intensive mise en place dans la deuxième moitié du 20ème siècle est parvenue à répondre à la demande alimentaire en augmentant les revenus des producteurs (en Europe, grâce à la Politique agricole commune). Mais elle a atteint ce résultat par une utilisation massive d’engrais et de pesticides chimiques et par un usage non durable des ressources en eau et des sols. De nombreux résidus de pesticides toxiques subsistent dans les aliments, notamment les fruits et légumes.

En synergie avec les modifications des comportements alimentaires et l’urbanisation (fast-food, grignotage, excès de sucre et graisse...), le mode de production alimentaire intensif et industriel a favorisé l’explosion des cas d’obésité, de diabètes, de maladies cardio-vasculaires, certains cancers, des allergies...

En Europe, la ration quotidienne est passée de 2 960 kgcalories dans les années 1960 à kg 3 340 calories en 2002, soit une augmentation de 20 %. Les besoins moyens normaux sont d’environ 1800 à 2000 pour une femme et de 2200 à 2400 pour un homme, avec des variations selon l’âge (les besoins diminuent avec l’âge) et l’exercice physique (les besoins augmentent).

Une "épidémie" d’obésité au niveau international. Aux États-Unis, une personne sur trois est obèse, ce qui fait 90 millions d’américain-es, cette proportion ayant doublé en 30 ans. En France, le pourcentage de personnes obèses a doublé en 25 ans, passant de 6 % en 1980 à 8,2 % en 1997 et à 12,4 % en 2006. 5,3 millions d’adultes sont obèses et 14,4 millions en surpoids. Un enfant et un-e dolescent-e sur quatre sont concernés. Le nombre d’obèses augmente actuellement de 5 % par an et touche des personnes de plus en plus jeunes. Près de la moitié de la population adulte (20 millions de personnes) sont en surpoids. Les couches les plus défavorisées sont les plus atteintes, car les produits gras et sucrés coûtent moins cher que le poisson, les fruits et légumes etc. et de ce fait l’alimentation en fast-food est en augmentation. En 2006, en France, 18,8 % des personnes ayant un revenu mensuel inférieur à 900 euros étaient obèses contre seulement 6,6 % chez celles qui gagnent plus de 3 800 euros par mois (Enquête ObEpi, Inserm, Sofres, 2008

Par ailleurs, l’industrialisation alimentaire a conduit à la diminution de la diversité des produits de base utilisés et de la biodiversité agricole. Ainsi, le nombre de variétés de riz cultivées en Thaïlande est passé de 16 000 autrefois à 37 actuellement. De nombreuses variétés locales sont beaucoup plus riches en vitamines et micronutriment que les variétés industrielles qui se sont généralisées (par exemple les bananes).

Les aliments comestibles disponibles à l’état naturel ou pouvant être cultivés ou transformés en de multiples plats sont très nombreux sur la planète : plus de 20 000 espèces. L’agro-industrie n’utilise que quelques produits de base, une vingtaine de plantes, quelques huiles et des produits laitiers, qui, avec des additifs et différents procédés technologiques sont transformés en de nombreux produits en apparence différents.

Répercussion sur les paysan-nes, les territoires et l’environnement

Le modèle agroalimentaire industriel a favorisé une agriculture intensive qui, dans un premier temps, a assuré l’auto-suffisance alimentaire de l’Europe, grâce notamment à un système de protection contre les importations et des aides et subventions à des filières ou aux producteurs. Mais ce modèle a ensuite été destructeur d’emplois agricoles et a généré de fortes inégalités de revenus entre agriculteurs, mettant en péril les ressources naturelles (eau, sols, biodiversité). En France près de la moitié des paysan-nes gagne moins que le SMIC.

Parallèlement, l’envoi d’aides alimentaires inadaptées et la commercialisation à prix bradés des excédents alimentaires (blé, lait, viandes) ont déstabilisé les marchés et les agricultures de pays défavorisés, notamment en Afrique, qui ne sont pas en mesure de faire face à cette concurrence déloyale.

 L’alimentation traditionnelle

Dans toutes les régions du monde, l’alimentation traditionnelle était fondée - et le reste dans certains pays et régions du Sud - sur les caractéristiques suivantes :

- Régime alimentaire basé sur la combinaison de végétaux : céréales et légumineuses complètes, dont les compositions complémentaires permettent un équilibre dans les huit acides aminés essentiels des protéines ; oléagineux ; féculents ; fruits et légumes ; apports modérés en produits animaux (poisson, viande) et produits laitiers et oeufs.
- Une alimentation peu transformée, peu emballée, produite, commercialisée et consommée localement.
- Une agriculture faiblement mécanisée et utilisant peu d’intrants chimiques.
- Un lien fort et direct entre les paysan-nes et la population locale.
- A partir de produits de base similaires, une grande diversité et inventivité alimentaire géographique et culturelle.

Dans le monde, la sous-nutrition touche près d’un milliard de personnes et la malnutrition 1,5 milliard de personnes. Les causes ne sont généralement pas une carence en matière de savoirs alimentaires ou de disponibilités d’aliments au niveau national ou sous-régional. La faim et la malnutrition sont essentiellement dûes, d’une part aux situations de crises (guerres et conflits armés), d’autre part à la pauvreté en milieu rural, en raisons des prix agricoles non rémunérateurs, ainsi que les inégalités de revenus en milieu urbain.

 L’alimentation durable

L’alimentation durable est une notion émergente, qui pourrait se définir selon les critères suivants :

- Une alimentation accessible à tous et toutes, saine et équilibrée, répondant aux besoins nutritionnels humains.
- Une alimentation produite par des modèles agricoles qui préservent l’environnement, le climat, les sols, l’eau, la biodiversité naturelle et domestique, ainsi que le bien-être des animaux d’élevage.
- Une alimentation sobre en consommation d’énergie, en émissions de gaz à effet de serre et générant moins de déchets : circuits courts, peu de produits importés, pas de fruits et légumes de contre-saison, mode de production sobres, diminution des emballages...
- Une alimentation mettant en oeuvre un principe de subsidiarité : qui s’appuie au niveau local, national, européen et international sur des modes de production agricole durables, préservant les emplois agricoles, un revenu équitable pour les producteurs-trices, le tissu rural et le développement local.
- Un débat public et des politiques alimentaires (et agricoles) définies de façon démocratique par l’ensemble des acteurs concernés : pouvoirs publics, paysan-nes, consommateurs-trices, collectivités territoriales, milieux médicaux et de santé, entreprises...
- L’intégration d’une approche de genre (analyse des stéréotypes culturels et des rapports sociaux entre femmes et hommes), dans la mesure où, dans beaucoup de régions du monde, la production et la préparation des aliments font partie des rôles sociaux des femmes. Consulter notre rubrique sur le "genre". ; et brève "genre et alimentation".
- Cette alimentation devrait donc garantir un principe de "souveraineté alimentaire" des pays ou sous-régions : droit de chaque nation de maintenir et d’élaborer sa propre capacité de produire ses propres aliments de base dans le respect de la diversité productive et culturelle (définition de Via Campesina).

La FAO, qui constate les liens directs entre malnutrition et perte de la biodiversité agricole en raison de l’industrialisation des productions, a entamé une réflexion sur l’alimentation durable. En 2010, elle en donne une définition : "une alimentation durable protège la biodiversité et les écosystèmes, est acceptable culturellement, accessible, économiquement loyale et réaliste, sûre, nutritionnellement adéquate et bonne pour la santé, optimise l’usage des ressources naturelles et humaines".
- Site de la FAO sur les "régimes alimentaires durables"

Une nouvelle chaire Unesco sur l’Alimentation durable a été inaugurée à Montpellier, le 27 janvier 2012.

L’alimentation "bio"

Les produits issus de l’agriculture biologique répondent à un cahier des charges officiel européen et/ou des cahiers des charges privés, parfois plus stricts (comme le label Nature & Progrès). La refonte du label bio européen, adopté par le Conseil des ministres contre l’avis du parlement, qui entrera en vigueur en 2009, est critiqué par nombre d’acteurs et d’associations notamment parce qu’il tolère désormais que les produits bio puissent être contaminés par des "traces" d’OGM à hauteur de 0,9 %.

Le "bio" reste un élément fondamental d’une alimentation durable dans la mesure où son mode de production est non polluant et préserve les ressources naturelles. De plus les produits ont souvent une meilleure qualité nutritionnelle (plus de fibres, de vitamines et de sels minéraux...) et gustative. Par contre, l’alimentation biologique n’est pas durable quand elle est issue de l’importation de produits de contre-saison ou quand elle est produite industriellement, avec une main-d’oeuvre exploitée. Consulter notre article sur l’agriculture biologique

 Ressources

- Pour une alimentation durable – Réflexion stratégique DuALIne (DUrabilité de l’ALImentation face à de Nouveaux Enjeux) ; De Catherine Esnouf, Marie Russel, Nicolas Bricas Editions Quae, 2011
Présentation et synthèse en pdf
Article en ligne sur l’alimentation durable
- Alimentation et effet de serre sur le site du RAC-France ; Télécharger le dépliant pédagogique "Des gaz à effet de serre dans mon assiette ?"(pdf, 7 p.)
- Lexique des produits alimentaires sur le site de l’Observatoire Bruxellois de la consommation durable
- Programme international pour une alimentation durable : http://www.sustainablefoodlab.org/
- Point de vue de Christian Remesy, chercheur
- Vidéo de témoignages sur l’alimentation durable
- Télécharger l’article "Vers une alimentation durable" de B. Redlingshofer, chercheure à l’INRA (pdf 20 p.)
- Site pour connaitre la qualité nutritionnelle des aliments (y compris plats préparés)
- Guide "Quels oeufs choisir" de l’association Protection mondiale des animaux de ferme

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