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Sexe, science et idéologie

novembre 2009


Passant à Vitry le François je peux voir un homme que l’Evêque de Soissons
avait nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitants de là ont connue, et vue fille, jusqu’ à l’âge de vingt-deux ans, nommée Marie. Il était à cette heure là fort barbu, et vieux, et point marié. Faisant, dit-il, quelque effort en sautant, ses membres virils se produisirent ; est encore en usage entre les filles de là, une chanson, par laquelle elles se préviennent de ne point faire de grandes enjambées, de peur de devenir garçons, comme Marie Germain.

Montaigne, Essais, Livre 1, chapitre 20


Le cerveau des femmes est plus petit que celui des hommes ; le développement d’organes féminins est passif alors que le chromosome Y est un principe actif dominant ; la testostérone rend les hommes compétitifs et agressifs, l’œstrogène les femmes émotives et sociables … Ces théories, invalidables avec le temps, permettent surtout de prouver que la science participe de manière non neutre à la fabrication du masculin et du féminin. Et la dénaturalisation de la place des femmes et des hommes dans la société est un enjeu fort pour l’affirmation de l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des individus.

C’est au XIXéme siècle, siècle dit de la « raison », que les différences de genre, qui ne peuvent plus être légitimées en référence à l’ordre divin, sont consacrées comme « naturelles » via la médecine qui essentialise la biologie. « La pensée des Lumières aboutit à un paradoxe, souligne Jane Méjias. Elle ancre dans la Nature l’unité du genre humain, préalable nécessaire à son égalité juridique et politique tandis que les savants de l’époque inventent une ‘nature féminine’ radicalement différente de celle de l’homme et définie à partir des lois de la reproduction ». Les encyclopédies et dictionnaires de l’époque dessinent des corps féminins dotés de hanches exagérément larges ( gestation et accouchement obligent) et d’une tête plus petite en proportion que celle des hommes.

Si l’idéologie de la domination masculine a notablement reculé grâce, comme le souligne Joëlle Wiels, « aux mille et une batailles menées ici et là par des individus et des groupes qui ne se satisfont pas de ce l’on fait dire à dame Nature », la vigilance reste de mise.

Dans les années 1990 des travaux publiés dans des revues scientifiques, montrant des différences entre les cerveaux des hommes et des femmes, ainsi qu’entre les cerveaux des homosexuels et des hétérosexuels, ont été relayés avec enthousiasme par la presse grand public sur le ton « la science montre que les hommes et les femmes pensent différemment ! ».

Sur un plan strictement biologique, les cerveaux des mâles et des femelles sont effectivement différents explique la neurobiologiste Catherine Vidal, puisque la reproduction sexuée implique des hormones et des comportements sexuels, lesquels sont contrôlés par le cerveau. Et c’est au cours de la vie fœtale que s’effectue la sexualisation du cerveau ». Reste qu’on ne peut conclure au déterminisme biologique pour autant. La grande majorité des études utilisant les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale qui permettent de voir le cerveau en train de fonctionner ne concluent à aucune différence significative entre les sexes quant à l’activité du cerveau dans les fonctions cognitives supérieures.

 De l’inné ou de l’acquis ?

Ces mêmes études révèlent en revanche des variations considérables d’un individu à l’autre. Comment l’expliquer ? Le cerveau n’est pas terminé à la naissance : 90 % des synapses (jonction permettant le transfert des messages d’un neurone a un autre neurone ou d’un neurone a une cellule) se forment dans les 15-20 ans suivant la naissance et c’est précisément sur ces circuits que l’environnement intervient sous diverses formes ( alimentations, interactions familiales et sociales, rapport du sujet au monde). En raison de cette plasticité cérébrale, l’apprentissage d’une langue ou d’un instrument de musique par exemple modifie le fonctionnement des circuits du cerveau. « Notre histoire individuelle est ainsi sculptée dans notre cerveau tout au long de notre vie » résume Catherine Vidal qui conclue au « rôle majeur des facteurs socioculturels dans les différences d’aptitudes cognitives entre les sexes ». Ainsi la capacité soi-disant innée pour les garçons de mieux se repérer dans l’espace perd de son sens lorsqu’on considère que, dans nos sociétés, les petits garçons sont initiés très tôt à la pratique de jeux collectifs de plein air comme le football, ce qui n’est pas vrai pour les filles. Cet apprentissage précoce est en effet susceptible d’influer sur le développement du cerveau en facilitant la formation de circuits de neurones spécialisés dans l’orientation spatiale. L’origine innée d’aptitudes différentes selon les sexes - qu’elles soient spatiales, verbales ou mathématiques - est d’autant plus contestable que ces différences d’un sexe à l’autre sont beaucoup moins remarquables dans d’autres communautés de référence, comme chez les Asiatiques par exemple.

 La division binaire de l’humanité remise en cause

Des travaux récents remettent en cause la division binaire de l’humanité fondée sur les deux formules standards XX et XY.

Dans l’espèce humaine, les hommes possèdent en effet un chromosome X et un chromosome Y et les femmes deux chromosomes X. Mais à côté de cette formule standard qui est la plus répandue, il existe de nombreuses autres formules. Le syndrome de Turner (XO) concerne 1 fille sur 2500 (développement incomplet des ovaires). Le syndrome de Klinefelter (XXY) concerne 1 garçon sur 650 (testicules réduits, développement des seins). Un individu sur 5000 naissant avec deux chromosomes X est hermaphrodite. Des chiffres qui restent tabous et qui sont pourtant comparables à ceux de la myopathie ou à la trisomie 21. En France l’intersexualité concernerait un million de personnes. Ces enfants sont ensuite opérés selon le sexe choisi par les parents. Une pratique contestée aux USA, notamment par la Société des intersexués d’Amérique du Nord. « C’est vouloir maintenir la fiction des deux sexes, faire coïncider la nature avec la société » estime la biologiste Joëlle Wiels.

Dès la première moitié du 20 ème siècle, les recherches sur les hormones sexuelles montrent d’une part qu’ovaires et testicules produisent tous les deux des hormones masculinisantes (androgènes) et féminisantes (oestrigènes) dont la structure chimique est très proche et d’autre part que chacune de ses hormones peut avoir des effets masculinisants et féminisants ainsi que des effets sans liens avec la sexualité et la reproduction. Or la classification des hormones comme mâles et femelles continue de l’emporter du fait « de l’attachement puissant des chercheurs à la division binaire de l’humanité ».

Dans ce contexte, le concept même de genre est questionné car il peut donner l’illusion que si le genre est variable socialement, le sexe, lui est fixe biologiquement.

 Les textes en lignes

- Le Sexe du cerveau, Catherine Vidal
Neurologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, Catherine Vidal fait le point sur ce que dit la neurologie aujourd’hui.
Elle passe en revue un certain nombre de théories naturalistes aujourd’hui invalidées (dont certaines encore récentes), interroge la notion de l’inné et alerte sur les dérives d’une partie de la recherche américaine qui continue à faire la promotion du déterminisme biologique.
Téléchargement (pdf 60 ko 9 pages)

- Socialisation et genre, Jane Méjias.
Intervention au stage de formation continue des professeurs de SES de l’Accadémie de Lyon du 25-01-01
Professeur, agrégée de sciences économiques et sociales, responsable de la filière SES à l’IUFM de Lyon, Jane Méjias consacre la première partie de son exposé aux mythes biologiques qui enferment les femmes dans leurs fonctions reproductives. Les parties suivantes explorent les mythes fondateurs de la parenté, l’impact de l’organisation du travail sur la paternité et les conséquences de la division sexuée du travail sur le genre.
Téléchargement (pdf 140 ko 17 pages)

- Il était une fois le corps, Christine Detrez in Ecoles privées /Ecoles publiques des frontières poreuses, n°5960 de la revue Sociétés contemporaines aux presses de Sciences Po, 2005
La construction biologique du corps dans les encyclopédies pour enfants.
S’il est acquis, grâce à la sociologie, l’ethnologie ou l’histoire, que le corps est un construit social, les travaux actuels sur la distinction entre sexe et genre nous invitent à le penser comme un construit biologique. L’étude des encyclopédies destinées à la jeunesse, et censées expliquer « scientifiquement » le corps humain, est ainsi un exemple flagrant de naturalisation des qualités socialement et symboliquement imputées aux hommes et aux femmes. La différence des sexes et la différenciation des rôles se trouvent, par l’explication biologique diffusée auprès des enfants, justifiées et fondées en nature. C’est à la fois par la distribution entre garçon et fille des organes décrits, mais également par le biais du langage et des métaphores employés que s’invente le naturel, et que s’effectue, sous couvert scientifique, une véritable inculcation de normes sociales.
Lecture en ligne

- On ne naît pas homme... À propos de la construction biologique du masculin, Jean-Paul Gaudillière in Les hommes en crise ? N° 31 de la revue Mouvements des idées et des luttes, 2004
La masculinité et ce qui fait qu’une personne est un homme social n’a pas grand-chose à voir avec la testostérone. Comme on aurait pu le dire si ce n’était pas une évidence : on ne naît pas homme, on le devient. On le devient d’autant plus que le masculin a longtemps donné la mesure de l’humain. Mais à y regarder de plus près, est-ce si sûr que le genre n’a pas de rapport avec le sexe ? Historiquement, le sexe social et actuel a même lourdement pesé dans la constitution de nos représentations du biologique, en particulier pour tout ce qui touche au corps féminin et à la reproduction. Et si ce qui était vrai du féminin, l’était aussi du masculin…
Lecture en ligne

La construction sociale de l’identité sexuée. Intervention de Gerard Neyrand
Le sociologue Gerard Neyrand intervient sur la question des ruptures épistémologiques. Alors qu’à partir du siècle des Lumières « le sexe social » est naturalisé, d’abord par la médecine puis par la biologie et la psychanalyse, c’est avec les années 1970 que le déterminisme biologique est fortement remis en cause. En France, la question de l’identité sexuée débouche alors sur deux courants féministes : le courant universaliste, dont l’enjeu est d’historiciser les différences avec la volonté de les réduire, et le courant différentialiste, qui défend la bio-psychologisation des différences sexuées et la valorisation d’une identité féminine propre.
Texte extrait de la mallette pédagogique « A quoi joues-tu ? » des CEMEA
Téléchargement (pdf 175 ko 9 pages)

 Bibliographie commentée

- Féminin Masculin, mythes et idéologie, sous la direction de Catherine Vidal, Ed Belin, collection Regards, 2006
Fruit d’une rencontre interdisciplinaire, cet ouvrage analyse les « mythes scientifiques et idéologiques » sur la question féminin-masculin. Geneviève Fraisse (philosophe) aborde la question de « la condition féminine » ; l’anthropologue Maurice Godelier étudie « les mythes fondateurs de la domination masculine dans la vie et les sciences » ; Pascal Picq présente « l’éternel féminin en paléanthropologie et en ethnologie » ; Catherine Marry (sociologue) s’attache aux « Femmes, sexes et genre » et à leurs variations sociologiques ; Catherine Vidal, neurobiologiste étudie les rapports « Cerveau, sexe et idéologie » ; Saïd Le Maner-Idrissi, professeur de psychologie, retrace l’étude du « masculin et du féminin en psychologie » ; Evelyne Peyre et Joëlle Wiels présentent les dernières recherches en génétique et en paléoanthropologie : « Le sexe : un continium ».

- Sexe et société, Jane Méjias, Collection "Thèmes & Débats", Editions Bréal, septembre 2005
Jane Mejias entreprend de déconstruire les rapports de genre fortement naturalisés. L’ouvrage couvre un large champ : les biais idéologiques de la biologie, la construction des rôles parentaux à travers l’histoire, la mixité scolaire et l’accès des femmes à la sphère du pouvoir politique.

- Cerveau sexe et pouvoir, Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys. Avant-propos de Maurice Godelier. Collection Regards, Editions Belin, 2005
À la lumière des connaissances actuelles en neurosciences, on serait tenté de croire que les vieux préjugés sur les différences biologiques entre les hommes et les femmes ont été balayés. Ce n’est manifestement pas le cas : médias et ouvrages de vulgarisation prétendent que les femmes sont « naturellement » bavardes et incapables de lire une carte routière, tandis que les hommes sont nés bons en maths et compétitifs. Ces discours laissent croire que nos aptitudes, nos émotions, nos valeurs sont câblées dans des structures mentales. L’ouvrage, qui s’adresse à un large public, replace le débat autour de la différence des sexes sur un terrain scientifique rigoureux, au-delà des idées reçues. L’enjeu est de comprendre le rôle de la biologie, mais aussi l’influence de l’environnement social et culturel dans la construction de nos identités d’hommes et de femmes.

- Sexes, comment on devient homme ou femme, La Recherche, Hors Série n° 6, déc.- nov. 2001
Un ouvrage collectif réunissant les articles de 26 chercheurs dont les contributions suivantes :

- L’Ovaire sort de l’ombre, Joëlle Wiels
Le discours scientifique a longtemps confondu sexe et sexe mâle.
On devient femme par défaut : cette vision dominait le discours scientifique sur la différenciation sexuelle qui, longtemps, ne s’est intéressé qu’à la formation des testicules, les ovaires étant supposés se former de manière passive. Ce favoritisme s’est révélé ne pas résister à l’examen de ses présupposés sexistes et laisse place aujourd’hui à une approche plus équilibrée de la détermination des sexes.

- Histoire des sciences : anatomie d’une double révolution : de l’inégalité des sexes à l’égalité du sang, le tournant des Lumières de Sylvie Steinberg.
Pour les savants de la Renaissance, les genres masculin et féminin se déploient suivant un continuum. Aux deux extrémités, l’homme très viril et la femme très féminine. Mais le sexe féminin n’est qu’un sexe masculin "rentré". Les médecins des Lumières opéreront un tournant. À la fin du XVIIIe siècle, les deux sexes ne sont plus dans un rapport d’inversion, mais d’incommensurabilité.

- La lente émancipation du sexe social : le mâle-femelle à la rencontre du masculin-féminin (Ilana Löwy) À la fin du XIXe siècle, les médecins sont convaincus que le sexe d’un individu est toujours celui de ses gonades. La norme en vigueur est que le sexe biologique, l’orientation sexuelle et l’identité sexuée, ou "sexe social" doivent concorder. Ce paradigme sera bousculé après la Seconde Guerre mondiale avec les études sur l’intersexualité : désormais testicules et ovaires ne suffisent plus à fabriquer du masculin et du féminin.

- La fin programmée du dimorphisme sexuel : supprimera-t-on la mention du sexe sur les documents officiels ? Anne Fausto-Sterling.
En 1993, une biologiste américaine, Anne Fausto-Sterling, plaidait pour un moratoire sur les opérations chirurgicales visant à assigner un sexe aux enfants nés avec des ambiguïtés sexuelles. Elle suggérait aussi de remplacer le système à deux sexes par un système à 5 sexes pour tenir compte des différentes formes d’hermaphrodisme. Depuis, nombre d’associations d’intersexués ont vu le jour aux Etats-Unis.

- Le choix d’un sexe. "Revendiquer pour un enfant le droit à un troisième sexe me paraît idéaliste" Entretien avec Claire Fékété.
En Europe, environ un nouveau-né sur 5000 est porteur d’ambiguïté sexuelle. Quelle est l’attitude à adopter face aux cas d’intersexualité ? Pour Claire Fékété, l’assignation rapide d’un sexe par intervention médicale demeure préférable au moratoire revendiqué de plus en plus activement par des associations de défense des droits des intersexués.

- La fabrique du sexe - Essai sur le corps et le genre en Occident, Thomas Laqueur, Collection NRF Essais, Editions Gallimard,1992 Thomas Laqueur propose une lecture historique des notions de sexe biologique et de sexe social, qu’il désigne respectivement par « sexe » et « genre ». Son matériau est principalement constitué d’écrits produits par les médecins et philosophes de l’Antiquité au début du XX ème siècle. L’originalité de cet énorme travail réside dans l’utilisation d’une grille d’analyse reposant sur le postulat suivant : deux modèles conceptuels, sous-jacents à l’explication anatomique auraient ainsi fonctionnés dans le temps, le modèle du « sexe unique » et le modèle à « deux sexes ». _ → Pour en savoir davantage sur le contenu de ce livre lire le <http://multitudes.samizdat.net/Sur-...> compte rendu d’Evelyne Peyre.

- Sexe et genre : de la hiérarchie entre les sexes, M.-C. Hurtig, M. Kail et H. Rouch, Paris, Éd. du CNRS, 1991
Ce volume réunit une vingtaine de contributions présentées lors du colloque « Sexe et genre » organisé, en 1989 à Paris, pour valoriser les résultats de l’un des thèmes du programme incitatif du C.N.R.S, « Recherches sur les femmes et recherches féministes », mis en place en 1983 sur l’initiative de l’anthropologue Maurice Godelier. Dans sa quasi-totalité, le livre se situe contre les interprétations biologisantes des rapports sociaux de sexe et bat en brèche les vieilles idéologies de la différence affirmant une spécificité du féminin. A l’aube des années 1990, où tant d’acquis sont remis en cause, il fait ainsi figure d’ouvrage de référence du mouvement d’idées accompagnant les luttes des femmes.

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