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Intégrer l’approche de genre dans le domaine climat-énergie

Samedi 10 janvier 2015, par Yveline Nicolas

Comme toutes les politiques publiques et de développement, celles concernant l’atténuation et l’adaptation au réchauffement climatique global seront plus efficaces en prenant en compte l’approche intégrée de l’égalité des femmes et des hommes. Les conséquences des changements climatiques peuvent avoir des impacts différents sur les femmes et les hommes, en fonction de leurs statuts sociaux, de leur capacité à participer aux décisions, de leur accès aux ressources. De même, les femmes peuvent apporter des contributions spécifiques à l’atténuation et l’adaptation au changement climatiques, selon chaque contexte. Des outils pratiques et des manuels de formation sont disponibles pour les acteurs de la coopération et de la solidarité internationale.


 Le genre dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique

Dans le contexte du réchauffement climatique global, la vulnérabilité aux désordres et catastrophes naturelles, les migrations climatiques, la perte d’accès ou de contrôle de ressources naturelles et économiques, etc. touchent de plein fouet les régions les plus pauvres du monde et les catégories sociales les plus défavorisées. Les femmes font partie de ces catégories sociales victimes d’inégalités et de discriminations : elle constituent 70 % des pauvres dans le monde. Ainsi, en 2005, les femmes ont été nettement plus touchées par l’ouragan Katrina aux Etats-Unis, car elles formaient une part important des ménages monoparentaux, aux faibles ressources économiques et à la mobilité moins aisée.

L’impact du changement climatique sur les femmes et les hommes

Le changement climatique a des répercussions en matière de santé (maladies hydriques, paludisme...), d’agriculture et de sécurité alimentaire, de phénomènes climatiques extrêmes, de migrations, d’exacerbation de conflits locaux et sous-régionaux.

Face à la raréfaction de ressources et l’augmentation de leur prix (terres, eau...), les tensions et les inégalités augmentent. Or, généralement, les femmes ont un accès moindre aux ressources et aux facteurs de production, et ne contrôlant pas la gestion de ces ressources, voient leur vulnérabilité accrue. Dans les situations de crises liées aux catastrophes naturelles, les femmes et les filles sont également plus touchées par les violences, harcèlements et abus, notamment dans les camps de réfugié-es.

Les contributions des femmes et des hommes en matière d’adaptation au changement climatique

La capacité d’adaptation et de résilience d’une personne dépend de différents facteurs : statut social et familial, niveau de revenus, accès à des ressources, à des facteurs de production, à l’information, degré d’autonomie et de pouvoir, capacité à se déplacer librement, participation aux processus décisionnels, etc. Généralement les femmes ont un moindre accès à la terre, à la propriété foncière, au crédit, à la formation, à l’utilisation de technologies, à la mobilité. Dans certains pays, les femmes forment plus de 80 % des victimes des catastrophes naturelles du fait de leur manque d’autonomie pour se déplacer, voire de leur confinement dans des habitations. Près de 80 % des victimes du Tsunami en 2004 étaient des femmes.

D’autre part, du fait de spécialisations dans des rôles sociaux différents, héritées de traditions et de pratiques historiques, les femmes et les hommes sont susceptibles d’avoir des connaissances et des initiatives spécifiques dans le domaine de l’adaptation au changement climatique. Des études ont montré que les femmes jouent un rôle particulier en matière de maintien de la biodiversité locale et de cultures adaptées, comme des variétés de riz résistantes à la sécheresse. Les savoirs traditionnels et techniques différents des femmes et des hommes, notamment en milieu rural, permettent d’imaginer et de mettre en oeuvre des stratégies et des projets spécifiques.

Le genre dans les négociations climatiques et la mise en oeuvre de stratégies

Actuellement les hommes et les femmes participent différemment à ces stratégies. D’une manière générale, les femmes ont plus de difficultés à influer sur les politiques publiques. Les négociations climatiques se font à des niveaux de gouvernance très élevés, où la parité décisionnelle ne progresse que très lentement, malgré les objectifs fixés par les politiques publiques et les Nations unies. De 1996 à 2010 (Cancun), on est passé de 20 à 30 % de femmes dans les délégations des pays négociateurs. Les femmes cheffes de délégations forment 12 à 15 %. Les événements parallèles organisés par les femmes lors des dernières conférences ont été 4 sur 250 à Copenhague et 6 sur 200 à Cancun (chiffres WEDO).

Contrairement aux conventions sur la biodiversité et sur la désertification, la Convention des Nations unies sur le changement climatique est la seule des conventions issues de la Conférence internationale de Rio à ne mentionner aucune approche de genre parmi la cinquantaine d’enjeux officiels qu’elle a en charge. Le Protocole de Kyoto souffre du même oubli. De ce point de vue, ces instruments internationaux sont en contradiction avec tous les engagements et instruments juridiques sur l’égalité (comme la CEDEF - Convention internationale pour l’élimination de toutes les discriminations envers les femmes). C’est pourquoi, s’est créée en 2007 la Global Gender Climate Alliance. En 2008, la commission des Nations unies sur le statut des femmes a identifié la problématique genre et climat comme une "question émergente-clé".

Le climat est souvent perçu comme un domaine scientifique et technique, domaine où les hommes sont habituellement sur-représentés. Fin 2008, il y avait deux femmes parmi les 19 membres du groupe d’experts de la CCNUCC sur les transferts de technologies. Le Mécanisme de Développement Propre (MDP) ne prend pas non plus en compte le genre. Son conseil exécutif se composait en 2009 de 10 membres, dont une femme. Le comité du "Fonds vert" créé à Cancun en 2010 ne comporte aucune femme.

Au Mexique, deux femmes ont été placées à la tête de la Conférence de Cancun en 2010 : la secrétaire générale et la présidente de la conférence.

La mise en cohérence des trois conventions de Rio (climat, biodiversité, désertification - et de la déclaration sur les forêts) et de leurs plans nationaux et régionaux de mise en oeuvre nécessite une prise en compte transversale du genre. Des démarches sont faites en ce sens par certains pays, comme en Afrique l’Ouganda, le Burundi, la République Démocratique du Congo, la Guinée...

 Recommandations pour l’instruction de projets de développement intégrant le genre

La mise en oeuvre d’actions concrètes pour l’intégration du genre dans les projets "climat-énergie" et leur capitalisation et diffusion, permettront d’accroitre l’expertise mondiale sur cet enjeu essentiel.

L’approche genre propose des outils concrets d’aide à la décision :
Analyse contextuelle des rôles sociaux des femmes et des hommes.
Analyse des facteurs d’influence sur la situation des femmes et des hommes (politiques, juridiques, économiques, culturels...).
Analyse de l’accès aux ressources et du contrôle des ressources par les femmes et les hommes.
Analyse des besoins pratiques (revenus, santé, éducation, accès à l’energie, à l’eau...) et des intérêts stratégiques (autonomisation, pouvoirs, droits).

Dans la pratique, il est important d’identifier une structure ou une personne-ressource locale pouvant accompagner l’approche genre dès la formulation du projet et recueillir en amont des données sexo-spécifiques. Un budget genre doit donc être inclus dans le projet.

- Consulter les fiches pédagogiques d’Adéquations sur les grilles et outils du genre

Les questions initiales à se poser sont : comment le projet peut-il à la fois avoir un impact sur la réduction des émissions de GES ou l’adaptation au changement climatique, et renforcer l’accès de femmes à des facteurs de production, à de la formation, à des technologies dont elles auront la maitrise ? Qui va bénéficier du "revenu environnemental" généré par le projet ? Est-ce que le projet va augmenter le temps de travail des femmes ? Quelles articulations aura le projet avec d’autres activités de diversification des revenus (plantes médicinales, cultures en forêt, pêche, miel...).

La FAO a publié en 2008 une étude Genre, équité et agrocarburants, minimiser les risques pour maximiser les opportunités, qui montre l’impact possible du développement des agrocarburants sur la situation des femmes. Ceux-ci demandent généralement beaucoup d’intrants – terre, eau, engrais et pesticides – dont l’accès est déjà limité aux petits agriculteurs, dont les femmes. La conversion des terres pourrait entraîner le déplacement partiel ou total des activités agricoles des femmes vers des terres de plus en plus marginales. La diminution des ressources en bois et eau risque d’accroitre la charge de travail des femmes et les distances qu’elles parcourent à pied, et la perte de biodiversité agricole a un impact sur leurs activités et leurs ressources. En Asie et en Amérique Latine, les cultures intensives d’agrocarburants suscitent des emplois de travailleuses agricoles exploitées. Téléchargement de l’étude ci-dessous.

Exemple de mémo en amont du projet - très simplifié

- Intégrer les femmes et les associations de femmes dans les comités de pilotage des projets.
- Analyser les inégalités initiales dans l’accès aux ressources, à l’eau, au foncier, à l’énergie... L’analyse de l’usage des terres et de l’accès des femmes à la propriété foncière est particulièrement importante. Nombre de projets agricoles, de reboisement, lutte anti-érosion, ont été délaissés par les femmes, du fait qu’elles n’avaient pas la garantie de pouvoir continuer à utiliser les terres - et même en l’absence des hommes, dans le cas de femmes cheffes de famille... Or ces projets peuvent jouer un rôle en termes d’émissions C02 évitées.
- Prendre en compte le fait que les femmes sont responsables de l’approvisionnement en eau et en énergie et de la sécurité alimentaire et que les projets touchant à ces domaines risquent d’être inefficaces à terme et/ou d’entraîner des inégalités s’ils n’analysent pas le rôle, les besoins pratiques et les intérêts stratégiques des femmes.
- Mesurer en amont le temps de travail quotidien des femmes (travail domestique + travail productif) - en moyenne largement supérieur au temps de travail des hommes dans toutes les sociétés - et évaluer la répercussion qu’aura le projet sur ce temps de travail. Ainsi au Mali, le bois de feu demande 1/3 du travail des femmes.
- Vérifier l’accessibilité des fours améliorés, de l’énergie solaire, des éoliennes aux femmes rurales. Beaucoup de projets d’efficacité énergétique ont échoué, faute d’être appropriés par les femmes et organisations de femmes en milieu rural.
- Analyser et tirer partie des connaissances locales des femmes et des hommes : biodiversité, agriculture, forêts...
- Intégrer les femmes aux formations techniques et à l’utilisation / gestion de nouvelles technologies.
- intégrer la question du genre dans les actions d’éducation au développement, de communication du projet, de plaidoyer pour la justice climatique...

A vérifier
- Au niveau macro : ce qui figure déjà en matière d’égalité et d’objectifs pour les femmes dans les Plans nationaux climat, biodiversité, lutte contre la désertification. Ex. au Sénégal, un Comité National sur le changement climatique (COMNAC), coordonné par des femmes, a été mis en place par la Direction de l’Environnement. Les femmes ont participé aux consultations publiques dans le cadre de l’élaboration du PANA.
- Au niveau meso : comment la communauté s’organise dans le domaine du réchauffement climatique, comment les femmes et les hommes participent, quels sont les réseaux et les organisations de la société civile et les organisations de femmes localement sur ces enjeux.
- Au niveau micro : quel est le degré d’autonomie des femmes au niveau individuel et familial, par exemple en matière d’utilisation du revenu généré par le projet ?
Axes de plaidoyer en faveur de l’égalité femmes-hommes

Les négociateurs et participant-es des ONG devraient revendiquer et attirer l’attention sur les points suivants :
- les instances de négociation et décision devraient être paritaires
- les textes et accords officiels doivent intégrer la prise en compte des aspects sexo-spécifiques et l’objectif d’égalité des femmes et des hommes
- les aspects financiers, allocations de ressources, bénéfices des mécanismes d’appui mis en place doivent prendre en compte une approche de genre
- Les campagnes et actions de sensibilisation et d’information sur les changements climatiques doivent intégrer la problématique du genre et promouvoir les droits des femmes.

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