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Témoignage de Thomas MathieuMardi 13 septembre 2016 Dessinateur de bande dessinée, Thomas Mathieu est l’initiateur de Crocodiles, un blog mettant en image sur la base de témoignages authentiques le harcèlement et les violences sexistes vécus par les femmes. Il témoigne ici de la manière dont il prit conscience du phénomène mais aussi des bénéfices involontaires qu’il retire – en tant qu’homme – à les dénoncer. |
Mots-clé : Harcèlement • conscience des privilèges
« Je n’avais aucune idée de l’ampleur du harcèlement subi par les femmes avant de voir le film Femme de la rue réalisé en caméra cachée par Sofie Peeters à Bruxelles. Ces rues où elle est harcelée et injuriée, moi, je m’y promenais les mains dans les poches, sans me poser de questions... Quand j’en ai discuté avec ma sœur et des amies, elles avaient toute une histoire de harcèlement à me raconter. Je trouve incroyable que se balader dans la rue sans se faire emmerder soit encore un droit à conquérir.
Dans mon premier album Les dragues-misère, j’avais mis en scène des dragueurs loosers, un peu pathétiques, mais c’était un point de vue très masculin. Chez ces loosers, il y a une figure de la misogynie que je n’avais pas repérée. Elle est bien décrite par Lauren Plume sur son blog Les questions composent. C’est celle du type qui se pense "gentil" avec les filles et qui pense que les filles devraient coucher avec lui en échange de cette "gentillesse". Et comme ça ne marche pas, le "nice guy" sait pourquoi : les filles aiment les connards, les bad boys. Comme ça, il n’a pas à remettre en question le fait qu’il attende que les femmes donnent du sexe en échange de service. Il suffit qu’il méprise toutes les femmes. C’est un cliché très courant dans les films et les séries télés.
Ça ne va pas de soi de prendre conscience de nos privilèges d’homme. Quand je me suis lancé dans le projet Crocodiles - un blog BD où j’illustre des témoignages de femmes sur le sexisme - certaines féministes se sont méfiées. Les hommes féministes, souvent moins compétents qu’elles, mais qui sont beaucoup plus écoutés, parce ce que ce sont des hommes, ça les agace. Au début, j’avais du mal à y croire. Mais c’est indéniable. Je reçois des mails d’hommes qui me traitent de féministe mal baisée et il suffit que je réponde que je suis un homme pour qu’ils me renvoient quelque chose du genre "Ah excusez-moi, je vais relire"… Et je ne parle pas que des trolls : les journaux aussi trouvent mon album d’autant plus formidable que je suis un homme. En quoi est-ce formidable ?
Certains hommes estiment que les femmes aussi jouissent de privilèges. Comme celui de décider d’avoir un enfant ou non. Or moi aussi j’ai tout à gagner de cette conquête majeure du féminisme qu’est l’avortement. En tant qu’homme, je ne me dis pas un instant : "j’ai perdu le pouvoir de mettre ma copine enceinte, de l’abandonner ou de la forcer à garder l’enfant qu’elle ne veut pas, trop dommage !". C’est pareil pour le harcèlement sexuel : pour la plupart, les gens seraient plus heureux s’il y en avait moins. »