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Les Activités économiques dans le monde liées à l’eauJeudi 8 janvier 2009 L’existence d’un marché des services de l’eau à travers sa gestion, son
acheminement, son traitement est-il compatible avec la nature de la ressource ?
L’eau est-elle un bien commun ou un service ? Peut-on émettre l’hypothèse
qu’elle soit passée du statut de ressource vitale à celui de bien consommable ?
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Rapport public
KOTLICKI Marie-José
FRANCE. Conseil économique, social et environnemental
Paris, Journaux officiels, 2008, 264 pages
(Journal officiel de la République française, avis et rapports du Conseil économique, social et environnemental)
La gestion de l’eau, tant en France qu’au niveau mondial, est une question majeure. Si le rapport constate que la ressource en eau est globalement suffisante, il rappelle cependant que 1,5 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, compte tenu de son inégale répartition. Il analyse l’enjeu stratégique et économique de l’eau (consommation des usagers, particuliers, industriels et agriculteurs, accroissement de la demande à l’international, réduction des inégalités de répartition de la ressource, déséquilibre entre l’offre et la demande).
Il présente les acteurs de la gestion de l’eau et les modes de gestion (régie ou gestion directe, Délégation de service public en France, privatisation), les groupes privés, les acteurs institutionnels. Il décrit les activités économiques liées à l’eau, notamment les industries (forage, captage, traitement, distribution, assainissement...), l’hydroélectricité, la récupération des eaux de pluie, le marché des eaux minérales, la recherche, tant publique que privée.
Il conclut sur les atouts, les faiblesses et les perspectives du modèle français et évoque l’aide au développement dans laquelle l’eau reste l’enjeu principal.
Rapport présenté par Mme Marie-José Kotlicki au nom de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, du Conseil économique et social
L’existence d’un marché des services de l’eau à travers sa gestion, son acheminement, son traitement est-il compatible avec la nature de la ressource ? L’eau est-elle un bien commun ou un service ? Peut-on émettre l’hypothèse qu’elle soit passée du statut de ressource vitale à celui de bien consommable ?
Tous les acteurs de l’eau, institutions, pouvoirs publics, entreprises privées, sont dépositaires de missions et de valeurs essentielles en termes de satisfaction quantitative et qualitative de besoins humains.
Cependant, la conférence internationale sur l’eau de Dublin2, en 1992, marque un tournant essentiel en redéfinissant, dans son principe n° 4, le statut de l’eau : « L’eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique. En vertu de ce principe, il est primordial de reconnaître le droit fondamental de l’homme à une eau salubre et une hygiène adéquate pour un prix abordable. La valeur économique de l’eau a été longtemps méconnue, ce qui a conduit à gaspiller la ressource et à l’exploiter au mépris de l’environnement. Considérer l’eau comme un bien économique et la gérer en conséquence, c’est ouvrir la voie à une utilisation efficace et à une répartition équitable de cette ressource, à sa préservation et à sa protection ».
Cette définition sous-tend cependant une analyse qui ne fait pas l’unanimité. Elle suscite des polémiques, des débats récurrents où se télescopent les droits fondamentaux, l’aide au développement et la loi du marché.
Ainsi, en février 2002, se crée à Porto Alegre, la Coalition mondiale contre la privatisation de l’eau. Le 1er décembre 2007, Rome voit 40 000 citoyens italiens se rassembler, sur un seul mot d’ordre : « la lutte pour l’eau publique »... Au mois de mars de la même année, à Bruxelles 650 parlementaires, maires, administrateurs locaux, représentants d’entreprises publiques, de syndicats et de la société civile d’Afrique, d’Amérique latine, d’Amérique du nord, d’Asie et d’Europe, unis au sein de l’Assemblée mondiale des élus et des citoyens pour l’eau (AMECE) adressent à toutes les institutions internationales un appel solennel. Ils se fixent pour objectif de faire reconnaître l’accès à l’eau « comme un droit humain universel, indivisible, imprescriptible » par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le 10 décembre 2008.
L’accès universel à l’eau demande des investissements considérables, mais impose aussi la mise en place de politiques à long terme 10, 20, 50 ans, voire plus. Le secteur privé assure être en mesure de mobiliser les ressources nécessaires face à un secteur public qui peine à mobiliser des fonds dans ce secteur. De leur côté les opposants à la gestion privée de l’eau mettent en avant les risques de sa privatisation. D’ailleurs, compte tenu du caractère de bien commun de la ressource, l’eau reste un marché spécifique et l’OMC ne l’a pas classée comme bien commercial.
Face à ces options antagonistes, il est nécessaire de clarifier le débat, de dépasser les postures idéologiques, de repositionner résolument l’eau comme une ressource vitale, comme un bien social dont la gratuité à la source reste la norme. Mais, dans les faits, l’accès à l’eau et son traitement pour la rendre potable est souvent un service payant avec pour risque majeur la confiscation du droit à son libre accès.
À travers le monde, 95 % de la gestion de l’eau est restée publique, mais avec des variantes, des dispositifs associant à divers degrés établissements nationaux et entreprises privées ou syndicats territoriaux ou même encore sociétés d’économie mixte, comme les StadtWerke allemandes. Une petite partie seulement (1 %) est complètement privatisée en Grande Bretagne et au Chili.
Cependant, face à la nécessité de répondre aux besoins humains croissants, avec le développement et la création de réseaux, de stations d’épurations et d’assainissement, s’est créé un véritable marché des services de l’eau. En France, le débat est d’autant plus sensible que les deux grands groupes nationaux de renommée mondiale Veolia et Suez environnement et dans une moindre mesure la SAUR gèrent 72 % des services d’eau potable et 55 % des services d’assainissement. 42 % des montants des sommes facturées (près de 12 milliards d’euros) sont gérés par les collectivités, 40 % par les entreprises privées et 18 % par l’État et les agences de l’eau.
Dans ce paysage, qui peut rester garant de l’intérêt général ? Comment le marché peut-il prendre en compte la mission fondamentale de la fourniture de l’eau potable à l’ensemble des populations ? Il faut réinterroger tous les acteurs car les enjeux sont énormes. C’est devant la communauté internationale, dans sa globalité, que les industries et les institutions liées à l’eau devront répondre de la bonne gestion et de l’équitable répartition de ce qui reste, avant tout, une ressource vitale.
L’enjeu consiste à articuler les responsabilités économiques, sociales et environnementales. Il faudra aux acteurs faire preuve de créativité, d’innovation, construire la nécessaire mutualisation de la recherche et des investissements à long terme pour préserver les ressources.
Dans ce domaine aussi « nous » sommes -« nous » car nous sommes tous à un degré ou à un autre partenaires dans ce défi- condamnés à réussir sous peine de basculer dans l’iniquité générale, l’arbitraire, voire « une guerre civile mondiale » comme le laissent entendre les rédacteurs du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) à la dernière conférence de Bali en décembre 2007.
La loi de l’offre et de la demande ne suffit pas et la présence d’autorités régulatrices s’impose d’elle-même.
C’est aussi en ce sens que l’inscription des Activités économiques liées à l’eau (AELE) dans le développement durable est devenue une condition de leur pérennité mais aussi de leur propre développement avec l’existence et le développement de nouvelles activités et marchés.
Les inégalités locales dans sa répartition placent l’eau au centre des débats sur ses modes de gestion, la qualité de la gouvernance, les politiques tarifaires, l’aide au développement dans la collaboration internationale.
Nous sommes là dans le second paradoxe : globalement le volume de l’eau en tant que ressource est suffisant, mais 1,5 milliard d’habitants n’a pas accès à l’eau potable.
Longtemps considérée comme une ressource, certes inégalement répartie mais renouvelable, les spécialistes : économistes renommés comme scientifiques reconnus, s’interrogent sur la seconde proposition.
Sa surexploitation, la mauvaise gestion dont elle fut et est toujours victime et les modifications climatiques en cours perturbent suffisamment son cycle et sa qualité pour la requalifier en ressource fragile à l’échelle mondiale. Le danger est aujourd’hui reconnu par tous. Les Nations Unies estiment que deux personnes sur trois souffriront d’une pénurie d’eau d’ici 2025.
L’émergence soudaine, mais prévisible, de la question de l’alimentation, de la survie, dans de très nombreux pays de la planète ouvre un nouvel axe de réflexion.
La question alimentaire n’est pas nouvelle dans le monde. Il suffit de se souvenir des grandes famines en Afrique ou en Asie de ces dernières années. Les progrès de l’agriculture ont permis d’en freiner le nombre et l’intensité. La récente flambée des prix alimentaires relance la question du niveau de dépendance et de pauvreté d’une grande partie du monde.
À l’échelle internationale, l’eau est reste un enjeu économique majeur et géostratégique redoutable.
Dans ce contexte incertain, la communauté internationale met l’accent sur les réactions possibles aux changements climatiques : la régulation et l’adaptation.
Ainsi, le Sommet du millénaire des Nations Unies, en septembre 2000, a été le cadre d’un événement d’une importance exceptionnelle. Cent-quatre-vingt-neuf pays ont adopté les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), un ensemble d’engagements politiques dont la finalité est la préservation de la ressource, l’objectif de combattre les principaux problèmes des pays en développement notamment de réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de la population n’ayant pas accès de manière durable à un approvisionnement en eau potable et à un système d’assainissement de base. Cette ambition est inscrite dans la cible 10 des Objectifs du millénaire. En dépit des incertitudes, des évaluations des différents rapports, les projections avancent une fourchette d’investissements annuels comprise entre 9 et 30 milliards de dollars et un montant estimé entre 14 et 16 milliards de dollars pour le Tiers monde, essentiellement pour l’assainissement, les zones urbaines, l’Afrique subsaharienne, l’Inde et la Chine.
L’Europe s’est dotée, la même année, d’un nouvel outil : la Directive cadre européenne (DCE) organisant une politique communautaire dans le domaine de l’eau dont la première étape, sa transposition dans chaque pays, était fixée en 2003. Cependant, en 2007, les législations de 19 États présentaient encore de graves lacunes, obligeant la Commission européenne à saisir sa Cour de justice.
En France, le Grenelle de l’environnement toujours en 2007, il faut le rappeler ne prévoyait à l’origine aucune section dédiée à la problématique de l’eau3, a mobilisé toutes les énergies des spécialistes et les médias. Dans le rapport final, l’eau apparaît au chapitre 2 « de nouvelles ambitions », point C « Un environnement plus sain », paragraphe 3 « Améliorer la qualité des eaux »... Il résume les réflexions d’un groupe de travail spontané, autoproclamé, qui prend soin dès la première phrase de situer le problème : « Au carrefour de nombreuses autres politiques, l’eau mérite une politique à part... ».
La France avec son modèle de gestion où les Délégations de services publics (DSP) sont majoritaires ne propose-t-elle pas qu’une curiosité historique ? Ne représente-t-elle qu’un exemple atypique, dans un monde où l’essentiel de la gestion de l’eau reste publique ?
Aborder les politiques de la gestion de l’eau sans occulter les dysfonctionnements éventuels, l’opacité, de certains systèmes ne signifie pas discréditer le savoir faire de l’École française.
Il règne sur ce champ d’investigation, pour le moins, une certaine tension, une inquiétude partagée par de nombreux élus, par les consommateurs dont les factures s’alourdissent peu à peu et par la Fédération des distributeurs d’eau indépendants (FDEI) qui estime la concurrence faussée, à l’encontre même des règles européennes et l’opacité des marchés.
Sur le terrain, les cartes se brouillent encore un peu plus quand des municipalités adeptes de délégation prennent la décision de revenir vers la gestion publique ou inversement, ou lorsque les grands opérateurs interviennent dans le champ de l’aide au développement.
Les pages qui suivent se donnent pour objectif de mettre en exergue les formidables défis auxquels vont devoir faire face les activités économiques.
Dans une première partie « L’eau un enjeu économique et géostratégique » nous ferons le point sur l’inégalité de la répartition mondiale et les déséquilibres croissants entre l’offre et la demande et sur les nouvelles perspectives qui s’imposent aux activités économiques liées à l’eau.
Dans une deuxième partie, « Les acteurs de la gestion de l’eau », nous passerons en vue tous les protagonistes, notamment en France où s’exprime une forte synergie entre le public et le privé avec une prédominance des grands groupes nationaux en France et à l’international. Il s’agira aussi d’aborder la question de la réactivité et de l’efficacité d’institutions internationales, nationales, locales.
Dans une troisième partie, « Les activités économiques à la recherche d’une nouvelle dynamique », nous aborderons, les grandes industries liées à l’eau et au moment où le ministre Jean-Louis Borloo annonce une relance de la production de la petite hydroélectrique, nous reviendrons sur l’avenir de cette ressource renouvelable, comme nous le ferons sur le marché de la récupération des eaux de pluie et celui des eaux minérales. Dans ce chapitre nous avons accordé une place privilégiée à la recherche publique et privée, son bilan mais aussi ses perspectives. C’est dans ce domaine, plus que dans tout autre, que se décidera l’avenir de la ressource et que se construisent aujourd’hui les outils de la gouvernance et les moteurs du marché de demain.
Enfin, dans un quatrième chapitre, « Atouts, faiblesses et perspectives du modèle français », nous décrirons l’originalité de ce modèle, ses compétences et ses savoir-faire qui lui confèrent une place unique sur l’échiquier mondial et nous tenterons d’analyser ses forces et ses faiblesses : emplois, formations, recherche et aide au développement.
La gestion de l’eau ne peut être envisagée que dans une approche systémique et non pas sectorielle. Le débat sur l’eau et les activités économiques qui en découlent, se situe à la hauteur de la ressource, c’est-à-dire vital.
L’eau est un bien commun, un bien social et 90 % de sa gestion, à l’échelle planétaire, reste publique. En France, l’eau est aussi un service public. Même si la Délégation de service public (DSP) est majoritaire, le principe du choix de la gestion dépend toujours des élus, un cahier des charges encadre les contrats et la propriété des infrastructures est publique.
La coexistence des deux modes sur le territoire français est source d’une émulation propice à stimuler et améliorer leurs fonctionnements. De même, la présence des grands fontainiers français à l’international à, d’une part, l’avantage de promouvoir leurs savoir-faire et, de l’autre, de faire bénéficier notre pays des innovations et du retour d’expérience lié à leurs activités à l’étranger. Néanmoins, le système présente certains dysfonctionnements. Des inégalités de concurrence compliquent le choix des élus. Comment veiller à assurer l’équilibre entre les collectivités territoriales, les grands groupes et les PME-PMI ?
L’existence d’un marché de services autour d’un bien public pose la question d’une gouvernance qui garantisse et assure un bon service public. Comment renforcer la transparence et la démocratie ?
Les ressources mondiales sont mathématiquement suffisantes, mais nous ne pouvons que constater l’inégalité de leur répartition et le déséquilibre qui en résulte. Les autorités internationales ont décidé d’intervenir pour diviser par deux, d’ici 2015, le nombre d’habitants n’ayant pas accès à l’eau potable. Ce sont les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
À ce constat planétaire s’ajoutent deux tendances inverses qui caractérisent l’évolution des problématiques de la ressource. D’une part, dans les pays développés d’Europe de l’Ouest la consommation diminue d’environ 1 % par an, d’autre part la demande mondiale s’accroît sous la pression démographique, l’aggravation de la pollution des réserves par l’activité humaine, mais aussi par un développement continu de l’accès à l’eau.
Face à ces évolutions, comment les activités économiques liées à l’eau vont-elles peser sur les deux leviers : préserver la ressource et assurer l’accès à l’eau potable du plus grand nombre. L’enjeu du développement de la recherche est au coeur de la problématique, à savoir protéger la ressource, en découvrir de nouvelles et l’assainir. Il s’agit d’un problème majeur posé à l’humanité comme le souligne le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Les conditions de son développement sont tributaires des synergies « publicprivé », posant avec acuité la question du contenu et des axes de la recherche.
Si le déséquilibre entre l’offre et la demande existe, il dépend moins de la quantité d’eau disponible que de l’innovation et de la technologie ainsi que du coût pour la rendre accessible au plus grand nombre. La question de fond ne réside-t-elle pas dans une meilleure allocation des ressources et un développement des coopérations. Les solutions ne nécessitent-elles pas un cumul des efforts, dans l’élaboration de nouvelles stratégies du local au national, du national à l’international ?
En France, la qualité de l’eau doit désormais satisfaire rapidement aux règles communautaires et la mise en oeuvre des propositions du Grenelle de l’environnement, adoptées par l’Assemblée nationale et sur lesquelles nous reviendrons, s’impose : respect des délais, engagement financier de l’État pour la surveillance des milieux aquatiques, ou encore, prise en compte de la responsabilité sociale des entreprises.
Comment augmenter la valeur ajoutée des activités économiques liées à l’eau afin qu’elles répondent à ces défis, pérennisent leur développement, affrontent le repli des marges qui découle de la baisse de la consommation ? Quels nouveaux débouchés, nouveaux services aux usagers, pourront-elles développer ?
Si les entreprises françaises possèdent de nombreux avantages compétitifs elles ne pourront les conserver et faire face à la concurrence internationale qu’en répondant aussi aux défis posés par l’emploi. Quel renouvellement des emplois face au vieillissement de la pyramide des âges ? Quelle formation pour élever et maintenir la qualification ? Comment favoriser la mobilité de salariés dans les différentes filières et l’attractivité des métiers de l’eau ?
C’est à ce prix qu’elles pourront continuer à exporter le savoir faire français qui peut jouer un rôle de premier plan, par ses qualités techniques et gestionnaires, dans la réalisation des objectifs du millénaire.